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Chronique 179
22-04-2024

 

Chronique 179

  

Comment le cinéma nous sensibilise

aux grands enjeux environnementaux

 

  

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Aujourd'hui, petite chronique en mode respiration dans un monde rendu plutôt irrespirable aux sens propre et figuré : on va s'intéresser à de récentes sorties au cinéma qui -en plus d'être de bons films sur le plan artistique- font, comme dirait l'autre, avancer la cause. Et bien sûr des sorties en salle, là où le cinéma existe vraiment comme expérience sensible commune, même si force est de constater que le modèle économique de ce secteur peut difficilement se passer aujourd'hui des fameuses plateformes numériques (pour rappel, coût écologique de ces dernières: indéterminé car impensé, voire volontairement caché pour que la non moins fameuse «transition numérique» synonyme d'abrutissement et d'agressivité pour la masse et d'enrichissement non moins agressif pour une minorité se poursuive tranquillement après le saut massif imputable sans grand hasard à l'épisode pandémie). Mais avant de se jeter à corps perdu dans la grande, belle et unique toile de ces salles heureusement obscures, plein feu sur deux faits d'actualité, une sorte de chiffonnade chaud-froid.

Le froid d'abord. Grâce à un Ministre de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté Industrielle et Numérique en poste depuis pas moins de 6 ans, qui roule des mécaniques en se prétendant écrivain de talent, ne démissionne pas spontanément et n'est pas sommé de démissionner, la France affiche un déficit public (différence entre les recettes et les dépenses de l'Etat) record de 5,5% du PIB. Hormis le fait que cela place notre pays hors des (bons) clous fixés dans les traités européens, cela signifie que des hommes de droite, foncièrement libéraux sur le plan économique et donneurs de leçon du capitalisme au nom de leur appartenance à une pseudo-élite intellectuelle ne maîtrisent absolument rien de ce qui concerne tout un chacun. Ils produisent de l'endettement non écologique au sens du développement durable, c'est-à-dire que bien sûr cette inconséquence coupable, immorale, pour l'instant impunie, pèsera sur les générations futures tout comme ce mode de gestion bien français basé sur l'endettement chronique pèse déjà sur nos générations... mais cela de manière non-égalitaire car on peut compter sur les individus responsables dans le cadre de leur mission professionnelle de sauver une fois de plus leur peau et celle des leurs à titre privé. Naturellement, les mêmes incompétents lèvent le nez quand ils sont interpellés (sacrilège ! On devrait donc les envoyer par exemple en Suisse pour voir s'ils tiendraient longtemps au sein du personnel politique avec de telles pratiques dangereuses pour les fonds publics et la bonne santé de la nation). Et ils répondent, toujours au hasard, que c'est la faute à l'Etat social, le pauvre, le moribond, le démantelé, on sait, nous en endurons la régression depuis l'après-guerre. Et donc la seule réponse va à la diminution des prestations, chômage, santé et tiens tiens jamais vers l'imposition des plus riches qui, par ailleurs, font au minimum de l'optimisation fiscale quand ce n'est pas de l'évasion elle aussi en toute impunité. La conséquence de tout cela est bien connue, je dirais qu'on l'a même déjà vécue dans l'Histoire : hausse des injustices, des précarisé.e.s, d'une colère bien sûr légitime surtout si l'on songe à notre devise républicaine et... ma foi, vote aux extrêmes. Aussi, ne nous leurrons pas : si jamais une extrême ou l'autre arrive au pouvoir, ces mêmes irresponsables sauront fuir le pays ou collaborer pour se caser. Ce qui s'est passé ce mois-ci, l'annonce d'un tel déficit, est donc à la fois une pure honte pour le ministre oui responsable et comptable devant le pays mais aussi un scandale politique car on le laisse poursuivre comme si de rien n'était. Après tout, ce n'est pas notre problème si le Président de la République n'avait aucune expérience électorale avant ni aucun appui partisan traditionnel et doit maintenir ses sbires en place pour se maintenir lui-même. Et c'est une nouvelle fois la preuve que l'économie de marché échevelée, sans le contre-poids de notre pacte démocratique de l'Etat-Providence, est une pure catastrophe... avérée et annoncée.

 

Bon, côté chaud de la chiffonnade chaud-froid, BRAVO justement au mouvement (cqfd faut se mobiliser) des Ainées suisses luttant contre le changement climatique. Il rassemble des retraitées de plus de 64 ans qui voulaient notamment faire valoir leur droit à vivre en bonne santé et ont ainsi déposé une requête contre leur propre gouvernement auprès de la Cour Européenne des droits de l'homme (CEDH). Par une décision HISTORIQUE rendue le 9 avril, la Suisse peut désormais se vanter d'être le premier pays condamné par la CEDH pour un contentieux climatique, type de contentieux par ailleurs très récent et en augmentation. C'est avec surprise et via un long jugement très motivé qui fera jurisprudence aussi pour les 46 Etats membres du Conseil de l'Europe et les tribunaux internationaux que le lien a officiellement été reconnu entre insuffisance de l'action contre le dérèglement climatique et impact particulièrement sur les femmes âgées lors des fortes chaleurs. Ainsi, et ce n'est pas rien, l'inaction climatique est reconnue comme une violation des droits de l'Homme, notion en expansion. Les autorités sont rappelées à l'ordre et incitées à agir plus énergiquement contre les émissions de gaz à effet de serre afin de remplir leur obligation de protéger la santé et la qualité de vie de la population. On est bien loin, ici, de la notion de protection-sécurité-enfermement qui prévaut depuis un certain temps, facilité des facilités, car se bouger contre le réchauffement climatique représente un autre défi que mener d'éternelles nouvelles guerres et de monter les gens les uns contre les autres dans un délire sécuritaire croissant. Plus largement, cette décision valide l'opérationnalité de la voie légale (mais néanmoins radicale car deux mondes opposés ne peuvent et ne pourront jamais cohabiter, c'est bien l'enjeu de la transition actuelle). Il convient donc de toujours muscler l'arsenal juridique pour ensuite mener des actions en justice, et le mot ici n'est pas non plus vain. De tels procès sont par ailleurs l'occasion pour les individus de se réaccaparer ce dont ils sont à tort privés car les négociations climatiques, pourtant impactantes à la plus large échelle, ne se font généralement que dans le cadre fermé et feutré des négociations internationales. Négociations où les puissants lobbies des forces dominantes contre-progressistes du type des multinationales du numérique ou de l'agro-alimentaires peuvent infléchir des décisions qui iraient dans le bon sens. Rien de tel que la démocratie et les voisins helvètes le savent bien, eux qui peuvent faire voter au national des initiatives populaires ayant récolté assez de signatures. Rien de tel que les valeurs et institutions de ce régime et, contre le vent mauvais et les marées de plus en plus déchaînées, il convient plus que jamais de se cramponner à cet idéal défendu dans le sang par nos aïeux. Au moins un peu de respect et du cran pour qu'ils reposent en paix et que nous, nous puissions espérer vivre encore en paix.

 

Bon, sur ce, venons-en aux films. On veut des films, on veut du cinéma, on veut rêver au cinéma même si ce qu'on y voit ne fait pas toujours rêver ! Alors je vous recommande 3 films. D'abord, et n'en déplaise à Télérama qui se trompe sur le fond et la forme dans sa mauvaise critique injuste du 27 mars, confirmant ainsi un snobisme aussi déplacé qu'aveuglant, contre-productif et horripilant, oui La promesse verte d'Edouard Bergeon est un bon film. Vous vous souvenez sans doute de son premier long-métrage de fiction, Au nom de la terre, qui partait du drame de sa propre famille avec le suicide de son père, agriculteur endetté. Le voilà qui nous revient avec en tête d'affiche une Alexandra Lamy formidable dans son rôle de mère d'un jeune Français parti en Indonésie pour dénoncer les ravages écologiques (c'est-à-dire tant environnementaux que sociaux) des palmeraies. Avec un Félix Moati tout aussi formidable en victime d'accusations fallacieuses par des autorités locales ET françaises faisant leur beurre d'une huile de palme dont on sait désormais qu'elle peuple nos placards et nos réfrigérateurs. Enfermé puis condamné pour soi-disant un trafic de drogue, il est clair que le personnage qu'il incarne puis celui de sa mère lancée d'en une quête touchante, pleine de suspense, pour le faire libérer dérange plus d'un intérêt établi. C'est bien d'avoir vu grand dans les moyens mis pour ce film car comment faire autrement que filmer à l'échelle internationale ce qui se passe à cette échelle et produit ici et là des effets locaux ? Et rien de tel que la fiction pour « faire passer l'écologie » car, paraît-il, ce serait un sujet pas hyper-sexy. Ce qui n'a pas empêché Nakache et Toledano (Intouchables) de s'y coller eux aussi récemment avec Une année difficile, comme quoi... 

 

Autre film, un documentaire cette fois-ci : La ferme des Bertrand. Oeuvre du cinéaste haut-savoyard Gilles Perret dont je recommande également la première œuvre de fiction Reprise en main (2022), ce film jouit heureusement d'une excellente critique dans Télérama. Ouffff!;) Bon, je passe sur le caractère un peu ridicule, tellement parisien et à côté de la plaque de la mention, dans celle-ci (31/01/24, p.50), des « décors montagnards à la beauté imperturbable somptueusement filmés » ou de ce docu qui transmet « la vérité pérenne du monde agricole ». On est en pleine idéalisation du méconnu, visiblement, mais cela n'est pas grave car les qualités l'emportent sur les défauts du film, défauts parmi lesquels compte -il faut le dire- le peu de préoccupation réservée à l'écologie. Car bien sûr le travail de cette famille d'éleveurs laitiers, sur 3 générations, de 1972 à aujourd'hui, dans le village où le scénariste-réalisateur est né et a grandi, travail d'entretien des paysages face au « bois » qui avance sinon, de souci d'oeuvrer pour la biodiversité par des hauteurs de fauches adaptées est mis en avant. C'est un aspect des enjeux écologiques. Aussi l'évocation de la pression foncière avec toujours plus d'habitants dans cette région « carte postale », un bâti pour eux à l'année ou pour, encore et toujours, les lits froids de touristes avides de se ressourcer et de se dépayser juste une semaine par an ; un bâti qui menace une exploitation dont les anciens ont eu un souci constant de maintenir l'unité, la centralité, la continuité autour des bâtiments à usage privé et agricole. Mais rien n'est dit, ni même visiblement recherché comme information, sur la nourriture exacte des bêtes, les produits utilisés pour leur soin, ni a fortiori la moindre remise en cause de l'exploitation animale. L'auteur est chez lui et, certainement pas par crainte mais par amour de son pays, respect réel envers ces personnes et conscient des forts enjeux eux aussi bien réels qu'il y a à mieux faire connaître et sauver un monde agricole en voie de disparition, il signe un documentaire avant tout hymne et hommage. Cela n'enlève rien à son caractère instructif car connaître la réalité de ce métier, de cette vie, n'est pas évident si personne ne s'attèle à la tâche avec l'obstination de Gilles Perret qui avait déjà fait son premier documentaire sur cette ferme à la fin des années 90. On suit donc une famille confrontée de manière singulière à la pénibilité du travail que seule la technique puis la technologie (bientôt le robot de traite....) semblent pouvoir diminuer et on les comprend, au moment toujours délicat de la transmission aux plus jeunes. Mais ce qui fait la force de ce film est, comme le note la critique du magazine sus-mentionné Guillemette Odicino, qu'il « embrasse plus que jamais le singulier et l'universel » tout simplement parce que les trois frères aux manettes dans les années 70, ne serait-ce qu'eux, « ont un charisme de cinéma avec leurs corps » de véritables héros. Dans leurs peines comme dans leurs joies, nous sommes aux côtés de ces personnes propulsées personnages pour notre plus grand bonheur. Quand la lumière se rallume et que le générique défile encore, on se prend à espérer qu'un autre film pourra être fait sur la 4ème génération et que Gilles Perret le sache dès à présent: on l'attend de pied ferme pour cela et, avant, pour d'autres films y compris de fiction.

 

La même remarque -une soif de cinéma jamais étanchée surtout sur ces sujets nécessaires car sensibles- vaut pour le troisième film dont je voulais vous parler et qui, pour le coup, y va direct sur le chapitre de l'écologie. Dans Le mal n'existe pas de Ryusuke Hamaguchi, une communauté villageoise réunie autour d'un père veuf et sa petite fille tente (visiblement en vain, fin ouverte mais laissant peu d'espoir donc une signification de fait ironique au titre) de résister aux assauts citadins, bobos, d'une agence artistique venue de Tokyo. La mission de celle-ci, on l'aura compris totalement incompétente sur le fond du sujet et seulement payée pour le faire avaler par les autorités et choper dans les temps les subventions post-covid, est d'implanter en pleine forêt un « glamping ». Entendez par là un camping glamour, autant dire du faux camping, du vrai confort pour venir "se déconnecter en pleine nature". Le hic, c'est que rien n'est véritablement prévu pour la gestion des eaux usées et qu'il y a donc un risque de pollution de l'eau de source qui sert aux habitants humains et non-humains. L'autre hic, c'est que pour des raisons d'économies sordides, aucun gardiennage n'est prévu 24h/24 et donc rien ne garantit que les touristes ne braveront pas l'interdiction de barbecues potentiellement à l'origine de feux de forêt. Un autre hic encore parmi d'autres en fait nombreux tant le projet est plaqué, à la seule fin de profit sans vergogne ni la moindre connaissance, conscience des lieux, est que le camping en question se trouve en plein sur le trajet des cerfs. Il faut voir la tête des promoteurs du projet quand ce point est évoqué. Leur seule réponse est relative à l'agressivité possible de ces autres animaux et à quelle hauteur il faudra mettre les barbelés pour protéger les clients. A l'évocation de cette histoire, il paraît manifeste qu'elle est à la fois parfaitement ancrée dans des enjeux que les Japonais semblent malheureusement partager avec nous mais qu'elle comporte aussi une charge plus large qui fait d'elle une fable, et pour le coup une fable écologique. On est clairement en plein western avec, oui, des bons qui connaissent l'écosystème, se sentent physiquement et spirituellement en faire partie, et les méchants qui sont totalement à l'ouest, déconnectés, cupides, aux abois y compris du sens de leur propre existence. On ne va pas les plaindre et clair que plutôt que le grand cerf et la petite fille, il vaudrait mieux que ce soit eux qui dégagent une bonne fois pour toutes car je ne partage pas forcément le discret optimiste du réalisateur voyant la capacité d'hésitation, de transformation et donc d'appui des menacés de la part des suppôts du capitalisme travestis en agents artistiques. Bien sûr, le film est splendide et il doit être vu pour cette première raison qui vient conforter la seconde, soit un modèle de tension et de construction dramatiques. Toutefois, le plus important n'est pas là car, pour le sujet qui nous intéresse, la vraie question tourne autour du territoire, de son partage équitable entre règnes et espèces, d'équilibre rompu ou maintenu/rétabli. Autant dire que cette œuvre est d'une modernité folle car tant que cette question du territoire tant symbolique que physique ne sera pas, brutalement s'il le faut, aussi brutalement que le capitalisme économique et ses appuis politiques indus nous maltraitent, réglée, alors rien ne sera réglé. Et aucune transition digne de ce nom ne sera engagée. Où il est donc question de culture, de révolution culturelle.

 

Et où la douceur d'un livre, incarnation comme le cinéma de la culture dont nous avons tant besoin en ce moment, vient à notre secours :

« Chaque soir, depuis la véranda

Sur le petit banc en bois blanc, elle

Écoute le chant des hirondelles

Rien ne peut troubler ce concordat »

Mathieux Corpataux, Emma au jardin, Editions Empreintes, Chavannes-près-Renens, 2023, p.19.


 

Citoyennement vôtre,

©Yolaine de LocoBio,

Avril 2024


 
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