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Chronique 106
27-06-2020

 

L'agriculture urbaine : une solution vraiment d'avenir ?

 

  

Bon, avoir des convictions comme être certain que l'agriculture urbaine, c'est bien... eh bien c'est bien. Et constater que vos convictions semblent avoir le vent en poupe, corona oblige, c'est encore mieux. D'accord, mais n'empêche qu'il faut y regarder à deux fois et affronter la vraie question de fond : qu'entend-on par « agriculture urbaine » et dans quelle mesure ne serait-on pas en train d'attendre d'elle trop de miracles ? C'est souvent le problème, à toutes échelles d'ailleurs, individuelle ou collective : quand un problème n'a pas été pensé et encore moins résolu en amont, à temps, on va comme empoigner la première tocade qui passe et la parer d'habits providentiels. Soit. Sauf que le réel, c'est pas comme ça que ça marche.

Alors voilà, maintenant les villes, surtout les grandes métropoles qui étouffent et nous font souvent étouffer de leur suffisance, donc les grandes villes paniquent un peu sur les bords de l'autosuffisance alimentaire. Pour peu qu'il y ait en plus des élections municipales, comme en ce moment en France, on va voir verdir les programmes de tous les candidats et on va souvent croiser ça avec de la compétition... entre les mêmes grandes villes. Cela a un avantage, c'est que l'on parle de certains sujets et il règne une émulation propice à faire avancer les dossiers. Ainsi, récemment, Paris a pu se targuer de voir ouvrir sur les 7000 m2 des toits d'un pavillon du Parc des Expositions la plus grande ferme urbaine au monde. L'idée est de produire des fruits, légumes et aromates afin d'alimenter en produits locaux et de saison petits commerces, restaurants et particuliers ; lesquels particuliers peuvent aussi cultiver en direct leur propre parcelle car environ 150 sont actuellement mises à disposition. Cette inauguration suit par ailleurs un mouvement général qui voit les villes de plus en plus inclure des fermes de ce type.

 

On ne peut que se réjouir de ce genre d'initiative qui correspond à un des axes de l'agriculture urbaine, à savoir utiliser les toits pour répondre à la problématique du manque d'espace. En effet, la quadrature du cercle (que l'on espère systématiquement bio, tant qu'à transitionner) est bien : comment faire avec une planète toujours pleine de plus en plus d'habitants et des villes qui s'étendent à n'en plus finir ? Le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est clairement un problème et qu'il faudrait urgemment se réveiller, et le chapitre de la régulation de la croissance démographique devrait quand même pouvoir être aussi, sereinement, abordé. Toujours est-il que sur le chapitre de la ville et de l'agriculture urbaine, l'enjeu est bien de savoir dans quelle mesure on va pouvoir nourrir de plus en plus d'habitants. Et là, le constat fait mal. Un article de Sciences et vie de ce mois-ci rapporte ainsi les résultats (mais on le sait déjà depuis longtemps, c'est une énième confirmation) que non, l'agriculture urbaine telle qu'elle se développe actuellement ne pourra pas combler les besoins grandissants des villes. Une chercheuse de l'INRA a en effet étudié sur une période de 6 ans les récoltes des 600 m2 de cultures essentiellement maraichères sur le toit d'AgroParisTech, toujours à Paris. Les chiffres -eh oui, parce qu'à un moment donné il faut poser les choses et se poser soi-même- parlent d'eux-mêmes : si le rendement est satisfaisant, à savoir 5 à 8kg/ an et par m2, il ne pourra jamais que couvrir 6% de la consommation parisienne de fruits et légumes. Et encore en prévoyant d'utiliser bien d'autres toits. Selon la même chercheuse, la solution ne réside pas non plus dans l'exploitation des friches ni des fermes péri-urbaines car le décalage est trop grand entre les besoins et les capacités. Sans compter qu'on ne parle là que d'une partie de notre alimentation actuelle, dont tout le monde sait qu'elle doit évoluer vers moins de carné, car ni l'élevage ni la production céréalière ne sont pris en compte. On ne doit donc raisonnablement pas attendre de miracle du côté de cette agriculture urbaine : elle ne se substituera jamais à l'agriculture traditionnelle, essentiellement hors des villes et menée par de solides professionnels qui entretiennent aussi le paysage pour le plus grand plaisir des citadins en mal de loisirs campagnards. L'agriculture traditionnelle est aussi synonyme de savoir-faire ancestraux et de produits du terroir, alors à un moment donné, il faut savoir ce que l'on veut. L'agriculture urbaine présente cependant l'avantage de stimuler l'économie circulaire et de maintenir les consommateurs urbains en lien avec la terre... donc on espère par extension avec cette nécessité de l'agriculture traditionnelle et... boum, toujours LE sujet qui fâche : la terre.

 

Car la solution apportée au manque d'espace, partout et singulièrement en ville où la pression est grande à ce sujet, c'est... l'optimisation du rendement. Et là, ça déconne dur, ça prend l'ivresse des cimes, ça starte-up à fond les manettes et ça food-tech à mort. Ainsi, on ne compte plus les petites entreprises qui lancent leur petite entreprise de fraises, de tomates, de champignons hors-sol (le comble pour des « champignons de Paris », mais bon). Or le souci du hors-sol n'est pas « seulement » symbolique, même carrément civilisationnel -à savoir gentiment basculer dans les vapeurs d'une terre de plus en plus rêvée à force d'être oubliée- : le hors-sol se moque jusqu'à présent totalement de ce qui constitue aussi, peut-être essentiellement, nos aliments : leur qualité nutritionnelle et gustative. L'idée, c'est de produire et de vendre de la fraise. Ok, mais quelle fraise ? C'est quoi ce que tu appelles une fraise en 2020, une fraise qui n'aurait jamais touché terre, un peu comme nous, de moins en moins ? C'est là que l'enjeu est fondamental, et partant le coup de force, un quasi et génial, tristement machiavélique hold up. Car qui arrivera à faire passer une fraise bad trip pour une vraie fraise, c'est clair que celui-là remportera le marché. C'est un peu comme refaire le coup, l'étendre définitivement à tout, vous savez, le coup du fromage qui rit mais qui fait rire qui et du jambon... de dinde, mamma mia pauvre dinde et pauvre cochon s'ils savaient ! L'enjeu, ce sont les mots et les choses, quels mots pour dénommer quelles choses et surtout ne pas, ne jamais s'en laisser compter (le coup des vessies pour des lanternes, quoi).

 

De plus, de plus, car il y a un de plus, personne ne s'intéresse vraiment, au fond jamais, à l'autre inconvénient majeur de la technologie appliquée à l'agriculture urbaine : la dépense énergétique. Or que je sache, il n'y aura pas de véritable transition sans sobriété à ce niveau-là. Et comme d'habitude, sur ce sujet, on fait le canard, pauvre canard aussi, lui, on va plus savoir où le mettre. On s'émerveille devant des progrès certes, en matière de gestion de la lumière, de l'humidité, de la température, etc... mais au fond, qui est capable de dresser honnêtement le bilan énergétique de tout ce tralala ? A un moment donné, c'est comme les fusées s'en allant sur Mars, il faut arrêter de s'émerveiller et atterrir car jusqu'à présent on est ici, et on est vachement bien ici. On pourrait enfoncer le clou en questionnant le bilan énergétique et éthique des composants électroniques utilisés dans une agriculture devenue trop sophistiquée alors que franchement la terre est fichtrement nourricière quand on en a assez, qu'on la traite bien et qu'on se contente de cultiver à l'ancienne. La vérité, elle est là, et on se moque pas mal de savoir si certains ont intérêt à surfer sur la vague des croissances démographique et urbaine, assurant qu'ils ont toutes les solutions à des problèmes qui, eux, sont bien de fond. On trouvera en effet toujours des pompiers légèrement pyromanes et opportunistes ; voilà pourquoi au sujet de l'agriculture urbaine comme de l'autonomie alimentaire, il faut être sérieux. Et être sérieux, c'est clairement dire qu'aucun compromis ne sera possible sur le chapitre de la terre, de sa disponibilité en ville et ailleurs, du développement de compétences agricoles chez les citadins pour assumer déjà la base d'une alimentation végétale (voir les « fermes  devant la porte » au Québec) et l'installation d'agriculteurs professionnels formés à la réalité urbaine. Des formations se forment, c'est le cas de le dire, dans ce domaine et c'est un signe encourageant. Voir par exemple le Brevet Professionnel option « Responsable d'Entreprises Agricoles Fermes Agroécologiques Urbaines et Périurbaines » à l'Ecole du Breuil, établissement géré par la Ville de Paris. Toutefois, à un moment donné, les personnes formées cherchent à s'installer et c'est là, une fois de plus, que les collectivités locales, le personnel politique qui est aux responsabilités, doit justement les prendre et pousser la démarche jusqu'au bout en jouant des coudes pour installer ET pérenniser des fermes en ville.

 

Youh ouh, c'est pas gagné mais on y croit ! Et d'ailleurs, en cet enfin été, pourquoi ne pas aller faire un tour au marché du jardin d'insertion bio Pousses d'avenir ? En cette saison, vous pouvez gagner un peu de hauteur, au sens premier et je l'espère figuré du terme, et vous ravitailler en fruits et légumes de saison, mais pas que car il y a aussi de la farine, du miel du coin, sur la commune de Publier. Attention ! Pour acheter, il faut adhérer à l'association mais la cotisation ne sera rien par rapport à un plein d'essence ou l'abonnement, au fil des années, de votre téléphone portable. Et en plus, adhérer, n'est-ce pas la bonne action par excellence, un des moyens d'agir local et biologique, donc d'être à fond Locobio ?

 

Sur ce, je vais faire frire ma sauge et en faire des chips, comme en Italie (recette découverte dans un restaurant tenu par un japonais... en Toscane, comme quoi). Et je vais me purger avec de la roquette fraîche, mais si parfois c'est clair que ça fait un peu hard dans le siphon... mais c'est tellement bon !

 

                                                             ©Yolaine de Locobio,

                                                             Juin 2020

 
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