Prière pour l’arbre que je n’ai
jamais eu
Abattu.
Lui est bel et bien abattu.
Ni vu, ni connu, ils l’ont
abattu.
Je l’avais aperçu de loin, je
peux pas dire.
C’est sûr qu’aucun avis ne le
cintrait.
Pour prévenir. Histoire de
prévenir.
« Ohé ! Vous savez
quoi ? Cette vie… là, on va bientôt la foutre en l’air, copieux la
démolir ».
J’imagine la Cène.
Lui, grand seigneur solitaire au
milieu des fils et des trottoirs, tout en l’air, tout de travers.
C’est le dernier soir.
Il le sait.
Naïveté de croire qu’il ne le
sait pas.
Ça transpire, c’est dans l’air.
Tout transpire, tout est dans
l’air.
Qui déambule à ses abords, un peu
éméché.
Qui s’embrasse, qui ne pense pas
à l’enlacer.
Qui se presse autour du
rond-point, son bambin à vite coucher.
Qui.
Qui pour le regarder.
Il sue pourtant le calvaire.
Qui ne sait.
Qui s’en fout.
Qui est pressé.
Stupéfaction.
Prière pour l’arbre que je n’ai
jamais eu.
Varécy
Avril 2016
Après-propos
Ce texte a été écrit récemment, suite à l’abattage d’un arbre splendide à côté du parking Curial-Monge, esplanade de l’Europe, à Chambéry.
Sur ce rond-point, trône un monument, fort légitime, en hommage aux Savoyards morts pour la France lors de la guerre de 1870-1871.
On s’interroge sur les poids et les mesures du souvenir. L’arbre abattu, lui, n’a rien. Et pourtant, ses racines doivent bien être encore quelque part, on l’espère vivaces, au début de la rue dite de la République.
On s’interroge aussi sur les boucheries transformées en routine, le vivant ainsi, partout, silencieusement méprisé. Rien n’excusera et ne justifiera jamais de telles erreurs, surtout pas leur habillage démocratique.
Pour les êtres conscients, l’heure n’est plus à faire avec les lois, les règlements. Elle est à protéger ce qui, fondamentalement, doit l’être.
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