Recentrage, quand tu nous tiens...
A
propos du dernier livre des Économistes atterrés,
"De
quoi avons-nous vraiment besoin" ?
Eliminer son
prochain est la règle d'or de jeux dont on les a gavés au biberon.
Comment leur demander, aujourd'hui, de trouver ça morbide ? ».
Virginie Despentes,
Vernon Subutex, Le livre
de poche, janv.21, p.11-12.
Et
donc, entre un reste de joie gras vegan (délicieux) et un autre
reste de bûche simili chantilly, vous reprendrez bien un peu de
Despentes non ? C'est avec une citation ma foi toujours assez
lucide et directe, sharp comme on les aime, de notre Virginie que je
vous souhaite mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année qui,
encore ma foi, commence sur les chapeaux de roue. Non que les
déclarations de tel ou tel (ir)responsable politique m'agitent le
bocal, non, car j'évolue depuis longtemps en pleine conscience
citoyenne donc je suis en-deça, au-delà, en parallèle de tout ce
bruit il faut le dire assez futile et malsain. Disons simplement que
je travaille, moi, j'essaie de faire quelque chose pour une suite
nommée Transition, j'évite les gesticulations et donc si je dis que
ça commence fort, sur les chapeaux de roue, c'est au miroir de la
tâche qui nous attend. Encore ?! Eh oui, encore et ça le sera
tant que rien n'aura bougé sur le fond. Encore, mais on la connaît
déjà cette chanson !!! Et oui, mais qu'est-ce que j'y peux si
le problème n'est toujours pas pris à la racine et si ça patine ?
Tant pis, tant qu'il faudra, on répétera.
Répéter,
rabâcher, c'est plutôt plus que moins ce que permet le dernier opus proposé
par les Économistes atterrés. On pourrait trouver l'intérêt
minime alors. Sauf que non car il a le mérite de rendre accessible
une synthèse actualisée sur comment il faudrait aborder et traiter
les choses pour enfin à nouveau marcher sur nos pieds, évoluer vers
des écosystèmes (individus, sociétés, planète interagissants) en
bonne santé. Mais avant de parler plus avant de ce livre, je
souhaite m'attarder un peu d'abord sur la maison d'édition qui le
publie, Les liens qui libèrent, et ensuite sur le collectif des
Economistes atterrés.
Concernant
la maison d'édition, elle a été créée en 2009, est indépendante
et dite « engagée » dans le sens où elle accueille la
pensée d'auteur.es assez critiques vis-à-vis du capitalisme
dominant. A notre époque chochotte, délavée et aseptisée, il
n'en faut pas beaucoup pour être catalogué « engagé »
quand on fait simplement son boulot de citoyen, cette remarque non
pour minimiser leur mérite mais pour remettre dans le contexte de la
doxa dominante, comme toute doxa, ultra-sensible au moindre souffle d'air biodivers. A noter,
surtout en ce début de mois de janvier, que le nom de cet éditeur a
été trouvé par le regretté économiste Bernard Maris, assassiné
lors de l'assaut de Charlie Hebdo voici 7 ans. Il menait en effet
lui-même une réflexion sur ce qu'est le développement humain et
économique, ce qui le permet avec disons moins de dissonances
internes, et sur les moyens de résorber une crise du lien dans nos
sociétés. Ces éditions sont donc dès l'origine marquées du sceau
de la déliaison-reliaison et c'est ce qui explique la
pluridisciplinarité d'un catalogue riche d'essais, de documents et
de fictions. Au fils des collections, j'ai relevé des références
qui pourraient ne pas vous être inutiles si vous réfléchissez
comme moi à ce qui se passe exactement et à ce qui pourrait se
passer de plus vivant et convaincant. Voici :
-
http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Faire_avec-639-1-1-0-1.html,
où il n'est plus question d'écraser l'Autre (quel qu'il soit) mais
de trouver des formules de co-construction fécondes.
-
http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Prom%C3%A9thium-664-1-1-0-1.html,
où transition énergétique et greentech sont questionnées.
-
http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Ce_que_les_peuples_racines_ont_%C3%A0_nous_dire-594-1-1-0-1.html:
santé, déséquilibres, maladies du vivant, savoirs des peuples
ancestraux... il y a de quoi butiner et surtout se remettre en
perspective.
-
http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Comme_on_nous_parle-614-1-1-0-1.html,
ou comment l'économie de marché s'accompagne d'une novlangue
rendant inaccessible la réalité et impossibles les débats dans une
démocratie saine.
-
À
petits prix de poche, comme d'autres ouvrages déjà mentionnés :
http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Ce_que_les_plantes_ont_%C3%A0_nous_dire-637-1-1-0-1.html,
par le grand ethnobotaniste François Couplan. Ou encore, bien
d'actualité :
http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Et_si_la_sant%C3%A9_guidait_le_monde__-671-1-1-0-1.html,
où comment accorder dans la prospérité le bien-être humain et la
vitalité des écosystèmes. Je n'oublie bien sûr pas http://editionslesliensquiliberent.fr/livre-%C3%89loge_des_mauvaises_herbes-597-1-1-0-1.html
car la Despentes s'y est exprimée, de même que d'autres écrivains comme
Alain Damasio, sur le sens d'une révolte au nom du sol et de son usage à
propos de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes: http://editionslesliensquiliberent.fr/livre-%C3%89loge_des_mauvaises_herbes-597-1-1-0-1.html
Pour
en venir aux Économistes atterrés, ils annoncent tout de suite la
couleur sur leur site puisqu'il s'agit pour eux de montrer que
« d'autres politiques économiques sont possibles ».
Personnellement, je trouve leur nom aussi génial qu'opportun car il
renvoie à la fois à la notion d'atterrissage (en espérant sans
crash) et à celle d'affliction qui ne peut manquer de nous habiter
si on est un minimum conscients de ce qui se joue autour de nous et à
travers nous. Il s'agit d'un collectif de professionnels de l'analyse
économique, en clair majoritairement des enseignants et/ou des
chercheurs dans cette discipline. On ne peut donc pas les taxer
d'illégitimité, petite remarque au pays -la France- où règne
l'obsession du qui es-tu, d'où parles-tu pour avoir le droit de
parler... tout en laissant massivement régner la désinformation
venue de toutes parts. Si leur association – à laquelle vous
pouvez d'ailleurs très bien adhérer ici
https://www.youtube.com/user/EcoAtterres-
date de 2011, ils sont surtout connus depuis l'année précédente
avec la publication d'un manifeste désormais internationalement
connu, suivi d'un autre quelques années après :
https://www.atterres.org/manifeste-deconomistes-atterres,
http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Le_nouveau_Manifeste_des_%C3%A9conomistes_atterr%C3%A9s-444-1-1-0-1.html.
Ils disposent d'une chaîne youtube dont je n'ai pas besoin de faire
la pub car vous la trouverez très bien en utilisant des moteurs de
recherche que j'espère, bien sûr, les plus responsables possible et
dont vous ferez, j'espère, un usage le plus responsable et modéré
possible vu l'impact environnemental catastrophique du numérique. Leur site peut déjà bien
satisfaire votre appétit de connaissances forcément vicieuses et
douteuses parce qu'animé comme eux par la volonté d'ENFIN libérer
l'économie de ce qui la dénature et nous dénature au passage :
le néolibéralisme. Les onglets correspondent aux diverses activités
menées par l'asso dont le but principal est de vulgariser la parole
scientifique économique afin qu'elle nourrisse le débat
démocratique. Où il est encore question de réappropriation, quoi.
Tout comme pour les éditions Les liens qui libèrent, je vous
propose une petite sélection qui ne devrait pas manquer de complèter
la précédente et de vous armer plus ou moins pacifiquement, en tout
cas intellectuellement et c'est déjà pas mal, pour la nouvelle
année :
-
parmi
les analyses, vous trouverez celle du dernier budget, utile pour
comprendre comment un paradigme se traduit en politiques publiques
et donc dans notre vie quotidienne:
https://www.atterres.org/le-neoliberalisme-au-service-du-capital-analyses-du-budget-2022
-
dans
les ouvrages, outre celui dont il va être ensuite plus longuement
question, il me semble opportun de mentionner, au hasard, celui-ci :
https://www.atterres.org/livres/soigner-manifeste-pour-une-reconquete-de-lhopital-public-et-du-soin.
Sans oublier :
https://www.atterres.org/livres/en-finir-avec-le-capitalovirus,
https://www.atterres.org/livres/la-dette-publique
ou encore
https://www.atterres.org/livres/la-pandemie-lanthropocene-et-le-bien-commun.
-
Au
rayon conférences, n'hésitez pas car le menu regorge de mets de qualité :
https://www.atterres.org/conference/un-pole-public-du-medicament.
Sur les sujets plus directement LocoBio, cette réflexion sur la réindustrialisation et la transition socio-écologique :
https://www.atterres.org/conference/quelle-politique-industrielle-pour-la-france.
-
Enfin,
vous pouvez retrouver l'une des auteures du livre qui est l'objet de
mon commentaire à la suite dans un entretien disponible dans la
rubrique « Dans les médias »:
https://www.feat-y.com/blog/2022/01/03/mireille-bruyere-imaginer-la-decroissance-productive-cest-un-tabou-absolu-dans-le-champ-economique/
Pour
finir, je signale que vous pouvez régulièrement trouver des
interventions des membres de ce collectif dans des médias qui ne s'en
laissent pas facilement raconter et dont je recommande une fois n'est
pas coutume la
lecture, à savoir les suspects suivants;) : l'Âge de
faire, Alternatives économiques et Mediapart.
Bon,
une fois ce cadre posé, qu'en est-il du livre qui a retenu mon
attention et pourquoi je tiens à ce qu'il ouvre l'année 2022 des
chroniques LocoBio ? Voici d'abord où vous le procurer:
http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-De_quoi_avons_nous_vraiment_besoin__-9791020910356-1-1-0-1.html.
Ensuite, son intérêt principal et non des moindres est de proposer
à tout un chacun à la fois une grille de lecture de la situation
actuelle et un vademecum pour cheminer vers une société meilleure.
Qui dit vademecum dit forme de guide pour que chacun puisse juger,
participer à un cheminement qui se doit d'être collectif s'il veut
être durable. Chacun sera donc libre, pourquoi pas, de reprendre
cet/l'ouvrage en fin de chaque année pour évaluer la pertinence de
telle proposition qui, entre-temps, sera peut-être devenue
expérimentation. Certains esprits chagrins -voire torpilleurs-
pourront, à la lecture, trouver finalement plates les diverses
propositions, comme un air de déjà vu, du moins de déjà entendu ; ou
alors que de l'ensemble de ces propositions peine à émerger une
vision claire de où nous allons, comme une petite nostalgie du temps
des idéologies toutes faites et on sait où ça nous a menés, ou
pire comme une tentation de refuge dans les religions et autres
échappatoires un peu faciles... et on sait où ça peut mener. Si
ces objections pourraient être fondées, je dirais simplement mais
non moins fermement que si les contestataires du système mortifère
qui nous enserre semblent parfois radoter, c'est « juste » parce
que la résistance dudit système est tenace et c'est d'abord sur les
intérêts à sauvegarder et sur qui les sauvegarde « quoi qu'il en
coûte » qu'il faut s'interroger. Premier renversement de
perspective. Ensuite, justement à propos de perspective, que dire ?
Evidemment que nous ne savons pas où nous allons et c'est même le
propre de la vie, fondamentalement enthousiasmante. En revanche, si nous continuons sur la même voie
de faux désirs créés en permanence par un marché mégalomaniaque
et boulimique, là c'est sûr, nous savons où nous allons et nous
savons désormais tous très bien que ce n'est pas viable. Aucun
compromis n'est possible et le radicalisme, la brutalité ne sont pas
à chercher dans un mauvais procès d'intention du côté des
alternatives : il est bien du côté du système en place qui
entend bien, encore une fois quoi qu'il en coûte, rester inamovible.
Une
fois ces éventuelles limites évoquées, venons-en aux champs
considérés comme prioritaires par nos économistes à juste titre
atterrés. Je dis « à juste titre » car les 8 chapitres
qui composent le livre sont tous pourvus d'une structure assez
simple, d'évidence et didactique : on part d'un constat, en
l'occurrence pas terrible, pour cheminer vers des solutions. Entre
parenthèses, des solutions, en 2022, on ne peut pas dire qu'il n'en
existe pas, on ne peut plus dire comme voici une vingtaine d'années
que comme ça n'existe pas, ce n'est pas possible, d'où l'intérêt
de multiplier les expérimentations et de créer des précédents
convaincants, sachant que les transitions n'ont jamais été initiées
par les tenants d'un système ni par la « masse », les
uns étant obnubilés par la défense de leurs intérêts et les
autres étant clairement asservis par les premiers ; et que donc
passé un seuil critique bien sûr que « l'intendance suivra »,
à moins que comme l'Histoire nous l'enseigne la résistance du système soit
telle qu'elle fasse le lit de la violence. Et, encore une fois, il ne
faudra pas rendre responsable qui ne l'est pas mais bien qui l'est,
c'est-à-dire qui n'aura participé à aucune réflexion ni à aucune
expérience matrice et signe d'évolution.
Donc
une fois écartée la foutaise des faux besoins, fonctionnelle au seul maintien du
système actuel, de quoi avons-nous donc vraiment
besoin
pour, comme l'avance le sous-titre, « vivre ensemble et éviter
le désastre social et écologique au 21ème siècle » ?
En premier lieu, comme le montre toute la démarche des auteurs en
permanence et ce livre en particulier, en redonnant ses lettres de
noblesse, son utilité et son ancrage sociaux à l'économie, science
qui s'est comme par hasard totalement déconnectée du réel alors
qu'elle doit en principe -comme toutes sciences sociales- le
restituer et, surtout s'agissant de penseurs rétribués sur fonds
publics, oeuvrer à son amélioration. Je passe, pour justement y
être passée moi-même lors de mes études poussées en Science
Politique, sur la surprenante et certainement déconnectante
propension de cette discipline à trop de mathématiques.
Sélectionner par les maths, c'est une chose et certainement une chose
douteuse, mais alors former de futurs décideurs, façonneurs
de réel en les biberonnant d'abstractions, c'est certainement mauvais
et une solution non dite dans le livre que je rajoute d'après ma
propre expérience serait : rendre les maths plus abordables en
général et en particulier en économie, ancrer absolument cette
discipline actuellement non seulement schizophrène mais aussi néfaste
dans ses effets sociétaux car le prestige va
majoritairement aux plus déconnectés. En clair, j'attends
impatiemment qu'un.e de nos économistes atterrés ait le prix Nobel
en cette docte et très sérieuse matière.
Ensuite,
le livre propose donc de se focaliser sur 8 secteurs essentiels :
se nourrir, se soigner, s'éduquer, faire culture, se loger et se
déplacer, produire ensemble, travailler ensemble et enfin, bien sûr,
vivre ensemble. Parmi ses qualités, outre une progression de pensée
logique et lisible à chaque chapitre (et ce n'est pas toujours le
cas dans le domaine de la recherche en sciences sociales...), il y a
un bel effort de définition et de données chiffrées ainsi que de
références scientifiques récentes. Par ailleurs, le regard et le
ton ne se cachent pas d'être incisifs et cela fait du bien, non par
propension personnelle mais parce que la situation l'exige. Je dois
dire que le chapitre 2, sur le soin et donc inévitablement sur la
crise dite sanitaire actuelle, est sans aucune concession concernant
les problèmes structurels anciens et déterminants que l'on tente à
grand peine d'occulter, voire d'encore non traiter, liés à l'état
de la santé publique. On sent de la rage et cela fait du bien parce
que, pour une obscure raison de légitimité, les chercheurs sont
supposés ne rien exprimer de leurs émotions, si mal aimées
émotions dans notre culture si « raisonnable » ;
cela serait un gage de sérieux pour leurs recherches quitte à ce
que l'humanité foute le camp y compris, du coup, dans les politiques
publiques dès lors qu'elles s'en inspirent. Il n'y a pas de honte à
avoir de la rage, il y a en revanche à en avoir si on ne
ressent rien, si on n'exprime rien et surtout si on n'a pas honte
d'avoir honte de ce dont certains devraient avoir honte. Encore un
renversement de vapeur dont ne jamais se départir et qui, dans sa
radicalité assumée, est aussi garant de lucidité et de modestie.
Car un autre mérite de ce livre est de considérer les limites
(malheureusement, et on l'espère pour l'instant) de ses
propres propositions. Ainsi, après avoir exploré diverses pistes pour
passer d'un modèle productiviste à un modèle extensif dans le
domaine culturel, comme par exemple les AMAC (« paniers »
sur le modèle des AMAP), le chapitre dédié se conclut ainsi :
« Or, dans
le contexte français, les initiatives isolées d'acteurs culturels
et citoyens ne suffiront pas à l'émancipation de la culture des
logiques capitalistes et néolibérales : il faut aussi que les
partenaires institutionnels se réinventent »
(p.121)... et je rajouterais qu'ils arrivent à s'imposer aux acteurs
privés notamment à l'échelle internationale, type Netflix. Où on
en revient à la prise de conscience c'est bien, les petits gestes
c'est bien, mais rien ne remplacera la volonté proprement politique
et des régulations à plusieurs échelles.
Concernant
l'alimentation, l'enjeu de la massification d'initiatives déjà
existantes revient particulièrement puisque c'est un des domaines où
les alternatives se sont sans doute le plus développées, malgré
les obstacles et le caractère non-acquis des avancées, ces
dernières années. L'un des problèmes est bien que le système
productiviste, en fait à bout de souffle s'il n'était pas soutenu
comme il l'est au détriment justement des alternatives, eh bien...
nous rend nous-mêmes à bout de souffle et cela physiquement puisque
les connections entre la malbouffe qu'il nous sert et des maladies
chroniques comme l'obésité ou l'hypertension sont désormais bien
établies. Dans de telles conditions, il est certain que quand une
pandémie comme la pandémie actuelle nous tombe dessus, en l'absence
désormais généralisée d'hygiène alimentaire et, pire, de
capacité à bien s'alimenter par manque de ressources accessibles de
qualité dues à l'appauvrissement nutritionnel des denrées, alors
il y a vulnérabilité. Un ensemble de facteurs y contribue, de la
saignée imposée aux structures publiques de soin à la manière et
à la faible marge pour bien s'alimenter dans laquelle l'éducation joue
bien
évidemment un rôle. Il s'agit donc bien de tout un système qui,
embrassant tous les domaines de notre quotidien et de notre horizon,
tient à une seule et même logique, celle de la stricte rentabilité
à tout prix. Evidemment, le bilan écologique du système
alimentaire actuellement dominant sous nos latitudes est en plus
négatif, ce qui empêche de le voir comme durable. Dans de telles
conditions, il est clair qu'une option sérieuse (p.37) serait
d'utiliser par exemple le levier de la PAC (politique agricole
commune) en la mettant en cohérence avec les impératifs sociaux et
écologiques. Les nouvelles récentes à ce sujet ne vont pas
vraiment dans le bon sens, j'y reviendrai dans la nouvelle chronique
davantage consacrée à l'actualité d'ici quelques jours. Différents
outils pourraient être mobilisés, à commencer par des conquêtes
juridiques, une fois n'est pas coutume, comme faire de l'alimentation
un droit social au même titre (en principe) que la santé et donc,
via une sécurité sociale de l'alimentation, en assurer la prise en
charge collective.
A
propos du soin au sens strict, il conviendrait tout d'abord d'y
revenir car on s'en est largement écartés, chacun pouvant mesurer
combien ne serait-ce que l'hôpital est devenu un lieu sacralisant
l' « ambulatoire », donc le passage au détriment
d'une écoute véritable et d'un accompagnement suivi. Que dire de la
médecine du
quotidien et du rapport aux médecins auparavant dits « de
famille » ? A cause de la pénurie de professionnels et de la mentalité
expéditive dominante, on ne sait de fait plus trop vers qui se
tourner en cas de problème même mineur. Cette sorte d'ambiance
générale est relevée dans le chapitre 2 qui s'interroge et
s'inquiète carrément mais ne désarme pas en mettant l'accent sur
une problématique émergente : celle de la santé
environnementale. Logique car à partir du moment où non, nous ne
vivons pas séparés de la « Nature », et non, tout ne va
pas vraiment bien, alors il faut nous penser (enfin pas que nous,
nous, nous et toujours nous) en termes d'écosystèmes, et si
possible en santé. A ce titre, il est évident qu'il faudrait cesser
que les études sur l'impact des pesticides, pour ne citer qu'eux,
soient majoritairement financées par des associations souvent décriées
pour leur
prétendue partialité agressive. Prenons plutôt le problème à
bras le corps et, comme dans l'étude de l'INSERM mentionnée p.59,
que les organismes encore une fois financés par des fonds publics,
c'est-à-dire les contribuables citoyens en début et en bout de
chaîne car l'Etat c'est eux, soient à la manoeuvre; faisons que la
réalité malsaine soit
évaluée pour mieux être combattue. Je passe car, toujours un peu
par hasard, ce genre de sujet passe à l'as, sur l'avertissement qui
clôt ce décidément très stimulant chapitre : « Rien
ne se fera sans redonner vie à la démocratie en santé »
(p.66). Alors là, dans le contexte actuel de reflux général de la
démocratie tout court, on se dit qu'il va falloir un bon gros coup
de pied dans la fourmilière pour rebooster des initiatives comme la
santé communautaire, juste avoir droit au chapitre de ce qui nous
concerne au plus intime, au plus concret et au plus quotidien de nos
vies.
L'éducation,
ah l'éducation, encore un vaste sujet et un sacré champ de
bataille. Tout commence assez mal (ou bien, c'est selon) dès lors
qu'est posé comme préambule du passage où il en est question la
phrase fatidique, émaillée d'un bon gros mot qui va vous rappeler
tout un courant de la littérature alternative : « L'éducation
doit être vue comme un bien commun global »
(p.71). Ah, aïe le bien commun, les communs... mais pourquoi donc
s'acharner à vouloir former des citoyens dotés d'esprit critique,
se risquer à des velléités d'émancipation alors qu'on pourrait
se borner à produire des travailleurs flippés par le stress de leur
boulot ou, justement, par le manque de boulot ? C'est quoi ce
genre d'idée tordue ? Ça serait pas un peu Renaissance ou
18ème siècle, une fulgurance démodée des Lumières, encore un bon
truc franchouillard ? Franchouillard, oui Monsieur, mais pas de
la France startupnationalisée, la vraie France Monsieur, celle qui
n'oublie pas et est très fière de son passé fort à propos
émancipateur. Dans ces conditions, le prochain pas serait, plutôt
que de faire davantage payer en frais d'inscription les étudiants
extracommunautaires et même les communautaires, oui il serait sans
doute plutôt de suivre l'idée (p.95) d'une allocation universelle
pour les étudiants. Ce serait d'autant plus une bonne idée que,
cela ne vous aura pas échappé, ils ont pris bien cher avec les
confinements successifs et continuent -au-delà du flip de devoir
faire sa place dans un monde bien flippant- de bien devoir en passer
par là où on veut, ou plutôt on a décrété, qu'ils en passent
pour soi-disant accéder aux lieux normaux d'une vie normale de
jeunes (et encore : les discothèques sont à nouveau fermées
alors même que les cultes et les meetings se déroulent sans aucun
contrôle de type « pass », sans parler des bains de
foule que nos politiques s'octroient sans aucune précaution, quand
il ne s'agit pas de réunions nationales type dernier congrès des
maires). Un juste retour en matière de solidarité
intergénérationnelle, quoi.
Les
questions du logement et du déplacement sont ensuite traitées
conjointement dans la mesure où l'interaction entre les deux est
forte, le mouvement des Gilets Jaunes l'a assez (mais sans résultats
concluants) mis en évidence. En effet, tout le monde n'a pas les
moyens de vivre là où il travaille, de prendre son petit vélo en
ayant bonne conscience tout en se faisant livrer sans trop de scrupules un colis mignon par Amazon. Il est clair qu'au
moins deux crises surgissent dès lors qu'on aborde ces questions :
celle de la crise du logement, donc des prix de l'immobilier qui eux ne sont jamais
comme par hasard en crise, profondément ce que l'on
fait et ce que l'on veut faire du sol, du vrai sol bien terrestre, et
bien sûr la crise écologique occasionnée par les transports dont
on connaît la grande responsabilité en matière d'émissions de CO2.
Comment tendre vers, et donc ne pas abandonner, les objectifs
suivants qui, à force de lavage de cerveau mercantile, peuvent
sembler fous : « Vers
un habitat plus accessible et plus écologique pour une mixité
sociale et des relations apaisées »
(p.147), sans oublier que oui « la
mobilité individuelle (est)
une question collective »
(p.148)? Tout d'abord, sans perdre de temps et chercher ailleurs,
toujours ailleurs, en appliquant tout simplement le droit car, faut-il
le rappeler (décidément, y'a comme des fuites, de drôles d'oublis
certainement coupables dans la Constitution et son bloc en ce
moment): être logé et bien logé est dans notre cher pays un droit.
Ensuite, veiller à l'aménagement urbain est cardinal car un
logement est lui aussi plongé dans tout un écosystème. Donc gare
aux écoquartiers bobos pour se faire plaisir, afficher en tant
qu'élus un bilan, se faire du gras en tant que promoteur sous
prétexte qu'on a intégré une bande de terre virtuellement
transformable en vague jardin partagé. Et gare, plus généralement,
à l'urbanisation, donc aux villes obèses peuplées d'obèses de
plus en plus nombreux. Et ça, vaste, gros, épineux sujet.
Sur
le volet de la production, l'accent est par ailleurs mis certes sur
la relocalisation, la reterritorialisation et l'économie circulaire,
mais je retiendrais 3 axes peut-être moins communément mis en
avant, du moins jusqu'à présent : sous l'influence ou
carrément avec les statuts disponibles dans cette optique (Scop,
Scic...), il serait bon de développer davantage l'économie sociale
et solidaire d'une part et d'autre part que la réorganisation de
l'entreprise -maintenue comme acteur central dans le nouveau modèle
de production- se fasse sous le signe de la sobriété énergétique.
L'exemple de L'atelier paysan est ainsi pertinemment présenté p.172
comme un moyen de redonner de l'autonomie productive aux producteurs
eux-mêmes, en l'occurrence ceux qui nous nourrissent et c'est sans
doute le métier le plus difficile, aléatoire, fatigant et méprisé
au monde malgré les frayeurs liées aux différentes crises (de la
« vache folle » au Covid 19). Cet exemple montre bien
qu'une cohérence est possible entre la forme de l'entreprise (une
coopérative), son activité (l'agriculture en mode agroécologique)
et ses moyens (des outils techniques, innovants... mais dont la
fabrication et la réparation sont au maximum possibles localement).
On est ici à mille lieues de l'agriculture 4.0 présentée comme
un véritable miracle, singulièrement dans l'agriculture urbaine. Les
deux voies sont tellement différentes qu'on voit mal quelle
conciliation il pourrait y avoir au nom de quelles valeurs curieuses
intermédiaires ou plutôt composites et voilà sans doute pourquoi
les contributeurs à cet ouvrage ne cessent de parler de
« bifurcation ». Pour terminer, il est certain que
surtout dans le schéma actuel il est difficile d'aborder la
problématique de la production sans traiter son pendant, celle de la
consommation. A ce sujet, je retiens l'idée intéressante p.160
d'une « fiscalité
(qui)
pourrait être instituée afin de réduire les échanges
internationaux non essentiels »,
laquelle aurait vocation à disparaître en fonction des avancées de
la relocalisation. Si je trouve cette idée intéressante, c'est
d'abord parce qu'elle illustre parfaitement le titre mérité de
« fascistes verts », prouve que décidément les
écologistes sont les plus dangereux actuellement pour la démocratie,
la République et la planète. Or il ne faut jamais rater une
occasion de garder son statut, de l'assumer et par la même occasion
d' « emmerder » le monde puisque c'est très à la
mode et validé par les instances dites les plus hautes. Ensuite, je
trouve l'idée savoureuse car cela serait quand même un juste retour
des choses qu'un peu vaguement démocratiquement, mais après tout
qui s'en soucie, d'autres citoyens aient à leur tour l'occasion de
définir ce qui est essentiel ou pas. Ce serait un peu comme la 2ème
manche après la première incarnée par l'inoubliable gestion
politique de la crise pandémique actuelle, avec droit auto-octroyé
de mettre tel ou tel secteur dans la case "essentiel" ou
"non-essentiel"... classification aussi ambiguë, délirante
qu'autoritaire car on voit bien comment la culture, après avoir été
classée dans les "non-essentiels", sert désormais à priver une
partie de la population rétive à l'option vaccinale de ce qui lui
est essentiel, à savoir les nourritures bien terrestres que sont le
contact avec les œuvres et les concitoyens. Alors, elle a de la valeur
ou pas la culture ? Quelle cohérence, quelle intention, quel
cap ? Il est clair qu'il va falloir, sur ce point comme pour les
transformations à venir qui seront forcément portées par des
responsables vraiment responsables, de la clarté et une volonté
politique forte une nouvelle fois rappelée car visiblement source de
profond souci et scepticisme p.175.
Abordant
ensuite le travail, les auteurs ne sont pas trop de quatre pour
toucher à un point sensible s'il en est puisqu'il a été érigé en
valeur et en pivot à la fois pour la production et la consommation
dans nos sociétés. A ce sujet, le drame est bien sans doute que les
choix occidentaux (enfin d'une minorité en permanence agissante) en
matière d'économie libérale puis néolibérale ont trouvé matière
à s'exporter à la faveur de la colonisation et du néocolonialisme
qui régit encore les relations internationales. En plus de s'arroger
des droits que nous n'avions pas, on s'est privés et on a privé les
populations locales de ressources à la fois matérielles et
symboliques qu'elles avaient et qui auraient pu être intéressantes
en matière d'alternatives socio-économiques, écologiques et
pourquoi pas spirituelles car tout se tient. Du coup, à partir du
moment où la mondialisation de la problématique s'explique par
cette dynamique historique plus que regrettable, l'avantage est que
cela ne fait que plus souligner la solution qui réside dans plus
d'humilité, d'ouverture aux biodiversités tant naturelle que
culturelle et, surtout, au court-circuitage total et définitif des
acteurs qui animent autant qu'ils profitent de la mondialisation
néolibérale actuelle, désormais majoritairement financiarisée et
digitalisée. Cela dit, pour revenir au travail, il n'est donc pas
facile d'y toucher car c'est à la fois un totem synonyme
d'aliénation ou d'émancipation et, tout simplement, une sources de
revenus, avec entre les deux ce qui donne un statut social, une place
dans la société. Pas facile donc de décoloniser les esprits, de ne
pas actionner le levier des leviers politiques, à savoir la peur,
peur de ne pas trouver du travail, peur parfois d'aller au travail,
peur de perdre son travail, peur de la fin du travail avec la
retraite. C'est comme une colonne vertébrale et rame copieusement
qui ose toucher à une véritable institution. Cela fait bien
longtemps qu'à titre d'observatrice par ailleurs souvent bénévole,
je ne comprends pas pourquoi on valorise à ce point ce qui peut
faire souffrir, s'avérer insatisfaisant et insuffisant, à savoir le
travail, et à côté on ne valorise pas assez, voire pas du tout, la
notion d'activité, encore moins celle à vocation sociale. Si on
part du principe qu'un besoin à la fois individuel et collectif est
de se nourrir, alors pourquoi ne pas valoriser -et rémunérer par
exemple par des tickets de transport, l'accès à de la culture
essentielle, etc...- à juste titre ceux/celles qui s'investiraient
par exemple sérieusement dans un jardin nourricier ? Et c'est
d'ailleurs bien ce terme d'activité qui est employé p.178 quand les
enjeux sont présentés : « à
l'avenir, où il faudra travailler moins pour travailler mieux, tout
en assurant un emploi à toutes et à tous dans une activité en lien
avec leurs aspirations et répondant aux besoins sociaux ».
Cela renvoie encore au local, avec parmi les solutions un rôle
particulier donné aux collectivités locales qui seraient
logiquement chargées de mesurer les besoins locaux et,
symétriquement, de proposer déjà, elles, un certain nombre
d'emplois à pourvoir. Tout cela incite à stimuler les initiatives
encore trop nombreuses en faveur de la garantie de l'emploi, à
travers notamment les projets « territoire zéro chômeur de
longue durée » qui méritent décidement d'être (pour)suivis.
Enfin,
la question du lien social et de sa détérioration du fait de
l'individualisme et de la compétition conduit à la présentation de
solutions variées comme lutter contre les écarts (et inégalités)
de rémunération en fixant des plafonds, en tout cas un mode de
calcul basé sur l'approche suivante : « L'acceptation
ou la dénonciation de ces écarts de salaires est un choix
éminemment politique en ce qu'ils révèlent l'échelle de valeurs
que s'est donnée une société. Rien n'empêche de refonder un
vivre-ensemble et une échelle de valeurs basés sur les besoins des
citoyennes et des citoyens ou l'utilité sociale des métiers. »
(p.230). Le renforcement (ou la réanimation?) de la démocratie,
suivant le modèle à la fois heureux et malheureux car trahi de la
Convention citoyenne pour le climat, permet en définitive d'enfoncer
le clou puisque : « La
dérive autoritaire du néolibéralisme est l'expression la plus
éclatante que la liberté purement individuelle affichée par les
néolibéraux est un faux nez qui cache de plus en plus mal les
rapports de domination brute qui fondent toujours le capitalisme »
(p.242).
On
l'aura compris, l'analyse riche proposée par cette œuvre est à la
hauteur des défis engendrés par la transformation profonde auxquels
chacun et tous nous sommes amenés. Il n'y a rien d'économique
là-dedans mais au contraire que de très politique... à moins que
l'économie soit décidément une activité en fait très politique.
Et à cet égard la dernière phrase en serait p.250 l'explication :
« la
question des besoins est au cœur de la confrontation sociale »,
et par ce dernier adjectif il ne faut pas entendre telle ou telle société
en particulier mais la société en général, organisée entre ceux
qui décident et qui ont, et les autres qui n'ont certainement pas
la même responsabilité au regard de la Transition.
Sur ce, je vous renouvelle
mes vœux les plus pleinement citoyens.
©Yolaine de LocoBio,
Janvier 2022
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