Focus sur la
littérature jeunesse alternative
Et oui, on le sait, l'écologie
« c'est pas rigolo »... comme si c'était l'écologie
qu'il fallait mettre en cause et non pas, justement, les vraies
causes... De l'art d'inverser, surtout pour le grand public, les
causes et les conséquences. Car si l'humain se comportait bien,
l'écologie n'aurait pas (eu) lieu d'être. Bref, la cause,
justement, est entendue : l'écologie fait peur, triste conte
franchement trop sérieux et pas cosy.
Dans ces conditions, faut-il
vraiment « embêter » les jeunes générations avec cette
question ? Ne vaudrait-il pas mieux les bercer de douteuses
mais bien consuméristes illusions ? Et si jamais on décide de
leur en parler, quel serait le bon ton, la bonne manière de les
aborder ? Ces questions, les éditions Elka
(http://www.elkaeditions.fr)
avec à leur tête les auteurs Karine Sabatier-Maccagno et Loïc
Hamon les ont non seulement posées mais ont trouvé des solutions
convaincantes avec deux collections qui méritent un coup de
projecteur.
Dans
la première, intitulée « Les carnets de Timéo »,
nous suivons le garçon du même nom « citoyen du monde en
herbe » dans des aventures soit ciblées (le coton et la face
cachée de nos vêtements, l'origine pas forcément plus claire ni
reluisante de nos aliments, etc...), soit initiatiques dans les
grandes largeurs du développement durable à l'échelle planétaire.
Traitant aussi bien du commerce équitable, de l'accès à
l'éducation, des espèces menacées que du réchauffement
climatique, ce tour du monde sous forme d'album très richement
illustré (dessins + photos tout au long d'environ 80 pages), « Les
pieds sur terre (ou) les aventures de Timéo dans un monde qui marche
sur la tête » s'inscrit ainsi dans une démarche large de
compréhension-action. Déjà
diffusé à plus de 10 000 exemplaires, cet ouvrage fait l'objet
d'une nouvelle édition où nous suivons en effet notre héros dans
sa quête de compréhension d'un monde décidément bien complexe...
puisque la mondialisation est précisément passée par là avec son
lot d'intermédiaires et d'opacité.
De la Bretagne aux Philippines en
passant par Madagascar, l'Antarctique et le Togo, nous parcourons des
kilomètres entre vif effarement et consternation active.
Chaque étape du périple se concentre sur une problématique (par
exemple le mal-développement et ses effets comme la faim, l'inégal
accès à l'eau...) et s'achève sur quelques pages d'un carnet de
voyage fourmillant d'informations parlantes comme le rappel suivant :
pas moins de 211 millions d'enfants travaillent au lieu de
s'instruire, ce qui ne manque pas d'entretenir le cercle-vicieux de
l'enrôlement facile dans des conflits qui ne les concernent au fond
pas ou encore le prix injuste payé pour des vêtements fabriqués
dans de drôles de conditions. Un glossaire avec les définitions de
termes comme « agriculture biologique », « micro-crédit »
ou -plus communément dans le programme de géographie- « seuil
de pauvreté » et « déforestation », complète un
ouvrage aussi dense que plaisant. Sans oublier une biblio et une
webgraphie et un espace final dédié à la mise en avant d'un
certain nombre d'acteurs du droit à l'éducation, de la promotion de
la citoyenneté ou du développement durable, dont les réseaux
Biocoop et Artisans du monde. La toute fin du livre nous dévoile un
petit – si petit que je peux le révéler- secret d 'écriture :
certains personnages rencontrés par le héros correspondent à des
personnes bien réelles dont l'autorité scientifique ne peut que
renforcer la crédibilité du propos général. Parmi eux, non moins
que le climatologue Jean Jouzel, prix Nobel de la paix en 2007 avec
l'ensemble du GIEC (Groupe d'experts Intergouvernemental sur
l'Evolution du Climat).
La seconde collection,
judicieusement appelée « Itinéraire bis »
(« bis » comme autre voie non pas secondaire mais
nécessaire) s'évertue avec la même sagacité et je dois le dire le
même succès à décrypter des enjeux politiques qui ne cessent de
faire la une de l'actualité. Courageux, le choix éditorial de se
coltiner en allant au plus simple des sujets délicats de par leur
caractère polémique et encore une fois leur complexité ; ce
choix-là est à souligner. En effet, à une époque où parler
d'écologie semble indécent tant les esprits sont -par un hasard
tout logique- accaparés par « la crise » et où le livre
ne sait lui-même pas où il va... sortir des bouquins qui prétendent
et parviennent à donner des clefs sur des sujets citoyens -plus que
strictement éco-citoyens d'ailleurs- comme la pollution aux algues
vertes liée à l'élevage porcin intensif, l'accumulation des
déchets, la pression exercée sur la ressource eau ou les relations
inéquitables entre agriculteurs et grande distribution... sortir de
tels bouquins est d'un certain point de vue une pure folie.
Longuement préfacé
par l'animateur de radio Philippe Bertrand (« Carnets de
campagne » sur France Inter
http://www.franceinter.fr/emission-carnets-de-campagne, c'est lui :
ne cessez pas de l'écouter!), le n°1 de cette collection comprend
donc quatre enquêtes qui, de repères chiffrés en schémas, photos,
lexique, interviews, dessins humoristiques permettent de se faire un
avis et surtout d'agir. Cela forme un ensemble encore une fois assez
remarquable, la couverture souple permettant une lecture elle aussi
souple.
J'en viens ici au livre-objet car
les deux auteurs-éditeurs ont a cœur mettre en phase le contenu et
le contenant. Ce souci de cohérence est rare
et je suis bien placée -en tant qu'auteur ayant été confrontée à
des choix d'impression, voir
http://www.elena-varecy.com/Le_roman.html)-
pour mesurer la difficulté de tenir ce genre de pari. Car éditer en
France, pays aux charges sociales bien trop lourdes on le sait, des
livres éco-conçus au surplus, cela implique de trouver les bons et
trop rares professionnels et de rester concurrentiels quant aux prix
pratiqués. Or il se trouve que ce pari, non plus seulement sur le
fond mais aussi sur la forme, les éditions Elka le relèvent chaque
jour depuis maintenant presque 10 ans. Je ne saurais donc que trop
vous conseiller de visiter leur site où des DVD sont également en
vente, peut-être moins éco-conçus, mais bon... il y a pire, il y a
bien pire...
« La terre est un
organisme vivant, qui nous nourrit. Elle
digère, respire, s'abreuve naturellement, mais, avec l'agriculture
industrielle, nous l'avons appauvrie et tuée. Aujourd'hui, elle est
réduite à un sol gavé de produits chimiques et de poisons violents
que l'être humain finit par ingurgiter. Tout ce que
nous faisons à la terre, nous nous l'infligeons à nous-mêmes »,
a
écrit l'agro-philosophe Pierre Rabhi.
Quelle
chance ont les enfants d'aujourd'hui d'avoir, grâce à ces acteurs
engagés du mondé éditorial, accès à une parole sage !
D'ailleurs, vous l'aurez compris, je ne vois pas en quoi leurs
publications seraient le seul apanage des plus jeunes. Lorsqu'il
s'agit de rendre accessible au plus grand nombre une parole qui vaut
la peine, alors les frontières en littérature éclatent pour
laisser place à la large diffusion des lumières de la Raison.
Oups... mais c'est que j'aurais presque des accents 18èmesques !
Logique, en des temps aussi obscurs un gros dépoussiérage s'impose.
Pour
finir, j'aimerais aussi signaler l'existence d'une petite maison
d'édition qui propose de jolis petits opus,
officiellement pour les « petits » mais je maintiens que
cela ferait du bien aux plus « grands ». Bon, la démarche
éco-citoyenne est nettement moins patente, notamment dans le process
d'éco-conception, mais bon... là encore il y a pire, il y a bien
pire ; tout l'enjeu est d'arbitrer et de mettre en avant le
moins pire pour que les normes soient tirées vers le haut. Sans être
dupe et en disant ce qui est. Donc la démarche est moins exigeante
mais elle n'appelle peut-être qu'à changer pour s'améliorer. Cette
démarche, c'est celle des éditions
A dos d'âne (http://www.adosdane.com/Site/Accueil.html)
qui en sont déjà à presque vingt titres sortis dans la collection
« Des graines et des guides ».
Adressée aux « 7-12 ans et +... », elle propose des
livrets illustrés d'une quarantaine de pages « pour aborder le
meilleur de l'histoire contemporaine ». Mince, encore du
sérieux ! Et bien non, enfin oui, et alors ? Si c'est bien
fait ? Faudrait donc absolument toujours resté rivé devant sa
télé ?
Le
principe est donc celui de biographies de personnes célèbres dans
différents domaines (de George Gershwin à Lewis Carroll en
repassant avec bonheur par Georges Brassens et le duo Chaplin-Tati)
suivies de jeux et de dates importantes concernant leur vie. J'ai eu
le plaisir de lire celle de l'écrivaine Marguerite Yourcenar
« l'académicienne aux semelles de vent » (par ailleurs
végétarienne notoire afin de « ne plus digérer l'agonie »)
mais aussi celle sur le pédiatre et psychanalyste D.W.Winnicott,
l'un des premiers médecins à avoir considéré le bébé comme une
personne et à avoir inventé pour lui le fameux « doudou »
transitionnel. Catherine Kousmine -celle du régime largement connu-,
encore une pédiatre mais cette fois-ci branchée diététique, fait
quant à elle l'objet d'un récit court et assez plaisant où les
dessins, toutefois, ne sont pas toujours ni explicites ni très
jolis. Cela n'entache en rien l'intérêt de ces petits livrets à 7
euros qui peuvent aussi être acquis sous la forme de packs
thématiques comme celui sur l'Afrique comprenant les numéros sur
Miriam Makeba, Karen Blixen et Théodore Monod.
Voilà les amis.
Le printemps est arrivé : tous au jardin et à vos livres !
Le jour viendra bien où nous lirons en paix et ce jour-là, il faut
bien le préparer.
©Yolaine
de LocoBio
4 avril 2013
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