Rendez-vous au Pérou… et ici, aussi
Eh oui, pour
la 100ème chronique de ce site, on va faire une petite pause dans la
réflexion philosophico-théorico-spirituelle –autant dire abstraite- sur le
modèle global alternatif à venir. Car les
valeurs, c’est bien, c’est même nécessaire, mais le champ, ce qui se passe au champ, c’est tout aussi nécessaire. Or
comme vous le savez, il s’en passe dans les champs, ici ou ailleurs. Et il se
passe de belles initiatives de
changement dont s’inspirer pour se conforter les uns les autres.
Ainsi, le
centre social du centre-ville de Chambéry (AQCV) a récemment eu la bonne idée
de convier à un ciné-débat sur la
transition agroécologique en Amérique Latine, plus précisément dans les
Andes. Au passage, avant de rentrer dans le vif du sujet, on félicitera et on
remerciera cette structure qui fait honneur à sa mission de service public… et
les bénévoles, encore et toujours eux, qui proposent cette activité culturelle
non seulement agréable mais pleinement citoyenne. Quand le local d’ici parle du
local d’ailleurs, il y a des chances que de local en local, on essaime sur la
planète entière.
Destination le Pérou, donc, grâce à un documentaire qui
décrit le processus de transition d’une
agriculture conventionnelle, ici comme ailleurs ultra-chimique, meurtrière et à
courte vue, vers un modèle agroécologique on dira juste à l’opposé. Les
particularités de ce pays comme l’influence des hautes montagnes sur
l’étagement des cultures, le grand nombre de paysans, une certaine pauvreté
alliée à une certaine faiblesse de l’Etat, ne doivent pas cacher les nombreux points communs avec des
problématiques que nous avons nous aussi ici. De telle sorte que les étapes du processus de transition
telles qu’identifiées là-bas ne peuvent que nous parler. A savoir :
1.
La nécessité de récupérer la
fertilité de sols pollués mais surtout épuisés par l’agriculture chimique. Il s’agit littéralement de nettoyer
les champs grâce à des biodigesteurs afin de ramener la vie là d’où elle a été
chassée. Un des enjeux, à chaque étape, est de regagner en autonomie. Ainsi, le but est de réaliser soi-même ces intrants purificateurs tels les
micro-organismes, le biol ou le compost. On estime que 3 ans sont nécessaires
pour récupérer la fertilité, ce qui donne une idée du décalage entre les
ravages rapides des produits chimiques et l’action à long terme qui, ensuite,
conditionne une meilleure agriculture.
2.
La nécessaire diversification des
cultures versus la monoculture traditionnelle de l’aliment de base, la pomme de terre.
Diversification pour des raisons strictement agricoles de rotation, de
renforcement mutuel entre certaines plantes, mais diversification aussi afin de
promouvoir une alimentation saine.
Sur ces parcelles très majoritairement familiales, on a identifié jusqu’à 20
cultures possibles, ce qui de plus est un gage de diversification
des sources de revenus. Ainsi, quand les paysans se rendent au marché en
ville, ils sont plus à même d’échanger d’autres denrées alimentaires ou d’autres
produits dont ils ont besoin dans leur vie quotidienne. L’alimentation trouve
ainsi une opportunité de s’améliorer en couvrant davantage les besoins humains,
lesquels sont plus assurés par davantage
de sécurité dans les approvisionnements de proximité. Et après on opposera
économie et agroécologie… On voit bien ici au contraire que c’est toute une
économie qui (re)naît. Progrès, vous avez dit progrès ? Qui l’incarne donc
aujourd’hui ?
3.
Répondre à un défi majeur :
traiter les maladies.
Car exit les produits phyto, cela signifie s’exposer plus à celles-ci et donc
revoir surgir le spectre des mauvaises récoltes. On connaît la réponse de
l’agriculture conventionnelle : traiter, traiter encore et toujours,
toujours plus, sans cesse passer des degrés dans l’escalade de la résistance
des plantes à coup de modifications génétiques et dans l’endettement de paysans
tenus par les grandes firmes par des « cadeaux » et l’achat à crédit
des produits. Toutefois, sortir de ce schéma si négatif soit-il ne va pas de soi. Les paysans doivent être accompagnés par
l’Etat et des associations/ONG souvent à l’origine de la dynamique. Car là
encore, la volonté de changement fondée
sur la prise de conscience liée au développement d’un cancer, cette volonté-là
ne suffit pas. Elle doit absolument être
étayée par différentes actions comme : apprendre à fabriquer ses
propres biocides naturels ; en finir avec la véritable pollution visuelle
qui, publicités omniprésentes à l’appui, permet aux grandes firmes de produits
phyto de littéralement occuper le terrain ; miser sur l’éducation en
général et la formation des ingénieurs agronomes en particulier afin qu’à
l’avenir les paysans soient moins manipulables, impressionnables, ou craignent
moins d’être naïfs face à des experts responsabilisés sur les impacts à long
terme de leurs recommandations.
4.
Relever un autre défi majeur :
la commercialisation.
Cela passe par l’organisation des paysans en cellules de base, donc à un
processus d’association pour partir ensemble et non plus chacun avec ses
petites quantités à l’assaut de villes demandeuses. Cela passe aussi par la
création de marchés bio, une certification de qualité et l’éternelle
sensibilisation du consommateur car, là-bas comme ici, toute la question est de
renforcer les circuits courts en assurant une juste rémunération aux
producteurs. Cette sensibilisation peut passer par la cuisine, des ateliers, de
la dégustation, notamment en milieu scolaire. Le changement culturel en général
apparaît bien une nouvelle fois au cœur du changement culturel au champ, à
telle enseigne que l’un des autres défis est de changer l’image des pionniers
de cette agriculture meilleure, qu’ils deviennent des modèles visibles pour les
autres agriculteurs encore hésitants.
En définitive, il est très encourageant
de constater que des pays sans doute moins en position que nous pour assumer la
transition y participent tout de même. Je ne dis pas cela au regard des riches
savoirs ancestraux qu’ils possèdent alors que nous, nous avons déjà peut-être
introduit trop de ruptures et nous devons faire beaucoup de travail pour
récupérer les connaissances sur le vivant, son respect. Je dis cela plus par
rapport aux infrastructures de transports, par exemple, avec des routes dans un
état qui gêne cette circulation entre campagne et ville, donc l’émergence et la pérennité d’une économie
locale propre… laquelle est au centre de nos préoccupations à LocoBio, et cela
depuis maintenant plus de 10 ans.
Et d’ailleurs tiens, une fois n’est
pas coutume, je vais terminer cette chronique par un retour à l’ici avec
l’annonce d’un événement qui va bientôt se tenir et se situe en plein dans la
continuité, mine de rien, de notre lointain Pérou. Il s’agit de l’opération
« Prenez la clé des champs ».
Les samedi 4 et dimanche 5 mai prochains, près d’une centaine de fermes vous
attendent en Isère, Savoie et Haute-Savoie. Gardez beaucoup de temps et autant
d’argent que possible pour aller à la rencontre de ces professionnels que l’on
ne remerciera jamais assez de nous nourrir (qui dit mieux, non mais
franchement, qui dit mieux, c’est la base non, du moins jusqu’à nouvel
ordre ?). Vous pourrez visiter les exploitations, échanger et pourquoi pas
suggérer quelques idées de transition aux plus récalcitrants car ici aussi il y
en a, déguster sur place des produits uniques et en acheter pour offrir. Car un
bon pot de confiture n’a jamais détourné quiconque ; au contraire même, il
paraît que cela charme les papilles et alors plus douces sont les révolutions.
C’est tout ce qu’on se souhaite, de
la douceur et une bonne révolution. En même temps, il n’y a pas trop le choix
car que ce soit par le bout théorique ou par le bout du champ, la transition
nous appelle, radicale. Et ce sera elle, nous, ou alors d’autres radicalités
qui trop souvent riment avec radicalismes... et alors nous, nous... on risque
de ne plus trop savoir ce que cela voudra dire. Est-ce cela que l’on
veut ? Décidément, il faut bien réfléchir tout en agissant et en ne
perdant pas trop de temps.
Allez, tous à
vos fermes et bon vent !
©Yolaine de LocoBio
Avril 2019
|