Idées
cadeaux de Noël, suite
Des
livres, des livres, des livres, encore des livres...
... autant dire de
L'ESSENTIEL, bien sûr sans autorisation, sans décret quelconque qui
se prendrait au sérieux de manière tout à fait déplacée.
Pourquoi des livres de littérature cette fois-ci ? Parce que le
militantisme c'est bien, l'engagement tout autant mais l'esprit a
vitalement besoin d'imaginaire pour se reposer, s'évader, se figurer
d'autres possibles avec les mots les plus justes possibles. Autant
dire s'échapper de la pornographie ambiante qui les vautre comme
nous-mêmes au passage dans ce qui tente de s'imposer comme la
« réalité ». Les mots refus, les mots résistance, les
mots oui d'un certain niveau, d'une certaine image de la culture et
de ce vers quoi nous devrions tendre tous ensemble : donner le
meilleur de nous-mêmes le temps d'un passage terrestre somme toute
un peu barré, loufoque à plein gaz et à souhait. Alors voici ma
sélection de livres à dévorer, à offrir, à retrouver dans nos
bibliothèques comme nous trop sages et trop silencieuses, livres à
courir chercher chez notre libraire plus indépendant que jamais, à
déclamer pour couvrir le nécessaire bordel lors des réunions
familiales, à couver, à choyer, à remercier. Comme d'habitude,
parce que je n'ai de comptes à rendre qu'à moi-même, mon choix est
arbitraire... mais ultra-sérieux et appliqué. Suivant quelle
logique ai-je donc choisi ces livres ? Parce que dans tous il
est question du système dans lequel on baigne, au max matérialiste,
tous le questionnent et dessinent plus ou moins précisément le vrai
monde d'après. Faites-moi confiance : je les ai tous dévorés
et, pour certains, j'ai même fait plus, vous verrez;) En prime, à
la fin : mon texte fétiche. Qu'il vous porte sur les meilleures
rives l'an qui vient.
Se faire virer,
de Marion Delatre :
Manon Delatre est projectionniste dans un cinéma d’art
et essai. Au début, son travail la passionne. Elle s’implique,
prend des responsabilités. Mais l’épuisement et l’ennui
finissent par se superposer à la joie. Elle a besoin de changer
d’air. Sa direction ne l’entend pas ainsi. Refus de rupture
conventionnelle. Les relations se compliquent. Une impasse qui la
pousse alors à tout faire pour se faire virer.
Ce texte est suivi d’un autre récit sur le travail
dans une équipe caméra sur les plateaux de cinéma. L’envers du
décor du 7e art. L’art justifie tout, on doit pouvoir se sacrifier
pour le beau, l’original, et même pour le médiocre. Pas de
vacances, peu de pause, de tournage en tournage, d’hôtel en hôtel,
charger la pellicule, la décharger, marquer les séquences, stocker,
charger, courir, marquer, stocker. Jusqu’à l’épuisement.
Ces deux récits sont des témoignages sensibles et
utiles qui décrivent avec précision certains des mécanismes qui
peuvent mener au surmenage.
Regain,
Jean Giono
Tous
sont partis. Panturle se retrouve seul dans ce village de
Haute-Provence battu par les vents au milieu d’une nature âpre et
sauvage. Par la grâce d’une simple femme, la vie renaîtra.
Jean
Giono, un de nos plus grands conteurs, exalte dans Regain,
avec un lyrisme sensuel, les liens profonds qui lient les paysans à
la nature.
Jean Giono est né à Manosque en 1895. Il y fait ses
études secondaires, puis travaille dans une banque. Après la
guerre, il reprend son emploi et le garde jusqu’à ses premiers
succès littéraires, en 1929, avec des poèmes et des romans qui
expriment toute la poésie de la Haute-Provence : Colline, Un
de Baumugnes, Regain, Jean le Bleu, Que ma joie
demeure, Le Serpent d’étoiles, etc. Regain est
le dernier roman de la «Trilogie de Pan», les deux autres étant
Colline et Un de Baumugnes. Membre de l’Académie
Goncourt en 1954, Jean Giono est mort à Manosque en octobre 1970.
A la ligne,
Joseph Pontus
À la ligne est le premier roman de Joseph Ponthus.
C'est l'histoire d'un ouvrier intérimaire qui embauche dans les
conserveries de poissons et les abattoirs bretons. Jour après jour,
il inventorie avec une infinie précision les gestes du travail à la
ligne, le bruit, la fatigue, les rêves confisqués dans la
répétition de rituels épuisants, la souffrance du corps. Ce qui le
sauve, c'est qu'il a eu une autre vie. Il connaît les auteurs
latins, il a vibré avec Dumas, il sait les poèmes d'Apollinaire et
les chansons de Trenet. C'est sa victoire provisoire contre tout ce
qui fait mal, tout ce qui aliène. Et, en allant à la ligne, on
trouvera dans les blancs du texte la femme aimée, le bonheur
dominical, le chien Pok Pok, l'odeur de la mer. Par la magie d'une
écriture tour à tour distanciée, coléreuse, drôle, fraternelle,
la vie ouvrière devient une odyssée où Ulysse combat des carcasses
de bœufs et des tonnes de bulots comme autant de cyclopes.
Les choses,
Georges Pérec
Les
Choses (originellement
sous-titré Une
histoire des années soixante)
est un roman de Georges Perec publié
en 1965 par Maurice Nadeau dans sa collection
des Lettres nouvelles, chez Julliard, et ayant reçu
le prix Renaudot la même année. C'est le roman de Perec
qui a eu le plus grand succès. Georges Perec s'est rendu compte en
écrivant son roman (qu'il ne qualifie pas de roman d'ailleurs), que
la manière dont il faisait vivre les deux héros n'était ni plus,
ni moins que sa propre façon de vivre à lui et à ses amis.
Georges Perec raconte la vie d'un jeune couple de
psychosociologues (pour des enquêtes d'opinions) dans les années
1960, ce couple vit à Paris, mais trouve sa vie monotone et rêve
d'avoir toujours plus de choses, de partir en voyage, d'être
riche... mais ils ne s'en donnent pas les moyens, essayant vainement
de chercher une passion, un but, une idée à défendre pour donner
un sens à leur vie. Puis Sylvie et Jérôme partent vivre
en Tunisie, à Sfax, afin de tester un nouvel emploi qui
leur est proposé. C'est un échec. Ils reviennent donc en France,
tout d'abord à Paris puis à Bordeaux où ils finissent par obtenir
un poste bien rémunéré, mais les dernières lignes du roman
laissent entendre que le confort matériel qu'ils ont enfin obtenu
marque aussi le début d'une vie terne.
Fait particulier de ce roman, ce ne sont pas les
personnages qui prennent une grande importance mais ce sont les
choses qui sont décrites durant plusieurs pages avec beaucoup de
détails et de façon méticuleuse. Mais en vérité, les choses ne
sont que des bibelots. L'emploi du conditionnel plonge le lecteur
dans le rêve des personnages du roman.
Ce roman traite aussi de la recherche du bonheur à
travers le consumérisme. Les personnages sont matérialistes et
leur besoin d'acheter est infini, non pas des objets, mais des
marques.
Vendredi ou la vie sauvage, Michel Tournier
Un
jour de septembre 1759, Robinson, seul survivant du naufrage de La
Virginie, échoue sur l'île de Speranza et s'en déclare gouverneur.
Aussi, quand il rencontre l'Indien Vendredi, le tient-il
naturellement pour son esclave. Mais, finalement, les rôles
s'inversent : Robinson a beaucoup à apprendre de Vendredi... "Ce
n'est plus Robinson qui apprend la civilisation à Vendredi, c'est
Vendredi qui apprend la vie sauvage à Robinson", explique
Michel Tournier, signant là l'une de ses plus belles histoires.
Du
même auteur, une version plus "adulte" mais tout aussi poétique :
Vendredi
ou les limbes du Pacifique
L'île
déserte du Pacifique et le XVIIIe siècle forment le cadre
traditionnel de cette histoire librement empruntée à Daniel Defoe.
Parce qu'il refuse d'abord d'assumer sa solitude et ne songe qu'à
partir, Robinson est menacé par la déchéance et la folie. Puis il
se ressaisit et entreprend de coloniser l'île, comme une possession
anglaise. Non content de cultiver la terre et de domestiquer quelques
chèvres, ce puritain avare et méthodique creuse des viviers, crée
des rizières, accumule des provisions énormes, construit des
édifices publics, promulgue des lois, un code pénal... La survenue
de Vendredi paraît d'ailleurs justifier cette construction délirante
: il va être le sujet de l'île, devenant tour à tour soldat,
enfant de chœur, laquais, etc. En réalité, le sauvage répugne à
cet ordre minutieux et ses bévues finissent par provoquer une
catastrophe qui détruit l'œuvre de Robinson. Ils repartent tous
deux à zéro, mais désormais, c'est Vendredi qui mène le jeu.
Robinson se déshumanise peu à peu et prend le parti des éléments.
Administrateur et cultivateur, il s'oppose désormais au fantasque
Vendredi, comme l'homme de la terre s'oppose à un être aérien.
Puis sous l'influence de son compagnon, il se transforme en héros
solaire. Sa sexualité notamment subit des métamorphoses successives
de plus en plus surprenantes. Le sens du travail, le nudisme, la
spéléologie, les bains de soleil, le colonialisme, le racisme, les
innovations sexuelles, autant de préoccupations d'aujourd'hui que
l'auteur a insérées et brillamment illustrées dans le mythe
éternel de Robinson Crusoé.
Tes mains sur mes hanches, Elena Varécy
Tes
mains sur mes hanches... que dire ? Qu'en dire ? C'est assurément un
pavé de " moi y'en avoir très marre. C'est un roman drôle et
cruel. D'ailleurs, il m'a transpercée. Je n'avais rien demandé.
Bon, c'est sûr, maintenant, ça va mieux. Mais concrètement, vous
allez me dire, c'est quoi ? Bon. Donc... C'est l'histoire du PDG de
la société Bellagambys, un vieux type obsédé par les prothèses
de hanche qu'il vend au monde entier. C'est aussi l'histoire de son
fils, hanté par les p'tites fleurs des montagnes et par un certain
visage. Je crois que c'est tout. Ah non, j'oubliais : c'est surtout
l'histoire de ce PDG et de ce fils, avec en toile de fond une
brûlante question : faut-il que l'un meurt pour que l'autre revive ?
Si vous pensez que c'est à ce prix, alors cher lecteur, plus aucune
hésitation : allez-y ! Déambulez dans l'univers magique de
l'orthopédie. Baguenaudez dans les prairies fleuries. Humez l'air
pur des montagnes. Et surtout, profitez bien car le déambulateur
rôde. Il vous guette en silence, prêt à bondir à la moindre
défaillance de vos pauvres guiboles. Et si c'était le mal du siècle
?
Novecento : pianiste, Alessandro Baricco
"On
me mettrait la tête en bas que rien ne sortirait de mes poches, même
ma trompette, je l'ai vendue, j'ai tout vendu, quoi, mais cette
histoire-là... non, cette histoire-là je ne l'ai pas perdue, elle
est toujours là, limpide et inexplicable, comme seule la musique
pouvait l'être quand elle était jouée, au beau milieu de l'Océan,
par le piano magique de Danny Boodmann T. D. Novecento." Né
lors d'une traversée, Novecento n'a jamais mis le pied à terre. Il
passe sa vie sur l'Atlantique les mains posées sur un piano, à
composer une musique étrange et magnifique, qui n'appartient qu'à
lui : celle de l'Océan.
Le joueur, Fedor Dostoïevski
Dans
une ville d'eaux allemande se croisent aristocrates et aventuriers
venus de toute l'Europe, dont une famille de Russes désargentés,
prise dans des querelles d'héritage, qui espère se refaire grâce à
la roulette. Le héros, lui, commence à jouer par amour, pour sauver
une jeune fille d'une dette qui l'écrase. Bientôt, il cède au
vertige du casino et se perd dans le jeu... Ce roman exprime toute
l'obsession morbide du joueur qui, comme le montrera Freud, se punit
lui-même d'une irrationnelle culpabilité en jouant et rejouant
toujours. Rédigé en même temps que Crime et Châtiment, Le Joueur
est une superbe variation sur le vice et la punition.
Notre-Dame-des-Plantes, Gilles Clément :
Le
jardinier paysagiste, voyageur du monde et écrivain Gilles Clément
imagine : puisque, après l'incendie qui a détruit la toiture de
Notre-Dame, la lumière est enfin entrée dans ce lieu, on pourrait
en faire un jardin ! « La dernière aventure de Notre-Dame est un
envol du chapeau par la force des flammes. Et brutalement, on y voit
clair. Pourrait-on bénéficier de cette offre en ce siècle délicat
des gestions de l'énergie ? Alors installons une serre, un jardin
et, pourquoi cultivons-y une vigne grimpante pour en tirer un vin de
messe unique au monde ! » Dans un texte drôle, roboratif et
poétique, Gilles Clément montre avec brio que Notre-Dame-de-Paris
est un roman et que l'incendie en est un chapitre. Un édifice en
perpétuelle transformation qui bouleverse la notion de patrimoine en
lui donnant un statut d'oeuvre changeante. Et aujourd'hui, si un tel
projet venait à se réaliser, l'auteur en serait le monde vivant
non-humain, un ensemble végétal et animal aux imprévisibles
décisions.
Un-je-ne-sais-quoi d'Anconina, Elena Varécy :
Sólveig
est une intellectuelle, militante, un peu désabusée lorsque l’image
de Richard Anconina ressurgit dans sa vie. Quant à Anconina, il est
lui-même aussi un peu en bout de course et, sans se l’avouer
vraiment, il aurait bien besoin que quelque chose se passe. Dans sa
carrière. Ou carrément dans sa vie. Ce quelque chose, c’est
Sólveig qui mettra tout en œuvre pour le rencontrer. Ainsi naissent
les plus belles histoires d’amour. Mais ce qu’ignore Richard,
c’est que Sólveig a un lapin… et il se pourrait bien que tous
deux soient emportés par la déferlante bien plus puissante du
pompon. N’est-ce pas ainsi, après tout, que commencent les plus
belles des révolutions?Comédie sociale et romantique,
Un-je-ne-sais-quoi d’Anconina rend hommage au cinéma, aux acteurs
et à leurs fans. C’est aussi, peut-être surtout, une fable
moderne soufflée par un lapin inspirant. Tous les ingrédients sont
ici réunis pour prendre du recul sur le monde actuel et se sentir de
bonne humeur.
Sur les
ossements des morts, Olga Tokarczuk :
Janina
Doucheyko vit seule dans un petit hameau au cœur des Sudètes.
Ingénieur à la retraite, elle se passionne pour la nature,
l'astrologie et l'œuvre de William Blake. Un matin, elle retrouve un
de ses voisins mort dans sa cuisine, étouffé par un petit os. C'est
le début d'une longue série de crimes mystérieux sur les lieux
desquels on retrouve des traces animales. La police enquête. Les
victimes avaient toutes pour la chasse une passion dévorante. Quand
Janina Doucheyko s'efforce d'exposer sa théorie sur la question,
tout le monde la prend pour une folle... Car comment imaginer qu'il
puisse s'agir d'une vengeance des animaux ?
Pour
que 2022 vous accompagne, rdv sur http://elena-varecy.com.
En attendant, voici mon texte fétiche et je le partage avec
plaisir avec vous :
Des
dunes le passager
De la plateforme, les rives sont
incertaines et c’est très bien ainsi. Leur compagnie ne me manque
pas. Je me concentre plutôt sur les dunes, au fond.
C’est le
soleil, plus que la brume, qui rend les rives incertaines. Le plus
luisant efface toutes les vérités inutiles. Moi, je me concentre
sur le fond, les dunes, les sédiments. Je ne sais pas au juste
combien de temps. Le courant me jette souvent entre deux souffles
contraires. Alors, j'évite la panique des temps anciens. Désormais
je peux avoir confiance et l'absence de rives, autrefois effrayante,
m’apporte cette sécurité dont j’avais tant besoin.
J’ai
erré.
Je n’erre plus.
Le lac reflète à mon penché
l’image d’un être apaisé. Le matin appartient au cormoran, le
soir au héron cendré. Et moi je ne suis au fond que des dunes le
passager.
Elena Varécy, 2020
©Yolaine de LocoBio
Décembre 2021
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