Chronique
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Un
peu de légèreté et vive les lapins !
Ce n'est pas une
légende : s'informer et militer un tant soit peu pour faire
avancer la cause de la Transition écologique pompe quotidiennement
beaucoup d'énergie. Or, n'en déplaise à ceux que ça n'intéresse
pas ou qui sont clairement (et honteusement) contre, il faut tenir,
oui tenir sur la longueur... laquelle longueur on espère quand même
la plus courte possible vu l'importance et l'urgence des enjeux.
J'étais donc une fois de plus dans une librairie, à traquer les
nouveautés vraiment nouvelles au rayon écologie quand un livre a
attiré mon attention : Eloge du lapin,
de Stéphanie Hochet,
publié aux éditions Rivages. Mon premier réflexe fut de chercher
à, en quelque sorte, me ressaisir car j'avais en fait très peu de
temps pour descendre si bas, si près du sol, si près d'un animal
certes mignon mais qui avait sans doute très peu à voir avec les
grands et sérieux sujets qui m'occupent. Puis, heureusement, je me
suis vite ravisée ou du moins un pompon invisible et bienveillant
m'a rattrapée. Et je suis retombée dans le trou, tout comme l'a
fait Alice en son temps mais aussi une certaine Solveig qui est, on
dira, mon double dans un roman écrit par un autre de mes doubles
(vous me suivez?;)), Elena Varécy, roman totalement sous ascendant
lapinesque intitulé Un-je-ne-sais-quoi d'Anconina.
En même temps, retomber dans le trou comme en enfance, quand on voit
l'actualité consternante à pleins tubes, il y a plutôt de quoi.
Comme
moi, vous prendrez donc ce
délicieux éloge d'un non moins délicieux animal d'abord comme un
refuge. De douceur, de farce, de saine régression. Mais cet ouvrage ne se limite pas
à cela car, soigneusement documenté, il informe sur la bête en
question autant sur le plan vétérinaire que littéraire. On suit sa
propagation à la surface du globe comme dans notre imaginaire et son
omniprésence frappe à toutes les époques, sous toutes les
latitudes, dans son ambivalence puisqu'il est à la fois très
fragile et très fort grâce à sa malice, son instinct grégaire
mais surtout une formidable vitalité. Plaisante, sensible, juste
comme ne peuvent l'être que les réflexions nées d'une véritable
expérience de vie commune avec cet être divin si terrestre (et
inversement), la présente
réflexion n'invite pas seulement à le regarder d'un autre œil et à
s'insurger légitimement, au hasard et entre autres, contre les
élevages intensifs ou les cages ridicules sièges de leur misérable
claustration en tant que « NAC ». Plus largement et non
moins finement, l'auteure sensibilise à ce que l'on appelle la
« cause animale » car,
s'il s'agit de mieux connaître les autres vivants qui peuplent avec
nous la Terre, il s'agit aussi de mieux les respecter. Je sais, j'en
vois déjà qui se disent bof, oula, on voit le truc, du déjà vu,
quel ennui et patati et... oui, sauf que tant que ce message ne
passera pas, non seulement on continuera à mal se comporter
vis-à-vis d'eux mais aussi vis-à-vis de nous-mêmes car nous sommes
tous partie du même vivant. Car ce
dont il s'agit, c'est en fait de rapport de forces et de
réconciliation (ou pas,
grand ratage ultime à éviter). « Les animaux n'ont
pas de livre d'histoire qui constituerait le récit de leur espèce
(p.43) fait écho à une citation de Howard Zinn mise en exergue :
« Tant que les lapins n'auront pas d'historiens,
l'histoire sera racontée par les chasseurs ».
Où il est question du droit d'exister, d'espaces à chacun et
communs, d'éviter des réalités trop dysfonctionnelles ensuite
relayées par des récits aussi suspects qu'inutiles car reproduisant
des asymétries coupables. Bien sûr, la
terre, son juste usage et
son partage, retient l'attention mais c'est profondément d'altérité,
de notre capacité à l'accueillir, à s'en nourrir et à la nourrir
qu'il s'agit. Bien sûr plâne toujours la menace d'une garenne
toujours détruite car les lotissements lotissent et contraignent à
comme un éternel exil. Ce combat est un combat en soi car, sans
logis sûr, point de vie. Mais le défi est aussi d'une bien autre
nature, grave entre les graves, d'accepter un certain
désordonnancement du monde pour sûr plus sain que ce jeu avec le
vivant qui, déjà, a fait répandre volontairement la myxomatose
pour réduire à néant le décrété « nuisible » et en
finir avec le mode relationnel prédateur en tout qui,
fondamentalement nous entrave de peur. Sortir du « (…)
nous sommes tous de potentiels lapins, il suffit d'une mauvaise
rencontre » (p.123).
Je
sais bien, à l'heure de la guerre en Europe en Ukraine, à la veille
d'une élection présidentielle qui s'annonce comme il y a 5 ans
comme un hold up qui nous fera encore perdre du temps sous des airs
d'éternelle crânerie stérile, quand le passe vaccinal-honte
absolue des voleurs de République est annoncé bientôt levé mais
trop tard-le mal est fait, au moment d'une pleine et totale
régression que le GIEC n'a presque plus de mots pour qualifier... je
sais bien : quel sens cela a-t-il de consacrer une chronique à un livre sur
les lapins ? Ceux qui en ont ou en ont eu, qui ont su leur
accorder l'attention qui
seule pourra tous nous sauver,
eux savent mais ne s'accordent étrangement peut-être pas à la
norme du pouvoir. Alors je ne vois décidément qu'une solution :
que tous aient un lapin, évidemment adopté d'une association et
tant pis s'il faut, métaphoriquement ou non, à un moment donné
lâcher les tigres, enfin du moins les pompons.
Citoyennement vôtre,
©Yolaine de LocoBio,
Mars 2022
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