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Chronique 58
28-12-2012

Incroyable ! Une idée de destination pour la fin de l'année :

 

la Haute-Savoie !

   

  

Et oui, pourquoi ne pas aller faire un tour chez nos voisins pour changer un peu d'air ? C'est à une virée de ce type qu'incite Vagabondages bio en Haute-Savoie (édité par Alpes Contrôles en juin 2012, 251 pages).


Vous allez me demander fort à propos « Qui est Alpes Contrôles ? » et cette question est importante pour comprendre la démarche qui anime cet ouvrage. Entreprise basée à Annecy-le-Vieux, créée à la fin des années 80, elle s'est d'abord attachée à la sécurité des biens (vérification des équipements) et des personnes (hygiène sur les lieux de travail) pour ensuite élargir son champ d'action à l'environnement (gestion des déchets) et récemment à la qualité biologique des produits alimentaires. En clair, c'est un organisme certificateur, implanté pour l'essentiel via diverses agences dans le sud-est de la France, qui se développe sur le marché prospère et fortement concurrentiel de la certification.

 

Il est évident qu'à partir du moment où une certaine qualité alimentaire a été perdue à cause de l'évolution des modes de production agricole, cela a favorisé l'émergence de divers labels biologiques afin de se distinguer du conventionnel. Nous sommes donc dans la situation assez absurde où, pour espérer accéder à une meilleure alimentation qui n'est autre, bien souvent, que celle de nos grands-mères, nous devons payer cher. Et payer en particulier, via subventions ou directement, pour la certification des produits que nous consommons. D'où la structuration d'un véritable marché de la certification qui laisse au mieux rêveur, alors que la proximité et la confiance envers les producteurs devraient être en principe les meilleurs garantes de la bonne qualité de notre alimentation. Comme elles ne sont pas toujours au rendez-vous, les marchandises voyageant et la relation humaine directe étant souvent absente de tout échange économique, alors la voie est libre pour l'entreprise certificatrice et ses cahiers des charges. Il est regrettable qu'il en soit ainsi, sur le principe et au regard de la démocratisation d'une alimentation de qualité, lourde question qui demeure en suspens. On ne rappellera jamais assez, à ce propos, la nécessité de développer les circuits-courts pour tenter de revenir à un peu de bon sens et avancer sur les chapitres d'une économie relocalisée, écologique, animée par le souci de proposer des produits aussi gouteux que bons pour la santé et accessibles au plus grand nombre.


On l'aura compris, la principale limite du livre dont il est aujourd'hui question est d'être, comme d'autres, étroitement intéressé à la cause généreuse qu'il défend. Il est assez paradoxal, au fond, de voir ainsi célébré le vivant à tout bout de champ, et de rentrer ensuite dans la logique toute commerciale de la certification qui touche d'ailleurs depuis le mois d'octobre la restauration. On peut aussi considérer que c'est un moindre mal, une contribution à des améliorations parties prenantes de la Transition. On peut aussi relever que tous les organismes équivalents n'investissent et ne s'investissent pas autant dans un ouvrage d'une si grande qualité.


Qualité esthétique tout d'abord puisque vous trouverez beaucoup de très belles photos et même des représentations de tableaux au détour de ces feuilles multicolores obéissant à une charte graphique très utile au lecteur : en bleu les articles de fond, écrits par la politiste Pauline Vignoud, et en blanc ceux de la journaliste Virginie Heitz, centrés sur les personnalités locales de la bio. Cela m'amène à saluer en second lieu l'originalité et le caractère tout à fait impressionnant de ce travail qui montre l'imbrication profonde entre les échelles mondiale et locale. Vous en apprendrez beaucoup sur des problématiques générales comme « Les politiques agricoles en France depuis 1950 », « L'indignité de l'élevage », « Le grand enjeu de la semence » ou « La finance solidaire », les accents parfois militants du propos n'entachant en rien le sérieux de leurs fondements documentaires et la légitimité de leurs orientations. Vous apprendrez aussi beaucoup à la lecture de la quarantaine de portraits (si, si!) qui montrent justement le visage humain de notre économie. Evidemment, chacun est lié à une activité, une entreprise, voire une marque. Aussi vous trouverez quantité de bonnes adresses -tout à fait dans la logique qui fut la nôtre pour l'annuaire éco-citoyen de Chambéry et sa région voici bientôt trois ans, consultable, faut-il le rappeler, gratuitement sur le site où à ce moment-même vous posez les yeux-. De quoi donc passer de la théorie à la pratique dans ses actes de consommation, on le notera essentiellement alimentaires, ce qui est un brun dommage car notre quotidien ne se limite pas à cela. Il est vrai, toutefois, que des enjeux particuliers portent sur l'alimentation et que ce domaine s'est plus vite structuré que d'autres où la structuration est en cours, comme la construction écologique ou les vêtements.


Avant d'aller pour de bon à leur rencontre, c'est donc par leur portrait que vous découvrirez des personnes aux parcours souvent passionnants... où l'on se convainc que le plus global du global, à savoir le spirituel, est généralement très présent. Il y a les convaincus depuis toujours, mais ils ne sont au vrai pas si nombreux. On vient plus fréquemment au bio que l'on n'y nait, du moins parmi les générations d'interviewés, et en espérant qu'il en soit autrement d'ici quelques années. Avant d'être « biologique » au sens strict de la certification, la conversion est généralement d'un autre ordre. Intime, elle renvoie à une prise de distance par rapport à un monde devenu un peu fou, à un malaise, voire à une rupture profonde qu'il faut ensuite dépasser pour ensuite quand même vivre, et pourquoi pas en vivre. Ainsi, je dois dire avoir été très émue et marquée par le témoignage si juste et percutant de l'éleveur Jean-François Excoffier qui ne peut qu'interpeler : « Quand j'ai commencé à travailler, ce que j'avais appris des formations ne m'allait pas. Je n'y croyais pas. Je trouvais que les vaches étaient de plus en plus malades. Ça m'échappait. C'était morbide. Je n'arrivais plus à écorner les petites génisses. Une corne de vache procure une sensation incomparable. Quand une vache blesse ou est blessée avec une corne c'est un signal comme quoi on n'est plus dans les clous. Leur couper les cornes c'est comme enlever les feux rouges pour ne plus les voir. On fait beaucoup de choses pour gagner du temps à court terme, qui nous créent ensuite d'autres problèmes. (…). En 1997/98, j'avais le sentiment d'être au bord de l'entonnoir, que tout se rétrécissait. J'étais saturé. J'ai l'impression d'avoir traversé un mur. Imaginez-vous dans une pièce sans sortie. Dans un moment de découragement intense, vous vous appuyez contre le mur et vous passez à travers. (…). Bien souvent, on fait des choix qui sont incompris et intéressent ensuite. Moi, je ne vois pas de contrainte dans le cahier des charges du bio. La contrainte, ce sont les barrières qu'on se met quand on n'élargit pas sa conscience » (p.33).


Bio et conscience... nous y voilà. Je dirais que tout le livre est sur ce registre de l'élévation, du renoncement et, par symétrie, de l'engagement car chacun peut, doit maintenant, assumer sa part. Les consommateurs finaux, que l'on espère aussi finauds, mais aussi et d'abord les producteurs au sujet desquels le même Jean-François Excoffier rappelle fort à propos: « Dans notre façon de vivre, on a bien plus de force qu'en allant voter... ». Donc même sans aller, ou alors avant d'aller faire un tour en Haute-Savoie, parcourir ce « livre-guide »- « guide-livre » selon ses deux dynamiques auteures, vous ouvrira à coup sûr des perspectives philosophiques et pourquoi pas concrètes : gare au changement de cap radical après sa lecture !


Pour terminer, j'aurais une réserve et un complément d'information à faire.


La réserve, tout d'abord. Puisque comme me l'a lancé l'autre jour un traiteur bio « Nous, dans notre activité, ce qui est logique... c'est d'être cohérent ! », alors comment ne pas regretter que ce plaidoyer pour le local n'ait pas été imprimé localement ? Des éditeurs labellisés auraient certainement pu participer à cette aventure ou tout au moins être sollicités afin de les amener à faire évoluer leurs pratiques... et à publier le prochain, attendu pour l'année prochaine et consacré cette fois-ci à la Savoie. Bon, on comprend aussi que tester de bons restaurants a dû être un vrai plaisir, mais de là à qualifier le « moelleux de foie gras » de « magnifique »... On dira peut-être encore que les « bios » sont rabat-joie, que voulez-vous, personnellement je n'y vois que de la cohérence, cette fameuse et si précieuse cohérence. Alors faire la louange d'un foie gras, quand on sait que c'est avant tout l'organe malade d'un animal gavé, que voulez-vous... cela n'entre pas dans ma conception de la fête et puis c'est tout. Même réflexion à propos de l'enseigne Botanic qui, contrairement à une image soigneusement entretenue, n'est pas qu'une jardinerie « humaniste » et fait (encore, scandaleusement) commerce d'animaux dits de compagnie ; lesquels sont souvent, au mieux, abandonnés dans des refuges type SPA qui tiennent une fois de plus grâce aux dons financiers et au temps consacré par des bénévoles. Curieuse conception du développement durable où le profit et le manque d'esprit de responsabilité collective des uns, sur certains chapitres du moins, doit toujours être comblé par la générosité des autres. Peut-on sérieusement s'en sortir en continuant à penser et à agir ainsi? Parle-t-on d'une collection d'intérêts projetés sur un territoire ou d'une société vraiment durable ?


L'info en +, afin de compléter la double page un peu théorique sur les Amap, Association(s) pour le Maintien de l'Agriculture Paysanne (pp.51-52). Pour qui voudrait des conseils pratiques en vue de s'installer, autant s'adresser à leurs paysans de créateurs ainsi qu'à leurs relais en France et à l'étranger, Denise et Daniel Vuillon (http://www.amap-france.fr). L'essaimage passe aussi beaucoup, désormais, par l'attention des chefs cuisiniers attachés à la qualité et prompts à s'engager en contractualisant avec des producteurs locaux. Ils ne le disent pas toujours mais si leurs mets ravissent les palais, c'est bien parce qu'il y a une raison : la qualité, certifiée ou non, sera toujours au plus proche du naturel et cela, les chefs cuisiniers ne s'y trompent pas.


Ce n'est certainement pas Anthony Cognet, du Canopy (Annecy-le-Vieux), qui me démentira : « Manger sain est un cadeau que l'on peut se faire tous les jours. De plus, on se sent acteur économique. Notre achat est un vote. S'il évolue, l'émergence d'une société nouvelle peut s'accélérer. On veut nous faire croire que nous sommes des moutons. Mais c'est faux. Quand on achète local, on crée des liens et on agit économiquement. Quand on se noie dans la masse du supermarché, on se noie aussi dans le flou. On se coupe de soi-même et de sa responsabilité. Il faut recréer le lien avec soi-même, la nature et les autres. Mais il y a des choses qu'on ne peut pas faire si on n'est pas mis au pied du mur » (pp.42-43).


Le mur... le mur... décidément il est question d'un obstacle de taille à franchir. Dans l'histoire de l'humanité, il y en a eu des murs. Et ils ont été renversés. Alors espérons que l'enthousiasme de ce chef gagnera tous ses confrères, ce qui les amènera à aller plus loin en s'engageant dans des collectifs de type Amap.

 

D'ores et déjà, je vous souhaite à tous une bonne fin d'année et, donc, une bonne virée dans « la Yaute » si vous y allez.



@Yolaine de LocoBio

26 décembre 2012



 
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