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Chronique 164
16-01-2023

 

Chronique 164

 

Pourquoi la Sécurité sociale de l'alimentation

est une bonne idée

qui nous concerne tous

(et donc il faut la soutenir...)


 

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Sécurité sociale de l'alimentation, sécurité sociale de l'alimentation... cela vous dit peut-être quelque chose ou rien du tout... ou alors vous vous dites fort justement qu'il doit y avoir un lien avec la « Sécu tout court ». Si c'est ça, bingo ! Pour rappel, nous vivons (encore) en République et nous pouvons en être fiers car -bien que trainée dans la boue même par ses plus hauts représentants ultra-néo-libéraux, irresponsables enfants gâtés trop intouchables- ce régime correspond à un idéal qu'il est de notre devoir de défendre car, pour le coup, il s'agit d'un patrimoine vivant menacé. Pour rappel encore, quoique raillée pour son fameux « trou », la Sécurité Sociale incarne cette République défendue pendant la 2ème Guerre Mondiale par des courants politiques, et tout d'abord des personnes comme vous et moi, capables en ce temps béni de s'entendre pour promouvoir un véritable progrès social. En effet, c'est le vrai Conseil National de la vraie Résistance qui a proposé dans son programme de mars 1944 un système procurant à chaque citoyen les moyens de vivre dignement même s'il n'est pas en capacité de travailler. C'est donc à la base une protection contre les risques de la vie qui est dite « sociale » dans la mesure où elle repose sur le contrat implicite du vrai vivre ensemble : la solidarité nationale, autrement dit la contribution de chacun selon ses moyens et la garantie pour tous de pouvoir pourvoir à ses besoins. N'est-ce pas la sagesse même, cette optique en termes de besoins essentiels ? N'est-ce pas le plus noble qui soit de viser ce qu'il y a de meilleur en nous, à savoir vivre dignement ? Je sais, je m'emporte un peu mais que voulez-vous, cela fait du bien de revenir aux fondamentaux noyés dans le bullshit politico-médiatique, sans esprit de réaction mais avec au contraire une ferme volonté de s'appuyer sur ce magnifique héritage pour d'abord le maintenir contre vents et marées enclins à la privatisation et ensuite étendre le domaine de sa lutte.

Pourquoi donc parler d'extension ? Car la Sécurité Sociale actuelle se compose de 6 branches afin d'assurer notre protection : Famille, Maladie, Accidents du travail-maladies professionnelles, Retraite, Autonomie et Recouvrement. A travers l'idée de Sécurité sociale de l'alimentation, il s'agit donc d'élargir le cercle de nos protections individuelles... mais pas que car, comme nous allons le voir ci-après, les enjeux de ce concept sont bien loin de se cantonner à ce à quoi on veut à toute force nous réduire : le sacro-saint individualisme. Mais tout d'abord, en quoi consiste plus exactement cette idée ? Vous pouvez agréablement vous y initier sur le site dédié https://securite-sociale-alimentation.org, en visionnant en particulier des conférences gesticulées (au passage, formidable outil d'éducation populaire, oups encore un gros mot à notre époque!;)). Il est intéressant de noter que la fédération composée d'associations Ingénieurs sans frontières (https://www.isf-france.org) a joué un rôle pionnier dans la promotion de cette sécu étendue ; je dis « intéressant » car comme les ingénieurs jouissent dans notre cher pays un peu vieillot et obsédé du titre d'un prestige sans faille, cela dote une idée transgressive d'un crédit qu'au moins on ne peut pas lui enlever. Ceci est encore plus vrai si on considère que cette organisation d'ingé fait partie depuis quelques années du collectif qui se charge d'inscrire sur l'agenda politique ce qui s'avère être en fait un véritable nouveau projet de société. Si d'aventure quelqu'un cherchait à minimiser ce qui est un véritable mouvement de fond qui s'incarne d'ailleurs déjà dans de plus en plus d'initiatives locales dont vous pouvez retrouver la carte ici https://securite-sociale-alimentation.org/les-dynamiques-locales/carte-des-initiatives-locales-de-la-ssa, eh bien cette personne soit inconsciente soit mal intentionnée en sera pour ses frais.


Alors pourquoi parler de véritable projet de société et de mouvement de fond ? Car il s'agit ni plus ni moins de créer de nouveaux droits sociaux, dont le droit à l'alimentation, et ce en intégrant l'alimentation dans le régime général de l'actuelle Sécurité Sociale. On peut tout simplement se demander pourquoi, quel est le but, s'il correspond à des enjeux bien réels et non une nouvelle fois fantasmés par une poignée d'excités à réduire comme tout bon village de gaulois chevelus. A cette interrogation certes légitime mais un brin déplacée, on peut répondre que l'enjeu des enjeux est de répondre aux dysfonctionnements manifestes ET préjudiciables à plus d'un titre du système agro-alimentaire qui prévaut. Je ne reviendrai pas ici sur sa genèse et son développement car il a déjà fait l'objet de chroniques auparavant, notamment encore celle de décembre 2022, mais le fait est que le constat à son propos n'est guère brillant sur des sujets qui font mal depuis quelques temps et de plus en plus : côté production alimentaire, on peut mentionner ne serait-ce que l'injuste rémunération de celles et ceux qui nous nourrissent ou encore l'impact délétère du modèle agricole dominant sur « l'environnement » ; côté consommation alimentaire, les chiffres peu reluisants de la malnutrition (sous-nutrition, suralimentation, carence en nutriments) dans le monde et donc pas seulement dans les « pays sous-développés », avec plus de 2 milliards d'humains concernés sur une population mondiale estimée à 8 milliards. Sur ce dernier chapitre, il existe un véritable problème non seulement en matière de précarité alimentaire mais aussi de qualité de notre alimentation ; en gros , qui peut manger et quoi mange-t-on de bon, c'est-à-dire de vraiment nécessaire à nos besoins tant physiologiques que culturels autour de la nourriture et, surtout, de non nocif à notre santé ?

Face à ce qui permet de se questionner avec droit sur ce qu'on nous présente en permanence comme un système synonyme de progrès et indéboulonnable (deux assertions fausses car nous ne sommes plus au sortir de la guerre, à devoir se satisfaire d'une nourriture produite dans n'importe quelles conditions pour éviter la famine ni à se laisser impressionner par ce qu'un de mes vieux professeurs de Science Politique appelait « les chiens de garde du capitalisme »), oui donc face à ce qui fait bloc et nous emprisonne tout en ne tenant que par notre adhésion/participation, le projet de Sécurité Sociale de l'Alimentation repose sur 3 piliers proprement révolutionnaires :
  • l'universalité du processus, soit l'absence de discrimination en particulier face aux plus nantis qui sont en capacité de bien se nourrir par eux-mêmes. Ainsi, chacun doit jouir effectivement du droit à l'alimentation... et non pas bénéficier de l'aide alimentaire à travers des colis ou d'autres prestations relevant d'une charité et d'un paternalisme qui cachent en fait le gaspillage structurel propre au système actuel.

  • un conventionnement des produits accessibles organisé démocratiquement, soit décider ensemble ce qui est consommé et doit donc être produit. Cela semble assez technique mais c'est au contraire pleinement politique et ici réside selon moi l'innovation vraiment disruptive, généreusement insidieuse, de l'alternative proposée. Autant citer ses promoteurs car ils l'expliquent par définition très bien : « Le conventionnement est le mécanisme qui doit nous permettre d’assurer une orientation par les citoyens de la production agricole et alimentaire, en élaborant démocratiquement les types de produits et les critères de qualité auxquels nous aspirons avoir accès… Et ainsi transformer l’offre actuelle de la production agricole et alimentaire pour y répondre ! En effet, les acteurs pourront être conventionnés sur la base de leurs pratiques convenant aux cahiers des charges proposés ou d’un engagement dans une transition de système de production. Qu’entend-on par « démocratiquement » ? Une organisation pensée du mieux possible pour permettre l’expression des aspirations de l’ensemble des citoyens… Nous travaillons sur les différentes échelles et mécanismes à proposer pour garantir un fonctionnement, les possibilités et les débats sont nombreux ! Tirage au sort, vote des décisions, représentation de la société civile et des professionnels, toutes les pistes sont en réflexion ! ». Et pour cause : nous sommes ici dans de l'innovation sociale, pas du copier-coller managérial ou relevant du green-washing.

  • financement fondé sur une cotisation basée sur la valeur ajoutée produite par l'activité économique. Le coût étant d'environ 120 milliards d'euros (sans compter les frais de fonctionnement et à mettre en parallèle avec les près de 140 milliards d'euros consacrés aux soins et biens médicaux remboursés), il convient d'envisager une contribution à la fois spécialement dédiée et socialement juste donc solidaire. A ce sujet comme pour l'ensemble du dispositif, les propositions fusent, les scenarii sont multiples pour passer à une phase d'application efficace. Toutefois, qu'on ne vienne pas nous chanter la vieille rengaine de « mais vous êtes fous, il n'y a pas d'argent » car la plaisanterie a assez duré : bien sûr qu'il y a de l'argent, bien sûr que nous vivons dans un pays riche (nous sommes au G7, c'est déjà un signe) et bien sûr que la clef est une redistribution équitable en lieu et place d'une nation où les écarts ne font que se creuser. Qu'on prenne donc l'argent où il est, à commencer sous forme de prélèvements auprès des industriels bien gras et pollueurs de l'agro-industrie plutôt que les soutenir à coup de politiques agricoles nationale et européenne mal placées.

Donc concrètement, chacun aurait soit une carte du type de la carte Vitale, soit sur sa carte Vitale directement, une somme de 150 euros par mois pour accéder à des produits répondant à un ensemble de critères comme on dit « bons pour la santé et bons pour la planète ». Sachant que le budget alimentaire mensuel moyen par habitant est de 235 euros, il ne s'agit pas de couvrir les frais de tout le monde mais d'augmenter le pouvoir d'achat des plus précaires et d'apporter une contribution aux moins démunis afin que chacun et tous ensemble non seulement ils se nourrissent mieux, aident les paysans à eux-mêmes pouvoir faire de même grâce à une plus juste rémunération et contribuent à un progrès sur le plan écologique.


On l'aura compris, le fait de doter chacun de ce qui lui permettrait de jouir effectivement de son droit à l'alimentation comporte des enjeux assez colossaux qui peuvent expliquer la difficulté certaine à transformer ce sujet comme assimilable, traitable dans les termes politiques habituels. C'est un renversement de perspective, donc comme tout renversement de cette nature il y a besoin de temps pour faire sienne cette perspective sur le plan cognitif. Mais ne nous leurrons pas : le frein ne réside certainement pas dans l'incapacité, du moins la difficulté à intégrer un autre schéma de pensée. Il réside plus sûrement dans des normes et chez des acteurs du système actuel, ou plutôt chez des acteurs pesant sur ces normes. Avant d'envisager les points de blocage, passons brièvement en revue les enjeux saillants:

  • justice sociale du côté des producteurs qui sont souvent eux-mêmes en situation de précarité et pas seulement pour prendre soin de leur alimentation. En finir avec un mode de fonctionnement qui ne respecte pas comme il se doit ceux qui nous nourrissent.

  • justice sociale du côté des consommateurs car il persiste une réalité à plusieurs vitesses où ceux qui disposent, comme disait le sociologue Pierre Bourdieu, de toutes les formes de capital (matériel, culturel, symbolique) peuvent mieux se nourrir que les autres.

  • rétablissement salvateur sur le plan de sa signification et de l'organisation de l'économie du lien entre les producteurs souvent à la campagne et les consommateurs souvent urbains. Utilisation -via le système de conventionnement et des produits à flécher absolument le plus bio et le plus locaux- de la Sécurité Sociale de L'Alimentation comme levier pour la relocalisation de l'économie ; laquelle a à voir, au cas où on ne s'en serait pas rendu compte avec la pandémie et la guerre en Ukraine parmi d'autres signaux d'alerte, avec la sécurité alimentaire à laquelle chacun a le droit d'aspirer dans le cadre du contrat social qui nous lie jusqu'à nouvel ordre avec l'Etat.

  • renaturation du citoyen au sens où le même contrat social libéral l'a réduit à un rôle de consommateur, en d'autres termes « consomme, soit content de consommer et n'en demande pas plus ». Par la citoyenneté alimentaire et sur le plan pratique des commissions au niveau local qui décideraient quels produits sont conventionnés en fonction de critères exigeants en lieu et place du laisser-aller prévalent, il s'agit de se réapproprier notre propre historicité c'est-à-dire ce que nous voulons faire de notre histoire. Je cite à ce propos Dominique Paturel et Patrice Ndiaye, spécialistes de la question : « C'est à partir de ce constat que le concept de « démocratie alimentaire » prend toute sa force. Il représente la revendication des citoyens à reprendre le pouvoir sur la façon d'accéder à l'alimentation, dans la reconnexion entre celle-ci et l'agriculture. La démocratie alimentaire émerge comme un terreau particulièrement propice à la construction d'une nouvelle citoyenneté, dans laquelle les citoyens retrouvent les moyens d'orienter l'évolution de leur système alimentaire à travers leurs décisions et pas uniquement leurs actes d'achat » (article « Démocratie alimentaire : de quoi parle-t-on ? », 1er volet des « Chroniques Démocratie Alimentaire », donner le lien).

  • reconnexion avec la « nature » dans la mesure où le but est d'utiliser le conventionnement pour favoriser des modes d'agriculture durable du type agroécologie, à l'inverse du mode intensif et dévastateur actuel.


A l'énumération de ces quelques enjeux les plus importants, je pense que le titre choisi pour cette chronique (en quoi la sécurité sociale de l'alimentation est une idée profitable qui nous regarde tous) trouve sa pleine justification de même que l'intérêt pour un sujet en apparence mineur, obscur car trop technique. Car s'il est indéniable que des aspects techniques doivent être réglés, le problème semble davantage être dans le caractère encore trop confidentiel du débat... raison pour laquelle je ne manque pas de m'emparer du sujet, fidèle à la vocation de ces chroniques qui est d'informer pour mobiliser et ainsi participer à la Transition. Alors si ce débat est pour l'instant trop restreint, la raison est sans doute à chercher du côté des freins qui l'entravent et qui entravent donc la mise en application concrète de l'extension de la Sécurité Sociale au domaine agro-alimentaire. Parmi ces freins, on peut relever :

  • un problème de fiscalité car « l'aide alimentaire permet d'évacuer la surproduction structurelle de l'agro-industrie. En France, des mécanismes de défiscalisation sont même permis (« Loi Coluche »). (...). L’argument de la lutte contre le gaspillage pourrait laisser croire que le gaspillage est accidentel. Or, c’est faux : la surproduction fait partie intégrante du « business plan » (ou plan d’affaires) des entreprises de l’agro-industrie que de tels dispositifs fiscaux favorisent encore. Dans ce contexte, la distribution de colis alimentaires devient l’alliée d’un système agroalimentaire qui détruit l’environnement et génère malbouffe et précarité » (analyse « Une sécurité sociale de l'alimentation », proposée par Action Vivre Ensemble, 2021/11).

  • un problème d'impuissance des Etats entériné par eux-mêmes... sous l'influence de la pensée néolibérale et de lobbies eux sans doute bien puissants. Je rapporte les propos d'un autre spécialiste du sujet, Mathieu Dalmais : « Je ne pense pas que ce modèle pourra être mis en place rapidement. Au début, j'espérais que nous pourrions construire quelque chose de l'ordre d'un projet de loi, qu'une force politique pourrait ensuite mettre sur la table. Aujourd'hui, on se rend compte que plusieurs de nos propositions sont tout simplement anticonstitutionnelles. Elles ne sont pas applicables dans le cadre de la Constitution de la Vème République française, et encore moins dans le cadre du Traité Constitutionnel Européen (devenu Traité de Lisbonne). D'un point de vue européen, c'est une atteinte à la libre organisation des marchés que de s'entendre sur les prix, ou de décider d'un conventionnement en fonction d'un cahier des charges. Et d'un point de vue français, le taux de cotisation est une prérogative de l'Assemblée nationale. Donc notre modèle de Sécurité Sociale de l'Alimentation n'est pas opérationnel aujourd'hui : il demande un travail de réflexion et de transformation politique assez profond » (ibidem).


Comment ne pas être affligé et en colère face à un tel constat ? A-t-on encore le temps de tourner autour du pot ? Car oui à de la réflexion pour rechercher des solutions pour mettre en œuvre un nouveau système mais non à une nouvelle perte de temps due à de l'obstruction dans ce qui devrait au contraire être une réflexion collective sur le besoin et le bien communs qu'est notre alimentation. Il est urgent que la puissance publique incarnée dans notre pays par l'Etat au niveau national et les collectivités locales (pensons aux PAT, Plans Alimentaires Territoriaux) ne soient plus ni passives ni dans une optique de sécurité sécuritaire laminant les libertés tant collectives qu' individuelles et jouent un rôle d'inclusion protectrice de chacun. Pour ce faire, il est urgent que l'alimentation ne soit plus (comme d'ailleurs nos biens républicains les plus précieux, gains d'une histoire progressiste singulière dont on peut être fiers, à savoir par exemple l'éducation et la justice), oui que l'alimentation ne soit plus traitée comme une marchandise parmi les autres. Elle est trop politique pour être laissée dans le lot des consommables ordinaires. Et donc tout rapport de force est déplacé la concernant, tous les efforts doivent converger vers un droit reflétant un nouvel ordre politique véritablement bénéfique à chacun.

Au final... je dirais qu'il n'y a pas de final puisqu'on l'aura compris, la Sécurité Sociale de l'Alimentation est ce que l'on appelle un « work in progress », autant dire un travail en cours. Nous aurons donc certainement l'occasion d'y revenir mais, pour l'heure, je vous laisse avec pour viatique toujours d'actualité une citation de notre Victor Hugo national : « Aujourd'hui, je refais ainsi la définition de la Révolution : une grande lumière mise au service d'une grande justice ».

 

Citoyennement vôtre,

©Yolaine de LocoBio,

Janvier 2023

 
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