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Chronique 171
16-08-2023

 

Chronique 171

 

Motifs d'espoir


 

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Il ne vous aura pas échappé que quelque chose doit changer pour se sortir du mur dans lequel le système capitaliste mondialisé nous a sans vergogne emplâtrés. Mais quelque chose... quelque chose... toute la question est de savoir quoi, par qui et comment. On connaît la rengaine sur « la part de l'individuel », chacun faisant des efforts à sa petite échelle, pour porter à bout de bras une Transition qui semble avoir des causes et requérir des solutions bien plus massives. N'empêche, il ne faut pas négliger cette piste qui s'incarne de plus en plus, vrai mouvement de société, par un retour à la terre. Pour cette chronique d'été, j'ai choisi de vous proposer une petite revue de presse, laquelle est encore disponible donc je vous recommande c'est le cas de le dire chaudement de vous reporter aux publications citées. Donc je commence avec un article très intéressant de la part des sociologues Hervieu et Hervieu-Léger intitulé  "Le bonheur est-il dans le pré ?" dans le magazine Sciences Humaines d'août-septembre 2023 (pp.56-58). Il compare le rêve de campagne des années 60-70 à celui, à certains égards beaucoup plus pragmatique et synonyme de préparation intense en amont, des néoruraux d'aujourd'hui. S'il ne faut pas se faire d'illusion et si cet exode est pour beaucoup une fuite des villes par des privilégiés qui ont les moyens de transférer une partie de leurs activités professionnelles « en région » tout en retournant régulièrement dans la capitale où ils ont potentiellement gardé un pied à terre, la pandémie ayant précipité un mouvement d'aversion anti-métropole, ce mouvement est cependant l'occasion de dynamiser l'agriculture. Surtout, de la faire repartir sur des bases plus saines car les installations sont beaucoup le fait de pro-bio, les pratiques non-intensives s'inscrivant dans un projet de société tout à fait conscientisé par les intéressés. Cette tendance revêt un intérêt car cela signifie la possibilité pour le local d'insuffler une dynamique de changement au niveau global.. 

Il ne faut cependant pas se bercer d'illusions et il convient de fermement pointer les responsables car il y a comme qui dirait urgence. Or, ainsi que le rappelle une nouvelle personne dont on ne peut nier la légitimité à s'exprimer, en l'occurrence le vétérinaire et directeur de l'OFB (Office Français de la Biodiversité) en Centre-Val de Loire Jean-Noël Rieffel, dans le double Télérama consacré aux oiseaux (et à leur déclin) qui sont sa passion : « Selon une étude européenne publiée en mai, le continent a perdu 800 millions d'oiseaux depuis 1980. Les populations des milieux agricoles ont diminué de 60%. C'est vraiment vertigineux. Le premier responsable, c'est l'agriculture intensive : l'artificialisation des sols détruit les habitats, élimine les haies qui sont à la fois des refuges, des coupe-vent, des capteurs d'eau et des puits de carbone. Les ressources alimentaires aussi s'affaiblissent, les insectes étant victimes des produits phytosanitaires. Un autre grand facteur est le réchauffement : à mesure que notre climat se rapproche de celui de l'Espagne ou du Portugal, les populations aviennes se déplacent vers le nord et se transforment, mais toutes les espèces ne sont pas adaptables. Le chant du monde risque de s'éteindre, alors que nous avons grand besoin des oiseaux » (p.10, n° du 2 août 2023). Alors que faire ? Plus loin dans l'interview, on trouve une solution qui semble bien molle et fataliste au regard des enjeux et surtout des vrais responsables à interpeller : « La nature est résiliente et d'innombrables gestes quotidiens sont très efficaces. Diversifiez les fleurs de votre jardin, pratiquez la tonte alternée favorable aux insectes, remettez des bordures de champs, des mares, des haies... (…). Quoi qu'il se passe, guerres, attentats, catastrophes diverses, quels que soient notre agitation et nos desseins les plus tortueux, les oiseaux passent, font ce qu'ils ont à faire. Ils sont la beauté au milieu de l'horreur, comme l'écrivait Jacques Delamain dans son  Journal de guerre d'un ornithologue, depuis les tranchées. Ils s'inscrivent dans un cycle de vie immuable, sans frontières. Leur liberté, leur constance sont profondément rassurantes.» (p.12). Bon d'accord, ceux et celles qui sont en mesure de faire les fameux "petits gestes", qu'ils les fassent et je les fais moi-même... mais franchement jusqu'à quel point la nature sera-t-elle résiliente, dans quelle mesure peut-on avec certitude parler de l'immuabilité du cycle de vie... et est-il si adroit de tenir pareils propos quand des industriels de l'agro-chimie, de l'agro-alimentaire, des responsables économiques de grande envergure comme des Elon Musk ou politiques comme des Trump ou Poutine donnent le mauvais exemple et piétinent sans aucune gêne les valeurs et les platebandes du monde de demain ?

Je suis perplexe face à ce qu'il faut bien qualifier du choix d'un répertoire d'action facile, désormais dépassé car cette carte a suffisamment, sans grand succès, été jouée. Je ne suis d'ailleurs pas la seule à être perplexe, comme en témoigne la dernière livraison de Socialter sur le sabotage. Oula, halte-là, sujet sensible ! Il ne s'agirait quand même pas de cautionner le recours à la violence ? La question se pose, c'est juste tout, dans la mesure où il ne s'agit que d'atteinte à des biens matériels et encore faut-il bien s'intéresser à qui possède lesdits biens et quelle est leur finalité. Car on peut se poser beaucoup de questions fort pertinentes sur des installations privatisant avec l'aval des autorités publiques, donc républicaines, donc œuvrant en principe pour le bien de toutes et tous, des ressources aussi précieuses, de plus en plus précieuses, que l'eau. Que dire du scandale du détournement de la pratique et du mot « violence » quand des forces de l'ordre, encore une fois républicaines, payées par nos impôts, censées protéger la Cité et non l'intérêt de quelques uns ayant l'oreille des gouvernants, font le sale boulot que les propriétaires des installations n'ont pas le courage de faire en direct ? Heureusement toutes les institutions ne sont pas mortes, on peut garder quelque foi, et le Conseil d'Etat a par exemple récemment désavoué qui au gouvernement avait pris la décision inique d'utiliser sa position de pouvoir pour dissoudre un mouvement de société courageux et visionnaire, à savoir Les soulèvements de la Terre. A ce propos, l'avocat William Bourdon fait bien d'insister sur une lueur d'espoir et ce qui sera ou non un pivot de la Transition : « Plus les militants passeront de la dégradation légère de biens -comme les militants d'Extinction Rebellion que j'ai pu défendre- à des actions de sabotage, plus cela dira en creux le sentiment d'une partie de la jeunesse qu'il n'y a pas d'autre recours face au mépris des institutions et des acteurs privés. Depuis deux siècles, la littérature sur les formes de résistance rappelle ceci : il existe un seuil invisible à partir duquel des actes répréhensibles du fait de la loi deviennent légitimes en raison de la cause qui est portée et du sentiment d'impasse vécu par ceux qui la défendent. C'est au juge de peser et de soupeser ce principe de proportionnalité. L'office des juges, qui sont des citoyens, va devenir de plus en plus difficile ; ils ont des enfants et des petits-enfants. Plus la cause est légitime ou perçue comme telle, plus les juges peuvent être amenés à entendre la légitimité de l'exaspération. Et, a fortiori, plus la gravité du délit peut être atténuée. Dans la période que nous vivons actuellement, il est très important que l'autorité judiciaire et la justice administrative prennent leurs responsabilités et résistent aussi à ce qu'on leur demande, soit valider le dévoiement de la procédure anti-terroriste et la criminalisation de l'action citoyenne » (p.29, Socialter n°59, août-septembre 2023). Reste donc à avoir une justice qui garde toute son indépendance et soit dotée de moyens corrects pour assurer sa mission, ce qui n'est pas le cas comme le rappellent les grèves à répétition de magistrats qui manifestent ainsi contre le démantèlement sciemment programmé du service public, santé publique et éducation nationale « naturellement » incluses dans ce qui est est, ça oui, un vrai sabotage de notre démocratie. On rejoint donc le constat d'Olivier Cohen de Timary à la fin de son édito : « Dans le cas de la lutte écologique, par des actions parfois spectaculaires, il (le sabotage) permet également de rendre visible un problème qui jusqu'ici se dérobait au débat public en le mettant à l'agenda politique et en braquant les projecteurs sur les « vrais responsables » du désastre écologique. Jusqu'à renverser la question initiale : qui est véritablement le saboteur dans l'histoire ? » (p.3). Sur le front du droit comme allié et comme bonne nouvelle majeure, on peut aussi se reporter au fait que les procès climatiques se multiplient et qu'en plein mois d'août et autres feux de forêt non contrôlés dans des pays réputés « développés », parmi tant de catastrophes absolument non-naturelles, une juge -hasard si c'est une femme ? Cool Raoul:)- a donné raison à des jeunes qui accusaient les agences gouvernementales d'enfreindre la constitution de leur État, le Montana, en soutenant l'industrie des énergies fossiles.

Pour finir, revenons donc à nos fondamentaux, un peu d'Albert Camus (non récupéré par des analphabètes arrivistes, ça le changerait), oui, oui un peu de notre Albert, oui un peu de notre Camus trop tôt disparu ferait du bien. Si je ne comprends absolument rien quand il pose la question « Si le ciel est vide et si le monde est muet, où irons-nous étancher notre soif de sens ? », faisant de moi une Sisyphe bien ancrée car point de ciel vide ni de monde muet donc aucun problème de sens ici bas, je suis bien plus en phase -qui s'en étonnera?;)- avec cette réflexion issue de L'homme révolté : « Qu'est-ce qu'un homme révolté ? Un homme qui dit non. Mais s'il refuse, il ne renonce pas : c'est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement ». Et évidemment, qui dit homme dit avant tout et en définitive femme. Sur ce, veuillez chères lectrices et chers lecteurs recevoir mes salutations estivales et hautement citoyennes.


©Yolaine de LocoBio,

Août 2023



 
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