• JoomlaWorks Simple Image Rotator
Cogitations et actions
Chronique 161
25-10-2022

 

Chronique 161

 

Ce que l'on fait de sa vie

 

Image Active

 

  
Bon, il y a ceux qui entendent « passer l'hiver », selon l'expression obsessionnelle du moment, et pour cela porter des cols roulés. Il y en a d'autres qui filent à l'anglaise au soleil de l'Italie pour serrer la main, dans la suite d'un hôtel en catimini, à une nouvelle cheffe de gouvernement pas vraiment progressiste. Chacun sa formule pour faire quelque chose de sa vie et, quand même au passage, essayer de n'être pas qu'un parasite lors de son passage sur terre. Oui, essayer de faire sa part, c'est pas mal non ? Surtout quand on prétend représenter l'Etat et incarner une forme d'exemplarité qui manque cruellement au même titre que le courage politique.

Donc peu importe la formule, pourvu qu'on est tout sauf la paresse car il y a comme une certaine urgence d'agir. Or comment agir ? Il y a plusieurs échelles d'action ainsi que je m'efforce de le montrer dans chacune de mes chroniques, même si toutes ne se valent pas car non on ne peut pas demander au citoyen-consommateur d'endosser non plus toutes les responsabilités dans un système tissé de tant d'interdépendances mais surtout d'asymétries coupables. Ainsi, continuer à laisser majoritairement la gouvernance alimentaire aux mains des multinationales en lien plus ou moins forts et honnêtes avec la puissance publique (groupement d'Etats comme l'Europe ou Etats), cela est un problème de taille comparé aux petits gestes pour autant utiles de tout un chacun. Là encore, on retrouve la notion de courage politique mais n'épiloguons pas car il y a présentement plus intéressant dans la livraison de ce mois-ci. Je veux parler de l'interview d'une chercheuse, docteure en Environnement, qui est actuellement responsable de groupe au département Food System Science du FIBL, un institut de recherche sur l'agriculture biologique originellement basé en Suisse et qui se déploie actuellement aussi en France. Dans un entretien dont vous pouvez retrouver l'intégralité ici https://www.bio-suisse.ch/fr/vivre-bio-suisse/blog/posts/2022/10/securite-alimentaire.html, elle propose une réflexion stimulante sur les trois facteurs les plus influents sur la sécurité alimentaire mondiale aujourd'hui. Et ce faisant, elle pointe des solutions pour remédier à cette problématique en fait structurelle propulsée au devant de la scène par le Covid puis maintenant la guerre en Ukraine.

Le premier facteur a trait à la production et, parmi les problèmes, il y a: à quoi sert la surface agricole? Or il se trouve qu'elle sert beaucoup trop à produire de la nourriture pour les animaux dont les humains vont ensuite trop (et de plus en plus) se nourrir. Il s'agit donc de revenir au principe du « Food not Feed » en cultivant davantage de céréales, d'alternatives végétales à la viande pour nous nourrir directement. L'idée n'est pas d'obliger tout le monde à ne plus consommer de la viande -halte au bien connu fascisme écolo !...- mais bien de limiter une production incompatible avec bien des priorités, que ce soit la diminution des gaz à effet de serre, une alimentation et une santé non satisfaisantes partout sur la planète.

Le deuxième facteur augmentant l'insécurité alimentaire est relatif à la répartition des denrées alimentaires et à tout le réseau d'importations-exportations qui s'est progressivement mis en place à la faveur d'un système alimentaire globalisé comme le reste de l'économie. Ainsi, à cause de l'actuel conflit mais aussi de la spéculation, le blé ne peut plus atteindre des parties pauvres du monde où il constitue un aliment de base primordial. Où on constate une fois de plus la folie pure et simple d'avoir délocalisé on se demande encore au nom de quoi exactement, à part de sombres intérêts non durables, une fonction aussi essentielle que celle de pourvoir aux besoins alimentaires d'une population sur un territoire. Plus que jamais, relocaliser et en profiter pour structurer des filières plus diversifiées apparaît comme fondamental.

Enfin, le dernier facteur contribuant (ou non) à la sécurité alimentaire réside dans la consommation. Et là, un des leviers d'action évident, immédiat, accessible à tous est le gaspillage alimentaire puisqu'environ 1/3 des denrées produites sont jetées, ce qui représente dans notre pays 173 kg de déchets par an et par personne ; lesquels déchets posent eux-mêmes bien évidemment un problème de destruction ou, de plus en plus mais ce n'est pas une raison, de valorisation. Pour bien comprendre ce défi du « Food Waste » et y remédier à votre échelle, je recommande d'ailleurs le Mooc actuellement en cours sur cette thématique proposé par AgroParisTech et dont voici le plan sur 6 semaines pour vous allécher :

  • Qu'est-ce que le gaspillage alimentaire ?

  • Le gaspillage alimentaire, un jeu d'échiquier à déchiffrer

  • De la production vers la distribution

  • Le gaspillage alimentaire dans la restauration hors foyer

  • Le gaspillage alimentaire à domicile, tous consomm'acteurs !

  • Bilan des acquis, rappel sur les valeurs de l'alimentation et sur l'évolution de notre système alimentaire


Bon, alors en voilà déjà des pistes pour agir, se sentir peut-être moins cons, déprimés car impuissants ou croyant trop l'être. Quoi d'autre ? Et pourquoi pas créer, participer, ne serait-ce que soutenir un jardin collectif ? Si vous débarquez sur le sujet, autant directement vous inscrire si vous pouvez à une journée d'échanges gratuite, ouverte à toutes et tous, le 16 novembre à la Cité du développement durable dans la capitale. Co-organisée par le PASSE-jardins, association de jardins partagés en Auvergne-Rhône-Alpes, et l'AFAUP (Association Française d'Agriculture Urbaine Professionnelle), elle a pour objectif d'aborder ce qui fâche, freine bien souvent l'apparition mais surtout la pérennité de ce type d'espaces, et donc de trouver des remèdes. De fait, l'envie est souvent là de se réunir pour cultiver ensemble de quoi ensuite consommer également ensemble même si l'impulsion originelle peut aussi inclure le fait de favoriser la biodiversité ou l'accessibilité à une meilleure alimentation. Mais cette envie peut se heurter à des limites de taille dont je peux témoigner à titre personnel (le personnel incluant alors mes activités locobiotesques tant les deux sont plutôt mêlées). Ainsi, la qualité du sol est un réel sujet et d'ailleurs comme elle n'est pas au rendez-vous ou que les municipalités qui laissent souvent à disposition des terrains ne veulent pas « prendre de risque », les cultures finissent en bacs. Personnellement, j'avais en vue d'installer un jardin collectif et, lors des discussions préliminaires, il m'a été dit que comme le terrain n'était « pas net » car il était sur une ancienne base militaire, il faudrait cultiver en bacs. J'ai refusé car cela n'est pas cohérent avec la démarche globale car relocaliser le nourricier, c'est aussi se réancrer dans l'humus et je n'imaginais pas une seconde accueillir notamment des enfants et n'avoir que des bacs à leur offrir comme contact avec le sol. Cela dit, ayant aussi pratiqué en jardin collectif au Québec bien avant que cela ne devienne un phénomène aussi dans l'Hexagone, j'avais déjà pu constater l'avantage d'avoir aussi des bacs, notamment pour des personnes handicapées. Car la terre est basse, bien basse, les paysans sont bien mal payés pour le savoir, déjà pour les valides c'est vrai, mais on imagine si on veut rendre cet espace pleinement accessible à tous. Cela est aussi vrai pour les personnes âgées et même les enfants, pour leur montrer ce qu'ils peuvent faire chez eux, même juste sur un petit balcon.

D'autres sujets seront abordés lors de cette journée, tels les offres et besoins de formation des jardiniers et animateurs de jardin ou encore l'épineuse question de la protection foncière par la collectivité publique. Pour ma part, sur le chapitre des connaissances nécessaires pour se lancer dans l'aventure, je dirais qu'il ne faut pas trop se mettre la pression car non seulement la « Nature » est généreuse, rattrape bien de nos maladresses d'apprentis, mais que surtout il y a déjà des sortes de « novices avancés » en matière de jardinage qui sont à l'origine de la dynamique de création d'un jardin. En effet, il y a souvent un intérêt doublé d'une auto-formation parfois au long-court et, surtout, on s'apprend les uns les autres mutuellement sur le terrain. Tout dépend donc de l'ambition. Il est clair qu'il y a jardin partagé et jardin partagé, certains vont vraiment chercher à s'inscrire dans une optique la plus nourricière possible là où d'autres seront certes dans cette optique mais chériront aussi le côté expérimental accompagné de ses aléas. Cela dit, je demeure sceptique face une entreprise qui regrouperait des personnes certes enjouées mais n'y connaissant rien et, pour y connaître quelque chose en direct, rien de tel que de se mettre en cheville avec un papy ou une mamie qui a encore la chance d'avoir son jardin mais ne peut plus trop s'en occuper, ou alors devenir woofer local en donnant un coup de main à un paysan du coin (via ou non une Amap, par exemple).

Pour terminer sur ce que moi je pointe du doigt comme soucis potentiels quand on est dans un jardin partagé, c'est à la fois l'organisation des travaux et la communication. Les deux ont pour point commun de malheureusement trop dépendre d'éléments subjectifs, à savoir le caractère et la disponibilité de chaque membre du jardin. En clair, untel va bien communiquer sur ce qu'il a fait quand il est allé au jardin, type désherbage, plantations, récolte, alors qu'une autre personne ne dira rien, parfois juste par oubli. Or jusqu'à nouvel ordre le jardin ne parle pas et ne peut pas dire ce qu'on fait les jardiniers et il faut accepter de jouer ce jeu-là, dans l'intérêt supérieur du jardin. Car celui-ci a des besoins -en voilà un bon moyen de pratiquer la fameuse « sobriété », en se reconnectant à eux et eux seuls- et oui il faut s'organiser tout au long des saisons, oui il y a des contraintes et ce n'est pas qu'un loisir. Cela pose la question d'une forme de « recrutement », c'est-à-dire de bien sensibiliser les postulants jardiniers au fait que certes c'est une démarche volontaire, que c'est sur leur temps libre, mais cela ne signifie pas du tout faire comme on veut, quand on veut et non plus où on veut car des cultures cohabitent mieux avec d'autres. L'arrosage en été est ainsi un révélateur des failles à la fois en matière de communication et d'organisation car bien souvent les jardiniers partent en vacances mais le jardin pas (scoop!), il faut donc organiser a minima des tours d'arrosage et, bien sûr, se battre contre qui de droit si des velléités d'interdire l'arrosage du collectif, public, vivrier, se manifestent tout en le laissant pratiquer au privé et non vivrier... golfs en tête.


Comme vous pouvez le constater une fois de plus, bien loin de manquer de récit ou d'initiatives, la Transition est déjà là, en cours, et il suffit de s'intéresser, de choisir ce qui vous motive pour à la fois vous épanouir et participer au grand mouvement, le seul, l'unique, si historique, de notre époque. Je vous laisse avec l'extrait d'un roman que j'affectionne car il évoque de la douceur, ce que certains appellent le nouveau paradigme, une nouvelle relation avec ce qui nous entoure et dont nous sommes en fait partie prenante, un oubli qui -s'il cesse- se déclinera en nombre de modalités opérationnelles qui façonneront la Transition. Voici donc, de Le cas Sneijder par Jean-Claude Dubois (pp.195-196 en poche Points), un passage où le personnage principal se retrouve avec les chiens qu'il sort de par son métier de « dog sitter », cela après un accident traumatisant d'ascenseur où il a perdu sa fille : « De temps à autre, pour me rappeler sa présence, Watson mordillait le bas de mon pantalon. Les grands, eux, avaient passé l'âge de ces enfantillages et reniflaient les abords du chemin qui les menait droit vers le printemps. Nous avions depuis longtemps dépassé les limites des circuits de promenade autorisés. Nous marchions désormais en territoire interdit, avançant dans la jungle excitante de la réprobation et des interdictions. Ici, sans doute en raison d'une exposition plus favorable, l'herbe avait déjà reverdi. Les chiens semblaient emplir leurs poumons de l'odeur de chaque brindille nouvelle, avant de se rouler sur le sol avec cette exubérante animalité qu'auraient tant réprouvée leurs maîtres. Je m'étais assis par terre au milieu d'eux, les caressant à tour de rôle, partageant ce simple moment de paix, près d'un fleuve, au cœur d'une île et sous le soleil. Je n'avais à l'esprit aucune pensée construite, ni craintes ni pressentiments, seulement la persistance d'un lointain et informel mirage. J'étais dans une petite principauté et je rêvais d'un émirat ». Si vous voulez savoir pourquoi il rêve plus précisément d'un émirat, vous pouvez aussi regarder le film tiré de ce si bel écrit avec un Thierry Lhermitte inattendu et la toujours magnifique Géraldine Pailhas (La nouvelle vie de Paul Sneijder, 2016).



Citoyennement vôtre,

©Yolaine de LocoBio,

Octobre 2022


 
< Précédent   Suivant >
© 2024 locobio
Joomla! est un logiciel libre distribué sous licence GNU/GPL.