L'hypothèse
de la décroissance
ou
comment enfin et vite rendre net, concret
ce qui demeure flou et
abstrait
En
bonne intello un peu gaucho-écolo sur les bords que je suis fière
d'être, j'ai poursuivi ma lecture scrupuleuse du Télérama consacré
cette semaine, COP déjà 26 oblige, à l'adaptation au changement
climatique. Un article super intéressant est consacré à la
désormais fameuse et si polémique décroissance, la question étant
posée quant à la possibilité et aux modalités de vivre mieux avec
moins. Vaste sujet que l'on a préféré passer sous le tapis alors
que c'est philosophiquement exaltant et plus que jamais nécessaire
de déterminer ce que signifie « mieux vivre » et a
fortiori avec moins car on touche aux besoins essentiels. Lesquels
font d'ailleurs l'objet d'un livre publié par mes économistes
forcément préférés, les « atterrés » (De
quoi avons-nous vraiment besoin ?
aux excellentes éditions Les Liens qui libèrent),
dont je vous parlerai peut-être bientôt mais seulement si vous êtes
sages et si vous faites votre liste de cadeaux décroissants au Pépère Noël.
Je
préfère le dire d'entrée de jeu parce que l'esprit de ces
chroniques est certes de parler de ce qui fâche car on en a
malheureusement hérité et il va bien falloir que ça cesse le plus
en douceur possible, mais dans un esprit positif. Cela signifie qu'on
pourrait en douter parfois mais je n'évoque ici que ce qui me parle,
me plaît, me semble digne d'intérêt pour construire la suite.
Autant dire que le champ ne vise pas à l'exhaustivité et je ne suis
moi-même pas spécialiste de tous les domaines que la Transition
implique d'intégrer. Je suis une politiste versée dans le
développement territorial (et le développement au sens général,
même et pourquoi pas personnel car tout est lié), doublée d'une
citoyenne engagée notamment via LocoBio depuis 2007. Quand je
m'exprime, c'est donc humblement depuis ce poste d'observation et
d'action; je pense que cela me dote quand même à la fois de
certains outils d'analyse et de recul pour évaluer des
propositions dont celle de la décroissance. Ces prémices pour bien
comprendre/rappeler d'où je parle et surtout que si je parle d'un
sujet, ici la décroissance, c'est que je l'estime crédible malgré
ses failles possibles. Mais après tout, nous sommes tous faillibles donc
on ne voit pas très bien comment nos constructions intellectuelles
ne le seraient pas, surtout quand les défis sont à ce point immenses
et que la croissance, elle, a bien des failles et n'en finit pas de
la ramener pourtant encore via des acteurs dominants qui fatiguent et
nous plantent allègrement.
Je
voudrais donc commencer par ce que je trouve négatif dans la
décroissance et dont cet article est à mon sens très
représentatif, de manière trop récurrente. Certes, ce serait sans
doute faire un mauvais procès à un magazine plutôt grand public et
dans le format court d'un article que de prétendre faire le tour du
sujet. Mais quand même, on pourrait dire: justement. Justement car c'est
l'occasion ou pas de convaincre, or convaincre est maintenant une
urgence. 2ème petite critique : la décroissance n'est pas
définie alors que la définir, même si c'est certes difficile,
montrerait l'existence d'un cap enfin net, d'un véritable nouveau
projet politique. On est toujours beaucoup contre la croissance et
ses indicateurs trop limités comme le PIB. Certes des valeurs
louables sont affichées telles qu'une refondation basée sur le
bien-être, la prospérité, les justices sociale et climatique, mais
au-delà ? Au-delà, il y a des travaux menant à des pistes
d'action comme le revenu universel de base, le revenu maximal
acceptable, les cartes carbone c'est-à-dire une limitation pour
chacun d'émettre du CO2 ou encore la question plus qu'actuelle du
financement d'un système de santé dans une société sans
croissance, mais on ne voit pas encore bien une architecture globale.
Chacun y va un peu de sa réflexion, et encore une fois c'est normal,
cela correspond à une phase de maturation, mais le problème demeure
bien le temps, le temps qu'il nous reste pour traduire tout cela en
proposition politique capable, entre autres, d'être portée
politiquement avec succès. Cela bien sûr dans le cadre démocratique
qui est le nôtre actuellement et dans la perspective de son
maintien, c'est-à-dire sans chaos profond et assez durable justement
lié à l'impensé de l' après croissance.
Cela
dit, les raisons d'espérer sont légion et c'est ce que je retiens
principalement de cet article. Lesquelles ? D'abord la rage, oui
il faut le dire car c'est une énergie en l'espèce porteuse, la
véritable rage de dire les choses comme elles sont et cela ne peut
que me plaire car sans cette rage, pas de vie; or à quoi sert la vie
si on ne la défend pas ? Le jeune économiste Timothée
Parrique n'hésite ainsi pas à qualifier les actuelles mesures de
restriction autoritaires en Chine (privation de chauffage,
d'ascenseurs, d'éclairage public, rien que ça!) d' « économie de la
panique » (p.28), dans la continuité de ce que le philosophe
Pierre Charbonnier appelle l'« économie de
l'illimitation", c'est-à-dire le mode de développement
depuis la révolution industrielle en Occident. Un certain nombre de
vérités sont aussi dites et cela ne fait pas de mal, sur des thèmes
très très actuels. Ainsi, sur le chapitre des modes de transport,
pas de miracle puisque : « Aujourd'hui,
la croissance verte promet un « découplage » entre la
croissance et la consommation de ressources mais cela reste trop
théorique. Les voitures électriques, par exemple, demandent plus de
minéraux (eux aussi limités), et des énergies fossiles, pour les
extraire et les transporter, sans parler de l'électricité pour les
alimenter »
(p.30). On pourrait d'ailleurs dire la même chose des panneaux
solaires et d'autres produits présentés comme alternatifs alors
qu'ils ne le sont pas de la manière radicale dont nous avons besoin.
Autre thème sensible où le franc parler l'emporte : « (…)
pendant
la pandémie, nous n'avons jamais cherché à découpler les interactions
physiques du risque de contagion, nous avons simplement choisi de
confiner, autrement dit de réduire ces interactions au maximum.
Bref, nous avons besoin d'un « confinement climatique",
c'est-à-dire de réduire les activités émettrices de CO2 »
(ibid.). Eh oui, tant qu'à avoir été confinés et à être encore
limités dans nos mouvements à cause de la gestion de la crise
pandémique -arbre qui cache la forêt d'une crise plus globale-,
autant en tirer des leçons cette fois-ci pleinement profitables pour
tous et durables. Je passe sur le dézingage mérité de l'illusoire
théorie du ruissellement qui s'inscrit dans toutes ces fausses
stratégies « gagnant-gagnant » qu'on nous vend à coup
de mauvais slogans électoralistes. Eh oui, la rage ne se tarira pas
tant que la malhonnêteté et le profit indu ne cesseront pas et
cela se pourrait bien grâce à toutes les initiatives mises en
lumière par l'article. Voilà au moins une autre de ses qualités.
Et ces initiatives, quelles sont-elles ? D'abord le fait
d'établir une continuité et de donner du crédit à ce qui pourrait
sembler désormais lointain et sans lien. En effet, il n'est pas
inutile de rappeler que la décroissance est une des formes qu'a
prise la critique du développement économique dominant et ce dès le
19ème siècle. Ensuite, cette critique n'est pas propre à des
fêtards éthérés, rêveurs à leurs heures. En effet, comment
oublier le rapport Meadows qui, dès le début des années 70 -merde,
ça fait quand même un demi-siècle, cette affaire, quasi deux
générations!-, de manière
très sérieuse, officielle et au niveau international, alertait sur
les limites de l'option prise en matière de croissance ?
Comment expliquer une telle perte de temps et, du coup, une telle
aggravation de la situation ? Et comment éviter la panique
maintenant, assurer une transition douce et juste ? En voilà de bonnes
questions que toute une jeune génération de chercheurs (et bien
souvent d'activistes, ceci étant logique et assez sain puisque c'est
assumé dans leur cas) peut contribuer à résoudre. Et cela grâce à
des formations car si si, la décroissance a même ses masters et ses
diplômes hautement reconnus comme ceux dispensés à Barcelone en écologie
politique. Les livres ne manquent pas non plus, tout comme le journal
du même nom http://www.ladecroissance.net qui devraient à vous comme à moi fournir des éléments utiles à la réflexion.
En définitive, je reste plus que jamais convaincue de la nécessité de rematérialiser l'économie.
Ce chantier de reconnection à la fois symbolique et très matérielle est
évoqué dans l'article sous l'expression "découplage entre croissance et
consommation de ressources". Il faut plus que jamais rétablir et rendre
visibles les liens, à commencer par quelles causes entraînent quelles
conséquences car nous vivons dans la plus imparfaite illusion. Cette perspective signifie l'édification d'une économie de la limitation sans restriction
et donne un relief de même qu'une saveur contemporaine au combat de
LocoBio pour la relocalisation de l'économie. Plutôt qu'encore aller au
plus court dans un cadre de pensée étroit et développer des unités de
production d'origine nucléaire pour répondre à des besoins
majoritairement superflus, n'est-il pas tant de se poser et de poser les
jalons d'une économie reterritorialisée à des fins bénéfiques?
©Yolaine de LocoBio,
Novembre 2021
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