Qui
marche sur la tête manque l’horizon
(et
va mécaniquement droit dans le mur)
« Seules
les pensées que l’on a en marchant valent quelque chose »
a décrété Nietzsche, sans doute et on l’espère pour lui de
retour de promenade. Il n’est pas le seul à avoir mis l’accent
sur les vertus de cette activité et, au-delà, de l’activité
physique et de l’importance de la matérialité en l’occurrence
corporelle. L’intérêt de ce genre de réflexion, aujourd’hui,
c’est bien entendu la référence à la marche alors que l’obésité
contraint les pays même pas encore ou jamais « développés »
à voir, eux, se développer nombre de handicapés incapables de se
déplacer par eux-mêmes normalement. Nul n’est besoin d’insister
sur ce véritable fléau social, abusivement appelé « épidémie »,
comme s’il fallait voir une fatalité naturelle là où ne sont
qu’effets culturels de la dite Modernité.
L’autre intérêt de ce
type d’assertion, c’est de définir ce qui a de la valeur ou pas. Or si c’est en marchant que l’on produit
des pensées ayant de la valeur, quid si on ne marche plus, ou de moins en
moins, ou carrément sur la tête ? Car c’est le cas, et depuis bien
longtemps, et sous les apparences de la pensée la plus sérieuse, donc la moins
contestable. Dom Quichotte toujours chevillé
au corps (décidément !), je voudrais cette fois-ci m’attaquer aux doctes
penseurs de la philosophie. Je dis « doctes » au masculin,
même si ça n’est pas très manifeste, car l’un des maux de la philosophie est la
surreprésentation masculine de cette, comment dire ? discipline, science,
démarche ? En tout cas, ce déséquilibre est un drame pour cette pensée.
Mais c’est surtout un drame pour l’Humanité qui a trop souvent pris au sérieux
de totales inepties. Je parle essentiellement de la philosophie occidentale qui
m’est la plus familière et j’ai l’honnêteté de ne pas généraliser. A charge
pour des philosophies plus pertinentes, c’est-à-dire en phase avec le vivant et
le réel, de se manifester et de s’imposer. Car le moins que l’on puisse dire
est que l’on en a cruellement et urgemment besoin.
Vous devez vous demander :
mais quelle mouche l’a encore piquée ? Je dirais ni celle du coche ni
celle de la bouse d’à côté. Non, c’est juste, encore, un article du Philosophie
Magazine de cet été –preuve que je persiste à la lecture d’inepties, histoire
de me donner une chance d’être agréablement surprise-. Intitulé « Pas de
pitié pour les mini-cerveaux ? », il nous rapporte le développement croissant
d’« organoïdes cérébraux », alias des cerveaux miniatures pour
l’instant produits en laboratoire. Attention ! Ceci n’est pas de la
science fiction mais la science qui prétend inventer nos vies, donc de la
fiction, donc s’y intéresser est de salubrité publique. En fait, sincèrement,
sur cette question, je n’ai pas d’avis. Ouf ! Elle n’a pas d’avis, on va
enfin pouvoir se reposer. D’accord, je vois le genre, faut dire si je dérange,
moi et mon poli à gratter à défaut de dedans la main. D’un autre côté, ce n’est
pas le désir de pseudo-tranquillité qui va m’arrêter, non, pas en si bon
chemin. Bon, donc, ce qui me dérange, c’est la manière d’appréhender ces
questions dans ce magazine qui est le n°1 en la matière en France. Et qui, au
surplus, relaie les débats actuels qui agitent le marigot philosophique. Donc ce qui gêne, ce sont les questions éthiques
liées à ce genre de manipulations et de créatures. Ainsi : « A
terme, les scientifiques pourraient bien produire
une conscience, ou du moins
certaines formes de conscience. Faudra-t-il considérer ces bouts de cerveau
comme des sujets de droit à part
entière ? » (p.21). Or, préviennent les philosophes, juristes et
médecins des plus grandes universités américaines (forcément : qui peut le
pire peut le mieux et inversement) : « Plus les modèles cérébraux se
rapprochent d’un cerveau humain fonctionnel, plus ils risquent de soulever
d’épineux problèmes éthiques » (ibidem).
C’est donc plus
clair que jamais: la question de la
conscience est prisonnière d’une philosophie elle-même prisonnière et coupable
d’anthropocentrisme. Le genre humain, dans ce qu’il a de plus
« intelligent » et d’apparence légitime, ne semble s’intéresser à ces
questions que lorsque lui-même est en question. Actuellement, il est certain
qu’avec l’essor des fausses intelligences vraiment artificielles, certains ont
beaucoup de soucis à se faire. On a comme qui dirait peur de se laisser
dépasser et de se faire, demain matin, manger par le loup-robot. Du coup, on
s’affole, encore et toujours trop tard. Et du coup, comme encore et toujours,
on aborde la question de travers. En effet, pourquoi faudrait-il attendre que
la ressemblance avec notre cerveau soit trop grande pour que l’on se pose des
questions d’éthique ? Comme si
l’éthique n’était pertinente que pour les humains qui ne sont, après tout, que
des animaux comme les autres. Vite ! Je précise : comme les
autres mais dotés d’intelligence. Ok, mais les autres animaux sont aussi
intelligents, sauf qu’on ne comprend rien, ou encore très peu, à leur intelligence. Autant dire qu’on est
très cons, d’autant plus quand on se drape dans de la suffisance. Par
conséquent, l’éthique qui a pour objet de faire au mieux sur des sujets
sensibles (top définition perso :-) ) doit évidemment
concerner tous les types de cerveaux, d’intelligences, et j’ajouterais même de
formes vivantes et pourquoi pas la « Nature »,
l’ « environnement » dans leur ensemble ? Car
fondamentalement, le problème, notre problème de dingue qui nous tue et tue
tout autour de nous, c’est cette façon erronée de voir les choses, de longue
date. Oui, la philosophie y est pour quelque chose et le cas d’espèce des
« mini-cerveaux » ne fait que souligner l’inanité, voire la toxicité d’une production intellectuelle à côté de
ses pompes, vide de toute spiritualité au service du vivant. Il faudrait arrêter de jouer aux pompiers
pyromanes et, après, se faire plaisir en se réunissant entre grands clercs pour
dire que non, que quand même ça ne se fait peut-être pas, qu’il faut arrêter à
temps. Tout le monde sait très bien que si on pouvait arrêter le progrès et son
arrogance, ça se saurait. Non, ce
qu’il faut, c’est une bonne révolution sensible,
celle que je défends et entend bien de plus en plus charpenter, pour espérer
nous en sortir et, au passage, être digne de notre profonde, si réelle,
humanité.
Bon, on a commencé avec
Nietzsche, on va finir avec l’écrivain Paul Valéry car un bon bouquin de
littérature vaut souvent mieux que des arguties pseudo-philosophiques. Ainsi,
le fameux sétois auteur du non moins célèbre « Cimetière marin »
avait-il judicieusement remarqué dès 1924 : on peut « concevoir
des craintes sérieuses sur les destins de l’intelligence telle que nous la
connaissons jusqu’ici ». Sachant que comme l’espérance de vie, le QI a
baissé dans les pays « développés » depuis le milieu des années 90,
surtout à cause de causes environnementales et parmi celles-ci des causes
technologiques, l’enjeu est juste de se
poser la question suivante : que signifie notre évolution si nous devenons
de plus en plus cons ? Et la première des conneries n’est-elle pas de
continuer à prendre au sérieux la pire des « âneries » : nous,
sérieusement, seuls détenteurs de l’intelligence et de la conscience, à ce
titre grands ordonnateurs de l’éthique ? Allons, quand commencera-t-on
à être sérieux ? Faut-il attendre que jeunesse se passe ou que femmes
philosophes se fâchent ?
©Yolaine
de LocoBio,
Amie des bêtes, à commencer par les philosophes confirmés.
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