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Chronique 130
22-11-2021

 

Comment faire coïncider besoin de bien s'alimenter

et offre alimentaire de qualité

Des municipalités plus puissantes qu'il n'y paraît


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La recherche en sciences sociales rime parfois avec poésie et alors sa capacité d'analyser, de forger même le réel se double d'une créativité appréciable dans le champ sémantique. Tel est le cas de la aussi jolie qu'inattendue expression « paysage alimentaire » travaillée par le pôle de recherche Surfood-Foodscapes autour de la Chaire Unesco « Alimentations du monde » sur le campus Agropolis de Montpellier. Qu'entend-on par là ? Non pas les inspirants et originaux paysages créés à partir de nourriture par le photographe anglais Carl Warner (voir https://www.pinterest.fr/infiniohm/foodscapes-ou-paysages-avec-de-la-nourriture) mais la « configuration de l'offre alimentaire locale ». Si l'équipe de chercheurs a pour terrain d'expérimentation riche et logique la grande métropole du Sud-Ouest de la France, leurs observations sont nom moins riches d'enjeux et de conclusions transférables ailleurs concernant la modification des comportements alimentaires, leur façonnage suivant des modalités plus durables. Or en la matière, une fois n'est pas coutume et j'ai à cœur de le mettre en avant constamment, le local fait preuve de génie car il est synonyme quand on le veut bien de créativité et d'innovation notamment dans l'action publique.

J'en veux pour nouvelle preuve un article très intéressant sur la marge qui est celle des communes pour avancer sur la voie d'une transition alimentaire durable. Il s'intitule « De quels leviers disposent les municipalités pour agir sur les paysages alimentaires ? » et émane de l'équipe dont il a été question plus haut. Si on y réfléchit bien, cette notion de « paysage » est logique, je veux dire son transfert à l'urbain et à la problématique de la question urbaine en ville et en zone péri-urbaine. En effet, auparavant et à nouveau maintenant, on a souvent souligné le rôle des agriculteurs pour entretenir et même plus, véritablement façonner, les paysages ruraux. Il n'est donc pas illogique que l'on se pose la même question, que l'on utilise la même notion à propos d'autres acteurs et dans un contexte différent. Cela dit, que peuvent faire les autorités en charge des villes ? En fait beaucoup et une approche à la fois sensible, sensée et très politique de cette réalité permet de s'en rendre compte, donc par là même de se mettre du baume au cœur de l'action. Une première étape importante demeure dans ce domaine comme dans les autres celui de la concertation. En effet, il est essentiel de ne pas «exclure des usagers sous prétexte de promouvoir des comportements alimentaires positifs pour la santé publique et pour la transition écologique. (…). Au-delà de l'accessibilité physique, il faut considérer l'accessibilité économique, sociale et culturelle des commerces alimentaires » (p.4). En d'autres termes, l'acteur public doit « inscrire sa politique commerciale au sein d'une stratégie alimentaire urbaine globale » (ibid.). Cela ne fait pas de mal de le répéter car trop souvent la Transition est, risque et est accusée plus ou moins à tort d'exclure. Or cela est proprement inenvisageable d'abord par principe, au nom de la justice sociale, mais aussi par intérêt politique au sens où on ne voit pas très bien comment elle serait acceptée et efficace si elle n'est pas d'abord expliquée et rendue légitime.



Mais de quelle politique commerciale s'agit-il ? Cela peut surprendre car on ne pense pas au premier abord à une telle politique au sujet d'une municipalité. Et pourtant, après l'étape de la concertation et de la prise en compte de l'offre alimentaire extérieure au quartier où il s'agit d'intervenir, l'acteur public peut bel et bien agir suivant de nombreux leviers redoutables dans ce domaine. A condition de l'entendre au sens large et de manière différenciée selon s'il s'agit de quartiers nouveaux ou anciens. Dans les premiers, un élément-clef auquel bien veiller en tant que tel est le cahier des charges liant les aménageurs et l'entité publique. En effet, pour garantir sur le long terme la présence d'un certain nombre de commerces essentiels en matière de bonne alimentation de proximité comme les épiceries, les restaurants, cette dernière peut faire figurer dans ce document des obligations en matière de destination d'usage. Cela peut garantir une maîtrise certaine sur tout un écosystème durable donc vivable. Dans le second type de quartier, elle peut aussi à l'amiable ou en faisant usage de son droit de préemption devenir elle-même propriétaire de commerces dont elle va ensuite choisir les locataires en fonction des orientations de sa politique alimentaire. Dynamique commerciale, dynamisation urbaine et transition alimentaire pour une meilleure santé de chacun et de tous, en l'occurrence en ville, vont donc de pair. Toutefois, l'action publique ne se limite pas -et c'est déjà beaucoup si elle y applique toute son attention et toute son énergie- à cet aspect strictement commercial. A un niveau plus méta tout en restant fortement opérant car dans notre quotidien, elle peut aussi influer sur l'esthétique et l'ambiance d'un quartier. Comment ? Par des choses (éléments et gestes) encore une fois en apparence banales mais à haute teneur politique comme l'élargissement des trottoirs, l'enfouissement des poubelles, le ravalement des façades par exemple rendu obligatoire et subventionné, l'obligation de ne pas faire n'importe quoi quand on pose « son » enseigne... mais aussi en réglementant non plus comment mais qui occupe l'espace public. Ah l'espace public... en ces temps de pandémie et, même avant, de forte réduction de celui-ci, on aurait failli jusqu'à oublier son existence. Pauvre espace public et pauvres de nous enfermés dans je ne sais au juste quoi, d'abord un air du temps qui a la main lourde, semble-t-il, sur les libertés individuelles et le collectif (mais zut ! Ça finit par faire beaucoup de libertés tout ça, beaucoup de ce que nous sommes vampirisés, tout ça non?). Alors l'ambiance dans tout ça, en plus ambiancer l'espace public... ça ne serait pas un peu fou, je ne dis même pas « dangereux », enfin illusoire tout cela ? Eh non, eh bien non. Car la municipalité peut décider de booster et diversifier l'offre locale de bons aliments en autorisant par exemple tel food truck à s'installer tel et tel jour de la semaine ou en organisant la tenue d'un marché alors que la place n'était originellement pas prévue pour cela. L'enjeu n'est pas seulement l'offre mais le changement d'image, le fait de se sentir mieux et ce n'est déjà pas rien quand on se trouve au contraire face à des quartiers « burgérisés » ou carrément désertifiés. Dans les espaces péri-urbains, comme par exemple des villages devenus dortoirs et désormais dépourvus de centre animés par de petits commerces, il est possible de déplacer ce centre en y installant les mêmes commerces de manière regroupés et accessibles. Car, bien sûr, pas de vie de quartier et d'amélioration de l'offre alimentaire, où que ce soit, sans réflexion urbanistique à plus large échelle et un urbanisme enfin durable a certainement de beaux jours devant lui.



A travers cette réflexion autour des paysages alimentaires, bâtir une stratégie alimentaire durable apparaît certes complexe mais plus que jamais enthousiasmant.



©Yolaine de LocoBio,

Novembre 2021


 
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