Le 21ème siècle sera
antispéciste ou ne sera pas
En tout cas,
une chose est certaine : il appartiendra à ceux, sera façonné par ceux qui
ont d’autres préoccupations que l’Euro de foot et savoir s’il est raisonnable
ou non d’amener ses enfants dans une « fan zone » en cette période à
« haut risque terroriste ». Assez d’oisiveté aussi stérile que
mercantile. Assez de discours alarmistes qui, comme par hasard, alimentent la
peur chez nombre de personnes qui auraient bien des motifs pour la transposer
et se rebeller. Assez de nivellement par le bas si opposé à une véritable
démocratie.
Et de démocratie, justement, contre
toute attente, il en est question dans l’ouvrage d’Aymeric Caron, Antispéciste. Réconcilier l’humain,
l’animal, la nature, paru aux éditions Don Quichotte en avril dernier.
Surtout connu pour avoir été chroniqueur dans l’émission de Laurent Ruquier
« On n’est pas couché », il l’est aussi, de plus en plus, pour son
engagement en faveur de la dite « cause animale ». Sa popularité est
particulièrement nette depuis 2013, année de publication de No steak, tiré à plusieurs dizaines de
milliers d’exemplaires. Déjà il défendait l’option végétarienne, option
désormais dépassée par son orientation vers le véganisme.
Trajectoire intéressante que celle de
ce grand et bel homme glissant semble-t-il de la sphère ultra-médiatique à
l’écriture plus distanciée au service de convictions de plus en plus nettes.
Glissement de l’arrêt de toute consommation alimentaire de chair animale à un
essai de ne plus recourir à aucun produit d’origine animale. Elargissement vertigineux
de la focale car le bougre aboutit de manière inévitable à une remise en cause
radicale. Rappeler que « radical » n’est pas un gros mot, qu’il
renvoie littéralement à la racine, aux fondements ; que donc, oui, tout le
système actuel, le monde, sa vision, sont ébranlés par une telle réflexion. On
le sait : les choix alimentaires ne sont pas anodins. On touche bien vite
à toute une économie et, au-delà, à un mode de pensée reposant sur certaines
bases. Le nôtre, mondialisé s’il en est, repose ainsi sur l’anthropocentrisme,
échec des échecs de la révolution des Lumières au 18ème siècle. Car
autant rompre avec la transcendance et une hiérarchie outrancière était une
bonne idée. Autant rater le coche de vraiment se recentrer sur l’immanence et
notre relation au monde nous est aujourd’hui fatal.
D’un côté, on parle de plus en plus
d’écologie. De l’autre, certains se préoccupent du sort lamentable réservé aux
animaux qui d’élevage, qui de cirque, qui pour l’expérimentation cosmétique,
etc… C’est bien. Mais est-ce suffisant ? Non. Pourquoi ? Car les
forces d’inertie du système actuel –comme de tout système d’ailleurs- sont
immenses. Et aussi parce qu’il manquait un propos reliant ces combats épars. Or
l’un des grands mérites de ce volumineux essai (plus de 450 pages) est de
proposer une vision globale alternative. Et cette alternative porte un nom,
l’antispécisme, ou refus de discrimination d’un être vivant au motif de
son espèce d’appartenance. Il ne s’agit pas de nier l’existence de différences
entre espèces mais bien d’inciter l’Homme à habiter pleinement son humanité,
c’est-à-dire lui-même et la Terre, en cessant d’exploiter les animaux non
humains. Car on rappellera que biologiquement l’Homme est un animal, vérité
souvent occultée pour oublier et ne pas
trop être effrayé par sa propre inhumanité.
Où il est question de (se) réconcilier,
d’élargir notre sphère de considération
morale (p.237) à d’autres êtres sensibles. Où il s’agit de « prolonger ces combats pour l’égalité (racisme,
esclavagisme, sexisme, homophobie…) des
individus en demandant la prise en compte de cette réalité nouvellement admise
par les scientifiques (…) : tous les animaux sont des individus qui
éprouvent la souffrance et qui ont un droit intrinsèque à la vie. »
(p.240). Où il faudra, oui, se poser 5 minutes, enfin peut-être un peu plus et
pas que sur une plage cet été, pour (re)trouver une colonne vertébrale avec un
peu, un minimum, de morale. Bouh, quel ennui, on l’avait bien dit que
l’écologie, c’était barbant… sans compter que c’est dangereux. Car qui dit
morale dit réflexion, règles, discipline, maîtrise de soi. Qu’est-ce que c’est
que cette histoire, une vraie régression je vous le dis ! Ben oui, on
n’est pas bien à jouir de l’orgie actuelle, à se modeler les bourrelets au
camping ou au club Med, à coup de barbecue ? On n’est pas peinard d’avoir largué le clébard,
trop encombrant, au mieux à la SPA qui s’en chargera ?
Eh oui, la morale… et non, on n’y
coupera pas. Ce sera ça ou pas, ou rien, ou poursuivre dans la déshumanisation,
dans la déconnection, dans les humains qui, de toutes façons, sont de plus en
plus traités comme du bétail. Car elle est où, en réalité, la régression ?
Assurément dans des sociétés frustrées de ne plus pouvoir autant consommer
–socle sacré de la démocratie libérale-, précaires à outrance faute de penser
l’après-croissance et l’après-travail. Aymeric Caron invite à voir les choses
frontalement et à dessiner un monde possible, souhaitable, nécessaire, on
serait même tenté de dire « hygiénique ». Salut personnel et salubrité
publique apparaissent bien mêlés dans cette somme documentée, passionnante, qui
fait très certainement déjà date dans le parcours intellectuel et spirituel de
son auteur. Et je le pense bientôt dans la réflexion collective hexagonale.
Je ne peux donc que vous inviter à l’acquérir.
20,50 euros, c’est peu pour un tel travail de bonne vulgarisation et un projet
politique d’envergure. Ou alors l’emprunter en médiathèque. Ou encore le faire
acheter pour ensuite l’emprunter. Car il n’y a pas de raison : tant qu’à
exister, autant que le « buzz » serve non plus à servir l’inanité des
choses mais bien à leur consistance. On serait tenté de dire à leur incarnation
si le mot n’avait pas été confisqué à d’autres fins. Où, décidément, il est
question de recentrage et de révolution.
En résumé, voici 3 bonnes raisons pour
dévorer ce pavé :
- il donne des clefs pour agir, entre
diagnostic sans appel ( L’animal
assassiné »), un horizon (écologie essentielle et biodémocratie) et
des actions concrètes type boycotter les zoos et autres parcs aquatiques à haut
potentiel delphinesque, adhérer pour le prix d’une glace même pas bio à des
associations courageuses comme L124, l’OABA, One Voice.
- il contient une bibliographie
sérieuse et une revue des sites internet pour vous forger votre propre avis et,
je l’espère, participer à une lame de fond salvatrice.
- quelques citations en guise de
viatique :
« l’Humanité
mature est une humanité de la nature », p.365
« L’idéal
républicain est une injonction à l’empathie, qui est cette faculté à
s’identifier à quelqu’un et à ressentir ce qu’il ressent » (p.310)
« Manger nous
maintient en bonne santé, mais peut aussi nous rendre malade, voire nous tuer.
Le sujet est beaucoup trop grave pour qu’il soit laissé à des acteurs privés,
avides de bénéfices, qui méprisent le bien commun » (p.277)
De Jeremy Bentham, dès le 18ème siècle :
« Le jour viendra peut-être où le
reste de la création animale pourra acquérir ces droits qui n’auraient jamais
pu lui être refusés, sinon par la main de la tyrannie. Les Français ont déjà
découvert que la noirceur de la peau n’est nullement une raison d’abandonner
sans recours un être humain au caprice d’un tourmenteur. On reconnaîtra
peut-être un jour que le nombre de jambes, la pilosité de la peau ou la
terminaison de l’os sacrum sont des raisons tout aussi insuffisantes
d’abandonner un être sensible au même destin » (p.252)
« L’antispécisme
se heurte toutefois à une difficulté qui n’accompagnait pas les autres
luttes : il réclame des droits pour des individus qui ne sont pas
eux-mêmes en mesure de les exiger » (p.241)
« (…) on comprend
pourquoi le seul « vouloir-vivre » a tant de mal à être toléré comme
un critère de considération dans une société productiviste qui génère du
« vouloir-tuer » à n’en plus finir » (p.173). A ce propos,
un petit rappel : 60 milliards d’animaux sont abattus chaque année à des
fins de consommation alimentaire pour nourrir… moins de 8 milliards
d’humains !
« La souffrance
reste la souffrance, quel que soit l’être qui la ressent » (p.164)
Et bien sûr : « L’antispécisme
est un nouvel humanisme » (p.217).
©Yolaine de LocoBio
Juin 2016
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