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Chronique 146
12-01-2022

 

Recentrage, quand tu nous tiens...

A propos du dernier livre des Économistes atterrés,

"De quoi avons-nous vraiment besoin" ?

 

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Eliminer son prochain est la règle d'or de jeux dont on les a gavés au biberon. Comment leur demander, aujourd'hui, de trouver ça morbide ? ».

Virginie Despentes, Vernon Subutex, Le livre de poche, janv.21, p.11-12.

 

Et donc, entre un reste de joie gras vegan (délicieux) et un autre reste de bûche simili chantilly, vous reprendrez bien un peu de Despentes non ? C'est avec une citation ma foi toujours assez lucide et directe, sharp comme on les aime, de notre Virginie que je vous souhaite mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année qui, encore ma foi, commence sur les chapeaux de roue. Non que les déclarations de tel ou tel (ir)responsable politique m'agitent le bocal, non, car j'évolue depuis longtemps en pleine conscience citoyenne donc je suis en-deça, au-delà, en parallèle de tout ce bruit il faut le dire assez futile et malsain. Disons simplement que je travaille, moi, j'essaie de faire quelque chose pour une suite nommée Transition, j'évite les gesticulations et donc si je dis que ça commence fort, sur les chapeaux de roue, c'est au miroir de la tâche qui nous attend. Encore ?! Eh oui, encore et ça le sera tant que rien n'aura bougé sur le fond. Encore, mais on la connaît déjà cette chanson !!! Et oui, mais qu'est-ce que j'y peux si le problème n'est toujours pas pris à la racine et si ça patine ? Tant pis, tant qu'il faudra, on répétera.

Répéter, rabâcher, c'est plutôt plus que moins ce que permet le dernier opus proposé par les Économistes atterrés. On pourrait trouver l'intérêt minime alors. Sauf que non car il a le mérite de rendre accessible une synthèse actualisée sur comment il faudrait aborder et traiter les choses pour enfin à nouveau marcher sur nos pieds, évoluer vers des écosystèmes (individus, sociétés, planète interagissants) en bonne santé. Mais avant de parler plus avant de ce livre, je souhaite m'attarder un peu d'abord sur la maison d'édition qui le publie, Les liens qui libèrent, et ensuite sur le collectif des Economistes atterrés.


Concernant la maison d'édition, elle a été créée en 2009, est indépendante et dite « engagée » dans le sens où elle accueille la pensée d'auteur.es assez critiques vis-à-vis du capitalisme dominant. A notre époque chochotte, délavée et aseptisée, il n'en faut pas beaucoup pour être catalogué « engagé » quand on fait simplement son boulot de citoyen, cette remarque non pour minimiser leur mérite mais pour remettre dans le contexte de la doxa dominante, comme toute doxa, ultra-sensible au moindre souffle d'air biodivers. A noter, surtout en ce début de mois de janvier, que le nom de cet éditeur a été trouvé par le regretté économiste Bernard Maris, assassiné lors de l'assaut de Charlie Hebdo voici 7 ans. Il menait en effet lui-même une réflexion sur ce qu'est le développement humain et économique, ce qui le permet avec disons moins de dissonances internes, et sur les moyens de résorber une crise du lien dans nos sociétés. Ces éditions sont donc dès l'origine marquées du sceau de la déliaison-reliaison et c'est ce qui explique la pluridisciplinarité d'un catalogue riche d'essais, de documents et de fictions. Au fils des collections, j'ai relevé des références qui pourraient ne pas vous être inutiles si vous réfléchissez comme moi à ce qui se passe exactement et à ce qui pourrait se passer de plus vivant et convaincant. Voici :



Pour en venir aux Économistes atterrés, ils annoncent tout de suite la couleur sur leur site puisqu'il s'agit pour eux de montrer que « d'autres politiques économiques sont possibles ». Personnellement, je trouve leur nom aussi génial qu'opportun car il renvoie à la fois à la notion d'atterrissage (en espérant sans crash) et à celle d'affliction qui ne peut manquer de nous habiter si on est un minimum conscients de ce qui se joue autour de nous et à travers nous. Il s'agit d'un collectif de professionnels de l'analyse économique, en clair majoritairement des enseignants et/ou des chercheurs dans cette discipline. On ne peut donc pas les taxer d'illégitimité, petite remarque au pays -la France- où règne l'obsession du qui es-tu, d'où parles-tu pour avoir le droit de parler... tout en laissant massivement régner la désinformation venue de toutes parts. Si leur association – à laquelle vous pouvez d'ailleurs très bien adhérer ici https://www.youtube.com/user/EcoAtterres- date de 2011, ils sont surtout connus depuis l'année précédente avec la publication d'un manifeste désormais internationalement connu, suivi d'un autre quelques années après : https://www.atterres.org/manifeste-deconomistes-atterres, http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Le_nouveau_Manifeste_des_%C3%A9conomistes_atterr%C3%A9s-444-1-1-0-1.html. Ils disposent d'une chaîne youtube dont je n'ai pas besoin de faire la pub car vous la trouverez très bien en utilisant des moteurs de recherche que j'espère, bien sûr, les plus responsables possible et dont vous ferez, j'espère, un usage le plus responsable et modéré possible vu l'impact environnemental catastrophique du numérique. Leur site peut déjà bien satisfaire votre appétit de connaissances forcément vicieuses et douteuses parce qu'animé comme eux par la volonté d'ENFIN libérer l'économie de ce qui la dénature et nous dénature au passage : le néolibéralisme. Les onglets correspondent aux diverses activités menées par l'asso dont le but principal est de vulgariser la parole scientifique économique afin qu'elle nourrisse le débat démocratique. Où il est encore question de réappropriation, quoi. Tout comme pour les éditions Les liens qui libèrent, je vous propose une petite sélection qui ne devrait pas manquer de complèter la précédente et de vous armer plus ou moins pacifiquement, en tout cas intellectuellement et c'est déjà pas mal, pour la nouvelle année :


Pour finir, je signale que vous pouvez régulièrement trouver des interventions des membres de ce collectif dans des médias qui ne s'en laissent pas facilement raconter et dont je recommande une fois n'est pas coutume la lecture, à savoir les suspects suivants;) : l'Âge de faire, Alternatives économiques et Mediapart.


Bon, une fois ce cadre posé, qu'en est-il du livre qui a retenu mon attention et pourquoi je tiens à ce qu'il ouvre l'année 2022 des chroniques LocoBio ? Voici d'abord où vous le procurer: http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-De_quoi_avons_nous_vraiment_besoin__-9791020910356-1-1-0-1.html. Ensuite, son intérêt principal et non des moindres est de proposer à tout un chacun à la fois une grille de lecture de la situation actuelle et un vademecum pour cheminer vers une société meilleure. Qui dit vademecum dit forme de guide pour que chacun puisse juger, participer à un cheminement qui se doit d'être collectif s'il veut être durable. Chacun sera donc libre, pourquoi pas, de reprendre cet/l'ouvrage en fin de chaque année pour évaluer la pertinence de telle proposition qui, entre-temps, sera peut-être devenue expérimentation. Certains esprits chagrins -voire torpilleurs- pourront, à la lecture, trouver finalement plates les diverses propositions, comme un air de déjà vu, du moins de déjà entendu ; ou alors que de l'ensemble de ces propositions peine à émerger une vision claire de où nous allons, comme une petite nostalgie du temps des idéologies toutes faites et on sait où ça nous a menés, ou pire comme une tentation de refuge dans les religions et autres échappatoires un peu faciles... et on sait où ça peut mener. Si ces objections pourraient être fondées, je dirais simplement mais non moins fermement que si les contestataires du système mortifère qui nous enserre semblent parfois radoter, c'est « juste » parce que la résistance dudit système est tenace et c'est d'abord sur les intérêts à sauvegarder et sur qui les sauvegarde « quoi qu'il en coûte » qu'il faut s'interroger. Premier renversement de perspective. Ensuite, justement à propos de perspective, que dire ? Evidemment que nous ne savons pas où nous allons et c'est même le propre de la vie, fondamentalement enthousiasmante. En revanche, si nous continuons sur la même voie de faux désirs créés en permanence par un marché mégalomaniaque et boulimique, là c'est sûr, nous savons où nous allons et nous savons désormais tous très bien que ce n'est pas viable. Aucun compromis n'est possible et le radicalisme, la brutalité ne sont pas à chercher dans un mauvais procès d'intention du côté des alternatives : il est bien du côté du système en place qui entend bien, encore une fois quoi qu'il en coûte, rester inamovible.


Une fois ces éventuelles limites évoquées, venons-en aux champs considérés comme prioritaires par nos économistes à juste titre atterrés. Je dis « à juste titre » car les 8 chapitres qui composent le livre sont tous pourvus d'une structure assez simple, d'évidence et didactique : on part d'un constat, en l'occurrence pas terrible, pour cheminer vers des solutions. Entre parenthèses, des solutions, en 2022, on ne peut pas dire qu'il n'en existe pas, on ne peut plus dire comme voici une vingtaine d'années que comme ça n'existe pas, ce n'est pas possible, d'où l'intérêt de multiplier les expérimentations et de créer des précédents convaincants, sachant que les transitions n'ont jamais été initiées par les tenants d'un système ni par la « masse », les uns étant obnubilés par la défense de leurs intérêts et les autres étant clairement asservis par les premiers ; et que donc passé un seuil critique bien sûr que « l'intendance suivra », à moins que comme l'Histoire nous l'enseigne la résistance du système soit telle qu'elle fasse le lit de la violence. Et, encore une fois, il ne faudra pas rendre responsable qui ne l'est pas mais bien qui l'est, c'est-à-dire qui n'aura participé à aucune réflexion ni à aucune expérience matrice et signe d'évolution.


Donc une fois écartée la foutaise des faux besoins, fonctionnelle au seul maintien du système actuel, de quoi avons-nous donc vraiment besoin pour, comme l'avance le sous-titre, « vivre ensemble et éviter le désastre social et écologique au 21ème siècle » ? En premier lieu, comme le montre toute la démarche des auteurs en permanence et ce livre en particulier, en redonnant ses lettres de noblesse, son utilité et son ancrage sociaux à l'économie, science qui s'est comme par hasard totalement déconnectée du réel alors qu'elle doit en principe -comme toutes sciences sociales- le restituer et, surtout s'agissant de penseurs rétribués sur fonds publics, oeuvrer à son amélioration. Je passe, pour justement y être passée moi-même lors de mes études poussées en Science Politique, sur la surprenante et certainement déconnectante propension de cette discipline à trop de mathématiques. Sélectionner par les maths, c'est une chose et certainement une chose douteuse, mais alors former de futurs décideurs, façonneurs de réel en les biberonnant d'abstractions, c'est certainement mauvais et une solution non dite dans le livre que je rajoute d'après ma propre expérience serait : rendre les maths plus abordables en général et en particulier en économie, ancrer absolument cette discipline actuellement non seulement schizophrène mais aussi néfaste dans ses effets sociétaux car le prestige va majoritairement aux plus déconnectés. En clair, j'attends impatiemment qu'un.e de nos économistes atterrés ait le prix Nobel en cette docte et très sérieuse matière.

Ensuite, le livre propose donc de se focaliser sur 8 secteurs essentiels : se nourrir, se soigner, s'éduquer, faire culture, se loger et se déplacer, produire ensemble, travailler ensemble et enfin, bien sûr, vivre ensemble. Parmi ses qualités, outre une progression de pensée logique et lisible à chaque chapitre (et ce n'est pas toujours le cas dans le domaine de la recherche en sciences sociales...), il y a un bel effort de définition et de données chiffrées ainsi que de références scientifiques récentes. Par ailleurs, le regard et le ton ne se cachent pas d'être incisifs et cela fait du bien, non par propension personnelle mais parce que la situation l'exige. Je dois dire que le chapitre 2, sur le soin et donc inévitablement sur la crise dite sanitaire actuelle, est sans aucune concession concernant les problèmes structurels anciens et déterminants que l'on tente à grand peine d'occulter, voire d'encore non traiter, liés à l'état de la santé publique. On sent de la rage et cela fait du bien parce que, pour une obscure raison de légitimité, les chercheurs sont supposés ne rien exprimer de leurs émotions, si mal aimées émotions dans notre culture si « raisonnable » ; cela serait un gage de sérieux pour leurs recherches quitte à ce que l'humanité foute le camp y compris, du coup, dans les politiques publiques dès lors qu'elles s'en inspirent. Il n'y a pas de honte à avoir de la rage, il y a en revanche à en avoir si on ne ressent rien, si on n'exprime rien et surtout si on n'a pas honte d'avoir honte de ce dont certains devraient avoir honte. Encore un renversement de vapeur dont ne jamais se départir et qui, dans sa radicalité assumée, est aussi garant de lucidité et de modestie. Car un autre mérite de ce livre est de considérer les limites (malheureusement, et on l'espère pour l'instant) de ses propres propositions. Ainsi, après avoir exploré diverses pistes pour passer d'un modèle productiviste à un modèle extensif dans le domaine culturel, comme par exemple les AMAC (« paniers » sur le modèle des AMAP), le chapitre dédié se conclut ainsi : « Or, dans le contexte français, les initiatives isolées d'acteurs culturels et citoyens ne suffiront pas à l'émancipation de la culture des logiques capitalistes et néolibérales : il faut aussi que les partenaires institutionnels se réinventent » (p.121)... et je rajouterais qu'ils arrivent à s'imposer aux acteurs privés notamment à l'échelle internationale, type Netflix. Où on en revient à la prise de conscience c'est bien, les petits gestes c'est bien, mais rien ne remplacera la volonté proprement politique et des régulations à plusieurs échelles.


Concernant l'alimentation, l'enjeu de la massification d'initiatives déjà existantes revient particulièrement puisque c'est un des domaines où les alternatives se sont sans doute le plus développées, malgré les obstacles et le caractère non-acquis des avancées, ces dernières années. L'un des problèmes est bien que le système productiviste, en fait à bout de souffle s'il n'était pas soutenu comme il l'est au détriment justement des alternatives, eh bien... nous rend nous-mêmes à bout de souffle et cela physiquement puisque les connections entre la malbouffe qu'il nous sert et des maladies chroniques comme l'obésité ou l'hypertension sont désormais bien établies. Dans de telles conditions, il est certain que quand une pandémie comme la pandémie actuelle nous tombe dessus, en l'absence désormais généralisée d'hygiène alimentaire et, pire, de capacité à bien s'alimenter par manque de ressources accessibles de qualité dues à l'appauvrissement nutritionnel des denrées, alors il y a vulnérabilité. Un ensemble de facteurs y contribue, de la saignée imposée aux structures publiques de soin à la manière et à la faible marge pour bien s'alimenter dans laquelle l'éducation joue bien évidemment un rôle. Il s'agit donc bien de tout un système qui, embrassant tous les domaines de notre quotidien et de notre horizon, tient à une seule et même logique, celle de la stricte rentabilité à tout prix. Evidemment, le bilan écologique du système alimentaire actuellement dominant sous nos latitudes est en plus négatif, ce qui empêche de le voir comme durable. Dans de telles conditions, il est clair qu'une option sérieuse (p.37) serait d'utiliser par exemple le levier de la PAC (politique agricole commune) en la mettant en cohérence avec les impératifs sociaux et écologiques. Les nouvelles récentes à ce sujet ne vont pas vraiment dans le bon sens, j'y reviendrai dans la nouvelle chronique davantage consacrée à l'actualité d'ici quelques jours. Différents outils pourraient être mobilisés, à commencer par des conquêtes juridiques, une fois n'est pas coutume, comme faire de l'alimentation un droit social au même titre (en principe) que la santé et donc, via une sécurité sociale de l'alimentation, en assurer la prise en charge collective.


A propos du soin au sens strict, il conviendrait tout d'abord d'y revenir car on s'en est largement écartés, chacun pouvant mesurer combien ne serait-ce que l'hôpital est devenu un lieu sacralisant l' « ambulatoire », donc le passage au détriment d'une écoute véritable et d'un accompagnement suivi. Que dire de la médecine du quotidien et du rapport aux médecins auparavant dits « de famille » ? A cause de la pénurie de professionnels et de la mentalité expéditive dominante, on ne sait de fait plus trop vers qui se tourner en cas de problème même mineur. Cette sorte d'ambiance générale est relevée dans le chapitre 2 qui s'interroge et s'inquiète carrément mais ne désarme pas en mettant l'accent sur une problématique émergente : celle de la santé environnementale. Logique car à partir du moment où non, nous ne vivons pas séparés de la « Nature », et non, tout ne va pas vraiment bien, alors il faut nous penser (enfin pas que nous, nous, nous et toujours nous) en termes d'écosystèmes, et si possible en santé. A ce titre, il est évident qu'il faudrait cesser que les études sur l'impact des pesticides, pour ne citer qu'eux, soient majoritairement financées par des associations souvent décriées pour leur prétendue partialité agressive. Prenons plutôt le problème à bras le corps et, comme dans l'étude de l'INSERM mentionnée p.59, que les organismes encore une fois financés par des fonds publics, c'est-à-dire les contribuables citoyens en début et en bout de chaîne car l'Etat c'est eux, soient à la manoeuvre; faisons que la réalité malsaine soit évaluée pour mieux être combattue. Je passe car, toujours un peu par hasard, ce genre de sujet passe à l'as, sur l'avertissement qui clôt ce décidément très stimulant chapitre : « Rien ne se fera sans redonner vie à la démocratie en santé » (p.66). Alors là, dans le contexte actuel de reflux général de la démocratie tout court, on se dit qu'il va falloir un bon gros coup de pied dans la fourmilière pour rebooster des initiatives comme la santé communautaire, juste avoir droit au chapitre de ce qui nous concerne au plus intime, au plus concret et au plus quotidien de nos vies.


L'éducation, ah l'éducation, encore un vaste sujet et un sacré champ de bataille. Tout commence assez mal (ou bien, c'est selon) dès lors qu'est posé comme préambule du passage où il en est question la phrase fatidique, émaillée d'un bon gros mot qui va vous rappeler tout un courant de la littérature alternative : « L'éducation doit être vue comme un bien commun global » (p.71). Ah, aïe le bien commun, les communs... mais pourquoi donc s'acharner à vouloir former des citoyens dotés d'esprit critique, se risquer à des velléités d'émancipation alors qu'on pourrait se borner à produire des travailleurs flippés par le stress de leur boulot ou, justement, par le manque de boulot ? C'est quoi ce genre d'idée tordue ? Ça serait pas un peu Renaissance ou 18ème siècle, une fulgurance démodée des Lumières, encore un bon truc franchouillard ? Franchouillard, oui Monsieur, mais pas de la France startupnationalisée, la vraie France Monsieur, celle qui n'oublie pas et est très fière de son passé fort à propos émancipateur. Dans ces conditions, le prochain pas serait, plutôt que de faire davantage payer en frais d'inscription les étudiants extracommunautaires et même les communautaires, oui il serait sans doute plutôt de suivre l'idée (p.95) d'une allocation universelle pour les étudiants. Ce serait d'autant plus une bonne idée que, cela ne vous aura pas échappé, ils ont pris bien cher avec les confinements successifs et continuent -au-delà du flip de devoir faire sa place dans un monde bien flippant- de bien devoir en passer par là où on veut, ou plutôt on a décrété, qu'ils en passent pour soi-disant accéder aux lieux normaux d'une vie normale de jeunes (et encore : les discothèques sont à nouveau fermées alors même que les cultes et les meetings se déroulent sans aucun contrôle de type « pass », sans parler des bains de foule que nos politiques s'octroient sans aucune précaution, quand il ne s'agit pas de réunions nationales type dernier congrès des maires). Un juste retour en matière de solidarité intergénérationnelle, quoi.


Les questions du logement et du déplacement sont ensuite traitées conjointement dans la mesure où l'interaction entre les deux est forte, le mouvement des Gilets Jaunes l'a assez (mais sans résultats concluants) mis en évidence. En effet, tout le monde n'a pas les moyens de vivre là où il travaille, de prendre son petit vélo en ayant bonne conscience tout en se faisant livrer sans trop de scrupules un colis mignon par Amazon. Il est clair qu'au moins deux crises surgissent dès lors qu'on aborde ces questions : celle de la crise du logement, donc des prix de l'immobilier qui eux ne sont jamais comme par hasard en crise, profondément ce que l'on fait et ce que l'on veut faire du sol, du vrai sol bien terrestre, et bien sûr la crise écologique occasionnée par les transports dont on connaît la grande responsabilité en matière d'émissions de CO2. Comment tendre vers, et donc ne pas abandonner, les objectifs suivants qui, à force de lavage de cerveau mercantile, peuvent sembler fous : « Vers un habitat plus accessible et plus écologique pour une mixité sociale et des relations apaisées » (p.147), sans oublier que oui « la mobilité individuelle (est) une question collective » (p.148)? Tout d'abord, sans perdre de temps et chercher ailleurs, toujours ailleurs, en appliquant tout simplement le droit car, faut-il le rappeler (décidément, y'a comme des fuites, de drôles d'oublis certainement coupables dans la Constitution et son bloc en ce moment): être logé et bien logé est dans notre cher pays un droit. Ensuite, veiller à l'aménagement urbain est cardinal car un logement est lui aussi plongé dans tout un écosystème. Donc gare aux écoquartiers bobos pour se faire plaisir, afficher en tant qu'élus un bilan, se faire du gras en tant que promoteur sous prétexte qu'on a intégré une bande de terre virtuellement transformable en vague jardin partagé. Et gare, plus généralement, à l'urbanisation, donc aux villes obèses peuplées d'obèses de plus en plus nombreux. Et ça, vaste, gros, épineux sujet.


Sur le volet de la production, l'accent est par ailleurs mis certes sur la relocalisation, la reterritorialisation et l'économie circulaire, mais je retiendrais 3 axes peut-être moins communément mis en avant, du moins jusqu'à présent : sous l'influence ou carrément avec les statuts disponibles dans cette optique (Scop, Scic...), il serait bon de développer davantage l'économie sociale et solidaire d'une part et d'autre part que la réorganisation de l'entreprise -maintenue comme acteur central dans le nouveau modèle de production- se fasse sous le signe de la sobriété énergétique. L'exemple de L'atelier paysan est ainsi pertinemment présenté p.172 comme un moyen de redonner de l'autonomie productive aux producteurs eux-mêmes, en l'occurrence ceux qui nous nourrissent et c'est sans doute le métier le plus difficile, aléatoire, fatigant et méprisé au monde malgré les frayeurs liées aux différentes crises (de la « vache folle » au Covid 19). Cet exemple montre bien qu'une cohérence est possible entre la forme de l'entreprise (une coopérative), son activité (l'agriculture en mode agroécologique) et ses moyens (des outils techniques, innovants... mais dont la fabrication et la réparation sont au maximum possibles localement). On est ici à mille lieues de l'agriculture 4.0 présentée comme un véritable miracle, singulièrement dans l'agriculture urbaine. Les deux voies sont tellement différentes qu'on voit mal quelle conciliation il pourrait y avoir au nom de quelles valeurs curieuses intermédiaires ou plutôt composites et voilà sans doute pourquoi les contributeurs à cet ouvrage ne cessent de parler de « bifurcation ». Pour terminer, il est certain que surtout dans le schéma actuel il est difficile d'aborder la problématique de la production sans traiter son pendant, celle de la consommation. A ce sujet, je retiens l'idée intéressante p.160 d'une « fiscalité (qui) pourrait être instituée afin de réduire les échanges internationaux non essentiels », laquelle aurait vocation à disparaître en fonction des avancées de la relocalisation. Si je trouve cette idée intéressante, c'est d'abord parce qu'elle illustre parfaitement le titre mérité de « fascistes verts », prouve que décidément les écologistes sont les plus dangereux actuellement pour la démocratie, la République et la planète. Or il ne faut jamais rater une occasion de garder son statut, de l'assumer et par la même occasion d' « emmerder » le monde puisque c'est très à la mode et validé par les instances dites les plus hautes. Ensuite, je trouve l'idée savoureuse car cela serait quand même un juste retour des choses qu'un peu vaguement démocratiquement, mais après tout qui s'en soucie, d'autres citoyens aient à leur tour l'occasion de définir ce qui est essentiel ou pas. Ce serait un peu comme la 2ème manche après la première incarnée par l'inoubliable gestion politique de la crise pandémique actuelle, avec droit auto-octroyé de mettre tel ou tel secteur dans la case "essentiel" ou "non-essentiel"... classification aussi ambiguë, délirante qu'autoritaire car on voit bien comment la culture, après avoir été classée dans les "non-essentiels", sert désormais à priver une partie de la population rétive à l'option vaccinale de ce qui lui est essentiel, à savoir les nourritures bien terrestres que sont le contact avec les œuvres et les concitoyens. Alors, elle a de la valeur ou pas la culture ? Quelle cohérence, quelle intention, quel cap ? Il est clair qu'il va falloir, sur ce point comme pour les transformations à venir qui seront forcément portées par des responsables vraiment responsables, de la clarté et une volonté politique forte une nouvelle fois rappelée car visiblement source de profond souci et scepticisme p.175.


Abordant ensuite le travail, les auteurs ne sont pas trop de quatre pour toucher à un point sensible s'il en est puisqu'il a été érigé en valeur et en pivot à la fois pour la production et la consommation dans nos sociétés. A ce sujet, le drame est bien sans doute que les choix occidentaux (enfin d'une minorité en permanence agissante) en matière d'économie libérale puis néolibérale ont trouvé matière à s'exporter à la faveur de la colonisation et du néocolonialisme qui régit encore les relations internationales. En plus de s'arroger des droits que nous n'avions pas, on s'est privés et on a privé les populations locales de ressources à la fois matérielles et symboliques qu'elles avaient et qui auraient pu être intéressantes en matière d'alternatives socio-économiques, écologiques et pourquoi pas spirituelles car tout se tient. Du coup, à partir du moment où la mondialisation de la problématique s'explique par cette dynamique historique plus que regrettable, l'avantage est que cela ne fait que plus souligner la solution qui réside dans plus d'humilité, d'ouverture aux biodiversités tant naturelle que culturelle et, surtout, au court-circuitage total et définitif des acteurs qui animent autant qu'ils profitent de la mondialisation néolibérale actuelle, désormais majoritairement financiarisée et digitalisée. Cela dit, pour revenir au travail, il n'est donc pas facile d'y toucher car c'est à la fois un totem synonyme d'aliénation ou d'émancipation et, tout simplement, une sources de revenus, avec entre les deux ce qui donne un statut social, une place dans la société. Pas facile donc de décoloniser les esprits, de ne pas actionner le levier des leviers politiques, à savoir la peur, peur de ne pas trouver du travail, peur parfois d'aller au travail, peur de perdre son travail, peur de la fin du travail avec la retraite. C'est comme une colonne vertébrale et rame copieusement qui ose toucher à une véritable institution. Cela fait bien longtemps qu'à titre d'observatrice par ailleurs souvent bénévole, je ne comprends pas pourquoi on valorise à ce point ce qui peut faire souffrir, s'avérer insatisfaisant et insuffisant, à savoir le travail, et à côté on ne valorise pas assez, voire pas du tout, la notion d'activité, encore moins celle à vocation sociale. Si on part du principe qu'un besoin à la fois individuel et collectif est de se nourrir, alors pourquoi ne pas valoriser -et rémunérer par exemple par des tickets de transport, l'accès à de la culture essentielle, etc...- à juste titre ceux/celles qui s'investiraient par exemple sérieusement dans un jardin nourricier ? Et c'est d'ailleurs bien ce terme d'activité qui est employé p.178 quand les enjeux sont présentés : « à l'avenir, où il faudra travailler moins pour travailler mieux, tout en assurant un emploi à toutes et à tous dans une activité en lien avec leurs aspirations et répondant aux besoins sociaux ». Cela renvoie encore au local, avec parmi les solutions un rôle particulier donné aux collectivités locales qui seraient logiquement chargées de mesurer les besoins locaux et, symétriquement, de proposer déjà, elles, un certain nombre d'emplois à pourvoir. Tout cela incite à stimuler les initiatives encore trop nombreuses en faveur de la garantie de l'emploi, à travers notamment les projets « territoire zéro chômeur de longue durée » qui méritent décidement d'être (pour)suivis.


Enfin, la question du lien social et de sa détérioration du fait de l'individualisme et de la compétition conduit à la présentation de solutions variées comme lutter contre les écarts (et inégalités) de rémunération en fixant des plafonds, en tout cas un mode de calcul basé sur l'approche suivante : « L'acceptation ou la dénonciation de ces écarts de salaires est un choix éminemment politique en ce qu'ils révèlent l'échelle de valeurs que s'est donnée une société. Rien n'empêche de refonder un vivre-ensemble et une échelle de valeurs basés sur les besoins des citoyennes et des citoyens ou l'utilité sociale des métiers. » (p.230). Le renforcement (ou la réanimation?) de la démocratie, suivant le modèle à la fois heureux et malheureux car trahi de la Convention citoyenne pour le climat, permet en définitive d'enfoncer le clou puisque : « La dérive autoritaire du néolibéralisme est l'expression la plus éclatante que la liberté purement individuelle affichée par les néolibéraux est un faux nez qui cache de plus en plus mal les rapports de domination brute qui fondent toujours le capitalisme » (p.242).


On l'aura compris, l'analyse riche proposée par cette œuvre est à la hauteur des défis engendrés par la transformation profonde auxquels chacun et tous nous sommes amenés. Il n'y a rien d'économique là-dedans mais au contraire que de très politique... à moins que l'économie soit décidément une activité en fait très politique. Et à cet égard la dernière phrase en serait p.250 l'explication : « la question des besoins est au cœur de la confrontation sociale », et par ce dernier adjectif il ne faut pas entendre telle ou telle société en particulier mais la société en général, organisée entre ceux qui décident et qui ont, et les autres qui n'ont certainement pas la même responsabilité au regard de la Transition.


Sur ce, je vous renouvelle mes vœux les plus pleinement citoyens.


©Yolaine de LocoBio,

Janvier 2022

 
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