Comment
faire coïncider besoin de bien s'alimenter
et offre alimentaire de
qualité
Des
municipalités plus puissantes qu'il n'y paraît
La
recherche en sciences sociales rime parfois avec poésie et alors sa
capacité d'analyser, de forger même le réel se double d'une
créativité appréciable dans le champ sémantique. Tel est le cas
de la aussi jolie qu'inattendue expression « paysage
alimentaire » travaillée par le pôle de recherche
Surfood-Foodscapes autour de la Chaire Unesco « Alimentations
du monde » sur le campus Agropolis de Montpellier.
Qu'entend-on par là ? Non pas les inspirants et originaux
paysages créés à partir de nourriture par le photographe anglais
Carl Warner (voir
https://www.pinterest.fr/infiniohm/foodscapes-ou-paysages-avec-de-la-nourriture)
mais la « configuration de l'offre alimentaire locale ».
Si l'équipe de chercheurs a pour terrain d'expérimentation riche
et logique la grande métropole du Sud-Ouest de la France, leurs
observations sont nom moins riches d'enjeux et de conclusions
transférables ailleurs concernant la modification des comportements
alimentaires, leur façonnage suivant des modalités plus durables.
Or en la matière, une fois n'est pas coutume et j'ai à cœur de le
mettre en avant constamment, le local fait preuve de génie car il
est synonyme quand on le veut bien de créativité et d'innovation
notamment dans l'action publique.
J'en
veux pour nouvelle preuve un article très intéressant sur la marge
qui est celle des communes pour avancer sur la voie d'une transition
alimentaire durable. Il s'intitule « De quels leviers
disposent les municipalités pour agir sur les paysages
alimentaires ? » et émane de l'équipe dont il a été
question plus haut. Si on y réfléchit bien, cette notion de
« paysage » est logique, je veux dire son transfert à
l'urbain et à la problématique de la question urbaine en ville et
en zone péri-urbaine. En effet, auparavant et à nouveau maintenant,
on a souvent souligné le rôle des agriculteurs pour entretenir et
même plus, véritablement façonner, les paysages ruraux. Il n'est
donc pas illogique que l'on se pose la même question, que l'on
utilise la même notion à propos d'autres acteurs et dans un
contexte différent. Cela dit, que peuvent faire les autorités en
charge des villes ? En fait beaucoup et une approche à la fois
sensible, sensée et très politique de cette réalité permet de
s'en rendre compte, donc par là même de se mettre du baume au cœur
de l'action. Une première étape importante demeure dans ce domaine
comme dans les autres celui de la concertation. En effet, il est
essentiel de ne pas «exclure
des usagers sous prétexte de promouvoir des comportements
alimentaires positifs pour la santé publique et pour la transition
écologique. (…). Au-delà de l'accessibilité physique, il faut
considérer l'accessibilité économique, sociale et culturelle des
commerces alimentaires »
(p.4). En d'autres termes, l'acteur public doit « inscrire
sa politique commerciale au sein d'une stratégie alimentaire urbaine
globale »
(ibid.). Cela ne fait pas de mal de le répéter car trop souvent la
Transition est, risque et est accusée plus ou moins à tort
d'exclure. Or cela est proprement inenvisageable d'abord par
principe, au nom de la justice sociale, mais aussi par intérêt
politique au sens où on ne voit pas très bien comment elle serait
acceptée et efficace si elle n'est pas d'abord expliquée et rendue
légitime.
Mais
de quelle politique commerciale s'agit-il ? Cela peut surprendre
car on ne pense pas au premier abord à une telle politique au sujet
d'une municipalité. Et pourtant, après l'étape de la concertation
et de la prise en compte de l'offre alimentaire extérieure au
quartier où il s'agit d'intervenir, l'acteur public peut bel et bien
agir suivant de nombreux leviers redoutables dans ce domaine. A
condition de l'entendre au sens large et de manière différenciée
selon s'il s'agit de quartiers nouveaux ou anciens. Dans les
premiers, un élément-clef auquel bien veiller en tant que tel est
le cahier des charges liant les aménageurs et l'entité publique. En
effet, pour garantir sur le long terme la présence d'un certain
nombre de commerces essentiels en matière de bonne alimentation de
proximité comme les épiceries, les restaurants, cette dernière
peut faire figurer dans ce document des obligations en matière de
destination d'usage. Cela peut garantir une maîtrise certaine sur
tout un écosystème durable donc vivable. Dans le second type de
quartier, elle peut aussi à l'amiable ou en faisant usage de son
droit de préemption devenir elle-même propriétaire de commerces
dont elle va ensuite choisir les locataires en fonction des
orientations de sa politique alimentaire. Dynamique commerciale,
dynamisation urbaine et transition alimentaire pour une meilleure
santé de chacun et de tous, en l'occurrence en ville, vont donc de
pair. Toutefois, l'action publique ne se limite pas -et c'est déjà
beaucoup si elle y applique toute son attention et toute son énergie-
à cet aspect strictement commercial. A un niveau plus méta tout en
restant fortement opérant car dans notre quotidien, elle peut aussi
influer sur l'esthétique et l'ambiance d'un quartier. Comment ?
Par des choses (éléments et gestes) encore une fois en apparence
banales mais à haute teneur politique comme l'élargissement des
trottoirs, l'enfouissement des poubelles, le ravalement des façades
par exemple rendu obligatoire et subventionné, l'obligation de ne
pas faire n'importe quoi quand on pose « son »
enseigne... mais aussi en réglementant non plus comment mais qui
occupe l'espace public. Ah l'espace public... en ces temps de
pandémie et, même avant, de forte réduction de celui-ci, on aurait
failli jusqu'à oublier son existence. Pauvre espace public et
pauvres de nous enfermés dans je ne sais au juste quoi, d'abord un
air du temps qui a la main lourde, semble-t-il, sur les libertés
individuelles et le collectif (mais zut ! Ça finit par faire
beaucoup de libertés tout ça, beaucoup de ce que nous sommes
vampirisés, tout ça non?). Alors l'ambiance dans tout ça, en plus
ambiancer l'espace public... ça ne serait pas un peu fou, je ne dis
même pas « dangereux », enfin illusoire tout cela ?
Eh non, eh bien non. Car la municipalité peut décider de booster et
diversifier l'offre locale de bons aliments en autorisant par exemple
tel food truck à s'installer tel et tel jour de la semaine ou en
organisant la tenue d'un marché alors que la place n'était
originellement pas prévue pour cela. L'enjeu n'est pas seulement
l'offre mais le changement d'image, le fait de se sentir mieux et ce
n'est déjà pas rien quand on se trouve au contraire face à des
quartiers « burgérisés » ou carrément désertifiés.
Dans les espaces péri-urbains, comme par exemple des villages
devenus dortoirs et désormais dépourvus de centre animés par de
petits commerces, il est possible de déplacer ce centre en y
installant les mêmes commerces de manière regroupés et accessibles. Car,
bien sûr, pas de vie de quartier et d'amélioration de l'offre
alimentaire, où que ce soit, sans réflexion urbanistique à plus
large échelle et un urbanisme enfin durable a certainement de beaux
jours devant lui.
A travers cette réflexion autour
des paysages alimentaires, bâtir une stratégie alimentaire durable
apparaît certes complexe mais plus que jamais enthousiasmant.
©Yolaine de LocoBio,
Novembre 2021
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