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Chronique 168
26-05-2023

 

Chronique 168

 

La honte et la lumière

A propos du livre

 

L'ensauvagement.

Cohabiter avec le vivant sauvage :

comment et où lui faire place


 

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On le sait, la honte peut être un sentiment paralysant et, à ce titre, inintéressant. Enfin... inintéressant, ça dépend pour qui. Il y en a certains, ce serait bien qu'ils l'éprouvent un peu plus ce sentiment humain. Et d'ailleurs, en fait, s'ils ne l'éprouvent pas c'est sans doute justement parce qu'ils ne sont pas fondamentalement humains. Sans les mettre sur le même plan mais quand même, sur le fond, on peut se poser des questions et d'abord épingler les irresponsables qui commettent des guerres. Je ne sais pas vous mais quand je vois des images de la guerre en Ukraine -guerre parmi d'autres guerres du reste-, c'est à vomir toute cette « nature » saccagée. (guillemets car la nature = nous aussi, ça va bientôt arriver au cerveau ce message?). Surtout, c'est tellement emblématique du paradigme d'appropriation territoriale, de prédation, de virilisme mis au mauvais endroit que face à cela il est clair que nous sommes à l'opposé des forces progressistes nécessaires à la Transition écologique... laquelle concerne, enfin devrait concerner tout le monde et IL N'EST PLUS POSSIBLE que de telles forces plus que rétrogrades, obscurantistes et morbides, se moquent du bien commun. 

Une autre « triste » palme va à ce débri d'humanité qu'est Elon Musk. Lui, ce serait un gamin, on lui donnerait des medocs pour le calmer, des claques aussi sans doute et elles seraient oui bien méritées. Là, sous prétexte qu'il est vaguement, de très loin loin loin adulte et surtout qu'il s'est hissé à un rang de fortune qui lui permet d'être décisionnaire (et on le laisse faire, pourquoi? jusqu'à quand?), on le prend au sérieux. Mais quand les journalistes vont-ils faire leur boulot et, plutôt que de multiplier des reportages qui servent ce taré narcissique, parlera-t-on de son profil psychiatrique ? Car là est le sujet et c'est vrai pour beaucoup de dirigeants économiques et politiques (désolée, mais encore beaucoup beaucoup beaucoup d'hommes, à eux de montrer leur meilleur face si elle existe).

Pour clore cette réflexion sur la honte, l'assigner, la faire ressentir, ne plus pouvoir la quitter, être poursuivi ad vitam aeternam par elle, la dernière palme revient immanquablement à notre cher gouvernement, bien sûr en tête notre cher président qui sait tout et dirige tout mieux que tout le monde. Tout d'abord, comme si la réglementation européenne environnementale à laquelle nous devons nous soumettre et que nous contribuons d'ailleurs à élaborer en tant que membre de l'Union n'était déjà pas inadaptée aux réels enjeux, le chef de notre-Etat-qui-tangue a appelé -bien flou- à faire une « pause » sur ce chapitre (https://www.lefigaro.fr/politique/ecologie-macron-seme-le-trouble-en-demandant-une-pause-dans-les-contraintes-europeennes-20230512). Ensuite, le Sénat, normalement peuplé de gens réputés sages de par leur grand âge, lesquels apprécient visiblement les produits de nos terroirs au vu de certaines silhouettes bien rondelettes, donc le Sénat a donné son feu vert à la proposition de loi « Ferme France ». Pour paraît-il "booster la compétitivité", rien de mieux n'a été trouvé, tranquille, vieux logiciel en pilotage automatique, cool Raoul, que de permettre au Ministère de l'Agriculture de suspendre les interdictions de pesticides décidés par rien moins qu'une des institutions réputée protéger la santé de tous.tes : l'ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire). Et bien sûr via des drones, tant qu'à faire on continue dans le délire technosolutionniste sans se poser de questions sur l'usage des données et le coût du numérique. (https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/05/21/proposition-de-loi-sur-la-ferme-france-l-objectif-du-texte-du-senat-n-est-pas-d-uvrer-pour-l-agriculture-francaise-mais-d-elargir-la-fenetre-d-overton_6174182_3232.html). Eh ben avec tout ça, les lobbies de l'économie mortifère, à tous les niveaux, du mondial à l'héxagonal en passant par l'européen ont bien de quoi se frotter les mains. Au passage, tant qu'à faire, j'espère qu'ils savent être généreux avec les décideurs politiques qui leur facilitent grandement la tâche. C'est vrai, à ce train-là, autant ne pas oublier d'être largement corrompu et d'en profiter en donnant l'air de bien gouverner.

Face à un tel paysage délabré dans tous les sens du terme, physiquement, moralement et sur le plan éthique, on pourrait se sentir découragés. On a le droit car il y a vraiment de quoi. Cependant, il ne faut jamais oublier que rester dans une telle posture ne fait qu'arranger les ennemis de la Transition (car oui la guerre, la seule qui vaille, est déclarée) et la freine donc. Heureusement il y a le droit et des organes qui, paradoxe des paradoxes, peuvent appuyer « par le haut » pour que notre propre gouvernement prenne vraiment SOIN de nous. Je pense par exemple aux recours possibles et d'ailleurs pour certains déjà effectués pour motif d'inaction climatique devant la Cour européenne des droits de l'Homme. A ce sujet, je recommande cette ressource pour s'informer et agir : https://www.coe.int/fr/web/portal/-/human-rights-and-climate-change-what-role-for-the-european-convention-on-human-rights.

Bon, après la honte, alors la lumière ? Ce n'est pas moi qui le dis, c'est le titre de cette chronique;). Oui, la lumière au sens d'espoir et d'intelligence, je veux dire intelligence intellectuelle, du cœur et de la situation. Et pour cela, pour à la fois rien moins et concrètement poser les bases du vrai monde de demain (pas le bulshitt inconsistant et non advenu évoqué lors de la pandémie), je vous invite à la lecture de L'ensauvagement. Cohabiter avec le vivant sauvage : comment et où lui faire place. Il s'agit d'un ouvrage récent paru une fois de plus aux excellentes éditions Yves Michel dont il est souvent à juste titre question sur le site de LocoBio, qui méritent toute l'attention de qui veut comprendre ce qui se passe et être acteur de ce qui va bien se passer (« bien » au double sens de « il va bien falloir que ça bouge » et « on va s'en sortir quand même, non ? »). Comme nous sommes en France et qu'une des grandes obsessions de notre vieux pays élitiste -pas toujours pour les bonnes raisons et avec un effet bénéfique sur la sélection des meilleurs- est de savoir qui parle avant d'avoir même écouté ce que la personne a à dire... comme le discours écologique, c'est-à-dire neutre, pas partisan politiquement, juste de l'ordre du constat de la situation, ce discours est disqualifié en permanence... donc j'annonce tout de suite la couleur : ce livre n'est pas contestable car il est le fait de deux personnes très sérieuses, qui montrent patte blanche puisque les auteurs sont deux diplômés en architecture, un coloré de patrimoine et l'autre de paysagisme. Ils s'appellent Philippe Benoît et Baptiste Wullschleger et, outre une sensibilité elle adaptée aux enjeux, des qualités pédagogiques certaines, ils ont mis leur plume au service d'illustrations tout aussi réussies que les récits de fiction à la fin de la plupart des chapitres. Cela signifie en quelque sorte qu'ils invitent à incarner le changement en ayant eux-mêmes créé des personnages qui l'incarnent dans des nouvelles d'anticipation. Cela permet de se faire une idée de ce que donnerait l'application de ce qu'ils préconisent dans le livre et correspond par ailleurs à l'essor actuel de l'écolittérature, autant dire que nous sommes bien à plat question imaginaire commun et histoire/s commune/s.

J'ai déjà mentionné quelques qualités propres à cet ouvrage. Je rajouterais le prix qui, quand on sait les efforts fait par l'éditeur en matière d'écologie, reste tout à fait abordable (moins de 20 euros). Bien qu'affrontant une réflexion de fond difficile et polémique, le sujet est abordé en juste un peu plus de 200 pages donc un cerveau normal (si ça existe encore) devrait pouvoir lui accorder un peu d'attention non moins normale. Un autre atout réside dans l'ancrage dans les faits avec des exemples tirés de la propre expérience des auteurs en tant qu' « aménageurs de territoire » (guillemets car c'est justement le sujet, la question d'arrêter d'aménager à l'ancienne, en mode l'Homme décide et le reste suit plus ou moins bien, en vertu justement d'une conception assez particulière du territoire, de SON territoire). Evidemment, pour conclure sur le chapitre des qualités les plus évidentes, cette analyse est documentée, s'insère dans un paysage de références parmi lesquelles Gilles Clément et Michel Serres qui la situe et la fonde.

Alors pour en venir à l'ensauvagement, je vois déjà vos yeux écarquillés de surprise et de doute. Vous n'aurez pas tort car cette notion est devenue assez à la mode sans que l'on sache précisément ce qu'elle signifie. Et dans ces conditions, normal que chacun.e réagisse en fonction de ce qu'un terme lui évoque. Or le « sauvage » n'a pas forcément bonne presse, il fait peur même si à l'occasion il est synonyme de liberté. J'en profite d'ailleurs pour recommander au passage la lecture d'un de mes romans favoris, Into the wild de Jon Krakauer, adapté par Sean Penn au cinéma, qui évoque la fascination étrange opérée par l'autre qu'humain. Alors l'ensauvagement késako ? Une définition proposée est : « la jonction entre la sphère de la conservation écologique (ré-ensauvagement) et sa généralisation par la sphère des concepteurs d'espaces humains » (p.172). J'avoue, là, je vous aborde un peu sauvagement;). Quel est donc l'enjeu ? « Formulons-le ainsi : si l'humain a besoin du non-humain pour vivre, que le non-humain a besoin de milieux naturels, et que l'espace manque, alors il faut pouvoir trouver des manières de cohabiter, et donc d'assouplir les limites qui quadrillent l'intégralité du territoire » (p.175). Car l'espace manque de plus en plus du fait de l'étalement sans vergogne et sans questionnement sur la suite des évènements de la part de l'espèce en principe la plus responsable de toutes car dominante : l'espèce humaine. Les villes sont de plus en plus obèses, dépendantes comme jamais pour assurer les besoins élémentaires de leurs habitants au premier rang desquels une alimentation suffisante et de qualité. Quant au « reste », c'est-à-dire le non-urbain, il se perd en périurbain et en campagnes de toute façon grignotés et soumis aux caprices de la tyrannie infantile urbaine. Il y a donc urgence à repenser totalement notre rapport aux autres règnes, aux autres espèces et, partant, à l'espace dont ils ont EUX AUSSI BESOIN POUR BIEN VIVRE. Ce nouveau contrat social, issu si on veut d'une nouvelle Renaissance (rien à voir avec le parti en déroute d'un leader lui-même en déroute)  à l'image de celles des 15ème et 18ème siècle avec les Lumières, ne pourra s'établir que sur une base assainie une bonne fois pour toutes : la façon d'envisager le vivant qui pose aussi plus largement la question d' envisager autrement l'Autre  (l'Autre en-dehors de nous mais aussi l'Autre en nous, invitation à plus de lucidité sur toutes nos facettes et à une réconciliation intime, à un renforcement de nos personnes). Je cite : « (…) sans cette étape d'identification, sans faire le choix conscient d'enfin regarder le vivant, les autres étapes du processus d'ensauvagement sont hors de portée. Comment réussir à faire évoluer notre regard pour considérer que notre territoire habitable est en fait un enchevêtrement d'habitats ? Une gigantesque collocation multiscalaire avec des règles à définir, à inventer pour conserver et même enrichir nos relations avec le non-humain » (p.160). Je trouve l'image de collocation à plusieurs échelles géographiques très imagée et pertinente, cela me fait penser à ces longues lignes droites d'autoroutes sur lesquelles je me trouve parfois (j'avoue et j'assume tout en voulant faire ma part pour contribuer à un changement bénéfique), vraies pistes d'aéroport entourées de grillages, ce qui signifie que les autres espèces ne peuvent plus passer et sont ainsi privées de ressources pour leurs propres besoins comme accéder à de la nourriture, à de l'eau, fuir, pouvoir s'abriter pour se reproduire dans le calme, etc...

On l'aura compris, l'ensauvagement ce n'est donc pas rien, c'est le fameux nouveau paradigme qui doit se substituer à celui du tout-pour-les-humains-partout-à-n'importe-quel-prix. Vous me direz, bon à part pour des raisons poético-morales, ce qui n'est déjà pas rien, à quoi bon se fatiguer à changer de braquet ? Je dirais : tout simplement parce que tout le monde sait désormais que le dérèglement climatique a pour cause la pression exercée par l'Homme sur le « milieu ». Donc en clair, si on ne veut pas que ce soit trop la catastrophe dans les mois à venir -car ce n'est plus à l'horizon de décennies-, alors il faut d'urgence agir autrement. Je me réfère pour cela à la dernière partie du livre qui propose tant au citoyen on dira lambda qu'à celui, élu, en charge plus spécifiquement de politiques publiques locales, 7 leviers d'action (lequel peut aussi se référer utilement à https://theshiftproject.org/article/cahiers-territoires-publication-finale):

« 1. Cartographier. Identifier les potentialités, les intensités d'usages d'un territoire, à l'échelle d'un bassin versant. (chacun.e peut collecter des données, par exemple sur la présence malheureusement décroissante d'insectes ou d'oiseaux afin qu'elles soient incluses dans des expériences de science participative, en augmentation elles).

2. S'outiller. Inventer de nouveaux outils permettant de penser autrement le partage de l'espace. Et donc apprendre, car il s'agit bien de cela, comment d'autres espèces que la nôtre voient le territoire et les besoins vitaux afférents. Les travaux de Vinciane Despret sur les oiseaux et ceux de Baptiste Morizot sur les loups et plus récemment les castors s'inscrivent dans cette perspective.

3. Dimensionner. Replacer les espaces du projet dans une hiérarchie d'espaces connexes. Comprendre quelles sont les espèces fonctionnelles servant l'écosystème en présence. Cela implique, au passage, de poser la question des espèces invasives et de la lutte contre à laquelle on invite de plus en plus la population. Car oui, il existe des espèces invasives, il convient de savoir précisément de quoi on parle dans chaque cas... et de ne pas arracher à tout va sous prétexte qu'on a un peu vite associé l'espèce en question à, au hasard, une figure de l'étranger (ambiance sécuritaro-sécuritaire oblige, du moins explique).


4. Connecter. Relier à grande échelle les projets entre eux. Développer les trames vertes, bleues et brunes depuis et vers les espaces ayant un potentiel d'ensauvagement. Il s'agit donc d'aller à rebours de la tendance contemporaine à la fermeture et au repli en (r)établissant au contraire des continuums entre animaux (dont nous car c'est ce que nous sommes biologiquement, jusqu'à nouvel ordre...) et végétaux. Il s'agit de protéger la diversité du vivant, sans laquelle nos propres besoins d'humains ne sont pas comblés, en reconstituant des réseaux d'échanges dans des espaces ayant diverses caractéristiques, dont l'eau dans le cas des trames bleues. La notion de trame brune a quant à elle bien du mal à s'imposer car elle se réfère au parent pauvre de la sensibilisation en matière d'écologie: le sol, si riche et si essentiel. Dans la planification urbaine, cela suppose de revenir sur l'artificialisation des sols et, concrètement, de par exemple détruire des surfaces imperméables, le goudron à fond de ballons ayant des vertus limitées pour absorber l'eau qui tombe parfois de plus en plus à flot soudainement du ciel.

5. Multiplier. Utiliser chaque parcelle disponible pour réensauvager... et, à ce titre, quand on a la chance d'avoir un jardin entourant son cher pavillon, se sentir concerné par le sujet, faire aussi sa part et ne pas attendre que « ça » se fasse autour pour espérer en bénéficier. Car nous sommes tous dans le même bateau, au cas où « ça » ne se verrait pas de plus en plus.
 
6. Accrocher. Utiliser l'ensauvagement d'un territoire pour être le support d'autres projets dans les espaces de haute et moyenne intensité humaine, qui eux-mêmes nourriront l'ensauvagement.
 
7. Juger des progrès. Créer des situations expérimentales. Positionner l'humain et le non-humain en contact et voir ce qui se passe. Essayer. Faire des retours sur expérience. » (p.172).


Voilà tout un programme, réjouissant et politique à souhait. Politique au sens noble de la grande philosophe Hannah Arendt : « Avoir l'esprit politique, c'est se soucier davantage du monde que de nous-mêmes ». Et que vivent les cohabitations heureuses !

 


Citoyennement vôtre,

©Yolaine de LocoBio,

Mai 2023

 
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