• JoomlaWorks Simple Image Rotator
Cogitations et actions
Chronique 172
27-09-2023

 

Chronique 172

 

Pourquoi nous n'avons plus le temps.

A propos de la sobriété foncière

et de la sobriété en général

comme solutions pour s'en sortir


 

Image Active

 

  
Oula, vous allez peut-être penser que ça ne s'arrange pas du côté de LocoBio, qu'on se prend bien la tête au sens où on s'attaque à du maousse costaud au niveau conceptuel et qu'en plus on entend changer le monde. Eh oui, je l'avoue. Mais le propre de chroniques comme celle-ci (la 172 ème du genre depuis plus de 15 ans quand même!) est justement de coller à l'air du temps, aux enjeux d'une époque et quel autre enjeu -d'accord massif mais est-ce ma faute?- que de sortir le monde actuel de l'impasse mortifère dans lequel une minorité toujours agissante l'a plongé ? Donc je persiste et je signe, c'est le cas de le dire.. 

Récemment, deux articles ont attiré mon attention car ils ont l'air de prime abord assez opposés car l'un émane d'un chercheur, il concerne un sujet plutôt pas sexy, méconnu et néanmoins crucial, celui de l'évolution de la loi en France, concernant l'usage du sol et donc des sols. L'autre a été publié par un média que certains considèrent (ça arrange bien) comme militant, pro-écologie et donc certainement dangereux car fasciste comme il est devenu à la mode de le prétendre, tandis qu'il traite d'une étude scientifique sur l'impossibilité ferme de concilier croissance et lutte contre le réchauffement climatique. Ce dernier fait au passage partie des 8 limites planétaires avec par exemple l’acidification des océans ou encore le cycle de l'eau douce. En réalité, ces deux articles sont dans la même veine, hautement sensibles car dans une sorte de franglais « hotement » politiques. Or dès qu'il s'agit de politique, me voilà, j'arrive, j'accours, car c'est ma grande passion et il se trouve que c'est aussi ma formation... de politologue justement. Plus précisément, ce qui rapproche ces contributions c'est le rapport au temps et le même constat concernant à la fois les freins à la Transition écologique (au sens large du terme, incluant donc une mutation salvatrice des valeurs nous animant vers la défense irréductible du Vivant partout et tout le temps) et les préconisations pour bien agir. Je le dis tout de suite et en des termes simples avant d'attaquer le vif du sujet : la variable déterminante pour s'en sortir est bien le temps, celui qui manque et qui est confisqué par des acteurs visiblement tout à fait conscients de ce qu'ils font pour défendre leurs intérêts. C'est ce que je me propose de considérer en regardant dès à présent de plus près ce que les divers auteurs avancent.

Le premier article est le fruit de la réflexion toujours très documentée, produit d'une longue expérience en tant que chercheur, de Martin Vanier qui est actuellement professeur à l'école d'urbanisme de Paris. Il a toujours travaillé sur les politiques publiques en relation avec la question du territoire, raison pour laquelle j'ai eu le bonheur d'assister à certaines de ses communications dans des colloques et de toujours suivre ses publications. Dans « Zéro artificialisation. Premières leçons » (https://www.lagrandeconversation.com/ecologie/zero-artificialisation-nette-premieres-lecons/, 8/9/23), il s'attache à rendre compte des effets déjà perceptibles de la nouvelle législation (2021) prenant acte des rivalités d'usage du sol et visant à préserver des espaces non artificialisés. C'est ce que l'on appelle l'objectif « ZAN », soit « Zéro Artificialisation Nette », la notion d'artificialisation renvoyant à la consommation du sol uniquement vu comme support pour les activités humaines, ce qui est amplement réducteur, très peu modeste et irréaliste, vous en conviendrez. Pour vous donner une idée de l'ampleur du désastre, rien de tel que s'en remettre à notre propre Ministère de l'Écologie car, après tout, nous avons la chance d'en avoir un et ce n'est pas le bien le plus partagé sur la planète, loin de là : « Sur la décennie précédente, 24 000 hectares d’espaces naturels, agricoles et forestiers ont été consommés chaque année en moyenne en France, soit près de 5 terrains de football par heure. Tous les territoires sont concernés : mais en particulier 61% de la consommation d’espaces est constatée dans les territoires sans tension immobilière. Les conséquences sont écologiques (érosion de la biodiversité, aggravation du risque de ruissellement, limitation du stockage carbone) mais aussi socioéconomiques (coûts des équipements publics, augmentation des temps de déplacement et de la facture énergétique des ménages, dévitalisation des territoires en déprise, diminution du potentiel de production agricole etc...) » (https://www.ecologie.gouv.fr/artificialisation-des-sols). En clair, « parce que l'urbanisation combinée avec l'automobilité ont nourri depuis environ soixante ans un phénomène universel de desserrement urbain et de résidentialisation des campagnes, appelé en France « périurbanisation ». Le ZAN est une proposition politique pour refermer cette époque de peuplement et en promouvoir une nouvelle qui ramène aux centralités grandes et petites. Le ZAN est l'ambition de clore enfin le temps de l'étalement urbain, qui ne peut pas être infini. L'espace cible du ZAN, c'est donc fondamentalement l'espace périurbain » (Martin Vanier cité ci-avant, p.4). Concrètement, le périurbain vous le connaissez bien car ce sont toutes ces zones d'activités et résidentielles qui, d'ailleurs, ont un rapport certain avec le mouvement des Gilets jaunes. Le sujet n'est donc pas des moindres puisqu'il s'agit de réviser notre manière d'habiter la Terre (à ce sujet, voir entre autres le magnifique livre du regretté Michel Serres :https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782746524316-habiter-michel-serres), autant dire d'arrêter le dégueulis no limit qui caractérise jusqu'ici notre espèce, du moins la fraction qui s'est imposée comme dominante et à problème.

 

Partant du principe que l'open bar ce n'est plus possible y compris dans notre rapport au sol, la France s'est donc dotée d'un nouvel outil juridique dont le spécialiste rappelle tout d'abord la naissance aux forceps tant les résistances ont été nombreuses face à la nécessité de faire émerger une urbanisation par renouvellement, qui ne s'étale plus, et de montrer que cette urbanisation peut aussi rapporter quelque chose... mais plus seulement en termes de rente immobilière, donc liée au bâti. Il note que malgré ces atermoiements, le mérite de ce dispositif est, comme c'est souvent le cas en matière d'avancée sur le plan du droit, d'avoir porté dans l'arène politique des questions taboues et/ou scientifiques. Dit autrement, la question du sol est désormais à l'agenda politique, n'en déplaisent aux uns et aux autres. Cela dit, l'auteur dresse le constat de difficultés qu'il va bien falloir surmonter pour avancer, et avancer vite car contrairement à lui je ne me résigne pas à sa conclusion : « Soyons réalistes : toutes ces leçons et les bouleversements qu'elles signifient ne pouvaient advenir par le simple miracle d'une loi, même issue d'une convention citoyenne. Le ZAN est le levier potentiel d'une transformation urbaine, économique, sociétale et politique dont on n'a pas fini d'apprécier la portée. Cela peut bien tolérer quelques dérapages argumentatifs, erreurs d'appréciation et retards d'application. Il ne faut pas trop s'attarder sur eux, car le chantier ne fait que commencer » (p.5). Alors là, face à ce genre d'argument, les bras m'en tombent car NON aucune tolérance et aucune marge pour baguenauder. Il y a 50 ans, oui, il y avait davantage le temps et on aurait dû agir car on savait déjà. Du coup, hors de question de quémander, au hasard aux générations les plus jeunes, allez encore un peu de patience. C'est à se demander de quel côté au juste est le « réalisme » et c'est une invitation à se méfier de ce qui est abusivement présenté comme du « pragmatisme ». On n'est plus à un hold up près et on sait bien que de même que le capitalisme a vampirisé la notion et la pratique de l'économie, on veut faire passer pour raisonnables des choses qui ne le sont absolument pas. Je terminerai donc cette présentation par les leçons que tire Martin Vanier des premiers pas du ZAN : problème dans le leadership de la Transition lié à une décentralisation sans surprise inadaptée à la vision et à l'action globales indispensables à une réelle efficience ; levée de boucliers massive de la part des « petits » élus qui entendent bien maintenir la question foncière otage de la ruralité. Autant dire que toucher au sol est perçu par beaucoup d'élus ruraux et périurbains comme toucher à une rente à la fois financière et symbolique, ce qui alimente le clivage avec les villes et freine le processus de changement. Enfin, le défi principal qui sous-tend cette évolution juridique est profondément culturel car il s'agirait de « dégager la société française de la patrimonialisation de la propriété, et libérer ainsi le foncier de toute captation spéculative »(p.4). Pour un peu, et on comprend mieux les résistances, tout le monde va virer rousseauiste et alors, c'est vrai, le danger est réel, faut bien baliser et protéger son champ pour mieux l'exploiter tranquilou.

 

Le deuxième article, intitulé « Climat et croissance sont incompatibles, constatent des scientifiques », est pour sa part paru dans Reporterre le 9 septembre. Et là encore il est question de temps et de résistances au changement nécessaire, bénéfique pour toutes et tous. Cet écrit relaie en effet la parution d'une énième étude scientifique qui atteste de l'impossibilité de poursuivre d'après le modèle économique dominant et de l'urgence de bifurquer. Surtout, il documente sérieusement l'impossibilité d'une croissance verte dans la mesure où certes il est possible de baisser les émissions de gaz à effet de serre MAIS c'est trop lent par rapport à la dégradation rapide et massive du climat, lequel est on le rappelle vital à notre existence dans la fragile couche d'oxygène que nous occupons dans l'Univers. Au train où vont les choses, la France n'atteindrait ainsi la neutralité carbone qu'en 2240, soit un temps assez long. Or comme disait l'économiste américain Keynes, « Dans le long terme, nous serons tous morts ». Encourageant, non ? Et encore, l'étude ne prend en compte ni les émissions liées à l'agriculture ou à ses chers transports internationaux aériens (vive le low cost pour aller faire la fête le week-end à Barcelone, tu parles d'un logiciel périmé !). Par ailleurs, cette étude relève le fait que la croissance verte, tant vantée et présentée comme LA solution, n'a jamais reçu d'étayage scientifique, contrairement à la décroissance qui est si souvent sommée de démontrer sa pertinence (un peu comme les écolos à qui on fait le reproche de « ne pas faire rêver », de ne proposer « aucun récit alternatif »... comme si le monde actuel faisait encore rêver et comme si seuls les écolos DEVAIENT, conscience morale oblige, eh oui les gars, faut s'y mettre, oui comme si seuls les écolos étaient mis en demeure de proposer une alternative; ce qui, au passage, est faire preuve d'une grande inculture ou pire d'une insigne mauvaise foi car les écolos ont depuis bien longtemps proposé d'autres modèles de société adossés à d'autres visions du monde qu'on s'est bien employé à nier pour mieux les neutraliser). Un chercheur extérieur à cette étude menée en Grande-Bretagne et en Espagne, lui basé en Suède donc on ne parle pas de pays spécialement révolutionnaires et peu dotés de moyens de recherche, rajoute un fait inquiétant : « (…) la croissance économique est aussi corrélée à la croissance de l'extraction de matières premières, à celle de la production de déchets et à celle de la consommation d'énergie (en partie décarbonée). Autant d'activités qui, au-delà de l'urgence climatique, rendent la croissance du PIB incompatible avec la sauvegarde écologique du monde et le respect de six des huit limites planétaires que, outre le climat, nous outrepassons déjà ». Enfin, il est urgent de mettre en place une économie « post-croissance », voire « post-capitaliste » dans la mesure où même les énergies renouvelables s'inscrivent toujours dans une logique consumériste suicidaire. Nous y sommes et les solutions sont encore une fois connues, seule la volonté et le courage politiques manquent :

  • réduire la demande de consommation de biens et services, réduire les inégalités et, oui, réduire le pouvoir d'achat et de consommation des classes aisées notamment via un salaire maximum,

  • réduire le gâchis alimentaire,

  • sortir du modèle de la voiture privée,

  • réduire et mieux partager le temps de travail,

  • permettre l'accès universel et abordable au logement aux services publics de qualité, etc...

en bref, démarchandiser l'économie et donc la sortir des griffes du capitalisme qui n'est au fond qu'un jeu douteux de recherche de son propre profit. Je cite le même chercheur, Timothée Parrique : « la crispation autour de la notion de décroissance ainsi que la persistance du dogme de croissance sont liées à cette question essentielle du profit : « Nous sommes effectivement dans une impasse : les gens qui bénéficient le plus du statu quo sont ceux qui sont au pouvoir et ont le plus intérêt au maintien du statu quo ». Si la post-croissance est maintenant une évidence scientifique, il reste encore à investir le champ politique ».

Pour finir, une fois n'est pas coutume, je souhaiterais donner la parole à une de mes collègues écrivaine que j'ai également eu la chance de rencontrer et dont je suis le travail, discret et tenace à son image. Il s'agit de Faïza Guène qui a été connue du grand public dès son premier roman, Kiffe Kiffe Demain, alors qu'elle n'avait que 19 ans. Elle poursuit son bonhomme de chemin et n'hésite pas à mettre sa notoriété au service d'un témoignage précieux qui fait écho à tout ce qui a été évoqué auparavant en lien avec la valeur inestimable du sol. Où on retrouve le sujet des jardins partagés et de l'agriculture urbaine, dadas de LocoBio comme vous le savez si vous êtes fidèles à ces chroniques. Voici donc : « Quand j'ai appris que les jardins étaient voués à disparaître, menacés par un centre aquatique des Jeux olympiques de 2024, j'ai ressenti un profond sentiment d'injustice. Ces parcelles sont un patrimoine populaire essentiel à préserver. Certains habitants ne quittent jamais la Seine-Saint-Denis, n'ont pas l'occasion de partir en vacances, n'ont pas une vie rose dans leur petit appartement. Cet espace est leur seul petit luxe au milieu des grands ensembles, leur seul morceau d'extérieur. On a vraiment tenté de leur arracher quelque chose de fondamental, un endroit qui leur permet de déjouer la malédiction des pauvres, celle de vivre dans un univers artificialisé, où l'on mange mal, parce qu'on n'a pas les moyens d'aller à la Biocoop. Ces lieux sont des manières de rééquilibrer socialement les choses, d'oublier les humiliations, les rêves abandonnés en route et de se décharger du poids des sacrifices. Il y a un sens politique à les sauvegarder ». (https://reporterre.net/Faiza-Guene-Les-jardins-ouvriers-dejouent-la-malediction-des-pauvres).

 



Citoyennement vôtre,

©Yolaine de LocoBio,

Septembre 2023

 
< Précédent   Suivant >
© 2024 locobio
Joomla! est un logiciel libre distribué sous licence GNU/GPL.