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Cogitations et actions
Chronique 177
05-02-2024

 

Chronique 177

  

Une météo mitigée

  

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Bon, je ne parle pas de la météo météorologique car il n'aura échappé à personne qu'elle n'est pas « folle » mais qu'elle reflète la folie documentée des hommes et se caractérise au contraire par des excès de plus en plus fréquents. A ce titre, la sécheresse est telle depuis 3 ans outre-Pyrénées, donc pas loin, que les autorités catalanes ont déclaré en plein hiver l'état d'urgence. Concrètement, cela signifie une baisse drastique de l'utilisation de l'eau par les secteurs agricole et industriel de même que l'interdiction d'arroser son propre jardin. Moi qui passe mon temps à défendre l'agriculture urbaine, nous voilà mal barrés... surtout si la situation ne rentre pas dans l'ordre (pour cela, il faudrait un mois de précipitations sans discontinuer, autant dire l'impossible) et que des bâteaux-citernes sont réquisitionnés pour alimenter Barcelone en eau potable. Dire que cette belle ville a basé son attractivité sur le tourisme. Il y a fort à parier que les modèles de développement local vont connaître dans un avenir proche quelques révisions et la notion d'attractivité changer de contenu : on risque tout simplement de ne plus aller faire la teuf dans « l'auberge espagnole » ni même ses études car, tout simplement, il y aura des risques en approvisionnement d'une denrée de base, l'eau consommable. 

Si donc je n'entends pas vous rendre compte de la pluie et du beau temps, c'est plutôt de météo sociale que je voudrais vous entretenir. Ainsi, le blocage des grands axes routiers par des centaines et des centaines de tracteurs d'agriculteurs mécontents aura marqué cette fin de mois de janvier et ce début février, au passage aussi les premières semaines du gouvernement Attal. Il s'est agi d'un mouvement populaire car la population a visiblement enfin pris conscience de l'importance cardinale, non interchangeable et donc unique, de cette profession chargée de bien nous nourrir. Je n'ai pas été la seule à m'étonner et à m'émouvoir de l'indulgence dont les bloqueurs ont fait l'objet de la part du Ministre de l'Intérieur lorsque certains se sont emportés, ont recouvert des radars devant les caméras des médias afin de les empêcher de fonctionner ou ont encore occasionnés des dégâts dans des supermarchés. Dans les deux cas, il y a eu dégradation de biens publics et privés mais visiblement la chasse aux écologistes inspire plus les hautes autorités que d'assurer l'égalité de tous les citoyens devant la loi. Il faut dire que le même ministre se cache à peine d'avoir des ambitions présidentielles donc il est clair qu'un électorat, ça se travaille en amont. Ce que l'on retiendra de cet épisode de colère paysanne légitime, c'est qu'une fois de plus le Président de la République est resté comme on dit « droit dans ses bottes », autant dire sourd et hautain. Après avoir capitalisé sur le fait de nommer un Premier Ministre jeune et lui avoir volé la vedette en faisant, lui, un discours de politique générale avant que le principal intéressé ait le droit de faire le sien devant les élus du peuple, notre cher Président a ainsi enchaîné deux voyages à l'étranger, un coup l'Inde puis l'autre la Suède, cela en s'abstenant bien de tout commentaire sur la crise grave qui montait montait montait de plus en plus dans le pays dont il est le plus haut magistrat grâce au suffrage populaire. On se souviendra qu'il n'aura pas eu un mot et n'aura fait aucun geste envers celles et ceux qui s'étaient organisés pour laisser leurs exploitations et filer avec leurs engins vers la capitale. Non, comme à son habitude, le chef de l'Etat aura laissé aux autres les pâles besognes et c'est le bien pâle et déjà fatigué Gabriel Attal qui aura dû gérer comme il a pu cette crise, entre promesses d'annonces, donc attente, et annonces d'abord jugées décevantes puis suffisamment ok pour que les syndicats majoritaires décident de lever les barrages. On peut dire qu'on a vu ce que c'était que naviguer à vue, jouer la montre et compter sur le découragement de personnes mangeant et dormant forcément mal à force de barbecues sur les autoroutes et de matelas mis à la va-vite dans des remorques pour se reposer quelques heures avant de repartir vers Rungis, le poumon alimentaire de Paris. On pourra surtout dire qu'il s'agit une fois de plus d'une occasion manquée pour enfin mettre à plat tous les problèmes qui touchent le secteur agricole et nous concernent pas seulement pour des questions d'alimentation, de qualité et de sécurité alimentaires, mais aussi de devenir de nos paysages, de nos campagnes, d'une certaine idée de justice sociale face à cette catégorie de travailleur.se.s. Cela est peu étonnant du fait du manque de conscience et donc d'ambition du gouvernement, par ailleurs sous l'influence d'agriculteurs officiant de manière conventionnelle et non alternative.

A défaut de révision systémique attestant d'une vision pour notre futur, on a donc eu droit à du saupoudrage de réponses au coup par coup, la plus grande des défaites des agriculteurs conventionnels, des autres et de nous toutes et tous étant sans doute le néant absolu sur le chapitre d'une hausse de la rémunération des agriculteurs. S'il est une honte, c'est bien celle de trouver normal qu'ils gagnent en moyenne moins que le reste de la population pour une charge de travail supérieure et que davantage survivent aussi sous le seuil de pauvreté (près de 20% avec autour de 1000 euros/mois). S'il est une honte au moins équivalente, c'est d'avoir joué et même creusé de manière tout à fait malhonnête, irresponsable et coupable sur la fausse opposition entre agriculture et écologie. Et donc d'avoir lâchement résolu (jusqu'à quand?) la crise en lâchant du lest du côté des « contraintes » environnementales, à commencer par le 3ème plan Ecophyto « mis en pause ». Il faut savoir que si ce plan a été mis en place, c'est parce que le premier, adopté en 2008, a été un échec de même que le 2ème établi en 2015 ; autant dire que les autorités déjà molles du manche pour adopter un cadre plus favorable à une agriculture compatible avec les impératifs de santé publique sont totalement incapables de faire appliquer les règles à tout un pan de la profession. Cela signifie clairement que les mêmes autorités en charge de la protection de la population renoncent à imposer la réduction prévue de l'usage de pesticides à hauteur de 50% d'ici 2030. C'est très grave dans la mesure où l'utilisation de ces produits conduit notamment à des cancers, les agriculteurs étant les premiers concernés et ils le savent bien maintenant car cela aussi est documenté par les scientifiques. Ne parlons pas de l'impact sur les écosystèmes et de ce que l'on appelle de manière trop abstraite la « biodiversité » : bien sûr que ces produits sont du poison pour toute la flore et toute la faune et bien sûr que reculer là-dessus est une véritable catastrophe, un délit qui devrait être puni comme tel.

 

Donc voilà un premier aspect qui rendrait, si on n'y prenait garde, la météo sociale toute noire. Heureusement, des expérimentations se poursuivent qui certes ne contrebalancent pas les options politiques évoquées précédemment mais donnent un signal encourageant. Je veux parler d'un sujet dont j'assure un suivi régulier dans ces chroniques parce qu'il constitue sans doute un levier important pour mener la Transition dans le secteur agricole mais aussi améliorer l'alimentation de pans de la population où elle laisse à désirer, et avec elle la santé, donc l'égalité si centrale dans notre devise républicaine : la sécurité sociale de l'alimentation. Depuis la dernière rentrée universitaire, ce sont ainsi 150 étudiant.e.s de l'Université Bordeaux-Montaigne tiré.e.s au sort qui bénéficient de 100 euros mensuels en monnaie locale (la gemme) pour faire leurs courses alimentaires dans des magasins partenaires. L'idée est bien de remédier à un autre fléau de notre pays, une autre vraie honte aussi, à savoir la précarité sociale et singulièrement alimentaire dans laquelle se trouve les jeunes investis dans des études supérieures pour travailler à leur avenir. On se souvient que cette fraction de la population a été aussi injustement que brutalement maltraitée en vertu d'une gestion punitive de la pandémie, les plus jeunes ayant été enfermés pour visiblement protéger les plus âgés. Cela a donné des suicides dont les morts peuvent difficilement témoigner (et les politiques responsables de cette gestion indigne comptent sur ce silence ainsi que sur celui des familles dévastées) mais aussi beaucoup de souffrance et de fragilité psychologiques que le système de santé a bien du mal a prendre en charge car lui-même est mis à mal par la politique ultra-libérale des gouvernements successifs. Outre ce fait, on sait donc que presque 20% des étudiants ne mangent pas à leur faim, ce qui pose question sur le plan éthique et interroge de façon plus pragmatique sur leurs chances pour réussir leurs études dans pareilles conditions. A ce bout de la chaîne, il y a donc eux qui côtisent entre 10 et 50 euros par mois pour bénéficier de la caisse commune récemment mise sur pied. A l'autre bout, il y a des producteurs et des commerçants sélectionnés et engagés dans une charte basée sur le local, le bio, l'éthique et le solidaire. L'idée est donc bien -et en cela elle rejoint un des problèmes fondamentaux des agriculteurs évoqués ci-avant- d'œuvrer à une juste rémunération de celles et ceux investi.e.s dans une agriculture alternative, une alimentation durable et une véritable démocratie alimentaire.

Évidemment, ce genre d'expérience repose sur la conscience de l'importance des enjeux et le volontarisme des acteurs locaux, à commencer ici par les responsables de l'Université qui ont tissé sur la longueur des liens en particulier avec l'association en charge de la monnaie locale. Tout l'enjeu est, après avoir mené à terme cette expérimentation et l'avoir évaluée, de parvenir à la pérenniser de même qu'à la diffuser plus largement. L'argent ne devrait pas être un problème si, par exemple, la grande distribution et le secteur agroalimentaire qui s'en mettent tellement dans les poches depuis des décennies avec plus que l'assentiment des responsables politiques, daignent au moins « faire du social » en mettant la main à la poche. A défaut de changer en mieux le système, il serait appréciable et apprécié comme tel que les pyromanes témoignent d'un minimum d'empathie en réalisant ce genre de geste, non ?

 

Pour finir, j'aimerais partager avec vous quelques vers inspirants de la québécoise Hélène Dorion. Ils sont extraits de son remarquable recueil intitulé Mes forêts (éditions Bruno Doucey, 2023, p.27) et témoignent autant de sa douceur que de sa détermination à oeuvrer pour le vrai monde de demain :

 

«  Les racines

 

fendent le sol

comme des éclairs

 

avancent dans leur solitude

et tremblent

 

pareilles à une vaste cité de bois

les racines

s'accordent à la sève

qui les fouille

 

observent-elles les nuages

pour apprendre

la langue de l'horizon »

 

 

Citoyennement vôtre,

©Yolaine de LocoBio,

Février 2024


 
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