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Chronique 158
14-06-2022

 

Chronique 158

 

A propos du prétendu fascisme des écologistes :

La juste part de contrainte nécessaire à la Transition

dans le domaine de l'alimentation

 

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Comme moi, vous devez depuis maintenant quelques années entendre parler d' « écolo-fascisme » pour désigner les dérives, voire la nature intrinsèquement autoritaire, de la mouvance politique écologiste. Au départ, on rigole un peu, on aurait tendance à ne pas tenir compte de ce genre d'association tellement c'est gros comme tentative de disqualification. On se dit qu'on a l'habitude, qu'après tout c'est de bonne guerre en politique de prêter des intentions terribles, des défauts notoires à l'adversaire pour éviter sa progression et pourquoi pas l'éliminer pour de bon. Mais j'ai changé d'avis et je pense désormais qu'il faut répondre à cette accusation de posture extrémiste et donc sous-entendue illégitime, dangereuse, à supprimer, car les temps ont changé. En effet, ce qui n'était qu'un propos au départ presque inaudible s'est imposé aujourd'hui comme une petite musique régulièrement servie, pour ne pas dire balancée à la face des « écolos » ; elle est même devenue assez mainstream dans la plupart des médias. Et cela -comme c'est dommage- au moment même où l'écologie ne devrait même plus être discutée et qu'un front commun, du citoyen, des instances locales à celles oeuvrant à l'échelle internationale en passant par les entreprises, à commencer par les multinationales, devrait déjà travailler concrètement à la Transition. Il existe donc un décalage problématique entre un discours prévalent et ce dont nous avons tous besoin, à savoir la Transition défendue depuis des décennies par les écologistes. Il existe un autre décalage entre l'écologie et son image, donc sa capacité à être une actrice du changement dans l'arène politique.

Et c'est justement pour ces raisons que j'ai changé d'avis, que je pense important de rétablir les choses, c'est-à-dire de montrer en quoi il est faux, contre-productif et pervers de taxer l'écologie d'extrémisme dangereux. Il faut éviter l'écueil d'un entre-soi de convaincus et dénoncer cette imposture auprès du plus grand nombre qui, via les modes de communication actuels, se retrouve exposé à ce qui n'est autre que du bullshit. Car sur le fond de l'accusation, que peut-on dire ? Tout d'abord que comme tout mouvement, l'écologie n'est pas à l'abri de certains individus ni de certaines mouvances c'est vrai extrémistes. Il y a des puristes partout qui peuvent très bien aussi s'emparer de cette pensée pour d'autres motifs que ce qu'elle défend et donc à part ne pas cautionner, il est difficile d'empêcher ce genre d'expression plurielle. On peut « juste » constater en se retournant sur notre Histoire que jusqu'à présent ce ne sont pas les « écolos » radicaux qui sont à l'origine du délitement du lien social, de la hausse de la défiance, de la prégnance de la peur au quotidien et encore moins des maux les plus graves et indignes de l'Humanité comme les guerres, les camps de travail, ceux d'extermination ou encore l'instauration d'un monde pétri d'injustices qui nourrit les flux de réfugiés économiques, maintenant climatiques. Oui, si on est une minute lucide et honnête, il faut malheureusement avouer que les « écolos » sont plutôt pour l'instant les perdants de cette sombre Histoire et certains activistes le paient de leur peau comme par exemple en Amérique Latine dans la lutte contre la déforestation. Oui c'est vrai, on n'a pas encore trop vu de criminels de guerre « écolos » alors que les idéologies politiques (capitalisme, communisme) et religieuses de même qu'une organisation économique internationale ultra-capitaliste, inégalitaire et dysfonctionnelle notamment pour remédier aux maux qu'elle externalise, oui tout cela a fait ses tristes preuves. En clair, les « écolos » sont comme la Terre qu'ils défendent : plutôt des victimes. Donc à un moment donné ça suffit, c'est un peu beaucoup, certainement trop, l'hôpital qui se fout de la charité, en mode je cherche la poutre dans ton œil mais alors toi, toi si tu te regardais... que dire de toi, de tes principes et de tes actions ? Ce renversement de perspective, Histoire à l'appui, est salutaire parce qu'il ne relève pas de la stratégie politique : il est vrai, se base sur des faits, il incarne ce qu'il défend, à savoir le fait de voir et de dire les choses en face justement afin d'arrêter le massacre et de changer positivement les choses. Car, 2ème argument, en cette dernière matière d'un changement positif, seule l'écologie peut se prévaloir actuellement d'avoir des valeurs généreuses pour tous et d'être outillée pour les atteindre. Je pense en particulier à la durabilité qui impose de rechercher la satisfaction de critères économiques, sociaux et environnementaux ; je pense aussi à la pensée systémique, complexe certes mais si enthousiasmante et la seule adaptée à la complexité du monde, du réel, des interactions tant dans les écosystèmes que dans les secteurs où telle ou telle politique interviendrait. Qui, oui lequel des mouvements précédemment mentionnés, entre les idéologies politiques et religieuses, l'idéologie tout aussi idéologique du marché laissé à lui-même, oui lequel s'est montré performant pour la communauté de tous les êtres vivants ? Qui s'est montré adapté au problème ou en a plutôt engendré un pour, au passage, se présenter ensuite comme la solution (technique du pompier-pyromane)? Oui, qui est du côté du problème plutôt que de la solution ? Après ça, si l'écologie trouve encore à être disqualifiée politiquement et en plus taxée de fasciste, eh bien c'est par pure méconnaissance historique ou par suspecte mauvaise foi. Il faut arrêter de tout mettre sur le même plan et bien voir qu'on doit à ce mouvement ce qui nous sauvera peut-être et est d'ailleurs adroitement récupéré ci et là. Ici encore c'est de bonne guerre. On sait très bien que toute innovation sociale est d'abord portée par une minorité d'individus qu'on dira « conscients » qui dédie temps et compétences à structurer la pensée, à la diffuser de telle sorte qu'ensuite un mouvement social de revendication peut apparaître, se traduire ensuite en succès politiques puis en politiques publiques. A titre d'exemple, la Révolution Française, ça a été ça, la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis aussi et le combat féministe, même écoféministe aussi. Donc maintenant il s'agit de prendre acte du caractère révolutionnaire de l'écologie et qu'elle essaime partout, à l'image des mouvements indubitablement progressistes mentionnés ci-avant.



Bon, une fois qu'on a un peu rétabli l'équilibre pour une juste vision des choses, reste l'épineuse question du comment de la Transition et de la part de non moins juste contrainte qui lui est nécessairement associée. Car tout le monde s'accorde à la fois sur la nécessité de cette Transition et sur le fait que non, elle ne se fera pas toute seule et oui, il va falloir faire un certain nombre d'efforts. C'est bien dommage mais c'est ainsi, il nous revient à nous qui n'y sommes pour rien de nettoyer les écuries d'Augias des générations précédentes, singulièrement de la précédente qui, hormis quelques éléments isolés, n'a fait que contribuer à l'aggravation de la situation. Je pense à tous ceux, complices ou inconscients, qui se sont jetés dans les miasmes de l'hyper-consommation en échange de leur (et de notre) aliénation. Je pense plus encore à de véritables dangers publics comme par exemple l'ex-président américain qui appartient précisément à cette génération et n'a fait de par ses activités professionnelles et politiques que faire pencher dans le mauvais sens. Et il continue en soutenant le lobby des armes qui le soutient aussi... jusqu'à une réélection ? Je pense enfin à ceux, plus jeunes, qui n'appartiennent pas biologiquement à cette génération mais sont câblés comme elle, tous ces plénipotentiaires des réseaux sociaux qui ne rêvent que de colonies dans l'espace. Et d'ailleurs, comme ce sont les plus riches de la planète, ça tombe bien parce que comme ce sont eux qui polluent le plus, eh bien la fameuse contrainte de la Transition bien sûr que c'est eux qui devraient/devront la porter plus que les autres. Je dirais même qu'outre l'obligation éthique qu'ils auraient dû intérioriser s'ils étaient des êtres humains dignes de cette dénomination, ils devraient/devront utiliser toutes leurs formes de capital matériel et symbolique pour coopérer, voire être moteurs dans la Transition. Vaste sujet. Je vous imagine perplexes et souriants en lisant ses lignes tout comme je le suis moi-même, dans le style « c'est le quart d'heure d'utopie, ça lui passera ». Or non, ça ne me passera pas tout simplement parce que « ça » ne peut ni ne doit plus passer, on a perdu bien trop de temps et c'est exactement ce qui explique que ce pose la question de la contrainte avec tant d'acuité. Car franchement il faut arrêter de rigoler et de se foutre de la gueule du monde : si on avait écouté ceux qui tiraient déjà la sonnette d'alarme dans les années 50, c'est-à-dire au moment même où le système prédateur et destructeur actuel s'intensifiait (voir l'agro-chimie, fruit des « progrès » de la guerre...), a fortiori lors des chocs pétroliers à l'aube des années 70, on n'en serait certainement pas là. Les objections et les alternatives étaient déjà là, bâties par de très sérieux architectes et autres urbanistes. La vérité est qu'entre la masse molle occupée à jouir et ceux occupés à jouir et à défendre leurs intérêts, autant dire à mener le monde, rien, mais rien n'a été fait. Et le pire est que ça continue. Nous n'en sommes qu'au début d'une faible prise de conscience pour atteindre justement un autre niveau de conscience... alors vous imaginez ensuite le parcours, bien évidemment semé d'embûches et d'habiles contre-temps, jusqu'à une révolution pleine et complète. Comme on dit dans le Midi : on n'est pas arrivés. Il serait même temps de démarrer, démarrer vraiment, loyalement, méthodiquement. Et cela commence par affronter cette question brûlante de la contrainte, autant dire le mode d'emploi de la Transition.



Et dans ce domaine, ce qui me plaît et me rassure, c'est que je ne suis pas la seule à parler cash. Ce qui me plaît et me rassure encore plus, c'est que cette question est abordée par des gens très bien, des experts, donc des personnes peu disqualifiables comme le sont si facilement et malhonnêtement les militants bénévoles. Là, face à eux, ça lève moins le nez et ça rigole moins. J'en veux pour preuve les affirmations fermes car fondées de personnes dites « autorisées » de par leurs compétences dans un domaine précis, en l'occurrence celui de l'agriculture et de l'alimentation qui, comme vous le savez, est le point de focalisation de LocoBio. La situation dans ce domaine n'est pas brillante pour au moins 3 raisons : il existe un problème massif de malnutrition qui ne se limite plus « seulement » à de la sous-nutrition mais inclut désormais tous les problèmes de surpoids ; les systèmes alimentaires ont un impact croissant et négatif sur ce que l'on appelle « l'environnement », que l'on songe par exemple à la catastrophe écologique en Bretagne liée à l'élevage industriel ; enfin, la pandémie et la guerre en Ukraine montrent bien que tout le système d'approvisionnement est à revoir pour assurer la sécurité alimentaire. En clair, ce dossier est non seulement important, urgent et une résolution satisfaisante dépend beaucoup des actions entreprises, une grande marge de manœuvre existe pour une action politique au sens le plus large. Toute une panoplie d'outils existe, parmi lesquels la contrainte et non pas seulement le fait d'encourager, de suggérer, d'éduquer... et de renvoyer le citoyen-consommateur à ses éternelles responsabilités alors que les vrais décisionnaires continuent leur travail de sape sans vergogne. A la suite, je vous propose donc une série de mesures qui s'inscrivent dans cette perspective « dure » si on veut continuer à considérer que sont « durs » les partisans de prendre en compte le réel, à savoir les limites de la planète et les nôtres en tant qu'êtres humains demandant tout sauf d'être augmentés. Il ne faut pas être naïfs : ce domaine s'inscrit particulièrement dans un champ de forces et bien sûr il faut en passer par les règles et bien sûr il faut les changer ces règles.


  1. D'après l'expert scientifique des forêts, des arbres et de l'agroforesterie Alexandre Meybeck interrogé dans le cadre d'une formation que j'ai récemment suivie précisément sur la résilience alimentaire, sur les dispositifs pouvant inciter le secteur privé à prendre en compte les incidences sur l'environnement voici les 3 leviers principaux :

Réorienter les politiques et les subventions agricoles pour optimiser l'utilisation des ressources naturelles, accroître la diversité dans les champs et les paysages, faciliter l'agroforesterie et réduire la déforestation.



Utiliser les marchés publics, notamment pour l'alimentation dans les écoles, pour promouvoir la consommation et la production d'aliments plus diversifiés et issus d'une agriculture durable, plus de fruits et de légumes.


Améliorer les environnements alimentaires pour encourager la diversité des régimes alimentaires et faciliter les choix écologiques des consommateurs par une fiscalité adaptée, soutenir les marchés locaux, les approches paysagères et les politiques alimentaires locales.
  1. Dalia Mattioni, associée de recherche (projet Foodtrails) à l'Université de Cardiff, résume ainsi la manière dont les mesures environnementales de vente au détail et autres mesures réglementaires pourraient servir de base aux interventions visant à améliorer l'environnement alimentaire en vue d'une alimentation saine et durable. Selon elle, Il existe 3 séries de mesures utiles pour changer l'environnement de l'alimentation de détail :

    - Augmenter le nombre de points de vente qui vendent des aliments riches en nutriments, tels que des fruits et légumes frais et modifier les règles d'urbanisme pour introduire des marchés de producteurs dans les zones à faibles revenus en est un exemple.

    - Réduire l'exposition et l'accès aux points de vente qui vendent surtout des aliments à forte densité énergétique et pauvres en nutriments. Cela s'est fait principalement par le biais du zonage, un outil qui a été peu utilisé et qui s'est concentré sur la restriction des points de restauration rapide autour des écoles.

    - Changer l'offre dans les points de vente de nourriture, par exemple en veillant à ce que les restaurants proposent des options plus saines dans leurs menus ou en exigeant que les petits magasins stockent un minimum de fruits et légumes frais.

  2. L'étiquetage pour informer sur la valeur nutritionnelle des produits peut lui aussi jouer un grand rôle et ce n'est pas un hasard si, au Chili comme en France pour ne prendre que ces deux exemples, il a systématiquement fait l'objet de résistances acharnées de la part des acteurs de l'industrie agroalimentaires et n'a vu les choses évoluer en mieux très souvent que grâce à des consommateurs rassemblés en mouvements faisant ensuite pression sur les institutions. A ce sujet, vous pouvez consulter avec profit les références suivantes : https://www.researchgate.net/publication/358008808_A_description_of_Chilean_food_and_nutrition_health_policies/link/61eb0fe05779d35951c43960/download; https://seronet.info/article/nutri-score-85217


En définitive, ce qui ressort de tout ça est que certes on ne peut pas dire que rien n'est fait, que rien n'est proposé, mais le fond du problème est que ce n'est pas à la hauteur des enjeux et que cette hauteur augmente au vu de la pression liée au temps qui manque désormais pour réaliser la Transition. D'où l'idée de contrainte nécessaire et que l'on ne se méprenne pas : elle n'est pas antinomique avec le participatif (un peu trop mis à toutes les sauces car devenu marketing), les mesures mentionnées ci-avant étant tout à fait compatibles avec un processus décisionnel démocratique. Cependant, il ne faut pas non plus se leurrer : ce processus est lui-même chronophage... donc comment fait-on avec ce paramètre temporel qui, décidément, tel un problème non résolu dans une ancienne vie, retape à la porte, se met au devant de la scène et exige sans détour une réponse ?


Au terme de cette réflexion, j'espère avoir bien fait sentir que l'acceptabilité sociale c'est bien, mais franchement, s'en sortir c'est mieux. Des objections, votre honneur? ;)


Citoyennement vôtre,

©Yolaine de LocoBio,

Juin 2022


 
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