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Cogitations et actions
Chronique 178
21-03-2024

 

Chronique 178

  

Stop à la malhonnêteté intellectuelle

autour de la notion de décroissance !

  

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Le numéro de février 2024 d'une de mes revues préférées, Sciences Humaines, me donne l'occasion de relever un paradoxe propre à cette dernière livraison et, au-delà, à notre société. En effet, les rédacteurs n'ont sans doute pas fait le rapprochement et c'est un peu malheureux car ils proposent d'un côté un long article sur la décroissance mettant quand même globalement en doute sa capacité à assurer le bonheur et de l'autre côté un dossier intitulé « Qui sont les gens heureux ? » où il apparaît que les biens matériels sont loin d'être tout. Mieux (ou pire), ils proposent eux-mêmes le vade me cum « La vie heureuse, mode d'emploi » où force est de constater que tout repose quasiment sur le bien-être non-matériel défendu par la décroissance : faire preuve d'altruisme, savourer et partager de bons repas, exercer un travail qui a du sens, vivre au contact de la nature, aimer et être aimé, de la musique avant toute chose, sortir de chez soi et voyager (pp.56-65). On retrouve bien ici un paradoxe propre à notre société car la tension et les contradictions ne sont pas des moindres entre pôles matériel et non-matériel dès lors qu'il s'agit de définir ce que c'est que « bien vivre ». 

Fort opportunément, la réflexion proposée sur la décroissance (pp.28-35) rappelle cette réalité ambivalente... je dirais ambivalente comme l'époque et notre société, les chiens ne faisant pas des chats. Époque et société où cette notion revient régulièrement dans les débats comme, il faut le dire, une solution face à la catastrophe qu'est l'ultra-capitalisme dominant. Et cela, je trouve que le magazine ne le dit pas assez, s'alignant ainsi sur la posture dominante face aux « décroissantistes » (ou du moins ceux qui font l'effort réel de penser des alternatives réelles, autant dire une ultra-minorité par rapport à la majorité qui s'engraisse et qui engraisse) : on cherche des poux, on se moque, on accuse son chien de la rage pour mieux l'abattre, en tout cas cela donne vraiment un goût d'hôpital qui se fout de la charité. Bon, avant d'aller plus avant dans le débat, de quoi parle-t-on exactement ? Pour rappel, la décroissance est une notion apparue dans les années 70 face aux limites planétaires incompatibles avec une croissance devenue effrénée et à celles de la société de consommation. A ce titre, on pense notamment à l'insatisfaction permanente générée par la recherche continue de profit de toutes sortes, à titre individuel ou collectif (de l'argent à la conquête spatiale). En gros, c'est la fuite en avant et on voit mal comment être heureux, comment bien vivre objectivement et avoir la sensation associée dans de telles conditions tutoyant en permanence les extrêmes.

 

Bon, nécessairement la décroissance a toujours été et demeure très critiquée. Je dirais que c'est le propre de toute (r)évolution. Comme si l'humanisme ne l'avait pas été à la Renaissance et comme si certain.e.s n'avaient pas fini sur des bûchers ou n'avaient pas été excommunié.e.s au sens propre, ou en devoir de renier leurs découvertes comme Galilée. Que serions-nous si nous avions eu et gardions en permanence cette peur du nouveau, du à venir? Rien. De toutes les critiques, je le dis tout de suite, je pense que la moins infondée est celle du comment, c'est-à-dire de l'organisation précise de la société décroissante. D'abord parce que tous les penseurs contribuant à cette perspective ne sont pas d'accord. Ensuite, parce qu'il est bien difficile de détailler tous les aspects d'un nouveau monde. Or c'est bien de cela qu'il s'agit et il ne faut pas oublier combien le libéralisme politique, économique et le capitalisme sous la forme financiaro-digito-mondialisée que nous connaissons aujourd'hui a pris de temps pour se structurer puis s'imposer. En résumé, je veux bien qu'on objecte à la décroissance (dont je ne suis ni une spécialiste, en bonne généraliste que je suis et tiens à être, ni une partisane échevelée) des arguments de type magique mais alors il faut se les appliquer à soi-même et ne pas oublier l'épaisseur historique, le temps long, bref déconstruire ce qui n'est au fond qu'une construction sociale. Car, faut-il encore le répéter, non le néolibéralisme n'a pas toujours et partout existé et non tout le monde n'est pas d'accord avec ses valeurs et ses effets. Sur ce dernier point, on aimerait plus d'enquêtes et à coup sûr le bilan ne serait pas glorieux glorieux, à se demander même si la colère plus que rampante dans nos sociétés y est étrangère de même que la montée des extrêmes -surtout de droite- qui ne font que capitaliser (manie) sur ladite colère.

 

Il est donc très facile de tirer à boulets rouges sur la décroissance en la taxant de tous les maux, en faisant comme si une pensée globale de celle-ci n'existait pas ne serait-ce que par la collection d'initiatives plus ou moins individuelles existant déjà (du jardin partagé à l'économie du circuit-court soutenue par des politiques publiques, en particulier dans le domaine de l'alimentation locale, bio, permettant de sécuriser les revenus de paysans vertueux et de mieux nourrir les populations mangeant dans le cadre de la restauration collective). En fait, le vrai problème est que nous sommes tellement formatés, pollués par le vieux logiciel de la pensée en silo, d'un rapport strictement vertical au pouvoir, etc... et par la multiplicité des alter-initiatives transversales, pluriscalaires, que nous ne voyons même pas que le monde de demain est déjà là, sans le dire et c'est sans doute tant mieux. En revanche, il faut être clair, il existe une nette ligne de partage au sein de ces alter-initiatives : il y a celles qui relèvent du greenwashing, de la récupération d'idées développées par les vrais alter, de l'adaptation au système actuel sans le remettre en cause, et puis il y a les autres qui travaillent sur les causes, relèvent de leur atténuation. Il ne faut pas se leurrer et prendre des vessies pour des lanternes, ce n'est pas vraiment le moment. Et d'ailleurs cette question du temps qui compte désormais est abordée dans l'article sur la décroissance mais sous l'angle, encore une fois d'une menace : la question des dégâts et de la violence est posée, comme si c'était l'instauration d'un nouveau régime économique, plus globalement de valeurs plus empathiques envers tous les membres de notre espèce et les autres règnes et espèces, qui constituait le risque principal. Cela est un comble ! L'honnêteté intellectuelle requise par l'auteur de l'article à l'égard des décroissantistes voudrait que la perspective soit plutôt renversée, c'est-à-dire... remise à l'endroit. Car le fond de la vérité est que le système actuel, défendu becs et ongles par ses promoteurs/profiteurs jusqu'au-boutistes, joue la montre et, ce faisant, précipite tout le monde dans le gouffre. C'est bien le post-capitalisme qui refuse de penser et de promouvoir les alternatives pour défendre ses propres intérêts et il n'existe pas de violence plus grande faite à la majeure partie des populations, du vivant actuel et à venir.

 

En réalité, nombreuses sont les critiques que l'on peut opposer au système actuel qui, par-dessus le marché (cas de le dire) ne nous demande aucunement notre avis. Car il ne faut pas s'illusionner : actuellement, les acteurs politiques démocratiquement élus pèsent bien peu face aux géants économiques qui ne se brident pas et ne sont nullement bridés dans leurs délirantes réalisations/aspirations. Et ces critiques fondent, bien sûr, l'alternative de la décroissance qui serait la moindre production de biens matériels, leur adéquation à de réels besoins et le développement de solidarités au sein de la société pour assurer les tâches communes nécessaires. Une critique est la corrélation, depuis deux siècles, entre la croissance économique et l'amélioration des conditions de vie. On a envie de dire : ah bon et quid des injustices criantes entre pays et à l'intérieur même des pays ? Quid du recul de l'espérance de vie dans des pays dits développés comme les Etats-Unis à cause de fléaux tel l'obésité ? Quid des ravages du stress à cause du travail, du non-travail, de la pollution sonore, que sais-je encore, bref c'est pas jojo côté santé publique les ami.e.s. Une autre critique est justement la critique diffusée par le système dominant à l'encontre de la décroissance. En effet, celle-ci est volontiers caricaturée, comme si tout l'enjeu était du jour au lendemain de baguenauder dans les champs et de compter fleurette à la lueur pâle d'une bougie parfumée à l'encens. Car ainsi on a l'impression que l'innovation, le travail, le courage, bref tout ce qui est positif est du côté de ceux qui sont en fait les prédateurs artisans de la catastrophe et que l'archaïsme, la branlitude et une fourbe démission seraient comme par hasard dans le camp des alternatives. Quand on voit le bilan économique (crises à répétition), social (mauvaise répartition des gains) et environnemental de l'ultra-capitalisme (dégradations documentées du sol par ex), on rigole tellement c'est à côté du réel et sciemment de mauvaise foi. Donc il n'y a aucun complexe à avoir et il faut au contraire rappeler au réel les destructeurs, notamment les Etats et les multinationales en les traînant -de plus en plus et de plus en plus avec succès, cqfd- devant les tribunaux. Qui pour inaction climatique, qui pour rendre des comptes sur la dégradation de « l'environnement » ou le non-respect de la biodiversité.

 

Comme ôde au courage qui doit nous animer, je voudrais citer la québécoise issue des Pemières Nations Jospéhine Bacon qui ne cesse, à travers sa poésie vivace et viviante, de nous connecter avec la vieille sagesse ancestrale :

« Nous sommes rares

nous sommes riches

 

comme la terre

nous rêvons. »

 

(…)

 

« Mon rêve ressemble

à une paix

qui se bat

pour sa tranquillité. »

 

(...)

 

« Quand une parole est offerte,

elle ne meurt jamais.

 

Ceux qui viendront

l'entendront. »

 

(extrait de Bâtons à message, Mémoire d'encrier, Montréal, 2009, respectivement p.18, 76 et 130)


E dai, forza!

Citoyennement vôtre,

©Yolaine de LocoBio,

Mars 2024

 
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