Blabla politique et silence éthique
Le grand
débat national touche à sa fin. Désormais, tout l’enjeu est de savoir à quoi
aura au juste servi une telle débauche de moyens financiers et techniques. Il
est bien clair que le gouvernement, de même que tout gouvernement démocratique,
ne peut se payer longtemps le luxe de dépenser autant, de compter sur
l’engagement sincère et bénévole de nombre de nos concitoyens dans ce genre de
consultation, bref de susciter de l’espoir sans répondre en étant à la hauteur.
Nous verrons donc. Mais en attendant, poursuivons
notre réflexion sur le socle du monde à venir, c’est-à-dire sur ce qui doit
d’urgence être refondé. Pour cela, recherchons
le compagnonnage stimulant de personnes inspirantes. Parmi celles-ci, le philosophe Emmanuel Lévinas qui fait
actuellement l’objet d’un hors-série de Philosophie magazine.
Les fidèles
lecteurs des présentes chroniques savent mon scepticisme teinté d’ironie et de
colère à l’encontre de cette auguste discipline ; justement parce qu’elle
se prend souvent pour ce qu’elle n’est pas avec beaucoup d’affirmations non
fondées et néanmoins pompeuses. Le plus grave, c’est quand le pompeux sert
d’argument d’autorité et quand beaucoup d’erreurs inadmissibles en viennent à
façonner la société. Ainsi, je ne reviendrai pas sur le pur attentat contre
nous-mêmes et notre « environnement » perpétré depuis des siècles au
nom de la prétendue suprématie de l’Homme, au hasard de sexe masculin, blanc
et, tant qu’à faire, philosophe. Que de déconnexion et, parlons clair, que de
déconnade. Heureusement, des sortes d’outsiders pointent de temps en temps le
bout de leur museau et contribuent à redresser le tir. Ainsi, heureusement nous
avons eu Lévinas, philosophe du siècle passé des plus actuels.
Pourquoi ?
Parce que Lévinas n’a pas hésité à
bousculer et même renverser notre tradition philosophique. En guise de
connaissance et de métaphysique, le tout centré sur l’ego, il a donné la primauté à l’éthique. Non pas la morale, car
il a sagement pris acte que celle-ci n’était massivement pas respectée. Donc l’éthique.
L’avantage, c’est que cela fait moins gros mot que la morale, cela fait moins
réac, plus libéral et plus « cool ». Autant dire que c’est pas mal
dans un discours écolo souvent accusé, précisément, d’être moralisateur, réactionnaire
et donc « pas cool ». On disqualifie ses adversaires comme on peut,
que voulez-vous, quand on n’a que ça à faire de chercher à disqualifier l’Autre
alors que torchon et planète brûlent.
L’Autre,
tiens, justement. Il est au cœur de la pensée de Lévinas à tel point que cet
auteur est souvent qualifié de « penseur de l’Autre ». Pour lui, l’éthique surgit au moment du face-à-face
avec l’Autre et plus particulièrement avec son visage. Non pas le visage
tel qu’habituellement défini, par des caractéristiques seulement physiques.
Non, le visage en tant que mise à nu,
expression de la vulnérabilité d’autrui, vulnérabilité comme source d’identification
et fondement d’un sentiment de responsabilité infinie vis-à-vis d’elle/lui.
Sans cette expérience du face-à-face
lui très physique, concret, rien n’est possible. On est par ailleurs très
frappé par l’exigence que suppose
notre propre regard sur autrui. Lévinas ne cesse en effet de marteler « je
ne peux, je ne peux » pour souligner l’impossibilité de rester sans rien
faire après cette vision/confrontation.
Ouf !
Les Bisounours commencent sérieusement à nous les casser. C’est pas moi qui le
dit (ce serait surprenant ;)) mais c’est ce qu’on entend assez souvent
face à des idées, des paroles un peu positives… et forcément exigeantes. Car la
pensée, et encore plus son application, oui la pensée de Lévinas est exigeante
car cette fois-ci, ça ne rigole plus : et si grâce à cette folle exigence, nous étions enfin obligés d’être
nous-mêmes (ah, le « propre de l’Homme, décidément mon
dada ;;)) ? Et si en essayant un peu, tiens tiens, d’être à la
hauteur, on se sentait mieux et on
détruisait moins ce qui nous entoure et, au passage, nous nourrit, nous est
juste vital ?
Lévinas, moi je dis, c’est une
opportunité historique à ne pas rater. C’est remettre les choses à plat et dans l’ordre. Cela
suppose bien évidemment d’accepter de vivre encore cette expérience fondatrice
de la rencontre avec le visage d’autrui. C’est donc ne pas avoir peur, ne pas
s’enfermer dans tous les ghettos en self-service dont notre époque nous
abreuve. C’est refuser ce qui, dorénavant, nous rendrait coupés et insensibles
car aucun salut ne viendra du hors-sol encore moins digital pour notre
espèce-tout-le-contraire. C’est regarder l’Autre, mais le regarder vraiment et
s’en sentir responsable comme elle/lui –moi je rajoute ça, excusez- doit se
sentir responsable de moi. C’est ne pas voir que de la vulnérabilité dans ce
visage, mais voir aussi cette vulnérabilité. C’est enfin ouvrir les abattoirs. C’est élargir le spectre de ce qu’est un
visage. C’est se sentir engagé au sens large, celui d’Autrui sous toutes
ces formes différentes que je ne connais pas encore. C’est avoir cette modestie
que la science bien plus arrogante que la philosophie n’a pas. C’est rester à
sa place et l’occuper enfin pleinement dans un ordre des choses qui nous
dépasse. C’est être sage au sens vrai de Lévinas.
Et comme la
philosophie a toujours fait bon ménage avec les libations, reprenons, oui
reprenons cette tradition qui, elle, a du bon ! Ainsi, les livres ne sont pas les seuls à être
inspirants (et les conférences disponibles sur ce cher Net, dans le cas de
Lévinas). Figurez-vous qu’il y a aussi…
le vin. Ainsi, une fois n’est pas coutume, autant finir en beauté le
présent billet en vous recommandant Nature de vin à Aix-les-bains. Entre
boutique, ateliers de dégustation de vins bio (dynamiques ou pas) et tourisme
œnologique dans notre belle région, vous ne serez certainement pas déçus. La
modération est ici, contrairement avec Lévinas, de bon aloi. Mais vous aurez
ainsi la satisfaction d’être un acteur écolo sans peut-être le vouloir, à votre
corps défendant et souriant au visage d’autrui, pris dans l’économie circulaire
du Grand Tout. Qui sait, oui, qui sait ?
©Yolaine de LocoBio
Mars 2019
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