Chronique
158
A
propos du prétendu fascisme des écologistes :
La
juste part de contrainte nécessaire à la Transition
dans le domaine
de l'alimentation
Comme
moi, vous devez depuis maintenant quelques années entendre parler
d' « écolo-fascisme » pour désigner les
dérives, voire la nature intrinsèquement autoritaire, de la
mouvance politique écologiste. Au départ, on rigole un peu, on
aurait tendance à ne pas tenir compte de ce genre d'association
tellement c'est gros comme tentative de disqualification. On se dit
qu'on a l'habitude, qu'après tout c'est de bonne guerre en politique
de prêter des intentions terribles, des défauts notoires à
l'adversaire pour éviter sa progression et pourquoi pas l'éliminer
pour de bon. Mais j'ai changé d'avis et je pense désormais qu'il
faut répondre à cette accusation de posture extrémiste et donc
sous-entendue illégitime, dangereuse, à supprimer, car les temps
ont changé. En effet, ce qui n'était qu'un propos au départ
presque inaudible s'est imposé aujourd'hui comme une petite musique
régulièrement servie, pour ne pas dire balancée à la face des
« écolos » ; elle est même devenue assez
mainstream dans la plupart des médias. Et cela -comme c'est dommage-
au moment même où l'écologie ne devrait même plus être discutée
et qu'un front commun, du citoyen, des instances locales à celles
oeuvrant à l'échelle internationale en passant par les entreprises,
à commencer par les multinationales, devrait déjà travailler
concrètement à la Transition. Il existe donc un décalage
problématique entre un discours prévalent et ce dont nous avons
tous besoin, à savoir la Transition défendue depuis des décennies
par les écologistes. Il existe un autre décalage entre l'écologie
et son image, donc sa capacité à être une actrice du changement
dans l'arène politique.
Et c'est justement pour ces raisons que j'ai
changé d'avis, que je pense important de rétablir les choses,
c'est-à-dire de montrer en quoi il est faux, contre-productif et
pervers de taxer l'écologie d'extrémisme dangereux. Il faut
éviter l'écueil d'un entre-soi de convaincus et dénoncer cette
imposture auprès du plus grand nombre qui, via les modes de
communication actuels, se retrouve exposé à ce qui n'est autre que
du bullshit. Car sur le fond de l'accusation, que peut-on dire ?
Tout d'abord que comme tout mouvement, l'écologie n'est pas à
l'abri de certains individus ni de certaines mouvances c'est vrai
extrémistes. Il y a des puristes partout qui peuvent très bien
aussi s'emparer de cette pensée pour d'autres motifs que ce qu'elle
défend et donc à part ne pas cautionner, il est difficile
d'empêcher ce genre d'expression plurielle. On peut « juste »
constater en se retournant sur notre Histoire que jusqu'à présent
ce ne sont pas les « écolos » radicaux qui sont à
l'origine du délitement du lien social, de la hausse de la défiance,
de la prégnance de la peur au quotidien et encore moins des maux les
plus graves et indignes de l'Humanité comme les guerres, les camps
de travail, ceux d'extermination ou encore l'instauration d'un monde
pétri d'injustices qui nourrit les flux de réfugiés économiques,
maintenant climatiques. Oui, si on est une minute lucide et honnête,
il faut malheureusement avouer que les « écolos » sont
plutôt pour l'instant les perdants de cette sombre Histoire et
certains activistes le paient de leur peau comme par exemple en
Amérique Latine dans la lutte contre la déforestation. Oui c'est
vrai, on n'a pas encore trop vu de criminels de guerre « écolos »
alors que les idéologies politiques (capitalisme, communisme) et
religieuses de même qu'une organisation économique internationale
ultra-capitaliste, inégalitaire et dysfonctionnelle notamment pour
remédier aux maux qu'elle externalise, oui tout cela a fait ses
tristes preuves. En clair, les « écolos » sont comme la
Terre qu'ils défendent : plutôt des victimes. Donc à un
moment donné ça suffit, c'est un peu beaucoup, certainement trop,
l'hôpital qui se fout de la charité, en mode je cherche la poutre
dans ton œil mais alors toi, toi si tu te regardais... que dire de
toi, de tes principes et de tes actions ? Ce renversement de
perspective, Histoire à l'appui, est salutaire parce qu'il ne relève
pas de la stratégie politique : il est vrai, se base sur des
faits, il incarne ce qu'il défend, à savoir le fait de voir et de
dire les choses en face justement afin d'arrêter le massacre et de
changer positivement les choses. Car, 2ème argument, en cette
dernière matière d'un changement positif, seule l'écologie peut
se prévaloir actuellement d'avoir des valeurs généreuses pour tous
et d'être outillée pour les atteindre. Je pense en particulier
à la durabilité qui impose de rechercher la satisfaction de
critères économiques, sociaux et environnementaux ; je pense
aussi à la pensée systémique, complexe certes mais si
enthousiasmante et la seule adaptée à la complexité du monde, du
réel, des interactions tant dans les écosystèmes que dans les
secteurs où telle ou telle politique interviendrait. Qui, oui lequel
des mouvements précédemment mentionnés, entre les idéologies
politiques et religieuses, l'idéologie tout aussi idéologique du
marché laissé à lui-même, oui lequel s'est montré performant
pour la communauté de tous les êtres vivants ? Qui s'est
montré adapté au problème ou en a plutôt engendré un pour, au
passage, se présenter ensuite comme la solution (technique du
pompier-pyromane)? Oui, qui est du côté du problème plutôt que de
la solution ? Après ça, si l'écologie trouve encore à être
disqualifiée politiquement et en plus taxée de fasciste, eh bien
c'est par pure méconnaissance historique ou par suspecte mauvaise
foi. Il faut arrêter de tout mettre sur le même plan et bien
voir qu'on doit à ce mouvement ce qui nous sauvera peut-être et est
d'ailleurs adroitement récupéré ci et là. Ici encore c'est de
bonne guerre. On sait très bien que toute innovation sociale est
d'abord portée par une minorité d'individus qu'on dira
« conscients » qui dédie temps et compétences à
structurer la pensée, à la diffuser de telle sorte qu'ensuite un
mouvement social de revendication peut apparaître, se traduire
ensuite en succès politiques puis en politiques publiques. A titre
d'exemple, la Révolution Française, ça a été ça, la lutte pour
les droits civiques aux Etats-Unis aussi et le combat féministe,
même écoféministe aussi. Donc maintenant il s'agit de prendre
acte du caractère révolutionnaire de l'écologie et qu'elle essaime
partout, à l'image des mouvements indubitablement progressistes
mentionnés ci-avant.
Bon,
une fois qu'on a un peu rétabli l'équilibre pour une juste vision
des choses, reste l'épineuse question du comment de la Transition
et de la part de non moins juste contrainte qui lui est
nécessairement associée. Car tout le monde s'accorde à la fois
sur la nécessité de cette Transition et sur le fait que non, elle
ne se fera pas toute seule et oui, il va falloir faire un certain
nombre d'efforts. C'est bien dommage mais c'est ainsi, il nous
revient à nous qui n'y sommes pour rien de nettoyer les écuries
d'Augias des générations précédentes, singulièrement de la
précédente qui, hormis quelques éléments isolés, n'a fait que
contribuer à l'aggravation de la situation. Je pense à tous ceux,
complices ou inconscients, qui se sont jetés dans les miasmes de
l'hyper-consommation en échange de leur (et de notre) aliénation.
Je pense plus encore à de véritables dangers publics comme par
exemple l'ex-président américain qui appartient précisément à
cette génération et n'a fait de par ses activités professionnelles
et politiques que faire pencher dans le mauvais sens. Et il continue
en soutenant le lobby des armes qui le soutient aussi... jusqu'à une
réélection ? Je pense enfin à ceux, plus jeunes, qui
n'appartiennent pas biologiquement à cette génération mais sont
câblés comme elle, tous ces plénipotentiaires des réseaux sociaux
qui ne rêvent que de colonies dans l'espace. Et d'ailleurs, comme ce
sont les plus riches de la planète, ça tombe bien parce que comme
ce sont eux qui polluent le plus, eh bien la fameuse contrainte de la
Transition bien sûr que c'est eux qui devraient/devront la porter
plus que les autres. Je dirais même qu'outre l'obligation éthique
qu'ils auraient dû intérioriser s'ils étaient des êtres humains
dignes de cette dénomination, ils devraient/devront utiliser toutes
leurs formes de capital matériel et symbolique pour coopérer, voire
être moteurs dans la Transition. Vaste sujet. Je vous imagine
perplexes et souriants en lisant ses lignes tout comme je le suis
moi-même, dans le style « c'est le quart d'heure d'utopie, ça
lui passera ». Or non, ça ne me passera pas tout simplement
parce que « ça » ne peut ni ne doit plus passer, on a
perdu bien trop de temps et c'est exactement ce qui explique que ce
pose la question de la contrainte avec tant d'acuité. Car
franchement il faut arrêter de rigoler et de se foutre de la gueule
du monde : si on avait écouté ceux qui tiraient déjà la
sonnette d'alarme dans les années 50, c'est-à-dire au moment même
où le système prédateur et destructeur actuel s'intensifiait (voir
l'agro-chimie, fruit des « progrès » de la guerre...), a
fortiori lors des chocs pétroliers à l'aube des années 70, on n'en
serait certainement pas là. Les objections et les alternatives
étaient déjà là, bâties par de très sérieux architectes et
autres urbanistes. La vérité est qu'entre la masse molle occupée
à jouir et ceux occupés à jouir et à défendre leurs intérêts,
autant dire à mener le monde, rien, mais rien n'a été fait. Et
le pire est que ça continue. Nous n'en sommes qu'au début d'une
faible prise de conscience pour atteindre justement un autre niveau
de conscience... alors vous imaginez ensuite le parcours, bien
évidemment semé d'embûches et d'habiles contre-temps, jusqu'à une
révolution pleine et complète. Comme on dit dans le Midi : on
n'est pas arrivés. Il serait même temps de démarrer, démarrer
vraiment, loyalement, méthodiquement. Et cela commence par affronter
cette question brûlante de la contrainte, autant dire le mode
d'emploi de la Transition.
Et
dans ce domaine, ce qui me plaît et me rassure, c'est que je ne suis
pas la seule à parler cash. Ce qui me plaît et me rassure encore
plus, c'est que cette question est abordée par des gens très bien,
des experts, donc des personnes peu disqualifiables comme le sont si
facilement et malhonnêtement les militants bénévoles. Là,
face à eux, ça lève moins le nez et ça rigole moins. J'en veux
pour preuve les affirmations fermes car fondées de personnes dites
« autorisées » de par leurs compétences dans un
domaine précis, en l'occurrence celui de l'agriculture et de
l'alimentation qui, comme vous le savez, est le point de
focalisation de LocoBio. La situation dans ce domaine n'est pas
brillante pour au moins 3 raisons : il existe un problème
massif de malnutrition qui ne se limite plus « seulement »
à de la sous-nutrition mais inclut désormais tous les problèmes de
surpoids ; les systèmes alimentaires ont un impact croissant et
négatif sur ce que l'on appelle « l'environnement », que
l'on songe par exemple à la catastrophe écologique en Bretagne liée
à l'élevage industriel ; enfin, la pandémie et la guerre en
Ukraine montrent bien que tout le système d'approvisionnement est à
revoir pour assurer la sécurité alimentaire. En clair, ce dossier
est non seulement important, urgent et une résolution satisfaisante
dépend beaucoup des actions entreprises, une grande marge de
manœuvre existe pour une action politique au sens le plus large.
Toute une panoplie d'outils existe, parmi lesquels la contrainte
et non pas seulement le fait d'encourager, de suggérer, d'éduquer...
et de renvoyer le citoyen-consommateur à ses éternelles
responsabilités alors que les vrais décisionnaires continuent leur
travail de sape sans vergogne. A la suite, je vous propose donc
une série de mesures qui s'inscrivent dans cette perspective
« dure » si on veut continuer à considérer que sont
« durs » les partisans de prendre en compte le réel, à
savoir les limites de la planète et les nôtres en tant qu'êtres
humains demandant tout sauf d'être augmentés. Il ne faut pas
être naïfs : ce domaine s'inscrit particulièrement dans un
champ de forces et bien sûr il faut en passer par les règles et
bien sûr il faut les changer ces règles.
-
D'après
l'expert scientifique des forêts, des arbres et de l'agroforesterie
Alexandre Meybeck interrogé dans le cadre d'une formation que j'ai
récemment suivie précisément sur la résilience alimentaire, sur
les dispositifs pouvant inciter le secteur privé à prendre
en compte les incidences sur l'environnement voici les 3 leviers
principaux :
Réorienter
les politiques et les subventions agricoles pour optimiser
l'utilisation des ressources naturelles, accroître la diversité
dans les champs et les paysages, faciliter l'agroforesterie et
réduire la déforestation.
Utiliser
les marchés publics, notamment pour l'alimentation dans les
écoles, pour promouvoir la consommation et la production
d'aliments plus diversifiés et issus d'une agriculture durable,
plus de fruits et de légumes.
Améliorer
les environnements alimentaires pour encourager la diversité des
régimes alimentaires et faciliter les choix écologiques des
consommateurs par une fiscalité adaptée, soutenir les
marchés locaux, les approches paysagères et les politiques
alimentaires locales.
-
Dalia
Mattioni, associée de recherche (projet Foodtrails) à l'Université
de Cardiff, résume ainsi la manière dont les mesures
environnementales de vente au détail et autres mesures
réglementaires pourraient servir de base aux interventions visant à
améliorer l'environnement alimentaire en vue d'une alimentation
saine et durable. Selon elle, Il existe 3 séries de mesures
utiles pour changer l'environnement de l'alimentation de détail :
-
Augmenter le nombre de points de vente qui vendent des
aliments riches en nutriments, tels que des fruits et légumes
frais et modifier les règles d'urbanisme pour introduire des
marchés de producteurs dans les zones à faibles revenus en
est un exemple.
-
Réduire l'exposition et l'accès aux points de vente qui vendent
surtout des aliments à forte densité énergétique et pauvres
en nutriments. Cela s'est fait principalement par le biais du
zonage, un outil qui a été peu utilisé et qui s'est
concentré sur la restriction des points de restauration rapide
autour des écoles.
-
Changer l'offre dans les points de vente de nourriture, par exemple
en veillant à ce que les restaurants proposent des options plus
saines dans leurs menus ou en exigeant que les petits magasins
stockent un minimum de fruits et légumes frais.
-
L'étiquetage
pour informer sur la valeur nutritionnelle des produits peut
lui aussi jouer un grand rôle et ce n'est pas un hasard si, au
Chili comme en France pour ne prendre que ces deux exemples, il a
systématiquement fait l'objet de résistances acharnées de la part
des acteurs de l'industrie agroalimentaires et n'a vu les choses
évoluer en mieux très souvent que grâce à des consommateurs
rassemblés en mouvements faisant ensuite pression sur les
institutions. A ce sujet, vous pouvez consulter avec profit les
références suivantes :
https://www.researchgate.net/publication/358008808_A_description_of_Chilean_food_and_nutrition_health_policies/link/61eb0fe05779d35951c43960/download;
https://seronet.info/article/nutri-score-85217
En
définitive, ce qui ressort de tout ça est que certes on ne peut pas
dire que rien n'est fait, que rien n'est proposé, mais le fond du
problème est que ce n'est pas à la hauteur des enjeux et que
cette hauteur augmente au vu de la pression liée au temps qui manque
désormais pour réaliser la Transition. D'où l'idée de
contrainte nécessaire et que l'on ne se méprenne pas :
elle n'est pas antinomique avec le participatif (un peu trop
mis à toutes les sauces car devenu marketing), les mesures
mentionnées ci-avant étant tout à fait compatibles avec un
processus décisionnel démocratique. Cependant, il ne faut
pas non plus se leurrer : ce processus est lui-même
chronophage... donc comment fait-on avec ce paramètre temporel qui,
décidément, tel un problème non résolu dans une ancienne vie,
retape à la porte, se met au devant de la scène et exige sans
détour une réponse ?
Au
terme de cette réflexion, j'espère avoir bien fait sentir que
l'acceptabilité sociale c'est bien, mais franchement, s'en sortir
c'est mieux. Des objections, votre honneur? ;)
Citoyennement
vôtre,
©Yolaine
de LocoBio,
Juin
2022
|