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Cogitations et actions
Chronique 155
30-04-2022

 

Chronique 155

Pourquoi la « question animale » est si centrale :

réponse de la philosophe engagée Corine Pelluchon

 

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Si Chambéry, ville des Charmettes si chères et fondatrices pour Rousseau, est bien le berceau de LocoBio, cela n'empêche pas et même au contraire d'aimables incartades en la ville de naissance de l'illustre philosophe : la splendide Genève. Or figurez-vous que cette cité est aussi un berceau, celui de la Maison Rousseau et Littérature (https://m-r-l.ch) qui propose diverses activités parmi lesquelles des cycles de conférences. A noter que vous pouvez tout simplement vous y rendre pour un bon café agrémenté d'une pâtisserie avant de suivre au 1er étage le « Parcours Rousseau » qui, dans la maison natale même de l'écrivain, vous initiera de manière plaisante à une pensée semble-t-il toujours plus d'actualité.

Une pensée bien vivante, tout comme l'édifiante rencontre organisée autour de Corine Pelluchon dans le cadre du cycle consacré à Rousseau et à la nature. Là, le thème était « La nature des animaux » et il était très logique de faire intervenir l'une de nos plus brillantes intellectuelles ne craignant pas de s'engager par ailleurs pour ladite « cause animale ». Elle a en effet beaucoup produit sur le sujet et enfonce le clou de façon une fois de plus magistrale avec son dernier ouvrage, Les Lumières à l'âge du vivant (Le Seuil, janvier 2021). Parmi ses publications regardant le sujet, on peut relever un constant intérêt qui s'est traduit par un effort non moins constant pour comprendre et faire évoluer (péniblement) les mentalités et les pratiques vis-à-vis des autres animaux (je les qualifie ainsi car, biologiquement, nous sommes des animaux). En voici donc quelques unes : Eléments pour une éthique de la vulnérabilité : les hommes, les animaux, la nature (Le Cerf, 2011), Tu ne tueras point : réflexions sur l'actualité de l'interdit du meurtre (Le Cerf, 2013), Manifeste animaliste : politiser la cause animale (Alma éditeur, 2017), Ethique de la considération (Le Seuil, 2018), Réparons le monde. Humains, animaux, nature (Rivages, 2020).

 

La rencontre, modérée par le traducteur, poète et également philosophe Martin Rueff, a été introduite par la lecture de deux brefs extraits dûs à Rousseau, l'un sur la pitié qui aurait une origine biologique et le second relatif au goût pour la viande qui ne serait en fait pas naturel. Deux extraits dûs cette fois à Corine Pelluchon ont suivi qui ont mis l'accent sur ce qui est en jeu dans notre relation aux animaux, à savoir la révision complète de notre relation de prédation au monde. Voilà donc pourquoi j'utilise les guillemets quand il s'agit du combat pour les animaux : c'est parce qu'en fait il s'agit de ce que l'on appelle aujourd'hui le combat écologique -ou Transition- et donc d'un changement de posture ontologique. Un second extrait posait la question de savoir si oui ou non les animaux avaient une histoire, celle-ci étant bien évidemment et malheureusement considérée comme l'apanage de la seule Humanité.

 

Les débats ont véritablement commencé lorsque Martin Rueff a demandé à l'intervenante principale mais également à l'historien Fabrice Brandli, invité pour l'occasion et entre autres auteur Des bêtes et des hommes. Présences animales, sociabilités hybrides (XVIème-XXème siècles), comment ils avaient rencontré la question animale. Corine Pelluchon a rapporté que dans son cas cela s'était fait en deux temps. Voici 20 ans, elle a cessé de consommer des produits d'origine animale pour son bien à elle et pour des raisons écologiques. Ensuite, de retour des Etats-Unis, elle visitait 3 fois par semaine des personnes dans des hôpitaux pour travailler sur la question de la vulnérabilité qui définit tout autant que la raison, le logos, la communauté humaine... même si cela n'est pas ce qui est le plus mis en avant. Et en rentrant chez elle, elle avait le sentiment d'oublier en traitant ce sujet une autre grande partie des vivants qui éprouvaient aussi cette vulnérabilité : les animaux. Elle dit donc avoir été littéralement kidnappée, embrasée par cette question et elle s'est donc mise à vouloir tout savoir sur la souffrance animale. D'où une traversée du miroir forcément éprouvante guidée par Lévinas et la notion de substitution, la responsabilité pour la responsabilité d'autrui. La question animale est ainsi devenue une question d'ordre moral avec une interrogation pressante sur ce que nous étions devenus à travers cette violence quotidienne "qui n'a pas de dimanche" infligée aux animaux. Selon elle, cette attitude est le miroir d'une Humanité qui a perdu son âme et elle s'en sent responsable contrairement à Lévinas qui, comme beaucoup de philosophes à l'époque, étaient encore très anthropocentristes et parlaient peu des animaux. Elle a donc éprouvé un traumatisme qui a modifié sa vie entière de façon, dit-elle, « pas très agréable ». Et d'ajouter à juste titre qu'il faut pouvoir porter cela chaque jour « sans haine face à ceux qui ne voient pas, ou ne veulent pas voir cette violence ».

 

A la remarque du médiateur disant qu'elle avait été préparée et était outillée pour quelque part « encaisser » ce choc et en faire quelque chose grâce à ses précédents travaux sur la considération, Corine Pelluchon a répondu par l'affirmative. Elle avait d'abord travaillé sur Léo Strauss, la critique de la Modernité et des institutions démocratiques. Elle a ensuite poursuivi et élargi en traitant du politique, des moyens pour améliorer la démocratie libérale par la prise en compte des biotechnologies et des dommages infligés aux écosystèmes, aux autres vivants et aux générations futures. D'accord avec la pensée d'un autre grand témoin engagé contemporain, Bruno Latour, elle a ambitionné et ambitionne toujours de refonder cette démocratie libérale malade d'un sujet porté aux nues, exclusivement humain et bien trop abstrait, coupé de toute corporéité et de toute la sensibilité qui en fait le constitue. Il ne s'agit donc pas de renverser le contrat social qui a permis tant de progrès notamment dans la lutte contre bien des injustices mais de le parfaire en passant un véritable cap anthropologique, certains diraient d'accéder ou du moins de mettre en pratique un stade supérieur de conscience altruiste. L'idée est bien d'avancer vers un modèle encore plus civilisé ( voir https://www.scienceshumaines.com/la-civilisation-des-moeurs_fr_13011.html, de Norbert Elias) au sens de moins violent et le moins que l'on puisse dire est que nous avons bien besoin de cette approche à une époque de pleine et totale régression (que l'on songe à la gestion politicarde de la pandémie avec enfermement, vaccination plus que contrainte via l'ostracisation produite par les divers pass, la télé-surveillance croissante lors des manifestations, et maintenant la guerre en Ukraine qui signe la défaite absolue de toutes nos petites avancées tant que rien ne sera fait de significatif pour l'arrêter, ah que le corps humain est lui-même bien maltraité).



Toujours sur la question de l'apparition de la question animale dans leur vie, Fabrice Brandli a répondu fort heureusement de manière honnête en évoquant son expérience personnelle. Je dis cela car bien souvent les intellectuels rechignent un peu à dire la vérité, plus d'ailleurs que les écrivains de fiction comme par exemple Colette au sujet de ses chats, comme si cela était justement la preuve d'une irrémédiable scission entre la vie des idées et la vie tout court, comme si une forme de légitimité académique était en jeu, comme si être sensible était un aveu de faiblesse douteuse. Signe on l'espère de nouveaux temps, il a donc parlé de son propre chien qui, bien que ne parlant pas comme nous, lui exprime tant de choses. Cela l'a rendu sensible à autre chose que le logos, notre parole si fétichisée (c'est moi qui rajoute:)), et l'a invité à s'interroger sur l'altérité et la traductibilité. Autant dire une expérience salutaire de décentrement et de déprise, expérience également essentielle dans sa construction en tant qu'intellectuel Le hasard a aussi joué un rôle car il a travaillé sur le Dictionnaire de l'utopie au temps des Lumières et s'est rendu compte que beaucoup de récits, de romans, étaient traversés par la question de l'animal, de ce qu'une société parfaite ferait aux animaux et réciproquement. Si les réponses proposées étaient diverses, cela lui a en tout cas permis de sortir de l'orthodoxie caractéristique de l'approche philosophique. En quelque sorte, le bricolage fictionnel lui a ouvert des horizons de modération dans la manière d'aborder un sujet bien bordé par une tradition philosophique dominée par la vision de l'animal-machine.

 

Le modérateur a poursuivi la discussion en posant la question de ce que l'animal, la question animale faisait à la philosophie et à l'histoire. Corine Pelluchon, dans le sillage de Plutarque, de de Fontenay et de Derrida, a rappelé combien la distinction abstraite entre animalité et humanité était aux fondements de catégories morales structurant notre société. Ainsi le « Tu ne tueras point » qui, comme c'est dommage, n'inclut pas les autres animaux et encore moins la guerre. Vraiment, quel hasard et quel dommage. Cela l'a amenée à marteler la centralité et le caractère stratégique de la question animale car le sujet demeure trop pensé en fonction de cette distinction entre êtres dotés de dignité et d'autres non. La violence légale et cachée infligée aux animaux massivement dans les abattoirs renvoie l'image d'un modèle de société dont on voit aujourd'hui les limites, ne serait-ce parce que les salariés de ces entreprises ne sont pas logés à une enseigne glorieuse (voir https://www.babelio.com/livres/Ponthus--la-ligne--Feuillets-dusine/1099039). De fait, la question animale n'est donc pas un îlot éthique mais bien une question stratégique qui interroge notre modèle dit de développement, de ce que nous sommes devenus et surtout de ce que nous avons accepté de devenir car la science a mis en évidence des réalités connues, indéniables, comme celle de la sensibilité des animaux. "On sait que ce ne sont pas des machines et pourtant on les traite ainsi". Ceux qui acceptent cela scindent leurs émotions, stratégie de défense qui défend dans un premier temps mais qui n'empêche pas d'avaler en réalité du mal. Selon elle, il y a une prise de conscience collective qui la rend optimiste après une période visiblement plus sombre et désespérée. Il s'agit donc maintenant d'en finir avec toutes les contradictions qui tapissent notre quotidien, que l'on ne vit d'ailleurs pas forcément bien au fond, d'arrêter de s'amputer nous-mêmes et de conjuguer à la fois pitié et justice. Il faut donc promouvoir des solutions concrètes contre l'exploitation animale.

 

Sur les relations entre histoire et animaux, à la question un brin provocatrice du modérateur selon laquelle les animaux n'auraient pas d'histoire, Fabrice Brandli a quant à lui tout de suite réagi en mettant -c'est le minimum en Suisse;)- les pendules à l'heure : la même chose a longtemps été dite au sujet des femmes ! Et de souligner l'importance de faire un effort, le décentrement toujours et encore, et de vouloir chercher ailleurs les traces de cette histoire d'autres vivants. C'est sûr, si on compte sur les archives d'Etat rédigées par des hommes blancs, il y a peu de chance d'avancer (c'est encore moi qui rajoute). Et comme pour les femmes, on a peu de chances de trouver des réponses à cette question dans le mainstream, question authentique qui nous dit beaucoup, plus globalement, sur la construction occidentale de l'altérité. Il faut donc plutôt chercher du côté d'études longtemps jugées mineures comme celles consacrées aux femmes et aux queer. Le rôle de l'historien est de déconstruire le processus d'animalisation (songez au corps féminin et aux traités de médecine lui étant relatifs), de sortir de manière salutaire une pensée enfermée et enfermante, de promouvoir des modèles alternatifs à la manière de dominer un Autre animalisé. En regard de cette perspective, Corine Pelluchon a abondé en citant un texte de Lévi-Strauss au sujet de l'amour-propre fondateur de l'Humanité et signal d'une séparation regrettable entre le nous humain et les autres êtres vivants. « L'humain s'est pensé comme un empire », a-t-elle judicieusement résumé, même si certaines voix discordantes ont de longue date tempêté contre ces affirmations se voulant aussi scientifiques que dogmes irréfutables. On pense à Plutarque, Montaigne, Condillac. L'enjeu est donc bien de s'en inspirer pour promouvoir désormais un nouvel humanisme qui est précisément l'objet de son dernier ouvrage sur les Lumières à l'âge du vivant. Elle a bien souligné par ailleurs la spécificité du combat pour la cause animale (et donc le plus grand enjeu qu'il y a derrière, on l'aura compris) : c'est que contrairement à celui mené par et pour les minorités humaines du type minorités sexuelles, de genre, de couleur, sociales comme les plus démunis, il règne une asymétrie profonde dans la mesure où les animaux, eux, n'ont pas la parole. Dans le sens où il faut se battre pour leur en donner, leur conférer des droits alors qu'ils ne peuvent pas s'exprimer de la même manière que nous, humains. Il faut donc qu'une minorité d'humains se charge de convaincre la majorité (pour l'instant) de leurs congénères de la nécessité d'intégrer dans une communauté vraiment commune les intérêts des animaux. Elle a manifesté du scepticisme par rapport aux approches basées sur des catégories strictement humaines comme la citoyenneté qui suppose la conscience d'appartenir à une communauté politique, par essence construite d'une manière bien particulière. Le débat n'est selon elle pas vraiment là et peut même s'avérer contre-productif pour promouvoir les animaux comme sujets politiques. Il s'agit donc d'être des sortes de traducteurs et d'agir devant nos semblables. Tel est la spécificité du défi lié à la cause animale.

 

Face à cet horizon, le médiateur a évoqué la réelle difficulté de faire entrer les animaux en politique, des inconnues et des risques de parler en leur nom. Question d'ailleurs traitée parmi d'autres dans Le manifeste animaliste qui envisageait justement les moyens de politiser la cause animale car cela ne va pas de soi, comme tout combat de cette ampleur. Et de citer le chapitre 9 relatif aux conditions d'une politique des animaux, bien sujets politiques mais pas citoyens. Corine Pelluchon a commenté et explicité ce qu'elle avait entendu par là, à savoir le fait de ne plus voir les animaux comme des objets passifs. Une voie pour parler en leur nom est bien de partir de leurs besoins éthologiques (comme celui d'étendre ses ailes pour une poule). Cela aide à fixer des limites (si ça c'est pas LE sujet, les limites!) à notre bon droit sur les animaux. Il convient aussi de prendre en compte leur individuation car oui, il y a quelqu'un, il y a une personnalité derrière chaque animal. Chacun d'entre nous sait bien qu'un animal a ses têtes, ses préférences. En outre, les animaux doivent -comme nous finalement- avoir accès aux ressources commandées par leurs besoins essentiels. Tels sont donc les bases des droits conférés par nous aux animaux, des droits donc pas anthropocentriques même si anthropogéniques car issus de l'espèce humaine. L'enjeu est conséquent car il s'agit finalement de mettre en conformité la justice, le droit avec la communauté de fait mixte que nous formons avec les autres animaux. Il s'agit d'instituer des compromis pour édifier des règles correspondant à des intérêts conjoints. Concrètement, cela signifie ne pas manger ou se vêtir à partir d'animaux si le besoin essentiel est absent chez nous, « faire son bien avec le moins de mal possible aux animaux ». Cela renvoie bien sûr à tout un style de vie qui ne se pose pas tant de questions et c'est bien là le problème alors que la philosophe pose bien la limite d'une nécessaire auto-défense en cas d'attaque d'un ours. On serait tenté d'ajouter qu'entre l'horreur du massacre quotidien d'êtres qui ont tout autant le droit que nous de vivre et cette situation rarissime du besoin de se défendre pour sa  survie, il y a de la marge et c'est précisément toute cette marge qu'il nous appartient d'explorer et de baliser en vue d'améliorations pour toutes les espèces. Toujours selon la philosophe, nous vivons de par les enjeux énoncés un moment à la fois terrible et très porteur. Et il ne faut pas confondre évolution de notre manière de percevoir la « Nature » avec la tyrannie du Bien qu'elle estime parfois confuse.

 

Pour revenir aux utopies du 18ème siècle, la question a été posée par l'animateur à Fabrice Brandli d'une éventuelle dimension politique, déjà, de la question animale. Celui-ci a répondu par l'affirmative et a rappelé l'obsession pour le végétarisme. En particulier chez Rousseau pour qui le carnisme était signe d'une dénaturation de notre nature initiale... ce que Sade a contredit, on s'en doute bien. Il a mis en avant la proposition du philosophe heureusement assez médiatisé Baptiste Morizot concernant l'approche en termes diplomatiques à avoir avec les loups et, au-delà, avec les autres espèces animales. Car avec ces animaux, deux pièges existent, à éviter : celui de l'élimination car ce ne serait qu'un prédateur. Mais aussi celui de la sanctuarisation car cet animal bouge et n'est donc pas -on en revient aux besoins éthologiques comme ligne de démarcation et d'action- sanctuarisables. Et de rappeler les votations qui ont eu lieu en Suisse sur les tirs contre ces animaux, refusés mais grâce aux villes qui ont voté "non" face aux campagnes... Ce qui ne va pas sans rappeler un certain décalage on dira culturel également opérationnel en France. On voit bien dans ce cas que les intérêts des espèces -loups et humains- peuvent être divergents et il s'agit donc de faire communauté en un sens malgré tout.

 

Au chapitre des solutions, l'animateur a souligné le caractère progressif et dialectique de celles proposées par Corine Pelluchon, à l'opposé de la violence qui peut d'ailleurs s'exprimer à travers ladite tyrannie du Bien. Le nouvel âge auquel travailler allie souci écologique et cause animale. Ils ne sont pas contraires à l'humanisme ou encore à l'esprit des Lumières. Je dois dire avoir réagi en posant une question au sujet d'une certaine légitimité de la violence, le système de domination toxique qu'il faut renverser étant lui-même très violent et l'époque voulant que la violence -à commencer par certaines images diffusées par des associations comme L214- marque plus les esprits et puisse participer d'une stratégie gagnante pour faire avancer vraiment, un peu plus vite, les choses. Corine Pelluchon n'a pas abondé dans ce sens, considérant qu'en des temps où une menace assez absolue comme la menace nucléaire rôde, il ne fallait pas considérer que la fin pouvait justifier les moyens, donner en quelque sorte le signal de bénéfices attachés à une escalade. Cela ne l'a pas empêchée, en connaissance de cause puisqu'elle dit avoir participé à de nombreux groupes de travail en particulier avec des directeurs d'abattoirs, de reconnaître l'apreté des luttes actuelles et la puissance des lobbies. Elle a cité certaines victoires dans le monde de la mode (Gucci, la fourrure) et auprès de la Ministre actuelle de l'Ecologie contre l'utilisation des animaux sauvages dans les cirques moyennant du dialogue et une progressivité des mesuresqui n'empêche pas la radicalité des objectifs (elle est abolitionniste). Le défi est bien de construire patiemment un consensus. J'ai aussi réagi à la responsabilité spécifique de l'Occident, souvent et à mon sens à tort pointé comme unique bourreau des animaux même si via le capitalisme mondialisé il a une part certes écrasante de responsabilité. Or le capitalisme n'est que prédation de tout et pas que des autres animaux, de tout ce qui est réduit à une ressource, des végétaux aux minéraux en passant par bon nombre d'humains. Donc on imagine et on constate à l'échelle du globe ! Mais tout de même, cherchant à progresser sur le sujet, il me semble toujours erroné de comme démoniser l'Occident et, peut-être en creux, d'idéaliser des ailleurs dans le temps et dans l'espace alors que d'autres cultures s'avèraient/ent aussi cruelles. Tout le monde n'est pas animiste ou dans cette perspective transversale, conscient et s'essayant à de la bienveillance, du moins à une gestion intelligente de son écosystème comme le suggère d'ailleurs bien l'exposition actuelle également à Genève au Musée d'Ethnographie intitulée « Injustice environnementale. Alternatives autochtones » et comme n'a cessé de le mettre en avant l'anthropologue Philippe Descola. A cette objection, Fabrice Brandli a mis en avant un trait malgré tout spécifique de l'Occident, à savoir le partage (comment ne pas l'estimer névrotique et sans aucun fondement?) entre la Nature et la Culture, donc entre les non-humains et les humains. De ce partage a ensuite découlé tout un processus historique conduisant en permanence notre pensée à distinguer ce qui relève de l'un ou de l'autre. Cette hétéronomie particulière a des conséquences massives car elle favorise de longue date (Moyen-Age et zootechnie) une saisie des choses de la Nature comme terrain d'observation et d'expérimentation. Telle est l'ontologie occidentale qui, comme l'a relevé et même dénoncé Bruno Latour, relève d'une pure fiction dissimulant la persistance de fait de communautés hybrides. C'est-à-dire qu'en fait on vit beaucoup plus, on ressemble beaucoup plus aux animaux que ce qu'on veut bien croire, faire croire, raconter. Ah l'Humanité comme espèce fabulatrice, que Nancy Huston a bien eu raison de nous qualifier ainsi! Et c'est drôlement bien la fiction, ce n'est pas l'auteure que je suis qui va le démentir, sauf quand ça aboutit à une vraie déconnade en termes de rapport au réel et à tant de souffrances. A quand la fin de la grande dissociation qui nous mène par le bout du nez, entre représentations et expériences réelles ? Ce serait peut-être pas mal de cesser de nous amputer nous-mêmes d'une de nos dimensions et, partant, d'un de nos besoins essentiels. Corine Pelluchon a clos la discussion en manifestant le souhait de sortir de cette alternative occidental/pas occidental et, une fois n'est pas coutume, en appelant de ses vœux une approche par la positive. A savoir: oui, parler de l'Occident, mais alors pour montrer ses ressources en vue de promouvoir un nouvel humanisme. Et sur ce chemin, comment ne pas la suivre ?

 

Citoyennement vôtre,

©Yolaine de LocoBio,

Avril 2022

 
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