Chronique
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Motifs
d'espoir
Il ne vous aura pas
échappé que quelque chose doit changer pour se sortir du mur dans
lequel le système capitaliste mondialisé nous a sans vergogne
emplâtrés. Mais quelque chose... quelque chose... toute la question
est de savoir quoi, par qui et comment. On connaît la rengaine sur
« la part de l'individuel », chacun faisant des efforts à
sa petite échelle, pour porter à bout de bras une Transition qui
semble avoir des causes et requérir des solutions bien plus
massives. N'empêche, il ne faut pas négliger cette piste qui
s'incarne de plus en plus, vrai mouvement de société, par un
retour à la terre. Pour cette chronique d'été, j'ai choisi de vous
proposer une petite revue de presse, laquelle est encore disponible
donc je vous recommande c'est le cas de le dire chaudement de vous
reporter aux publications citées. Donc je commence avec un article
très intéressant de la part des sociologues Hervieu et
Hervieu-Léger intitulé "Le bonheur est-il dans le pré ?" dans le magazine Sciences Humaines d'août-septembre 2023 (pp.56-58).
Il compare le rêve de campagne des années 60-70 à celui, à
certains égards beaucoup plus pragmatique et synonyme de préparation
intense en amont, des néoruraux d'aujourd'hui. S'il ne faut pas se
faire d'illusion et si cet exode est pour beaucoup une fuite des
villes par des privilégiés qui ont les moyens de transférer une
partie de leurs activités professionnelles « en région »
tout en retournant régulièrement dans la capitale où ils ont
potentiellement gardé un pied à terre, la pandémie ayant précipité
un mouvement d'aversion anti-métropole, ce mouvement est cependant
l'occasion de dynamiser l'agriculture. Surtout, de la faire repartir
sur des bases plus saines car les installations sont beaucoup le fait
de pro-bio, les pratiques non-intensives s'inscrivant dans un projet
de société tout à fait conscientisé par les intéressés. Cette
tendance revêt un intérêt car cela signifie la possibilité pour
le local d'insuffler une dynamique de changement au niveau global..
Il ne faut cependant pas
se bercer d'illusions et il convient de fermement pointer les
responsables car il y a comme qui dirait urgence. Or, ainsi que le
rappelle une nouvelle personne dont on ne peut nier la légitimité à
s'exprimer, en l'occurrence le vétérinaire et directeur de l'OFB
(Office Français de la Biodiversité) en Centre-Val de Loire
Jean-Noël Rieffel, dans le double Télérama consacré aux oiseaux
(et à leur déclin) qui sont sa passion : « Selon une
étude européenne publiée en mai, le continent a perdu 800 millions
d'oiseaux depuis 1980. Les populations des milieux agricoles ont
diminué de 60%. C'est vraiment vertigineux. Le premier responsable,
c'est l'agriculture intensive : l'artificialisation des sols
détruit les habitats, élimine les haies qui sont à la fois des
refuges, des coupe-vent, des capteurs d'eau et des puits de carbone.
Les ressources alimentaires aussi s'affaiblissent, les insectes étant
victimes des produits phytosanitaires. Un autre grand facteur est le
réchauffement : à mesure que notre climat se rapproche de
celui de l'Espagne ou du Portugal, les populations aviennes se
déplacent vers le nord et se transforment, mais toutes les espèces
ne sont pas adaptables. Le chant du monde risque de s'éteindre,
alors que nous avons grand besoin des oiseaux »
(p.10, n° du 2 août 2023). Alors que faire ? Plus loin dans
l'interview, on trouve une solution qui semble bien molle et
fataliste au regard des enjeux et surtout des vrais responsables à
interpeller : « La nature est résiliente et
d'innombrables gestes quotidiens sont très efficaces. Diversifiez
les fleurs de votre jardin, pratiquez la tonte alternée favorable
aux insectes, remettez des bordures de champs, des mares, des
haies... (…). Quoi qu'il se passe, guerres, attentats, catastrophes
diverses, quels que soient notre agitation et nos desseins les plus
tortueux, les oiseaux passent, font ce qu'ils ont à faire. Ils sont
la beauté au milieu de l'horreur, comme l'écrivait Jacques Delamain
dans son Journal de guerre
d'un ornithologue, depuis les tranchées. Ils s'inscrivent
dans un cycle de vie immuable, sans frontières. Leur liberté, leur
constance sont profondément rassurantes.»
(p.12). Bon d'accord, ceux et celles qui sont en mesure de faire les
fameux "petits gestes", qu'ils les fassent et je les fais moi-même... mais franchement jusqu'à
quel point la nature sera-t-elle résiliente, dans quelle mesure
peut-on avec certitude parler de l'immuabilité du cycle de vie... et
est-il si adroit de tenir pareils propos quand des industriels de
l'agro-chimie, de l'agro-alimentaire, des responsables économiques
de grande envergure comme des Elon Musk ou politiques comme des Trump
ou Poutine donnent le mauvais exemple et piétinent sans aucune gêne
les valeurs et les platebandes du monde de demain ?
Je
suis perplexe face à ce qu'il faut bien qualifier du choix d'un
répertoire d'action facile, désormais dépassé car cette carte a
suffisamment, sans grand succès, été jouée. Je ne suis d'ailleurs
pas la seule à être perplexe, comme en témoigne la dernière
livraison de Socialter sur le sabotage. Oula, halte-là, sujet
sensible ! Il ne s'agirait quand même pas de cautionner le
recours à la violence ? La question se pose, c'est
juste tout, dans la mesure où il ne s'agit que d'atteinte à des
biens matériels et encore faut-il bien s'intéresser à qui possède
lesdits biens et quelle est leur finalité. Car on peut se poser
beaucoup de questions fort pertinentes sur des installations
privatisant avec l'aval des autorités publiques, donc républicaines,
donc œuvrant en principe pour le bien de toutes et tous, des
ressources aussi précieuses, de plus en plus précieuses, que l'eau.
Que dire du scandale du détournement de la pratique et du mot
« violence » quand des forces de l'ordre, encore une fois
républicaines, payées par nos impôts, censées protéger la Cité
et non l'intérêt de quelques uns ayant l'oreille des gouvernants,
font le sale boulot que les propriétaires des installations n'ont
pas le courage de faire en direct ? Heureusement toutes les
institutions ne sont pas mortes, on peut garder quelque foi, et le
Conseil d'Etat a par exemple récemment désavoué qui au
gouvernement avait pris la décision inique d'utiliser sa position de
pouvoir pour dissoudre un mouvement de société courageux et
visionnaire, à savoir Les soulèvements de la Terre. A ce propos,
l'avocat William Bourdon fait bien d'insister sur une lueur d'espoir
et ce qui sera ou non un pivot de la Transition : « Plus
les militants passeront de la dégradation légère de biens -comme
les militants d'Extinction Rebellion que j'ai pu défendre- à des
actions de sabotage, plus cela dira en creux le sentiment d'une
partie de la jeunesse qu'il n'y a pas d'autre recours face au mépris
des institutions et des acteurs privés. Depuis deux siècles, la
littérature sur les formes de résistance rappelle ceci : il
existe un seuil invisible à partir duquel des actes répréhensibles
du fait de la loi deviennent légitimes en raison de la cause qui est
portée et du sentiment d'impasse vécu par ceux qui la défendent.
C'est au juge de peser et de soupeser ce principe de
proportionnalité. L'office des juges, qui sont des citoyens, va
devenir de plus en plus difficile ; ils ont des enfants et des
petits-enfants. Plus la cause est légitime ou perçue comme telle,
plus les juges peuvent être amenés à entendre la légitimité de
l'exaspération. Et, a fortiori, plus la gravité du délit peut être
atténuée. Dans la période que nous vivons actuellement, il est
très important que l'autorité judiciaire et la justice
administrative prennent leurs responsabilités et résistent aussi à
ce qu'on leur demande, soit valider le dévoiement de la procédure
anti-terroriste et la criminalisation de l'action citoyenne »
(p.29, Socialter n°59, août-septembre 2023). Reste donc à avoir
une justice qui garde toute son indépendance et soit dotée de
moyens corrects pour assurer sa mission, ce qui n'est pas le cas comme le rappellent les
grèves à répétition de magistrats qui manifestent ainsi contre le
démantèlement sciemment programmé du service public, santé
publique et éducation nationale « naturellement »
incluses dans ce qui est est, ça oui, un vrai sabotage de
notre démocratie. On rejoint donc le constat d'Olivier Cohen de
Timary à la fin de son édito : « Dans le cas de la
lutte écologique, par des actions parfois spectaculaires, il (le
sabotage) permet également de rendre visible un problème qui
jusqu'ici se dérobait au débat public en le mettant à l'agenda
politique et en braquant les projecteurs sur les « vrais
responsables » du désastre écologique. Jusqu'à renverser la
question initiale : qui est véritablement le saboteur dans
l'histoire ? » (p.3). Sur le front du droit comme
allié et comme bonne nouvelle majeure, on peut aussi se reporter au
fait que les procès climatiques se multiplient et qu'en plein mois
d'août et autres feux de forêt non contrôlés dans des pays
réputés « développés », parmi tant de catastrophes
absolument non-naturelles, une juge -hasard si c'est une femme ?
Cool Raoul:)- a donné raison à des jeunes qui accusaient les
agences gouvernementales d'enfreindre la constitution de leur État,
le Montana, en soutenant l'industrie des énergies fossiles.
Pour finir, revenons donc
à nos fondamentaux, un peu d'Albert Camus (non récupéré par des
analphabètes arrivistes, ça le changerait), oui, oui un peu de
notre Albert,
oui un peu de notre Camus trop tôt disparu ferait du bien. Si je ne
comprends absolument rien quand il pose la question « Si le
ciel est vide et si le monde est muet, où irons-nous étancher notre
soif de sens ? », faisant de moi une Sisyphe bien
ancrée car point de ciel vide ni de monde muet donc aucun problème
de sens ici bas, je suis bien plus en phase -qui s'en étonnera?;)-
avec cette réflexion issue de L'homme révolté : « Qu'est-ce
qu'un homme révolté ? Un homme qui dit non. Mais s'il refuse,
il ne renonce pas : c'est aussi un homme qui dit oui, dès son
premier mouvement ». Et évidemment, qui dit homme dit
avant tout et en définitive femme. Sur ce, veuillez chères
lectrices et chers lecteurs recevoir mes salutations estivales et
hautement citoyennes.
©Yolaine
de LocoBio,
Août
2023
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