Chronique
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Pour
un branle-bas de combat low-tech
Cela
ne vous aura pas échappé: l'heure est à l'artillerie lourde,
dans tous les sens du terme. Entre la guerre que l'on a feint
d'ignorer, qui est maintenant aux portes d'une Europe incapable de
faire respecter les droits qui la fondent, et la technologie à tout
va qui prétend nous sauver alors qu'elle crée des problèmes pour
mieux monnaitiser d'apparentes solutions, c'est la grosse fuite en
avant au hasard viriliste. Car excusez-moi mais parmi les
belligérants et les multinationales qui donnent dans le
transhumanisme, pointe de la pointe du solutionnisme techniciste, je
ne vois aucune femme. Comme c'est bizarre et d'où ils sortent tous
ces mecs, de quel ventre ? Bref, on n'en finit pas d'égrener
les ravages du même paradigme. Quand je faisais mes études de
Sciences Po, on rapprochait cela de la théorie marxienne de la
domination, d'abord appliquée aux relations de classe entre
patrons et ouvriers. Puis sont venues dans le droit fil les
réflexions sur l'asymétrie et la toxicité des relations entre le
« nord » et le « sud » à l'échelle
internationale, les droits civiques aux Etats-Unis en faveur des
afro-américains. Et bien sûr les « gender studies »
pour déconstruire ce que l'on rassemble aujourd'hui sous l'étiquette
d'une virilité dévoyée qui se déploie à tous les étages, de la
sphère domestique, on pourrait même dire du rapport à soi au
rapport au monde
Voilà
le contexte. C'est pas brillant brillant. Heureusement il y en a qui
réfléchissent et qui agissent, qui donnent donc à la fois de
l'espoir et, s'ils ont le bon goût de partager, du savoir. Voici
donc un livre utile, à commencer par « utile » sous le
sapin de Noël que vous n'aurez évidemment pas acheté tout
coupé et tout poudré de fausse neige, mais que vous aurez fabriqué
avec ne serait-ce que quelques branches entrecroisées en bois,
ramassées lors de belles balades d'automne. Il faut donner dans le
symbolique mes amis ! Quel besoin d'avoir un vrai sapin de toute
façon mort, mauvais signe s'il en est, alors que maintenant il
faut changer notre câblage neuronal et se retrousser les manches ?
Autant commencer le low-tech, alias « technologie douce »
par ça, en mode Do it yourself bien compris. Alors de quel livre
s'agit-il ? Il nous provient une fois n'est pas coutume des
remarquables éditions Ulmer qui ont eu la bonne idée de
créer la collection Résiliences qui compte déjà de
précieuses références pour cesser d'être passif, se prendre en
main pour ce qui a trait à la vie de tous les jours :
produire sa nourriture, son électricité... bref rompre à petits
pas avec ce qui nous tue tous car nous maintient non seulement
dans une posture mentale mortifère mais aussi sous l'emprise
d'acteurs économiques qui ne le sont pas moins (voir encore cette
semaine le reportage sur Arte « Un monde obèse » qui
rappelle l'effarante concentration de quasi toutes les marques
auxquelles nous sommes exposées juste chez quelques grandes
entreprises) : la dépendance.
Ainsi,
dans Objets
low-tech du quotidien. Fabriquer blender à pédale, frigo du désert,
germoir...,
les jeunes et entreprenants Alizée Perrin et Yoann Vanderdriessche
s'attaquent au chantier de taille qui est de trouver, et même mieux,
réaliser
nous-mêmes ce qui nous accompagne dans la satisfaction de réels
besoins au quotidien.
Bon, ces deux-là quoiqu'encore verts, ne sont pas nés de la
dernière pluie. Dans l'introduction, ils expliquent bien d'où ils
parlent, en quoi ils sont légitimes de par leur parcours à la fois
spirituel et bien matériel. En effet, ils en sont arrivés là grâce
à tout un cheminement, à prendre au sens littéral car ils sont
partis avec leur van à la rencontre d'innovations levant le pied sur
la technologie, du moins la technologie quand elle est synonyme de
surenchère techniciste. Dans cet ouvrage que l'on tient bien en
main, limite un format poche à trimbaler un peu partout pour
bricoler entre (futurs) initiés, abondamment et joliment illustré
de photos et de schémas, vous trouverez sur 125 pages le moyen de
vous mettre dans le bain. Cela d'autant plus que tout au long des
descriptions très claires et encourageantes pour mener les 8
réalisations proposées,
il est bien spécifié à chaque fois le niveau de difficulté, le
temps et le budget nécessaire (forcément inférieur si c'est de la
récup, ce qui est dans l'esprit global de la démarche). Je dois
préciser que je n'ai pas pratiqué à la suite de la lecture de
cette somme abordable par tout un chacun ; je dirais « pas
encore ». Toutefois, ayant moi-même traîné mes guêtres dans
des labos low-tech et ayant reçu dès l'enfance une boîte à
outils, je vois très bien ce qu'ils veulent dire et je peux mesurer
de quoi il s'agit. Ma
conclusion est la suivante : s'il y a un bouquin pour rentrer
dans le sujet, c'est bien celui-ci
ne serait-ce que parce qu'il faut bien commencer par quelque chose,
s'y frotter, et que c'est un moyen de déjà mener à bien par ses
petites mimines toutes étonnées d'être (ré)activées des objets
nécessaires comme ce qui permet de conserver au froid ou de
cuisiner.
Plus
qu'une critique, j'aurais cependant deux remarques en forme
d'invitation à poursuivre leurs efforts de conception et de
vulgarisation.
Tout d'abord, je reste malgré tout un peu sceptique non pas sur le
temps qu'il faut pour que chacun s'y mette car il faudra de toute
façon s'y mettre et réorganiser le rapport au temps, donc au
travail et aux compétences de chacun, à leur mutualisation. Non, ce
qui pose à mon sens problème, c'est le manque de place et surtout
dans le contexte massivement urbain (de plus en plus...) du lectorat
concerné. Car c'est
ok pour fabriquer son propre frigo mais alors il faut qu'il prenne la
relève totale de mon frigo actuel,
qui d'ailleurs en plus est doté d'un petit congélateur. Or là, le
modèle qu'ils proposent ne remplit que partiellement la fonction de
ce frigo actuel qui prend déjà une certaine place mais a
l'avantage de la verticalité d'un seul tenant. En
second lieu, quid d'autres modes de cuisson
que celle, très lente et d'ailleurs délicieuse, dans la marmite
norvégienne ? Juste pour se faire un œuf au plat, on fait
comment ? Idem pour la cuisson rapide de certains légumes qui
par ailleurs, pour des raisons de qualité nutritionnelle, ne doivent
pas être cuits longtemps du type épinards ou brocolis ?
Personnellement, j'utilise ma bouilloire (donc beaucoup d'énergie
d'un coup) pour booster la cuisson et utiliser très peu de temps les
plaques dont j'utilise la chaleur même quand je les éteins ensuite.
Et bien sûr j'utilise un couvercle, et bien sûr j'essaie
d'optimiser la cuisson en mettant avec les légumes verts pré-cités
par exemple des morceaux de pommes de terre coupés assez petits pour
ne pas risquer de les manger trop crus. Bref, là on est retour à la
case bon sens de mamie ou tout bonnement intuition, observation,
souci de mieux faire, y'a pas besoin d'être sorti de la cuisse de
Jupiter -le vrai, pas le petit blond aux yeux bleus qui se l'est
approprié- pour réaliser de telles manipulations. Le degré 0 de la
low-tech, c'est ça, c'est revenir à cet esprit pour après suivre
des modes d'emploi, l'incarner la grande Transition.
Bon,
je ne saurais donc que trop recommander à ces deux auteurs et aux
éditions qui mettent en lumière leur très fructueux et instructif
travail de poursuivre sur leur lancée. Car tant qu'à s'attaquer aux
« objets low-tech du quotidien », je serais curieuse de
savoir ce qu'il en est pour laver le linge, communiquer et
s'informer. Car je veux bien la décroissance, c'est-à-dire la
sobriété heureuse comme disait l'autre, soit en revenir aux
véritables besoins et y subvenir de manière durable, donc halte au
feu la machine aux 36 000 programmes, sécheuse en plus, vous êtes
pas un peu dingues ? Oui, en finir avec tous ces écrans et
toutes ces images de plus en plus nombreuses et animées, ce monde
décidément obèse. Ok. Mais quelles alternatives pour le téléphone
et l'ordinateur ? Y renoncer, j'y crois peu. Est-ce
souhaitable ? Je ne pense pas. Et qu'en pensent nos deux
ingénieurs (de fait), quelles sont leurs pratiques et leurs
perspectives sur le sujet hautement sensible du numérique ? En
tout cas moi, je rêve et j'attends un pédalier universel qui me
permette de faire du sport et de produire en même temps l'énergie
pour mes appareils électroménagers, « smart phone »
compris car c'est un outil que j'estime nécessaire tant
personnellement que professionnellement. Inutile de dire que je
demeure à l'écoute, pour ne pas dire en veille frénétique, si
jamais une publication venait à traiter ces épineuses thématiques.
Tiens
justement, en
matière d'épineuses thématiques, vous reprendrez bien un peu de
résilience non ?
Ça vous semble évident, vous, la résilience, maintenant qu'on vous
a seriné que c'était le bon concept, que tout le monde l'a
allègrement récupéré et que même si vous n'y arrivez pas, vous,
à être résilients c'est-à-dire finalement à tendre
la joue quand vous avez déjà pris plein de baffes,
ben c'est que vous êtes trop nuls, vraiment quel manque de volonté !
Bref, cela faisait un certain temps que des notions comme celle de
« compensation (carbone)» ou d' « adaptation »
me couraient sur le haricot local et bio. La résilience aussi. Et
enfin, oui enfin l'un
des seuls mensuels qui méritent notre attention, le bien nommé L'âge
de faire,
propose dans son numéro 178 du mois courant une grande double page
sur, donc, cette épineuse thématique. Abonnez-vous, abonnez-vous
d'urgence, abonnez qui vous aimez et même les autres ! Ainsi,
vous aurez accès à tout plein d'informations de qualité,
po-si-ti-ves (le truc incroyable) et à des dossiers qui secouent
bien le cocotier du genre « Résilience non merci ! »
assorti de l'interview de l'auteur de Contre
la résilience,
le chercheur dans une unité du CNRS Thierry Ribault qui balance :
« L'art de faire du malheur un mérite ». Bon, vous lirez
mais je vous mets d'ores et déjà dans l'ambiance (c'est moi qui
mets en caractères gras pour être certaine de bien faire passer le
message subliminal;)) : « Or
les raisons pour lesquelles je propose de mener
une analyse critique de la résilience
n'ont rien à voir avec une quelconque volonté de prêcher le
malheur. Il s'agit au contraire de montrer en quoi nous
devons nous défaire de la résilience, qu'elle soit individuelle ou
collective, parce qu'elle est, dans les faits, l'art de faire du
malheur un mérite.
Il nous faut sortir
de la logique du sacrifice
à laquelle elle nous invite à souscrire. Dès les années 1940, la
notion de résilience est sortie de son champ d'application originel
-la physique des matériaux- pour devenir
le couteau suisse thérapeutique de la société industrielle.
Il n'existe désormais plus aucune catastrophe dont les promoteurs de
la résilience ne se saisissent en exhortant chacun
à
faire de sa destruction une source de reconstruction, et de son
malheur une source de bonheur. Selon les
partisans de l'accommodation,
être résilient signifie non seulement être capable de vivre malgré
la diversité et la souffrance mais surtout être capable de vivre
grâce à elles, de grandir et de s'adapter
par la perturbation et la rupture, et faire acte de foi envers
elle.
En réalité, cette
idée est inapplicable dans beaucoup de situations d'exposition
toxique, pathogène ou radioactive.
L'analyse critique de ces politiques de résilience appliquées à ce
type de désastres montre comment elles construisent autour de cette
notion une
sorte de nouvelle religion d'Etat.
Elle peut aussi être utilisée pour détourner
l'attention des causes des désastres vers leurs effets, car la
résilience est une arme d'adaptation massive aux effets des
catastrophes, à défaut de rechercher l'abolition de leurs causes »
(p.16).
Comme on dit dans le Midi, « au moins il envoie pas dire les
choses ».
Tiens
tiens, mais il y en a un qui dit aussi les choses très, mais alors
très clairement, et cela depuis bien longtemps : c'est l'ami
Gilles
Perret,
réalisateur et scénariste haut-savoyard plus connu jusqu'ici pour
ses documentaires. Via Reprise
en main,
le voici qui donne désormais dans la fiction avec succès et, un
acte militant est un acte militant,
je ne peux que vous recommander de faire une pierre deux coups :
aller
vous délecter de cette comédie sociale
admirablement porté par des acteurs (chouchous) comme le magnétique
Pierre Deladonchamps et l'irrésistible Grégory Montel, et bien sûr
aller
au cinéma,
mais oui bien sûr rien de tel que le grand écran et que brancher
votre voisin à la sortie pour tchatcher un coup, lui demander si le
film lui a plu, patati patata et plus si affinités autour d'un jus
de gingembre dont les Suisses ont décidément le secret (je vous dis
ça car je conçois toujours un grand étonnement quand parfois je
franchis la frontière et que je tombe nez à nez avec cette mixture
beaucoup moins fréquente dans nos contrées).
Bon,
ben une fois encore, y'a du pain sur la planche. Je vous laisse parce
que j'ai atelier four pour ensuite faire mon propre pain. Autant dire
que tout dolorisme de la résilience mis à part, on n'est pas arrivé
mais j'y mets du cœur, j'y mets du cœur, foi d'amie de Perret !
Citoyennement
vôtre,
©Yolaine
de LocoBio,
Novembre
2022
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