Un exemple parmi d’autres nous est fourni ces derniers jours par notre
ancien Président de la République, Jacques Chirac, qui a signé dans Le
Monde du 16 avril un point de vue intitulé « Crise alimentaire : des
solutions existent ». Le style est solennel, un peu comme des vœux en
plein mois d’avril. Des vœux pieux car l’article présente un diagnostic
et des solutions connus depuis longtemps par beaucoup de gens de
terrain qui n’ont certes pas été entendus lorsqu’il était au pouvoir
(la bagatelle de 12 ans). Ainsi donc, «Sans mesures d'urgence et de
fond, nous assisterons à des émeutes de plus en plus violentes, à des
mouvements migratoires de plus en plus incontrôlables, à des conflits
de plus en plus meurtriers, à une instabilité politique croissante. Les
ingrédients d'une crise majeure sont réunis et la situation peut se
dégrader très vite. (…) L'offre de produits alimentaires au niveau
mondial est insuffisante. ». Au passage, la gravité de la situation
n’empêche pas un soupçon d’auto-satisfaction dans la veine «
visionnaire et prévenant » : « Je n'ai jamais cessé de me battre contre
le gel de la production en Europe et de promouvoir le développement
agricole des pays pauvres. ». Peut-être, mais le moins que l’on puisse
dire est que la présidence française à cette époque-là n’a pas vraiment
cherché à infléchir les effets négatifs de la mondialisation, dont la
crise alimentaire est aujourd’hui l’un des reflets : à force de faire
abandonner les cultures vivrières aux pays pauvres pour les mettre dans
le circuit illusoire des échanges commerciaux au service des pays
développés, il est certain que la famine ne peut que menacer : plus de
terre ni de savoir-faire.
Côté solution, l’ancien plus haut magistrat de notre République tranche
: « C'est une véritable révolution des modes de pensée et d'action en
matière de développement, notamment dans le domaine agricole, qui
s'impose ».
Il ose même : « L'agriculture vivrière doit être
réhabilitée. Elle doit être encouragée. Elle doit être protégée,
n'ayons pas peur des mots, contre une concurrence débridée des produits
d'importation qui déstabilisent l'économie de ces pays et découragent
les producteurs locaux. Pour relever ce défi, il faut miser sur les
hommes, sur les producteurs locaux, qui doivent percevoir la juste
rémunération de leurs efforts. Les échanges doivent obéir à des règles
équitables, respectant à la fois le consommateur et le producteur. La
libre circulation des produits ne peut pas se faire au détriment des
producteurs les plus fragiles. ».
Dont acte. Je n’aime pas imaginer les personnes malhonnêtes. On dira
juste que le pouvoir accentue peut-être une certaine propension à la
schizophrénie : on sait mais on ne fait pas. Pourquoi ? En l’espèce,
pourquoi n’avoir pas davantage soutenu l’agriculture paysanne et laissé
notre pays se vider de ses agriculteurs comme un organisme se viderait
de son sang ? Ou alors, non, terminer par une note optimiste et
accorder le bénéfice du doute : ce n’était que de l’ignorance.
Maintenant que les élites politiques semblent un peu plus au courant
des maux et des remèdes, alors il faut s’en réjouir. Franchement, c’est
admirable de voir un libéral converti au commerce équitable, à
l’économie de proximité et donc à un certain humanisme.
©
YdLB, locobio.org - 18 avril 2008