Chronique
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Ce
que l'on fait de sa vie
Bon,
il y a ceux qui entendent « passer l'hiver », selon
l'expression obsessionnelle du moment, et pour cela porter des cols
roulés. Il y en a d'autres qui filent à l'anglaise au soleil de
l'Italie pour serrer la main, dans la suite d'un hôtel en catimini,
à une nouvelle cheffe de gouvernement pas vraiment progressiste.
Chacun sa formule pour faire quelque chose de sa vie et, quand même
au passage, essayer de n'être pas qu'un parasite lors de son passage
sur terre. Oui, essayer de faire sa part, c'est pas mal non ?
Surtout quand on prétend représenter l'Etat et incarner une forme
d'exemplarité qui manque cruellement au même titre que le courage
politique.
Donc
peu importe la formule, pourvu qu'on est tout sauf la paresse car il
y a comme une certaine urgence d'agir. Or comment agir ? Il y a
plusieurs échelles d'action ainsi que je m'efforce de le montrer
dans chacune de mes chroniques, même si toutes ne se valent pas car
non on ne peut pas demander au citoyen-consommateur d'endosser non
plus toutes les responsabilités dans un système tissé de tant
d'interdépendances mais surtout d'asymétries coupables. Ainsi,
continuer à laisser majoritairement la gouvernance alimentaire aux
mains des multinationales en lien plus ou moins forts et honnêtes
avec la puissance publique (groupement d'Etats comme l'Europe ou
Etats), cela est un problème de taille comparé aux petits gestes
pour autant utiles de tout un chacun. Là encore, on retrouve la
notion de courage politique mais n'épiloguons pas car il y a
présentement plus intéressant dans la livraison de ce mois-ci. Je
veux parler de l'interview d'une chercheuse, docteure en
Environnement, qui est actuellement responsable de groupe au
département Food System Science du FIBL, un institut de recherche
sur l'agriculture biologique originellement basé en Suisse et qui se
déploie actuellement aussi en France. Dans un entretien dont vous
pouvez retrouver l'intégralité ici
https://www.bio-suisse.ch/fr/vivre-bio-suisse/blog/posts/2022/10/securite-alimentaire.html,
elle propose une réflexion stimulante sur les trois facteurs les
plus influents sur la sécurité alimentaire mondiale aujourd'hui. Et
ce faisant, elle pointe des solutions pour remédier à cette
problématique en fait structurelle propulsée au devant de la scène
par le Covid puis maintenant la guerre en Ukraine.
Le premier facteur
a trait à la production et, parmi les problèmes, il y a: à quoi
sert la surface agricole? Or il se trouve qu'elle sert beaucoup trop
à produire de la nourriture pour les animaux dont les humains vont
ensuite trop (et de plus en plus) se nourrir. Il s'agit donc de
revenir au principe du « Food not Feed » en cultivant
davantage de céréales, d'alternatives végétales à la viande pour nous nourrir directement.
L'idée n'est pas d'obliger tout le monde à ne plus consommer de la viande -halte au bien connu fascisme écolo !...- mais bien de
limiter une production incompatible avec bien des priorités, que ce
soit la diminution des gaz à effet de serre, une alimentation et une
santé non satisfaisantes partout sur la planète.
Le deuxième
facteur augmentant l'insécurité alimentaire est relatif à la
répartition des denrées alimentaires et à tout le réseau
d'importations-exportations qui s'est progressivement mis en place à
la faveur d'un système alimentaire globalisé comme le reste de
l'économie. Ainsi, à cause de l'actuel conflit mais aussi de la
spéculation, le blé ne peut plus atteindre des parties pauvres du
monde où il constitue un aliment de base primordial. Où on constate
une fois de plus la folie pure et simple d'avoir délocalisé on se
demande encore au nom de quoi exactement, à part de sombres intérêts
non durables, une fonction aussi essentielle que celle de pourvoir
aux besoins alimentaires d'une population sur un territoire. Plus que
jamais, relocaliser et en profiter pour structurer des filières plus
diversifiées apparaît comme fondamental.
Enfin, le dernier facteur
contribuant (ou non) à la sécurité alimentaire réside dans la
consommation. Et là, un des leviers d'action évident, immédiat,
accessible à tous est le gaspillage alimentaire puisqu'environ 1/3
des denrées produites sont jetées, ce qui représente dans notre
pays 173 kg de déchets par an et par personne ; lesquels
déchets posent eux-mêmes bien évidemment un problème de
destruction ou, de plus en plus mais ce n'est pas une raison, de
valorisation. Pour bien comprendre ce défi du « Food Waste »
et y remédier à votre échelle, je recommande d'ailleurs le Mooc actuellement
en cours sur cette thématique proposé par AgroParisTech et dont
voici le plan sur 6 semaines pour vous allécher :
Bon,
alors en voilà déjà des pistes pour agir, se sentir peut-être
moins cons, déprimés car impuissants ou croyant trop l'être. Quoi
d'autre ? Et pourquoi pas créer, participer, ne serait-ce que
soutenir un jardin collectif ? Si vous débarquez sur le sujet,
autant directement vous inscrire si vous pouvez à une journée
d'échanges gratuite, ouverte à toutes et tous, le 16 novembre à la
Cité du développement durable dans la capitale. Co-organisée par
le PASSE-jardins, association de jardins partagés en
Auvergne-Rhône-Alpes, et l'AFAUP (Association Française
d'Agriculture Urbaine Professionnelle), elle a pour objectif
d'aborder ce qui fâche, freine bien souvent l'apparition mais
surtout la pérennité de ce type d'espaces, et donc de trouver des
remèdes. De fait, l'envie est souvent là de se réunir pour
cultiver ensemble de quoi ensuite consommer également ensemble même
si l'impulsion originelle peut aussi inclure le fait de favoriser la
biodiversité ou l'accessibilité à une meilleure alimentation. Mais
cette envie peut se heurter à des limites de taille dont je peux
témoigner à titre personnel (le personnel incluant alors mes
activités locobiotesques tant les deux sont plutôt mêlées).
Ainsi, la qualité du sol est un réel sujet et d'ailleurs comme elle
n'est pas au rendez-vous ou que les municipalités qui laissent
souvent à disposition des terrains ne veulent pas « prendre de
risque », les cultures finissent en bacs. Personnellement,
j'avais en vue d'installer un jardin collectif et, lors des
discussions préliminaires, il m'a été dit que comme le terrain
n'était « pas net » car il était sur une ancienne base
militaire, il faudrait cultiver en bacs. J'ai refusé car cela n'est
pas cohérent avec la démarche globale car relocaliser le
nourricier, c'est aussi se réancrer dans l'humus et je n'imaginais
pas une seconde accueillir notamment des enfants et n'avoir que des
bacs à leur offrir comme contact avec le sol. Cela dit, ayant aussi
pratiqué en jardin collectif au Québec bien avant que cela ne devienne
un phénomène aussi dans l'Hexagone, j'avais déjà pu constater
l'avantage d'avoir aussi des bacs, notamment pour des personnes
handicapées. Car la terre est basse, bien basse, les paysans sont
bien mal payés pour le savoir, déjà pour les valides c'est vrai,
mais on imagine si on veut rendre cet espace pleinement accessible à
tous. Cela est aussi vrai pour les personnes âgées et même les
enfants, pour leur montrer ce qu'ils peuvent faire chez eux, même
juste sur un petit balcon.
D'autres sujets seront abordés lors de
cette journée, tels les offres et besoins de formation des
jardiniers et animateurs de jardin ou encore l'épineuse question de
la protection foncière par la collectivité publique. Pour ma part,
sur le chapitre des connaissances nécessaires pour se lancer dans
l'aventure, je dirais qu'il ne faut pas trop se mettre la pression
car non seulement la « Nature » est généreuse, rattrape
bien de nos maladresses d'apprentis, mais que surtout il y a déjà
des sortes de « novices avancés » en matière de
jardinage qui sont à l'origine de la dynamique de création d'un
jardin. En effet, il y a souvent un intérêt doublé d'une
auto-formation parfois au long-court et, surtout, on s'apprend les
uns les autres mutuellement sur le terrain. Tout dépend donc de
l'ambition. Il est clair qu'il y a jardin partagé et jardin partagé,
certains vont vraiment chercher à s'inscrire dans une optique la
plus nourricière possible là où d'autres seront certes dans cette
optique mais chériront aussi le côté expérimental accompagné de
ses aléas. Cela dit, je demeure sceptique face une entreprise
qui regrouperait des personnes certes enjouées mais n'y connaissant
rien et, pour y connaître quelque chose en direct, rien de tel que
de se mettre en cheville avec un papy ou une mamie qui a encore la
chance d'avoir son jardin mais ne peut plus trop s'en occuper, ou
alors devenir woofer local en donnant un coup de main à un paysan
du coin (via ou non une Amap, par exemple).
Pour terminer sur ce que
moi je pointe du doigt comme soucis potentiels quand on est dans un
jardin partagé, c'est à la fois l'organisation des travaux et la
communication. Les deux ont pour point commun de malheureusement trop
dépendre d'éléments subjectifs, à savoir le caractère et la
disponibilité de chaque membre du jardin. En clair, untel va bien
communiquer sur ce qu'il a fait quand il est allé au jardin, type
désherbage, plantations, récolte, alors qu'une autre personne ne
dira rien, parfois juste par oubli. Or jusqu'à nouvel ordre le
jardin ne parle pas et ne peut pas dire ce qu'on fait les jardiniers
et il faut accepter de jouer ce jeu-là, dans l'intérêt supérieur
du jardin. Car celui-ci a des besoins -en voilà un bon moyen de
pratiquer la fameuse « sobriété », en se reconnectant à
eux et eux seuls- et oui il faut s'organiser tout au long des
saisons, oui il y a des contraintes et ce n'est pas qu'un loisir.
Cela pose la question d'une forme de « recrutement »,
c'est-à-dire de bien sensibiliser les postulants jardiniers au fait
que certes c'est une démarche volontaire, que c'est sur leur temps
libre, mais cela ne signifie pas du tout faire comme on veut, quand
on veut et non plus où on veut car des cultures cohabitent mieux
avec d'autres. L'arrosage en été est ainsi un révélateur
des failles à la fois en matière de communication et d'organisation
car bien souvent les jardiniers partent en vacances mais le jardin
pas (scoop!), il faut donc organiser a minima des tours d'arrosage
et, bien sûr, se battre contre qui de droit si des velléités
d'interdire l'arrosage du collectif, public, vivrier, se manifestent
tout en le laissant pratiquer au privé et non vivrier... golfs en
tête.
Comme
vous pouvez le constater une fois de plus, bien loin de manquer de
récit ou d'initiatives, la Transition est déjà là, en cours, et
il suffit de s'intéresser, de choisir ce qui vous motive pour à la
fois vous épanouir et participer au grand mouvement, le seul,
l'unique, si historique, de notre époque. Je vous laisse avec
l'extrait d'un roman que j'affectionne car il évoque de la douceur,
ce que certains appellent le nouveau paradigme, une nouvelle relation
avec ce qui nous entoure et dont nous sommes en fait partie prenante,
un oubli qui -s'il cesse- se déclinera en nombre de modalités
opérationnelles qui façonneront la Transition. Voici donc, de Le
cas Sneijder par Jean-Claude Dubois (pp.195-196 en poche Points), un passage où
le personnage principal se retrouve avec les chiens qu'il sort de par
son métier de « dog sitter », cela après un accident traumatisant d'ascenseur où il a perdu sa fille : « De
temps à autre, pour me rappeler sa présence, Watson mordillait le
bas de mon pantalon. Les grands, eux, avaient passé l'âge de ces
enfantillages et reniflaient les abords du chemin qui les menait
droit vers le printemps. Nous avions depuis longtemps dépassé les
limites des circuits de promenade autorisés. Nous marchions
désormais en territoire interdit, avançant dans la jungle excitante
de la réprobation et des interdictions. Ici, sans doute en raison
d'une exposition plus favorable, l'herbe avait déjà reverdi. Les
chiens semblaient emplir leurs poumons de l'odeur de chaque brindille
nouvelle, avant de se rouler sur le sol avec cette exubérante
animalité qu'auraient tant réprouvée leurs maîtres. Je m'étais
assis par terre au milieu d'eux, les caressant à tour de rôle,
partageant ce simple moment de paix, près d'un fleuve, au cœur
d'une île et sous le soleil. Je n'avais à l'esprit aucune pensée
construite, ni craintes ni pressentiments, seulement la persistance
d'un lointain et informel mirage. J'étais dans une petite
principauté et je rêvais d'un émirat ».
Si vous voulez savoir pourquoi il rêve plus précisément d'un
émirat, vous pouvez aussi regarder le film tiré de ce si bel écrit
avec un Thierry Lhermitte inattendu et la toujours magnifique
Géraldine Pailhas (La nouvelle vie de Paul Sneijder, 2016).
Citoyennement
vôtre,
©Yolaine
de LocoBio,
Octobre 2022
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