Chronique
157
Au
pied du mur
Une
catastrophe n'est jamais sûre et on peut toujours croire les
optimistes et pourquoi pas les partisans d'un certain laisser-faire
cosmologique. C'est vrai, ayons foi et on ne sait pas si le ciel nous
aidera mais tout devrait bien se passer. On peut toujours adopter
cette position surtout en des temps où la peur, excessive et
paralysante, habilement cultivée pour cacher une inaptitude à
régler les vrais problèmes, s'étend de plus en plus en maîtresse
des esprits et se confirme propice au repli. Inutile de dire que
cette posture constitue la catastrophe dans la catastrophe car rien
ne se règlera sous le signe du repli, qu'il soit oeillères
intellectuelles ou campements sur des positions surannées,
inadaptées aux enjeux du vivant dont nous faisons évidemment
(jusqu'à nouvel ordre) partie.
Donc
la catastrophe n'est jamais sûre, cela il faut s'en convaincre de
manière générale sans céder à trop de naïveté. Mais il faut
surtout s'en convaincre en ce moment qui se confirme comme un cas de
force majeure dont on aurait cru, bien sûr voulu, se passer. Car on
peut dire qu'on cumule. Personnellement, je n'ai jamais pensé que
tout était parfait, que tout était acquis, bref que le super-monde
déjà en profonde déroute quand je suis née dans les années 70
était ce qu'il prétendait être et qu'un revers, sur cette
décrépitude masquée éclatant aujourd'hui au grand jour, n'était
pas possible. Tout est toujours possible, à commencer par la
régression car au fond, même si on voudrait écarter cette triste
et folle hypothèse, c'est celle qui s'impose avec de plus en plus
d'acharnement depuis quelques années. Tout s'accélère, les
contractions deviennent de plus en plus massives et douloureuses pour
qu'advienne enfin un monde nouveau, meilleur car plus écologique et
plus juste, plus écologique tout court car l'écologie a pour
fondement même une relation équilibrée, réaliste, avec soi, les
autres, tous les autres, humains et non-humains. Tout s'accélère
donc et les vents sont plus que jamais contraires. Pensez : déjà
il y avait beaucoup de résistance pour changer de paradigme, sortir
de l'ultra-libéralisme et de son carnage de prédation multiforme.
Déjà il y a des choses qui ne tournaient pas rond et certaines
désillusions comme l'Europe peinant à se faire plus démocratique
et sociale. Mais à la limite, à l'époque, il y avait encore la
liberté de circulation, l'espoir d'une citoyenneté commune ouvrant
à de la fluidité. Puis la pandémie, dommage, curieux en cette
époque-tournant où justement il aurait fallu vite bifurquer, donc
la pandémie est arrivée avec son cortège de basculement dans le
numérique et surtout de promesses non tenues, même revues et bien
sûr à la baisse ; autant dire carrément l'enfermement des
corps dans notre propre République et, tiens tiens, les frontières
qui reviennent dare dare, tous ces murs qui se hérissent juste au
moment ou au contraire il fallait penser et agir large, très large.
Et maintenant la guerre. On m'objectera que je suis une occidentale
chanceuse, que la guerre aux portes de l'Europe on va quand même pas
en faire tout un plat parce que c'est hypocrite car la guerre avait
lieu pendant toutes ces décennies partout dans le monde et même
qu'on pouvait s'y attendre vu les avancées laissées sans réaction
de l'actuel agresseur d'un petit pays laissé sans défense réelle.
D'accord, ce n'est pas faux, sauf que l'occidentale en question n'est
pas restée les bras croisés, elle a essayé de faire à son
échelle ce qu'elle pouvait et elle est profondément choquée de
voir que ça empire chaque jour. Honnêtement, puisque c'est de moi
qu'il s'agit et même si je suis je pense assez lucide, jamais je
n'aurais imaginé une telle dégradation possible, si vite. On est en
pleine et totale régression, pour le dire vulgairement « ça
chie vraiment de partout ». Comment tolérer de voir ces images
de printemps confisqué avec toutes ces personnes forcées à l'exil,
ou alors celles qui ont raison de rester et qui, vieillards comme
enfants, sont bombardés jusque dans leur modeste appartement et leur
hôpital ? Comment s'habituer à voir tous ces champs dévastés,
ces arbres brûlés, ces mines qui mettront des années à disparaître
au profit de semences ? Comment accepter que la folie l'emporte,
tout simplement, car quelles sont les raisons ? Et
surtout, comment laisser faire, laisser continuer ? Ne
sommes-nous pas fous, nous, dans cet Occident qui demeure privilégié
quoique de plus en plus impacté (et c'est tant mieux car rien ne
bougera sans cela), oui, nos gouvernants ne sont-ils pas dingues de
ne pas se mobiliser pour stopper net cette boucherie? Que se
passe-t-il ? Qu'est-ce qui nous tient ou plutôt qu'est-ce qui
les tient, qu'est-ce qui empêche d'arrêter de laisser filer chaque
jour et chaque jour passant la preuve est donnée que oui, on peut faire
du mal sans vergogne, sans aucune conséquence. Cela, cette attitude
d'atteinte au vivant et celle, qui la vaut quasiment, de ne pas
réagir fermement, cela n'est clairement plus possible. On voudrait,
moi la première, voir le monde non binaire, appréhender les choses avec
modération. Or il faut admettre que dans certains cas, et c'est le
cas en ce moment avec toute cette accélération de vents contraires,
non, les nuances sont impossibles et même pire : elles sont
nuisibles car oui c'est la guerre mais la vraie, mobilisation
générale, claire et sans faille pour préserver tout simplement la
vie.
Sur
ce fond envahissant de sombre actualité envahissante, que retenir
d'initiatives attestant à l'inverse de notre indiscutable
créativité, de notre inaliénable capacité à comprendre et à
agir positivement ? Je dirais qu'une fois de plus elles sont
légion (pacifique) et méritent toutes notre plus vive attention. Ce
qui me frappe toujours, d'où d'ailleurs une des vocations des
chroniques qui est de les valoriser via le site de LocoBio, c'est
combien elles sont donc nombreuses mais aussi éparses et trop
discrètes. En effet, on ne peut pas dire qu'il ne se passe rien sur
le front de la Transition, vrai et seul front qui devrait être
décrété et imposé au plus haut niveau des plus hautes instances
internationales, à commencer par l'ONU et l'Europe. Mais on peine à
s'y retrouver dans la multitude d'acteurs et d'actions, d'abord parce
que certains s'y sont engouffrés par opportunisme et donc la
Transition est mise à toutes les sauces, confondue parfois avec une
simple problématique de changement. J'ai ainsi assisté récemment à
un forum très sérieux dans des lieux prestigieux et disant œuvrer
pour « l'économie verte ». Franchement, on la cherchait
l'économie verte et il s'agissait plus d'étaler ses problèmes de
management, donc de changement mais au sens de changement habituel
pour toute entreprise. Le souci, et je l'ai encore bien vu à cette
occasion, c'est que parfois, souvent même, ceux qui font le plus en
matière de Transition sont trop discrets, ne savent pas communiquer,
sont même réticents à communiquer car ce serait -insulte suprême-
une « question d'ego ». Oui, bien souvent dans les
milieux progressistes j'observe cette confusion paralysante qui fait
qu'on fait mais on ne dit pas, on laisse cela aux vantards, ce n'est
pas bien de se mettre en avant. A croire qu'aucun enseignement digne
de ce nom tiré des années Trump n'a fait effet ! Car oui le
gros Donald est un de mes modèles, je l'avoue ! Pourquoi ?
Eh bien parce qu'il emmerde tout le monde et ne se pose aucune
question d'ego car l'ego c'est lui, c'est le monde, c'est
l'univers tout entier. Donc oui l'impérialisme est de bon ton et oui
il faut en prendre de la graine pour cesser trop de discrétion. Cela
dit, voici ce que j'ai retenu pour vous ce mois-ci :
Je
commence par un événement juste passé et on pourrait se demander
pourquoi j'en parle seulement maintenant. Pas de panique, c'est juste
que je ne peux pas tout capter à temps et que je me rattrape en
relayant ce qu'il y a de pérenne dans une action éphémère. Il
s'agit d'un festival écoféministe -il n'est pas le seul et,
heureusement, ils se multiplient-, le 1er du genre, organisé le
week-end dernier par la jeune Maison de l'écologie populaire
Verdragon en Seine-St-Denis, donc dans une partie de l'Ile-de-France
pas forcément la plus favorisée. Et c'est justement pour cette
raison que j'en parle car il est crucial, tant moralement que pour
des raisons d'efficience, que l'écologie ne reste pas cantonnée en
idées et en actes à une petite minorité privilégiée. Comme ils
l'expliquent bien : « Pour
relever le plus grand défi de l’histoire de l’humanité, pour
que notre avenir ne reste pas dans les mains des puissants, nous
bâtissons un point de ralliement, un espace de partage, un espoir
(…). Ce lieu dédié à l'écologie populaire est absolument inédit
en France. Il s'inscrit dans le prolongement d'un travail mené
depuis de nombreuses années par les militant-es des quartiers
populaires de Bagnolet et traduit la volonté partagée par
Alternatiba Paris et Front de mères de travailler à un projet
politique commun, alliant l’urgence climatique et les besoins de
justice, d’égalité, de dignité pour lesquels les habitants.es
des quartiers populaires ont toute légitimité ». Vous pouvez
les suivre sur https://www.facebook.com/verdragon,
sachant qu'ils n'ont pas manqué d'aborder la question alimentaire,
notamment en créant une Amap et en réalisant par ce canal des
activités de sensibilisation à un meilleur régime alimentaire pour
rester en bonne santé. Cette question a également été abordée
d'une manière fort pertinente lors du festival organisé
dernièrement puisqu'on s'est logiquement interrogé sur le lien
entre genre et façon de se nourrir, lien qui est de plus en plus
exploré en croisant études/problématiques de genre et
études/problématiques de la Transition écologique. En effet, si on
considère que tout ressort d'un même modèle d'exploitation
construit au fil du temps, alors il est à la fois possible et urgent
de le déconstruire en utilisant différents leviers dont celui de la
transition alimentaire qui, certainement a à voir avec lever le pied
sur la viande et une certaine vision de la virilité. Avis donc aux
volontaires non seulement de soutenir cette initiative mais
d'essaimer sur chaque territoire !
Plus
près de nous dans le temps et géographiquement, plus que jamais en
lien avec le vivant et sa préservation, je vous signale la venue de
Gilles Clément au jardin du Farou, dans les environs de Chambéry.
Pour une présentation de ce jardin favorable à la biodiversité et
à des exemples d'actions menées grâce à lui, autour de lui, en
particulier avec les acteurs publics locaux, voici un lien
intéressant :
http://www.cauesavoie.org/jardin-nature-en-ville-visite-jardin-du-farou-a-vimines.
Concernant la manifestation à venir, voici ce qu'en dit la Librairie
du bois d'amarante, librairie chambérienne indépendante qui sera
présente dans ce cadre à la fois magnifique et inspirant parce que
chargé d'une énergie vraie : Le thème de 'la préséance du
vivant' sera abordé pendant la conférence. La « préséance
du vivant', c'est admettre notre dépendance au vivant, reconnaître
le génie naturel et faire en sorte d'intégrer la source même de
notre dépendance - le monde végétal et animal - en priorité dans
les projets de paysage, d'urbanisme et d'architecture. Pour rappel et
pour vous convaincre si besoin, voici qui est Gilles Clément et ce
qu'on lui doit : paysagiste,
botaniste, entomologiste, biologiste et auteur, il est à l'origine
de plusieurs concepts qui ont marqué les acteurs du paysage de la
fin du XXe siècle ou le début de ce XXIe siècle, dont
notamment :
-
le
« jardin planétaire » ; nous vivons sur une
planète qui est ou peut être une sorte de jardin sans mur mais
néanmoins fini : l'enclos planétaire, qui n'est autre que la
biosphère, dans un monde spatialement et volumétriquement fini et
limité, occupé par des jardiniers plus ou moins bons et
responsables (l'humanité)
Ces
concepts découlent de l'observation qu'un paysage naturel n’est
jamais figé, que les espèces et les gènes doivent circuler.
Je
poursuis mon petit tour de recommandations par un voyage d'études
estival qui révèle la centralité de la thématique de la nature en
ville, propose un point et des solutions
(https://www.plante-et-cite.fr/specif_actualites/view/1054). L'argumentaire est éloquent et parlera à mes fidèles lecteurs car
nous sommes, un peu malheureusement puisqu'on préfèrerait ne pas
avoir à affronter de telles problématiques, en terre connue :
« L’urbanisation
est un phénomène marqué à l’échelle mondiale depuis plusieurs
décennies et qui devrait se poursuivre à l’avenir : selon l’ONU,
si 55% de la population vivait en zone urbaine en 2020, ce chiffre
devrait atteindre 70% en 2050. Les habitants des villes sont de plus
en plus nombreux à exprimer un besoin d’accès à la nature. Ce
phénomène s’est largement renforcé ces dernières années suite
à la crise sanitaire et aux confinements engendrés. Les villes vont
nécessairement continuer à se développer mais doivent s’adapter
et atténuer le changement climatique et ses conséquences. Le
végétal a une place de premier plan dans ce contexte, il contribue
à rendre de nombreux services écosystémiques aux habitants des
villes :l’agriculture urbaine remplit, entre autres, une fonction
nourricière ; la végétalisation ornementale participe notamment à
l’amélioration du cadre de vie et à la santé physique et
mentale ». Plusieurs temps forts sont prévus, parmi lesquels :
-
Participation
possible aux sessions des symposiums portant sur l’agriculture
urbaine et la végétalisation des villes
-
Tours
techniques – visites de sites d’intérêt sur Angers et sa
région, illustrant des projets d’agriculture urbaine et de
végétalisation
-
Rencontre
d’élus et d’experts du symposium pour des échanges
privilégiés
-
Symposia
proposés: Technologies et stratégies de production innovantes pour
des cultures durables en conditions contrôlées ; II
symposium international sur les villes plus vertes : Améliorer les
services écosystémiques dans un monde soumis au changement
climatique ; Avancées sur l’agriculture verticale ;
L’horticulture urbaine pour une sécurité alimentaire durable.
Il
est juste à espérer qu'une voie claire soit prise vers une
agriculture avec paysan et avec sol, sous le signe des low-tech, et
non pas l'inverse. Je précise juste car ce n'est pas toujours clair
et, sous le coup de la panique et de la récupération par des
acteurs économiques animés d'autres valeurs, le virage pris par la
nature en ville pourrait être celui du contrôle et non pas celui du
réensauvagement, donc d'un vivant un peu plus bridé, artificialisé,
en lieu et place d'un vivant retrouvé et dimensionné à sa juste
dimension, celles des vivants de tous les règnes.
Ensuite,
rien de tel que poursuivre les efforts d'(auto-formation) pour être
un acteur de la Transition en suivant à la rentrée les 12èmes
assises de la biodiversité, lesquelles ne manqueront pas de faire un
lien cher à LocoBio entre agriculture, alimentation et santé de
tous. Les inscriptions seront bientôt ouvertes et vous pouvez d'ores
et déjà vous faire une idée de l'importance de ce moment car :
« Les Assises, c’est plus de 40 ateliers, sur place et à
distance, pour faire avancer ensemble les grands sujets au cœur de
l’actualité, autour de grands parcours thématiques :
-
Agriculture et biodiversité
-
Aménagement des territoires et biodiversité
-
Résilience et adaptation au changement climatique
-
Mobilisation et sensibilisation de la société civile
-
Fiscalité et financements de la biodiversité
-
Protection et restauration des écosystèmes
L’édition
2022 sera de nouveau hybride : à la fois physique et digitale, en
combinant richesse de la rencontre humaine et intelligence de la
technologie. Les Assises, c’est LA rencontre de tous les acteurs du
monde de la biodiversité. Nous vous proposerons cette année
toujours plus de contenu innovant : 3 séances plénières, des
regards croisés, des formats collaboratifs, un speed-meeting, des
projections de documentaires…
Pour
la 2ème année consécutive, nous serons en direct et en duplex
depuis les territoires d'Outre-Mer avec les Assises Outre-Mer de la
Biodiversité, qui se tiendront en Guyane avec des débats croisés,
une programmation riche et diversifiée.
Plus
d'infos sur les ANB Outre-Mer à venir très prochainement.
Se
tiendront également pendant les ANB les 6èmes Assises nationales
des Espaces naturels sensibles, en faisant un rendez-vous privilégié
pour les élus et gestionnaires.
Nouveauté
: cette année nous proposons un parcours dédié aux entreprises
afin de les impliquer dans la démarche collective de préservation
de la biodiversité ».
Il
faut vraiment se réjouir que la biodiversité sorte enfin de son
image trop pittoresque de s'intéresser aux gentilles petites
abeilles et aux tout aussi gentilles petites fleurs, autant dire « l'environnement ». Vous me connaissez, comme à mon
habitude je caricature un peu mais c'est pour relever cette limite du
terme auprès du grand public qui ne voit pas toujours très bien en
quoi elle consiste et quel est le rapport avec l'écosystème dont
nous sommes tous partie prenante. Bien évidemment, le fait de
davantage associer les entreprises dans une démarche de préservation
et, rêvons un peu, de développement de cette diversité du vivant,
est à la fois le signe de temps qui changent mais aussi un bon moyen
d'accélérer le mouvement. Car bien sûr les acteurs privés ont à
voir avec la Transition et il faut embarquer tout le monde dans cette
dynamique de changement fertile.
Enfin,
s'il vous reste un peu de temps libre, pourquoi ne pas regarder si ce
n'est pas déjà fait le documentaire actuellement disponible sur
Arte et sinon en vod-dvd « On a 20 ans pour changer le monde.
Des fermes pour cultiver l'agroécologie ». Réalisé par
Hélène Médigue en 2018, il emplit d'espoir et munit de solutions
tangibles car : « Le mode de production
agricole actuel ne nourrit pas la planète, 60 % des sols sont
fortement dégradés et le constat est dramatique pour l'agriculture
à l'échelle planétaire. Mais des hommes et des femmes relèvent le
défi et démontrent que l'on peut se passer des pesticides et des
intrants chimiques pour toute notre alimentation. Un autre monde est
possible ! ».
Oui,
décidément, un autre monde est possible et à chacun de nous de le
cultiver.
Citoyennement
vôtre,
©Yolaine
de LocoBio,
Mai
2022
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