• JoomlaWorks Simple Image Rotator
Cogitations et actions
Chronique 174
30-11-2023

 

Chronique 173

 

2 conditions nécessaires pour mener à bien

la transition des systèmes alimentaires

  

Image Active

 

  
Je crois que ce qu'il y a de plus pénible à notre époque, c'est cette sensation de tourner en rond et d'être pris -il faut le dire- pour des cons. Oui, une étrange, pesante et révoltante sensation d'enfermement dans des schémas qui, à force de ne pas être les bons, nous ont foutus dedans et nous maintiennent dans -il faut le dire aussi- une fiéffée merde qui n'a rien de fertile. Les systèmes alimentaires, c'est-à-dire la manière dont tout est organisé pour nous nourrir (besoin faut-il le rappeler primaire, quotidien, à nous humains non transformés) du « champ à l'assiette », oui ces systèmes n'échappent malheureusement pas à la confusion générale. Par confusion, j'entends au premier chef la confusion mentale, soit une incapacité profonde, de longue date, à appréhender rationnellement les problèmes qui se posent. Et, dans ce cas, ce n'est pas un problème de complexité qui serait liée à la transition écologique dans son ensemble, laquelle inclut celle des systèmes alimentaires. Car on dit souvent qu'envisager toutes les interactions entre les secteurs d'activité, à toutes les échelles territoriales, cela nécessite une pensée complexe que... que... que qui l'a, putain non c'est trop difficile ! Ah bon, désolée mais je pensais appartenir à l'espèce supérieure, celle supérieurement intelligente et même que c'est pour ça qu'elle roule des mécaniques et emmerde littéralement le monde. 

Donc non, ici le problème n'est pas la complexité. Il réside dans 2 verrous purement idéologiques et il faudrait enfin l'avouer ou, pour ceux qui le savent déjà et jouent les innocents pour défendre leurs conceptions inappropriées voire leurs intérêts bien matériels (agrobusiness en tête), cesser de jouer avec de feu-là. Car la situation en matière d'alimentation est déjà bien préoccupante, clair qu'il n'y a pas de quoi étaler une fierté hors-sujet. Personnellement, je suis effarée, pour ne pas dire honteuse, profondément honteuse de mon espèce quand des chiffres hallucinants me sautent aux yeux. Ainsi, la faim affecte de nos jours 1 habitant de la Terre sur 10 tandis qu'1/3 de la population mondiale ne peut pas bien s'alimenter (sous-nutrition, malnutrition, par ex). Côté production, l'utilisation des terres en particulier pour l'agriculture est responsable d'environ ¼ des émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine, lesquelles émissions génèrent le réchauffement climatique responsable -eh oui, ça finit par produire des effets- de près de 1/5ème de la baisse de la productivité agricole. Si c'est pas du cercle vicieux, ça, et un véritable désaveu pour le système actuel... sans compter, au bout de la chaine alimentaire, la consommation, ou plutôt la non-consommation, avec 30% de la production alimentaire purement et simplement gaspillée.


Donc le bilan n'est pas jojo. Il y a comme qui dirait urgence et pas que climatique : éthique tout d'abord car cette situation est indigne et, pour une espèce qui se targue de se définir, de justifier sa supériorité par des qualités comme la morale, on peut dire sans forcer le trait que ça craint du boudin. Le plus grave dans tout ça, ce sont les verrous, ce qui nous empêche de sortir du cycle infernal. A ce propos, je constate la persistance de 2 freins majeurs :

    1) l'entêtement à ne penser la recherche de solutions que dans le cadre pris pour acquis d'une expansion démographique, le truc délirant (au sens psychiatrique du terme, à prendre donc très au sérieux) de « Il va falloir nourrir 10 milliards de personnes en 2050 ».

    2) l'absence de ligne de partage perçue ou imposée par qui sait et serait en capacité de faire la part entre les vraies bonnes solutions et, globalement, le bullshit techno-solutionniste qui essaie à tout crin de sauver non pas l'Humanité mais certains de ses spécimens ultra-minoritaires et ultra-toxico-néolibéraux.


Je suis tombée récemment sur la revue d'une grande institution d'enseignement et de recherche de nos amis et voisins suisses, l'EPFL (Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne) et le dossier de cette revue Dimensions intitulé « Tous à table, un défi planétaire » a retenu mon attention. Tout d'abord parce que la Suisse a la réputation de concentrer beaucoup d'intelligence, de sagesse, de compétences venant d'ailleurs aussi bien de son propre sol que du monde entier. Ensuite parce que j'ai spontanément considéré comme un progrès le fait qu'une telle institution s'intéresse à un des sujets en général porté par des écolos volontiers taxés de radicalisme. Donc tous les ingrédients étaient réunis -et ni cette école ni ce pays ne sont les seuls dans la méprise finale- pour qu'une problématique écologique, concernant de fait tout le monde et non pas une seule fraction d' « excités » plus ou moins « éco-terroristes » soit prise en charge sérieusement, avec des chances corollaires de véritables avancées. Et patatrac ! C'est là que patatrac et on mesure combien des blocages majeurs sont enracinés, et on se demande bien comment -ne serait-ce que culturellement- on va bien pouvoir changer de braquet. Car ce qu'il y a d'incompréhensible, c'est que même dans les institutions et les pays les plus « développés », on continue à poser l'équation en termes faux : en quoi, mais en quoi la donnée de base, le but ultime seraient-ils de nourrir 10 milliards d'individus dans ¼ de siècle ? C'est de la folie pure, n'importe qui le dirait et le dit d'ailleurs pour les autres espèces « invasives », « en sur-nombre », espèces qu'on n'hésite d'ailleurs pas, sans vergogne, à « réguler » pour ne pas dire qu'au propre comme au figuré on lui fait la peau, au loup. On nous parle de notre droit collectif à pulluler au nom de notre différence promue par miracle en supériorité. On nous assène des droits individuels à procréer au nom du désir de ceci, du désir de cela. Ok, je veux bien, mais l'intendance suit-elle ? En réalité, on voit le résultat et la vérité vraie est que nous sommes aussi des animaux comme les autres, à ce titre astreints à aligner nos moyens par rapport à nos besoins, en clair à avoir les moyens de notre politique de base (tenir debout, être en santé). Cela bien sûr sans nuire à la capacité des autres espèces à faire de même, ce qui n'est pas le cas puisque nous polluons dans tous les sens du terme, à commencer via la prédation des sols, occuper le terrain et façonner comme bon nous semble nos territoires. Donc oui, s'il y a quelque chose à limiter d'urgence, c'est la croissance démographique, surtout quand les enfants des femmes servent de chair à canon sur les fronts des hommes, scandale parmi les scandales en ces temps de guerre revenus. Et s'il est une croissance encore plus urgente à juguler au sein de cette croissance démographique, c'est celle des villes puisque plus de la moitié des humains s'y concentrent désormais. Or qui dit villes, surtout grandes, méga, giga métropoles qui comptent plusieurs dizaines de millions d'habitants dit anthropisation accrue des terres, marques d'hommes, femmes et enfants déracinés, hors sol, rendus obèses, incapables de produire une nourriture en plus souvent de mauvaise qualité, nourriture souvent produite loin donc transportée par camion. Et qui parle de telles villes parle aussi de territoires donc de vie purement et simplement enlevée à d'autres espèces.


Le bilan est catastrophique, il n'y a pas d’autre mot et, dans la région, l'impact sur la biodiversité de l'urbanisation au bord du lac Léman ne laisse aucun doute quant à la seule, l'unique, toujours la même cause des problèmes : l'expansion no limit, considérée comme normale et même bénéfique, providentielle, de la sainte Humanité. En résumé, à quand de savants (ou très simples...) calculs sur la capacité à nourrir la population humaine sans dommage sur les autres populations ? A ce titre, sur le seul volet de la capacité à nourrir une population sur un territoire, on sait que les chiffres sur la sécurité alimentaire sont eux aussi catastrophiques ; surtout pour les villes. Vulnérabilité absolue. Mais personne ne s'alarme ou ne fait mine de s'alarmer, certains cyniques ayant les moyens pensant toujours pouvoir s'en sortir et tant pis si tout le monde crève autour. On continue donc comme si de rien n'était à faire des enfants, à bétonner et à, en plus, étrangler les gens avec le prix du logement. Comme si la « crise » et la « bulle » de celui-ci étaient le vrai sujet. Franchement, il y a des fois où le hors-sujet dans lequel on nous traine, c'est à loucher et à pleurer... ou agir et c'est d'ailleurs précisément ce que font des chercheurs dont je souhaite évoquer ici le travail, au contraire, de visibilisation dans tout ce contexte de ce que les Italiens appellent le « buio » (sombre, obscur).


Attaquons-nous donc à la 2ème partie de cette réflexion sur les modalités de la transition alimentaire et commençons « volontiers » (comme disent autant les Suisses que les Italiens) par cette formidable idée qui est de prendre le problème à la racine et de sortir la vérité du buio où on l'a ensevelie : « Quel est le vrai coût de la nourriture ? », telle est la question révolutionnaire, aussi bien au sens conceptuel que sociétal, posée par des scientifiques réunis au sein du Centre E4S (« Enterprise for society »). l'EPFL y est partie prenante, raison pour laquelle vous pouvez trouver dans sa revue un passionnant et salutaire article dont je me fais ici l'écho. Là au moins les choses sont claires, posées d'emblée : « Quel est le vrai coût des aliments ? Certainement pas celui affiché dans nos supermarchés. Le système alimentaire mondial est en effet l'un des principaux responsable du dépassement des limites environnementales planétaires, incluant le changement climatique et l'érosion de la biodiversité. Il est également responsable de multiples impacts sociétaux, comme le travail forcé et sous-payé, et sanitaires (malnutrition, obésité, diabète et maladies cardiovasculaires entre autres). Ces conséquences sont autant de coûts dits cachés ou externes, non reflétés dans le prix final, et réduisant artificiellement la facture de nos aliments » (p.34). D'où l'idée de promouvoir le « True Cost Accounting », alias « comptabilité du coût réel » qui vise à « quantifier, monétiser et internaliser les coûts cachés, qu'ils soient d'ordre environnemental, sanitaire ou social, dans le prix des biens de consommation. L'objectif étant d'accélérer la transition vers un système plus durable d'une manière systémique et holistique » (ibidem). Cela tout en sachant qu'il est rappelé qu'une étude aux USA avance le chiffre incroyable mais sans nul doute vrai de coûts en fait 3 fois supérieurs aux dépenses effectives ! Des difficultés sont rencontrées sur ce chemin, à commencer par la difficulté à par exemple chiffrer le travail des enfants mais aussi, bien sûr, la relative paix sociale qui risque d'être remise en cause si les coûts sont réinternalisés au détriment de toujours le même : le consommateur final lambda, comme vous et moi. L'idéal serait évidemment de ne pas produire de tels coûts, autant dire avoir à moins produire et le faire avec un moindre impact sur les plans environnemental, sanitaire et social.


Parmi les autres vraies bonnes solutions relevant d'un vrai changement de paradigme, c'est-à-dire d'une autre relation au vivant et plus généralement à notre « environnement », on peut mentionner l'attention portée à nouveau au socle des socles, aussi métaphorique que bien physique : le sol. Ainsi, l'article p.24 rappelle autant la nécessité de le préserver à l'échelle planétaire car source des puits de carbone dont nous avons vitalement besoin que celle de se soucier plus particulièrement des bassins versants où l'eau, plus ou moins polluée, s'écoule. Car si la qualité de ces derniers est altérée, alors il en va de même pour la fertilité des sols et leur capacité à nous nourrir. A ce propos, je relèverais les deux citations suivantes car elles donnent la mesure du défi : « Nos sociétés sont-elles suffisamment conscientes de l'importance des sols ? Je ne pense pas. Nous avons tendance à considérer le sol comme allant de soi, sans vraiment réaliser qu'il est une ressource non renouvelable et précieuse, qui a mis des dizaines de milliers d'années à se former. Nous connaissons encore insuffisamment le fonctionnement des sols, leur complexité et toutes les interactions avec l'air, l'eau, les roches et le biote, dont ils sont pourtant à l'interface » (p.24). Et : « Le taux actuel de conversion des terres vers des utilisations intensives a augmenté au cours du siècle dernier et aujourd'hui l'intensification de la production agricole exerce une pression sans précédent sur les ressources en sol. Par exemple, dans de nombreuses régions, le taux d'érosion dépasse largement la production du sol. Nous perdons donc rapidement nos terres les plus fertiles. D'autres formes de dégradations liées à l'agriculture intensive comprennent, par exemple, la perte de matière organique, la contamination, l'acidification, la salinisation et le déclin de la biodiversité. Selon des estimations récentes de la FAO, plus de 30% des sols de la planète sont déjà modérément ou fortement dégradés et plus de 90% pourraient l'être d'ici 2050 » (pp.24-25).


A noter que les solutions sont d'abord et avant tout locales car à notre portée et dotées d'une charge potentielle d'exemplarité. Ainsi, l'EPFL est-elle propriétaire d'un terrain en bordure de son propre campus, une vraie ville dans la ville à son échelle, terrain sur lequel se déploie la Ferme de Bassenges qui est l'objet d'un autre article assez convaincant sur la force du collectif et de la low tech, sans oublier le bio, pour nourrir au mieux les alentours.


Bon, je ne voudrais pas mais il faut pourtant terminer cette chronique en évoquant les mauvaises fausses solutions et force est de constater qu'elles sont légion. Ce qui est dommage, vraiment dommage, c'est qu'elles soient montrées comme dans une vraie vitrine au même titre que les vraies bonnes solutions relevant du changement de paradigme. Car quand sont évoqués pêle-mêle l'intervention de l'intelligence artificielle (dont le coût énergétique, rien que lui, demeure un impensé forcené), le développement de la « viande » de laboratoire au détriment d'une forte consommation de celle-ci et d'un meilleur discernement dans ce que l'on mange, voire de sa suppression pure et simple, ou encore l'usage de nouveaux OGM présentés comme les précédents comme inoffensifs... eh bien on a de quoi se poser de sérieuses questions (respectivement p.27, 30 et 39). C'est navrant, faux, cela sème le doute et cette confusion est comme faite pour noyer le poisson : on perd en effet de vue les vrais responsables qui cherchent à s'en tirer une fois de plus dans le sillage d'une soi-disant « adaptation » dont le comble est que ce sont leurs propres activités lucratives qui en ont créé la nécessité (définition même du capitalisme autoréférent et ne visant qu'à, lui, s'auto-alimenter). Surtout, on se retrouve face à un trop grande nombre de solutions parmi lesquelles on ne sait plus choisir car, en apparence, toutes se valent. Face à un tel écueil, la seule question pour faire le tri, séparer le bon grain de l'ivraie, et mettre au point en amont les solutions dont nous avons urgemment besoin est : veut-on « s'adapter », sous-entendu à la catastrophe, ou bien enfin être sérieux (nous en sommes capables, seule manque la volonté, à commencer celle de neutraliser définitivement les toxiques) et travailler à l'atténuation des causes de la catastrophe ? En-dehors de cette clarification conceptuelle et pratique, il n'y aura pas de changement systémique. Or oui il va bien falloir déraciner de nos esprits, de nos économies et de nos modes de (non)vie le vrai parasite qu'est le néo-capitalisme, par essence prédateur. Nous en valons la peine et nous le pouvons car il faut bien prendre conscience de combien, de tout ce à quoi ce système de pensée appliqué aux macro et micro-économies nous a réduits. Nous valons mieux que cela, sans parler de l'écrasante autant qu'enthousiasmante responsabilité vis-à-vis de ce qui nous entoure, nous nourrit et avec qui il serait formidable de nouer des relations d'un autre type, clairement plus saines et alignées.


Sur ce, je vous laisse avec un magnifique extrait du recueil de poèmes de la québécoise Hélène Dorion, Mes forêts (Editions Bruno Doucey, 2023). Il évoque le ruisseau, p.15 :

« creuse loin dans la terre

dénoue la montagne qui pèse

de tout l'automne

le rideau s'effrite

dans un souffle lourd

le ruisseau balaie le passé

vers demain

entraîne dans son courant

le froid qui rongeait les heures


comme un petit bruit

au fond de l'âme

ce que l'on tait

les pierres le portent ».




Citoyennement vôtre,

©Yolaine de LocoBio,

Novembre 2023

 
< Précédent   Suivant >
© 2024 locobio
Joomla! est un logiciel libre distribué sous licence GNU/GPL.