Incroyable ! Une
idée de destination pour la fin de l'année :
la Haute-Savoie !
Et oui, pourquoi ne pas aller faire un
tour chez nos voisins pour changer un peu d'air ? C'est à une
virée de ce type qu'incite Vagabondages bio en
Haute-Savoie (édité par Alpes Contrôles en
juin 2012, 251 pages).
Vous allez me demander fort à propos
« Qui est Alpes Contrôles ? » et cette question est
importante pour comprendre la démarche qui anime cet ouvrage.
Entreprise basée à Annecy-le-Vieux, créée à la fin des années
80, elle s'est d'abord attachée à la sécurité des biens
(vérification des équipements) et des personnes (hygiène sur les
lieux de travail) pour ensuite élargir son champ d'action à
l'environnement (gestion des déchets) et récemment à la qualité
biologique des produits alimentaires. En clair, c'est un organisme
certificateur, implanté pour l'essentiel via diverses agences dans
le sud-est de la France, qui se développe sur le marché prospère
et fortement concurrentiel de la certification.
Il est évident qu'à partir du moment
où une certaine qualité alimentaire a été perdue à cause de
l'évolution des modes de production agricole, cela a favorisé
l'émergence de divers labels biologiques afin de se distinguer du
conventionnel. Nous sommes donc dans la situation assez absurde
où, pour espérer accéder à une meilleure alimentation qui n'est
autre, bien souvent, que celle de nos grands-mères, nous devons
payer cher. Et payer en particulier, via subventions ou
directement, pour la certification des produits que nous consommons.
D'où la structuration d'un véritable marché de la certification
qui laisse au mieux rêveur, alors que la proximité et la confiance
envers les producteurs devraient être en principe les meilleurs
garantes de la bonne qualité de notre alimentation. Comme elles
ne sont pas toujours au rendez-vous, les marchandises voyageant et la
relation humaine directe étant souvent absente de tout échange
économique, alors la voie est libre pour l'entreprise certificatrice
et ses cahiers des charges. Il est regrettable qu'il en soit ainsi,
sur le principe et au regard de la démocratisation d'une
alimentation de qualité, lourde question qui demeure en suspens.
On ne rappellera jamais assez, à ce propos, la nécessité de
développer les circuits-courts pour tenter de revenir à un peu
de bon sens et avancer sur les chapitres d'une économie relocalisée,
écologique, animée par le souci de proposer des produits aussi
gouteux que bons pour la santé et accessibles au plus grand nombre.
On l'aura compris, la principale limite
du livre dont il est aujourd'hui question est d'être, comme
d'autres, étroitement intéressé à la cause généreuse qu'il
défend. Il est assez paradoxal, au fond, de voir ainsi célébré le
vivant à tout bout de champ, et de rentrer ensuite dans la logique
toute commerciale de la certification qui touche d'ailleurs depuis le
mois d'octobre la restauration. On peut aussi considérer que c'est
un moindre mal, une contribution à des améliorations parties
prenantes de la Transition. On peut aussi relever que tous les
organismes équivalents n'investissent et ne s'investissent pas
autant dans un ouvrage d'une si grande qualité.
Qualité esthétique tout d'abord
puisque vous trouverez beaucoup de très belles photos et même des
représentations de tableaux au détour de ces feuilles multicolores
obéissant à une charte graphique très utile au lecteur : en
bleu les articles de fond, écrits par la politiste Pauline Vignoud,
et en blanc ceux de la journaliste Virginie Heitz, centrés sur les
personnalités locales de la bio. Cela m'amène à saluer en second
lieu l'originalité et le caractère tout à fait impressionnant
de ce travail qui montre l'imbrication profonde entre les échelles
mondiale et locale. Vous en apprendrez beaucoup sur des
problématiques générales comme « Les politiques agricoles en
France depuis 1950 », « L'indignité de l'élevage »,
« Le grand enjeu de la semence » ou « La finance
solidaire », les accents parfois militants du propos
n'entachant en rien le sérieux de leurs fondements documentaires et
la légitimité de leurs orientations. Vous apprendrez aussi beaucoup
à la lecture de la quarantaine de portraits (si, si!) qui montrent
justement le visage humain de notre économie. Evidemment,
chacun est lié à une activité, une entreprise, voire une marque.
Aussi vous trouverez quantité de bonnes adresses -tout à fait
dans la logique qui fut la nôtre pour l'annuaire éco-citoyen de
Chambéry et sa région voici bientôt trois ans, consultable,
faut-il le rappeler, gratuitement sur le site où à ce moment-même
vous posez les yeux-. De quoi donc passer de la théorie à la
pratique dans ses actes de consommation, on le notera
essentiellement alimentaires, ce qui est un brun dommage car notre
quotidien ne se limite pas à cela. Il est vrai, toutefois, que des
enjeux particuliers portent sur l'alimentation et que ce domaine
s'est plus vite structuré que d'autres où la structuration est en
cours, comme la construction écologique ou les vêtements.
Avant d'aller pour de bon à leur
rencontre, c'est donc par leur portrait que vous découvrirez des
personnes aux parcours souvent passionnants... où l'on se convainc
que le plus global du global, à savoir le spirituel, est
généralement très présent. Il y a les convaincus depuis
toujours, mais ils ne sont au vrai pas si nombreux. On vient plus
fréquemment au bio que l'on n'y nait, du moins parmi les générations
d'interviewés, et en espérant qu'il en soit autrement d'ici
quelques années. Avant d'être « biologique » au sens
strict de la certification, la conversion est généralement d'un
autre ordre. Intime, elle renvoie à une prise de distance par
rapport à un monde devenu un peu fou, à un malaise, voire à une
rupture profonde qu'il faut ensuite dépasser pour ensuite quand même
vivre, et pourquoi pas en vivre. Ainsi, je dois dire avoir été
très émue et marquée par le témoignage si juste et percutant de
l'éleveur Jean-François Excoffier qui ne peut qu'interpeler :
« Quand j'ai commencé à travailler, ce que j'avais appris
des formations ne m'allait pas. Je n'y croyais pas. Je trouvais que
les vaches étaient de plus en plus malades. Ça m'échappait.
C'était morbide. Je n'arrivais plus à écorner les petites
génisses. Une corne de vache procure une sensation incomparable.
Quand une vache blesse ou est blessée avec une corne c'est un signal
comme quoi on n'est plus dans les clous. Leur couper les cornes c'est
comme enlever les feux rouges pour ne plus les voir. On fait beaucoup
de choses pour gagner du temps à court terme, qui nous créent
ensuite d'autres problèmes. (…). En 1997/98, j'avais le sentiment
d'être au bord de l'entonnoir, que tout se rétrécissait. J'étais
saturé. J'ai l'impression d'avoir traversé un mur. Imaginez-vous
dans une pièce sans sortie. Dans un moment de découragement
intense, vous vous appuyez contre le mur et vous passez à travers.
(…). Bien souvent, on fait des choix qui sont incompris et
intéressent ensuite. Moi, je ne vois pas de contrainte dans le
cahier des charges du bio. La contrainte, ce sont les barrières
qu'on se met quand on n'élargit pas sa conscience »
(p.33).
Bio
et conscience... nous y
voilà. Je dirais que tout le livre est sur ce registre de
l'élévation, du renoncement et, par symétrie, de l'engagement car
chacun peut, doit
maintenant, assumer sa part.
Les consommateurs finaux, que l'on espère aussi finauds, mais aussi
et d'abord les producteurs au sujet desquels le même Jean-François
Excoffier rappelle fort à propos: « Dans notre
façon de vivre, on a bien plus de force qu'en allant voter... ».
Donc même sans aller, ou alors avant d'aller faire un tour en
Haute-Savoie, parcourir ce
« livre-guide »- « guide-livre » selon
ses deux dynamiques auteures, vous ouvrira à coup sûr des
perspectives philosophiques et pourquoi pas concrètes : gare au
changement de cap radical après sa lecture !
Pour
terminer, j'aurais une
réserve et un complément d'information à faire.
La
réserve, tout d'abord.
Puisque comme me l'a lancé l'autre jour un traiteur bio « Nous,
dans notre activité, ce qui est logique... c'est d'être
cohérent ! », alors
comment ne pas regretter que ce plaidoyer pour le local n'ait pas été
imprimé localement ? Des éditeurs labellisés auraient
certainement pu participer à cette aventure ou tout au moins être
sollicités afin de les amener à faire évoluer leurs pratiques...
et à publier le prochain, attendu pour l'année prochaine et
consacré cette fois-ci à la Savoie. Bon, on comprend aussi que
tester de bons restaurants a dû être un vrai plaisir, mais de là à
qualifier le « moelleux de foie gras » de
« magnifique »... On
dira peut-être encore que les « bios » sont rabat-joie,
que voulez-vous, personnellement je n'y vois que de la cohérence,
cette fameuse et si précieuse cohérence.
Alors faire la louange d'un foie gras, quand on sait que c'est avant
tout l'organe malade d'un animal gavé, que voulez-vous... cela
n'entre pas dans ma conception de la fête et puis c'est tout. Même
réflexion à propos de l'enseigne Botanic qui, contrairement à une
image soigneusement entretenue, n'est pas qu'une jardinerie
« humaniste » et fait (encore, scandaleusement) commerce
d'animaux dits de compagnie ; lesquels sont souvent, au mieux,
abandonnés dans des refuges type SPA qui tiennent une fois de plus
grâce aux dons financiers et au temps consacré par des bénévoles.
Curieuse conception du développement durable où le profit et le
manque d'esprit de responsabilité collective des uns, sur certains
chapitres du moins, doit toujours être comblé par la générosité
des autres. Peut-on
sérieusement s'en sortir en continuant à penser et à agir ainsi?
Parle-t-on d'une collection d'intérêts projetés sur un territoire
ou d'une société vraiment durable ?
L'info
en +, afin de compléter
la double page un peu théorique sur les
Amap, Association(s) pour
le Maintien de l'Agriculture Paysanne (pp.51-52). Pour qui voudrait
des conseils pratiques en
vue de s'installer,
autant s'adresser à leurs paysans de créateurs ainsi qu'à leurs
relais en France et à l'étranger, Denise et Daniel Vuillon
(http://www.amap-france.fr).
L'essaimage passe aussi beaucoup, désormais, par l'attention
des chefs cuisiniers attachés à la qualité et prompts à s'engager
en contractualisant avec des producteurs locaux.
Ils ne le disent pas toujours mais si leurs mets ravissent les
palais, c'est bien parce qu'il y a une raison : la qualité,
certifiée ou non, sera toujours au plus proche du naturel et cela,
les chefs cuisiniers ne s'y trompent pas.
Ce
n'est certainement pas Anthony Cognet, du Canopy (Annecy-le-Vieux),
qui me démentira : « Manger sain est un cadeau
que l'on peut se faire tous les jours. De plus, on se sent acteur
économique. Notre achat est un vote. S'il évolue, l'émergence
d'une société nouvelle peut s'accélérer. On veut nous faire
croire que nous sommes des moutons. Mais c'est faux. Quand on achète
local, on crée des liens et on agit économiquement. Quand on se
noie dans la masse du supermarché, on se noie aussi dans le flou. On
se coupe de soi-même et de sa responsabilité. Il faut recréer le
lien avec soi-même, la nature et les autres. Mais il y a des choses
qu'on ne peut pas faire si on n'est pas mis au pied du mur »
(pp.42-43).
Le mur... le mur...
décidément il est question d'un obstacle de taille à franchir.
Dans l'histoire de l'humanité, il y en a eu des murs. Et ils ont été
renversés. Alors espérons que l'enthousiasme de ce chef gagnera
tous ses confrères, ce qui les amènera à aller plus loin en
s'engageant dans des collectifs de type Amap.
D'ores et déjà,
je vous souhaite à tous une bonne fin d'année et, donc, une bonne
virée dans « la Yaute » si vous y allez.
@Yolaine
de LocoBio
26
décembre 2012
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