Développement
territorial et transition écologique :
Les
petites villes, laboratoire d'une innovation nécessaire ?
Dans
un pays qui a longtemps mené son développement par le haut et
survalorisé la grande ville comme un signe de croissance, et au-delà
de modernité, pas facile de changer de braquet et de penser la
Transition. La crise sanitaire actuelle a amplifié un mouvement qui
n'a jamais vraiment cessé de départ de métropoles de plus en plus
jugées invivables vers des villes appréciées pour leur taille
humaine. Le regard se déplace donc vers des territoires souvent
minorisés et dans les esprits et dans les faits, on pourrait même
si on était revanchard parler de petite revanche des petites
villes... regard et revanche qu'illustrent bien le dossier du magazine
Le Un cette semaine. Intitulé « Quel horizon pour les petites
villes ? » -et toujours aussi agréablement
qu'intelligemment illustré-, il les définit au départ
classiquement, c'est-à-dire en termes démographiques. Ainsi, on
parle de ce qui renvoie étymologiquement à la « villa »
romaine (« établissement rural autarcique qui a souvent
constitué le noyau des cités médiévales » d'après
l'urbaniste Françoise Choay), comptant entre 2500 et 25000
habitants. Selon l'ingénieur et urbaniste Jean-Marc Offner, elles
représentent environ 1/3 de là où vivent actuellement les
Français, la difficulté étant sans doute que sont mises dans cette
catégorie aussi bien de petites villes de province que des
périphéries banlieusardes aux problématiques souvent différentes.
Surtout, on s'aperçoit vite que la définition strictement
comptable est imparfaite, ce qui conduit le même J-M Offner a
préciser : « en
réalité, il faut partir de l'idée de « centralité » :
un espace où des gens qui n'y habitent pas se rendent pour trouver
ce qu'il n'ont pas en bas de chez eux. Une petite ville a un
supermarché, éventuellement des médecins spécialisés ».
Si
l'hétérogénéité des situations rend parfois difficile une
définition, cela n'est pas pour autant grave car ce qui ressort de
ce dossier, c'est bien souvent le fort dynamisme qui caractérise
cette échelle d'action. Car si on parle de bassin de vie, de lieux
et de liens, il est toujours question en filigrane -du moins dans mon
esprit, avec une constante interrogation dont mes chroniques
témoignent- de la bonne échelle d'action. Il serait bien illusoire,
et ce n'est d'ailleurs pas mon propos, de figer celle-ci et de
l'assimiler au local car il y a local et local de même que le local
n'existe, ne se développera de manière alternative qu'en relation
avec un autre local mais aussi des échelons intermédiaires,
d'autres plus hauts. On ne va pas passer comme ça, en un clin de
génération, d'une mondialisation effrénée un local revitalisé.
Et quand bien même cela serait-il possible, reste à savoir si ce
serait tout à fait souhaitable tant la question des reconfigurations
ne peut se ramener à un simple retour en arrière, donc à une forme
d'autarcie, justement. Il y a à gagner aux nombreuses interactions
qui ont été mises en place au fil du temps et l'enjeu demeure bien
de s'assurer du caractère vraiment nécessaire de ces interactions
et, dans l'affirmative, de leur impact sur la non moins nécessaire
transition écologique. En d'autres termes, oui il faut que chaque
territoire soit au maximum autonome sur le plan des besoins
alimentaires de sa population. Mais non, il est fort probable que
chacun de ces territoires ne pourra pas avoir son centre national
dramatique. Or, contrairement à certaines dérives regrettables lors
de la pandémie, oui la culture est une nourriture comme les autres,
je dirais même surtout en période de transition, donc l'enjeu est de
permettre à tous d'y avoir accès, soit en employant des moyens de
transport non polluants pour rallier l'institution culturelle en
question, soit en faisant venir des acteurs culturels itinérants.
L'article de la journaliste Eve Charrin met bien en évidence cette
difficulté en posant la question : « Sortir
du tout-voiture dans une petite ville périurbaine ?
Chiche... ».
Toutefois, ce qui ressort globalement de toutes ces contributions et
qui reflète d'ailleurs bien l'esprit tant positif qu'entreprenant du
Un, c'est l'espoir de voir ces petites villes se transformer en
véritables laboratoires de la Transition. Pourtant, elles pourraient être mal placées tant la décentralisation se traduit par de plus en plus
de compétences mais avec des finances qui ne suivent pas... ce qui
est pour le moins regrettable précisément en période de
transition. Certaines sont elles aussi désavantagées de par leur
profil géographique, leur histoire. Bref, on ne peut pas généraliser
et décréter que la petite ville sera partout le laboratoire par
excellence de comment mener une bonne transition. Ce qui est certain
néanmoins, c'est qu'elles disposent souvent d'atouts
incontournables sur lesquels se rejoignent Marc-Andreu Sabater,
responsable politique, bon connaisseur du cas de Vire Normandie, et
les chercheurs Dany Lapostolle, Matthieu Duboys de Labarre et Gaëtan
Mangin à propos de Tournus. Le premier met en avant un certain
nombre de facteurs favorisants -même si au premier abord peu
porteurs- comme : la nécessité de se reconstruire après la
2ème Guerre Mondiale et donc, de longue date, une habitude de se
prendre en main par différents acteurs locaux reliés entre eux,
souvent attachés à leur territoire au point d'exclure qui ne
coopérerait pas. Autre élément important : une économie
diversifiée avec une part d'emplois non délocalisables. Enfin, la
fameuse « échelle humaine », synonyme
d'interconnaissance, opère pour assurer l'existence d'un
véritable « écosystème
fonctionnant en interne pour permettre un développement endogène,
une dynamique propre au territoire ».
Le mot « écosystème » est fondamental car il montre à
la fois la parenté entre les constructions humaines et les autres
types de construction dans la « Nature », invitant une
fois de plus à s'inspirer de celle-ci pour transitionner (vaste
sujet des liens entre développement territorial, pourquoi pas aussi
développement personnel, et biomimétisme). Si cela n'est pas une
invitation à décloisonner les esprits et à une nouvelle
Renaissance, à se doter d'une grande variété d'outils pour penser
et agir autrement, alors c'est à y perdre son latin !
L'étude
de cas consacrée à la ville de Tournus ne fait que conforter la
nécessité de laisser la créativité s'exprimer car la population,
elle-même incarnation de la biodiversité, est bien souvent un riche
terreau pour faire jaillir des initiatives nouvelles. Or cela est
d'autant plus important quand il s'agit, cela ne vous étonnera pas
trop que je fasse un focus là-dessus, sur la transition alimentaire. La
situation d'origine sur ce chapitre est visiblement préoccupante
(comme dans la majorité des cas, malheureusement) car il y a peu de
production maraîchère et fruitière. Or nous savons que cela fait
partie de nos besoins quotidiens essentiels et que nous devons de
plus renforcer ce type de production pour aller vers un régime
nettement moins carné. Ce qu'il y a d'intéressant, c'est qu'un
collectif de citoyens s'est créé en 2017 contre le projet d'un
énième centre commercial qui impliquait d'une fois de plus
« bouffer des terres nourricières » (selon mes propres
mots, pas ceux des très sérieux chercheurs qui ne peuvent pas
vraiment s'exprimer dans ces termes et même si à l'arrivée nous
décrivons tous le même phénomène;)). Ce collectif s'est ensuite
transformé en liste électorale qui a remporté les élections et
fait désormais de la question alimentaire un des axes
principaux de son action. Et c'est bien une forme de démocratie
locale qui est à l'œuvre, s'invente chaque jour et invente chaque
jour la formule pour assurer l'autonomie alimentaire de ce territoire
en particulier. En effet, un appel à projet de l'échelon national
(en l'occurrence le Ministère de la Transition écologique) a été
remporté et a permis la mise en place d'un projet de recherche
participatif sur ce territoire, lequel mêle un nombre réduit -pour
plus d'efficacité et compte-tenu des disponibilités de chacun- de
participants habitants, élus et chercheurs en agronomie ou
sociologie, et contribue à la définition des contours d'une action
locale. Le processus est en cours mais il ressort d'ores et déjà
que la volonté, l'investissement citoyen, jouent un rôle clef soit
par la voie des urnes soit par une forme de pression au quotidien qui
pousse les élus à mettre par exemple à disposition des terres
municipales pour un jardin partagé ou encore utiliser le levier
d'une meilleure alimentation pour les écoliers (commande publique). Deux freins sont toutefois soulignés et leur persistance n'est pas
surprenante, elle revient souvent et appelle donc des remèdes
urgents : d'une part certains acteurs privés ne jouent pas
collectif et ne sont pas encore persuadés de la nécessité
d'adapter leur façon de penser et de réaliser une transition locale.
L'exemple d'une banque qui a refusé un prêt pour le renouvellement
d'un camion épicerie mobile chargé d'alimenter les espaces ruraux
autour de Tournus montre qu'il aura fallu une campagne de financement
participatif et une subvention publique pour qu'elle daigne
libérer les sommes assez modestes nécessaires à la bonne marche de
cette outil de travail et de développement territorial. D'autre
part, s'il semble bénéfique que des instruments d'action publique
comme les Projets Alimentaires Territoriaux (PAT) existent désormais
pour encadrer (voire stimuler) des initiatives locales, les
observateurs notent que : « les
acteurs de terrain (agriculteurs, producteurs, entreprises,
associations...) qui souhaitent pleinement profiter de ces
dispositifs doivent disposer de temps à consacrer aux démarches à
mener, mais aussi de ressources techniques, culturelles et
relationnelles ».
Quoi qu'il
en soit, et malgré ces difficultés qui vont trouver des solutions à
partir du moment où la conscience est déjà là de leur existence,
une chose est certaine : ces petites villes sont globalement
attractives et incitent fortement à une redéfinition de cette
sacro-sainte notion d'attractivité, comme en atteste l'article de la
politiste Hélène Reigner. Il convient en effet de se départir du
mythe de la CAME (sans jeu de mot renvoyant à une drôle de
dépendance) : compétitivité, attractivité, métropolisation,
excellence. Ce mythe a en effet produit le désastre d'une vision de
territoires en compétition et devant tout faire pour rentrer, rester
dans cette compétition d'ailleurs aux échelles nationale,
européenne et mondiale. Plus que jamais, le temps semble être venu
d'autres indicateurs alignés sur d'autres valeurs assurant
l'existence de territoires bien vivants et reliés entre eux.
©Yolaine de LocoBio,
Novembre 2021
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