Chronique
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Le
chaos ou la vie...
et L'âge de faire à notre secours
Mes chers compatriotes et
non-compatriotes mais néanmoins amis, il ne vous aura pas échappé
que les temps sont un peu sombres et on espère bien qu'ils ne vont
pas encore s'obscurcir. Avant -comme cela est d'usage dans ces
chroniques- de m'orienter vers le positif et le concret de la
Transition, je voudrais tout de même revenir sur les élections
présidentielles en cours dans notre cher et auguste pays. Car bien
évidemment le résultat, de même que celui des législatives en
juin, aura un rôle déterminant sur notre capacité à bifurquer oui
ou non. Or un nouveau rapport du Giec, publié en pleine campagne du
1er tour et relativement assez abondamment peu commenté par les
candidats, à la surprise des médias à force un peu quand même
effarés, est venu bien rappeler que nous n'y échapperons pas. Alors
que souligner dès à présent du lien entre la Transition et ces
élections ?
D'abord que les institutions ne sont pas tout,
l'action politique n'a pas qu'elles comme cadre, mais qu'à
l'évidence il y a un gros problème persistant en matière de
représentativité. Peut-on en effet longtemps avoir des dirigeants
qui, en réalité et du fait de l'abstention, ne représentent que
peu de voix et donc de facettes de la société ? Certainement
pas et, comme dans d'autres pays, envisager de rendre le vote
obligatoire tout en assurant une prise en compte des votes blancs
serait une piste sérieuse. En tout cas, en-dehors de nos ancêtres
qui doivent se retourner dans leurs tombes face à un manque de
respect pour leurs combats qui nous permettent aujourd'hui de voter, il y a
un réel souci de qui représente qui, qui parle au nom de qui...
surtout quand on a à la tête de l'Etat quelqu'un de plutôt
frimeur, à la mémoire courte sur ses conditions d'accession au
pouvoir et de totalement enfermé dans sa petite bulle d'enfant gâté.
Ce qu'il est permis de souligner aussi, c'est l'irresponsabilité
historique des forces progressistes tant au niveau social
qu'écologique qui, principalement pour des questions d'égo, n'ont
pas été foutues de faire une union à même de propulser un
candidat face au Président sortant. L'Histoire nous avait bien
appris pourtant, singulièrement en 1981, que SEULE une union de ces forces
était à même de permettre de peser sur le jeu politique, donc la
Transition. C'est clairement ce qui s'appelle être nuls et pire :
totalement irresponsables. Enfin, puisque malheureusement
l'irresponsabilité n'est pas la chose la moins partagée, il ne faut
pas se laisser une fois de plus impressionner et berner : c'est
clairement l'électorat de J_L Mélenchon qui va arbitrer l'élection
en cours. Après les 5 années que nous venons de passer en matière
de régression sociale, de progression écologique insuffisante et
d'Etat de droit en déclin, peut-on sérieusement penser que
quiconque donnera explicitement sa voix au Président actuel sans
aucune garantie de type accord écrit ? Tout le monde a décrié
sa manière autoritaire de gouverner, son refus de faire comme les
autres campagnes et s'interroge maintenant sur cette étrange
crânerie qui laisse à penser qu'il pense sérieusement qu'être bien
propre sur lui suffira. Je pense que c'est mal connaître la France et il
est de sa responsabilité et de celle de personne d'autre de cesser
les fanfaronnades aussi intolérables qu'inconsistantes. S'il veut
compter sur un front républicain, qu'il devienne enfin un vrai
Président de la République Française. Assez que cette République
et ses valeurs de justice soit galvaudées.
Heureusement, comme je l'avançais en
préliminaire, nous avons le journal mensuel L'âge de faire qui en
est déjà à son numéro 172 et se concentre sur de l'information
alternative et l'incarnation des alternatives tout court... autant
dire certainement une grande partie des abstentionnistes qui font
plutôt que d'attendre d'être plus ou moins mal représentés dans
le cadre des institutions de notre dite démocratie. Il est évident
que, comme il colle à l'actualité et à la société, lire cet
aimable canard n'est pas toujours d'une légèreté que l'on pourrait
légitimement appeler de nos vœux. C'est tendu, ça castagne
clairement sur plusieurs fronts, de la techno-surveillance via le
fameux compteur Linky aux relations de soutien réciproque entre
l'équipe gouvernementale actuelle et les chasseurs. Les sujets qui
fâchent sont légion mais quand je reçois chaque livraison, cela me
ranime car tout de suite ma curiosité est à nouveau stimulée et je retrouve
un peu d'espoir dans un monde qui a plutôt tendance à nous abrutir
de ce qui se présentent comme des informations et relèvent parfois
de communication, sont totalement négatives et, au final, ne
reflètent pas du tout la diversité de ce qui se passe sur le
terrain. Ah représentativité quand tu nous tient... D'où l'intérêt
d'avoir une démocratie en vraie bonne santé, ce qui signifie une
presse libre et diversifiée, laquelle ne vit pas d'amour et d'eau
fraîche donc oui, il faut la « soutenir » en acceptant à
nouveau la base : payer pour le travail que suppose une
information de qualité. Voilà pourquoi, avant de parcourir ce qui a
retenu mon attention ce mois-ci, je vous mets tout de suite le lien
pour vous abonner : https://lagedefaire-lejournal.fr/boutique.
Bon, je ne vais pas vous cacher que
le titre du dossier « Cap sur l'anarchie » m'a au premier
abord laissée un peu de marbre car tout le monde sait que les
expériences de cette absence supposée d'exercice de tout pouvoir
ont pour risque principal de glisser, au contraire, vers des
expériences de pouvoir abusif. La nature humaine étant ce qu'elle
est, il ne faut pas non plus concevoir trop d'illusions sur notre
capacité à arrêter de chercher à dominer. Cela étant dit, le
propre de l'Humanité ne serait-il pas justement de connaître ses
limites et d'essayer de les repousser pour la bonne cause ? Car
isoler les bonnes causes, cela semble du moins plus aisé, comme le
montre précisément l'article consacré p.10 à
Notre-Dame-des-Landes, à ce qu'il advient après l'arrêt du projet
d'aéroport et la sauvegarde de terres. Il est clair que les cadres
administratifs sont ici quelque peu « bousculés » mais
il n'empêche : un petit groupe agit pour cultiver ensemble,
réparer ensemble les outils, d'ailleurs avec l'aide de paysans
professionnels sensibles au fait de transmettre leur savoir-faire et de
contribuer à cette tentative de réappropriation globale. Un
autre article sur la même page décrit le mouvement de jeunes
urbains vers le monde rural car la ville, et singulièrement la
grande ville, apparaît de plus en plus clairement synonyme de
dépendance au capitalisme. L'interview mise en regard du philosophe
Aurélien Berlan à la faveur de la sortie de son livre Terre et
liberté complète bien le tableau car il nous interpelle sur la
notion, de ce que l'on nous vend derrière la notion de liberté.
Approche intéressante que celle-ci puisqu'elle nous amène à
prendre du recul par rapport au salariat et à ce qu'il nous permet
d'apparente délivrance par rapport aux nécessaires tâches de
subsistance. On cherche en effet à « gagner » sa vie
pour payer une nounou, une femme de ménage, un jardinier bref on délègue à
tours de bras et est-on pour autant plus heureux et surtout plus
libres ? Pas certain, d'où la proposition alternative
d'accepter d'en repasser par le fait d'assumer un certain nombre de
ces tâches au nom d'une liberté entendue comme « quête
d'autonomie contre le fantasme de la délivrance ». Il est
clair qu'à l'heure du développement, par exemple, des objets
connectés dont on n'a clairement pas besoin, il est permis de
s'interroger sur l'intérêt profond d'aller chercher un salaire hors
de chez soi et hors de soi pour acquérir des objets qui, en plus,
contribuent au flicage général qui s'installe sans bruit.
Ensuite, une contribution se fait
l'écho de la manifestation menée à Lyon récemment contre
Bayer-Monsanto à l'initiative du mouvement Les soulèvements de la
terre (https://lessoulevementsdelaterre.org).
Face à l'urgence de la Transition, l'option d'une écologie de
rupture est privilégiée par cette convergence de participants
venant d'horizons aussi divers mais complémentaires que les paysans
de la Confédération paysanne et les Faucheurs volontaires. En
clair, plus aucun crédit n'est accordé à une politique des petits
pas qui s'avère insuffisante et il faut passer à la vitesse
supérieure, donc à une certaine radicalité qui trouve son unique
source dans la résistance forcenée du système dominant actuel à
ne pas s'amender sur le fond (si cela est possible...). Contre l'accaparement des terres par
une agriculture productiviste, l'agroécologie et une approche en
termes de communs est martelée d'abord théoriquement et trouve une
nouvelle, énième illustration dans l'article p.15 sur les fermes
collectives. Un des avantages de ce genre d'organisation est de
travailler à plusieurs sans s'enfermer dans une spécialité
agricole, d'être interchangeable, ce qui permet à la fois d'être
utilement remplacé si on veut quand même prendre de temps en temps
des vacances (scoop ! Les paysans aussi, ceux-là même qui nous
nourrissent avec constance, ont besoin de se reposer et de voir autre chose!) et si
on veut rester en éveil grâce à l'exercice de sa curiosité. Où
on retrouve au passage l'association Terre de liens
(https://terredeliens.org)
qui, parmi ses multiples actions en faveur d'un usage sain du foncier
agricole, permet de mettre en relation des groupes de paysans
souhaitant se lancer ensemble et des points de chute potentiels.
Enfin, mention spéciale pour
l'information concernant la lutte hautement méritoire du collectif
de défense des jardins d'Aubervilliers
(https://www.jardinsaubervilliers.fr)
pour éviter le désastre de principe et la totale contradiction en
période de Transition, de relocalisation de l'alimentation, qui
consiste à véritablement lourder à coups de bulldozers des jardins
ouvriers là depuis bien longtemps. Tout cela, devinez un peu
pourquoi, au hasard pour le Grand Paris et les JO de 2024, autant
dire le grand dégueulis car il n'y a pas d'autres termes, de la
grande ville sur ses marges rendues telles et on se demande bien
fondamentalement au nom de quoi. Délégation, délégation quand tu
nous tient... (ré)appropriation, (ré)appropriation quand tu deviens
urgente à ce point. A noter, comme le font d'ailleurs les
journalistes du quotidien en ligne Reporterre, que la lutte est loin d'être finie et
que la vigilance s'impose
(https://reporterre.net/Les-defenseurs-des-Jardins-d-Aubervilliers-obtiennent-l-arret-des-travaux).
A propos de vigilance, je voudrais
terminer en revenant aux fondamentaux, à savoir un esprit brillant
et non résigné, en la personne d'Antonio Gramsci. Dans un texte
cinglant comme il savait en être l'auteur, il énumère les raisons
pour lesquelles il hait « les indifférents ». Je cite et
vous laisse sur cette flamme qui doit nous aider à y voir plus clair
mais aussi à nous réchauffer pour relever tous les défis à
venir : « Je hais aussi les indifférents en raison de
l'ennui que me procurent les pleurnicheries des éternels innocents.
Je demande des comptes à chacun d'entre eux : comment avez-vous
assumé la tâche que la vie vous a confiée et qu'elle vous confie
tous les jours ? Je demande : qu'avez-vous fait, et
surtout, que n'avez-vous pas fait ? Et je sens que je pourrai
être inexorable, que je ne vais pas gaspiller ma pitié, que je ne
vais pas pleurer avec eux. Je suis résistant, je vis, je sens déjà
battre dans les consciences viriles de mon camp l'activité des cités
futures que nous sommes en train de construire. Et dans ce camp, la
chaîne sociale n'épargne personne, et dans ce camp, ce qui arrive
n'est pas dû au hasard ou à la fatalité ; c'est l'œuvre
intelligente des citoyens. Dans mon camp, personne ne reste à la
fenêtre pour regarder un petit nombre se sacrifier et se saigner en
se sacrifiant. Et jamais celui qui reste à la fenêtre , en
embuscade, ne veut profiter du peu de bien que l'activité de ce
petit nombre peut apporter, jamais il ne défoule sa déception en
insultant le sacrifié, le saigné, parce qu'il aurait échoué dans
son intention.
Je suis en vie, je suis résistant.
C'est pourquoi je hais ceux qui ne résistent pas, c'est pourquoi je
hais les indifférents »
(Antonio Gramsci, Pourquoi
je hais l'indifférence,
Rivages poche, 2012, pp.58-59).
Citoyennement
vôtre,
©Yolaine
de LocoBio,
Avril
2022
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