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Chronique 77
19-05-2015

Pour que l'humain reste vivant Actualité d'un auteur :

l'américain Lewis Mumford

 

  

La preuve par la publication, ou comment la décroissance ne date pas d'hier

Les éditions du passager clandestin dont il a déjà été question dans des chroniques antérieures poursuivent leur remarquable travail de révélation et de valorisation d'une pensée économique alternative déjà ancienne. J'en veux pour preuve la publication récente du court mais dense, percutant et très accessible (env.100 pages, 8 euros) ouvrage intitulé Lewis Mumford. Pour une juste plénitude.

Il fait partie des livres de la collection «  Les précurseurs de la décroissance  », dirigée par Serge Latouche. L'objet de cette collection est de montrer que le concept de décroissance est ancien, certes réactualisé, mais ancien, donc enraciné et sans doute doté d'une pertinence à envisager sérieusement. Opposée au développement durable, considéré comme une imposture dans la lignée de l'économie mortifère actuelle, elle remet en cause la possibilité d'un développement infini dans un monde qui, lui, est doté de ressources finies. Cela semble tomber sous le sens... et pourtant non, sinon nous n'en serions pas où nous en sommes. Et le moins que l'on puisse dire est que ce n'est pas vraiment brillant. Ni encourageant. Sauf inflexion, si possible rapide et efficace. Et conversion vers la fameuse « société d'abondance frugale » à laquelle le concept de décroissance est régulièrement attaché. Sans d'ailleurs que l'on voie très bien, à moins d'être initié -mais alors le plus grand nombre doit le devenir, sinon point de Transition-, à quoi ce type de société peut concrètement correspondre. On le perçoit mieux grâce à ce titre qui traite de questions concrètes comme l'accès à la terre.


La décroissance s'érige donc de longue date comme un rempart contre le productivisme qui a façonné la société moderne. L'un des mérites fondamentaux de cette collection est de faire prendre conscience de cette résistance via l'existence d'une vraie histoire des idées alternatives. Ainsi, on ne peut plus marginaliser, voire nier, cette pensée. Ainsi, elle acquiert un potentiel révolutionnaire. Et c'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle gêne autant, plus que pour ses contradictions intrinsèques qui, certes, existent, comme dans toute pensée d'ailleurs.


Lewis Mumford ou la question de la « bonne échelle »

Frappant, il est vraiment frappant (et un peu navrant, mais restons mobilisés!) de constater comme tout est là pour changer, en mieux, depuis longtemps. Relire ou découvrir les penseurs d'hier renforce cette sensation diffuse, que l'on peut éprouver parfois ; celle qui consiste à se dire que tout ceci n'est pas possible, que l'on a perdu tout bon sens, que l'on a comme décollé, que quelque chose n'est plus connecté au réel, même si on se dit, on devrait être de plus en plus « connectés ». Chacun est un peu hors de lui-même, avec beaucoup, trop de sollicitations, de possibilités et d'énervement aussi. L'Humanité se sent comme pousser des ailes et pourtant, on la sent comme fondamentalement plombée. Et si tout ceci venait d'un problème de rapport à l'échelle, de rester, définir, savoir quelle serait la bonne échelle ?


C'est précisément ce qui sous-tend la pensée de l'inclassable Lewis Mumford (1895-1990). Inclassable, car au minimum historien et philosophe, curieux et compétent en beaucoup de matières comme la psychologie et l'art. Soucieux de mobiliser les bonnes focales pour appréhender la société industrielle et son évolution, avec un souci particulier pour la techno-science et l'urbain. Il y aurait beaucoup à retenir et à citer de lui, mais rien de tel que lire à tête (assez) reposée l'ouvrage dont il est ici question. Encore une fois, il est court mais vaut la peine car on fait d'abord connaissance avec son parcours de vie, ses influences intellectuelles, puis avec ses œuvres majeures dont beaucoup, malheureusement, ne sont pas encore assez traduites... ce qui, comme par hasard, nuit à la diffusion de ce genre de pensée alternative.


Il y a donc beaucoup à découvrir et à retenir. Je m'attacherais plutôt au volet de sa réflexion relatif à la ville, à la région et plus généralement au local, donc au sol physique, à la réalité tangible. Mumford a tôt manifesté de la préoccupation pour les conséquences du processus d'extension des villes sur leur environnement et leur croissance interne démesurée. Que dirait-il aujourd'hui où la mondialisation se conjugue avec une urbanisation galopante ? A la mégalopolisation qui tue la ville, il oppose une régionalisation équilibrée au sens où des villes contenant des jardins nourriciers, entourées d'espaces verts définitivement protégés, sont reliées entre elles. On est donc bien loin du mode de développement qui prévaut actuellement, avec concentration au profit de capitales mondiales et disparition du nourricier réel. Et, au passage, accentuation des inégalités socio-économiques.


La seule question qui vaille est : est-ce ainsi que nous voulons vivre ? Entre riches, tant pis pour les autres, de plus en plus nombreux, dans des tours de plus en plus hautes, dévorant au mieux des salades poussées hors sol le long de murs végétalisés ? Pas si sûr. On peut imaginer le combat difficile, mais lui seul vaut. Combien de temps encore va-t-on rester soumis alors que Mumford écrivait déjà, dans les années 50 : « Sans réfléchir, nous avons accepté, comme un éclatant progrès technique, ce qui ne trouve trop souvent son expression que dans la régression biologique et sociale » (p.98) ? Ou encore : « Cette société sans valeurs et sans idéal sera ainsi plus dépourvue que les communautés primitives à l'âge de pierre » (p.93). On peut trouver le propos exagéré. Le style, en tout cas, est là pour réveiller les consciences et étayer l'action. A commencer par favoriser des « cités-jardins », des « unités de voisinage » vivables pour faire émerger un tissu urbain faisant cité. Et non pas une ville mécanique au service d'une économie mécanique où l'humain serait devenu lui-même hors sujet.



©Yolaine de LocoBio

Mai 2015


 
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