L'art
de la boucherie végane :
pour
une gourmandise amateure sans cruauté
Je
le dis tout de suite : j'ai emprunté une partie du titre de
cette chronique à la dédicace qui ouvre le formidable petit ouvrage
Ma
petite boucherie vegan,
écrit par Sébastien Kardinal (voir son blog Kardinal.fr) et Laura
Veganpower (fondatrice avec lui de VG-Zone.net). Les non moins formidables
éditions La Plage, membres du collectif des éditeurs éco-compatibles,
proposent en effet dans leur catalogue riche d'alternatives
inspirantes ce bijou de livre que je recommande au
moins à deux titres : pour le prochain Noël ou toute occasion
de cadeau à une personne amie, mais surtout à soi-même (ce qui, je l'espère, revient au même;)) car il ne
coûte que 9,95 euros et vous en trouverez des idées, oui vous en
trouverez sans souci.
Après
un court mais efficace avant-propos judicieusement intitulé
« Introduction au monde des similicarnés » et où il est
au passage rappelé que l'alimentation végétale ne date pas d'hier
comme en témoigne l'usage traditionnel du seitan chez les moines
bouddhistes de Chine végétariens, place à une double-page sur les
ingrédients de base. Gluten de blé, tofu, tempeh, légumes et
fruits secs, sans oublier les épices -qui permettent d'ailleurs de
lever le pied non seulement sur la viande mais aussi sur le sel- sont
brièvement mais toujours aussi efficacement passés en revue. On
apprend en quoi ils consistent, cela ne mange pas de pain car
honnêtement on peut parfois se poser la question quand on se trouve
seul face à face avec un bloc de tofu, mais aussi comment les préparer
au mieux. Cela complété des « aides culinaires » comme
le tamari ou les bouillons de légumes. Le livre se déploie ensuite
sur une cinquantaine de pages qui proposent pas moins de 25 recettes,
balayant aussi bien la charcuterie (« saucisses » aux
herbes) que les plats classiques d'ici (« paupiettes ») ou
de contrées plus lointaines (le fameux « steak » à burger, car sinon on
serait vraiment trop frustrés). Pour chaque recette figure le temps à
consacrer et une note, lesquels montrent bien que cela ne prend en
réalité pas plus que la cuisine classique. Surtout, il y a aussi
possibilité de conserver au frigo plusieurs jours ou au congélateur,
comme par exemple le classique des classiques qui met en général
tout le monde d'accord car c'est le roi du plat fait fissa et
convivial : les pâtes à la bolognaise, sauce proposée page 58
à base de protéines de soja texturées et réhydratées. Je peux
moi-même attester du caractère délicieux et assez bluffant de
cette version non-violente de ce met de base, de même que
constitue un ingrédient absolument de base pour bien des mets ce
type de protéines. Bien des plats peuvent aussi se préparer à
l'avance et être emportés en pic-nic et/ou barbecue. A base de
gluten de blé, le « chrorizo » s'y prête bien, de même
que les brochettes toujours à base de protéines de soja texturées
ou encore les « bbc ribs » convoquant nombre de saveurs
toutes plus alléchantes les unes que les autres. A propos d'alléchant,
les photographies mettent en appétit mais permettent aussi de
visualiser ce vers quoi on tend. Or je pense que ce point est
particulièrement important en matière de cuisine alternative, que
ce soit pour transitionner vers un régime sans produit d'origine
animale (de végétarien à végan) ou, déjà, diversifier son
alimentation non seulement parce que c'est bon pour sa propre santé,
pour les êtres vivants qui peuplent la planète au même titre que
nous. S'attacher à proposer de justes et belles images du monde de
demain -et ces plats en font partie- est essentiel car cela donne un
effet de réalité entraînant.
J'aurais
juste trois petits bémols, en toute honnêteté et en toute
indépendance : me manque toujours une idée du coût de ces
plats car cela fait aussi partie de la balance que l'on fait à
l'heure de nos choix alimentaires. Et cela est d'autant plus vrai car
cette semaine encore le Secours Populaire a alerté sur les effets
désastreux de la pandémie (mais c'était déjà vrai avant et cela
est scandaleux, il n'y a pas lieu de s'y résigner) sur la précarité
alimentaire dans notre propre pays. Voir: https://www.mediapart.fr/journal/france/181121/selon-le-secours-catholique-10-de-la-population-recu-des-aides-alimentaires-en-2020-du-jamais-vu-en-temps. C'est à se demander quand on
parlera sérieusement de santé et rien ne serait tel, tiens, qu'un
grand vrai et franc débat sur notre santé, la santé publique après
tout. 2ème réserve mais petite : les recettes de cuisine
végétale appellent souvent le mélange d'un nombre certain
d'ingrédients, dont certains peuvent être nouveaux. Donc, et il
s'agit encore là d'un témoignage personnel, je pense qu'il faut y
aller doucement et progressivement. Surtout s'il s'agit d'atteindre
l'objectif de transitionner. Enfin, plus sous l'angle LocoBio,
c'est-à-dire d'une réflexion sur les conditions pour relocaliser
l'économie, la convertir aux normes biologiques et plus largement
« propres » au sens d'intégrer des paramètres encore
trop externalisés comme la pollution ou les conditions de production
plus ou moins justes socialement, se nourrir végan n'est pas
forcément la panacée. Logiquement, si on se nourrit de la sorte,
c'est par une recherche de cohérence, d'alignement de certains
paramètres importants et dans une optique d'amélioration. Il est
bien difficile de faire soi-même le bilan carbone et autres de tous
les aliments que nous consommons, et Dieu sait si nous en consommons
beaucoup. Néanmoins, nous avons des choix à faire et il convient
dès lors que l'on est dans ce genre de démarche dans laquelle tout
le monde devrait être pour s'en sortir, oui il convient de faire ces
choix le plus en conscience possible. Cela passe par une
sensibilité/sensibilisation mais aussi par de la bonne information.
Et cela passe inévitablement par ce que l'on achète en regardant
les étiquettes... en espérant ou en faisant fortement pression pour
qu'elles soient d'une transparence totale. Et donc à l'heure en
apparence banale mais déterminante d'acheter, il faut prêter une
attention à l'origine des produits. Car acheter des produits végans
tout prêts, d'origine fortement industrielle comme les autres car la
grande distribution n'a pas oublié d'investir ce champ comme avant
celui du bio, lesquels produits viendraient en plus de loin, on peut
se poser la question de leur intérêt. Bien sûr si on ne pose pas
la limite, quoi qu'il arrive, de la présence ou non d'ingrédients
d'origine animale. Car dans ce cas le curseur est vite mis et tout
cela ne peut dès lors que nous inciter à pousser les décideurs
économiques et politiques, privés et publics, à développer des
filières locales de protéines végétales. Qui sait si une partie
des éleveurs actuels ne seraient pas partants pour eux aussi
transitionner si on explique et on accompagne assez ? On
risquerait d'être surpris et les clivages, dans ce domaine comme
dans malheureusement trop d'autres, ne seraient sans doute pas ceux
que l'on croit. Enfin, vraiment enfin, manger végan suppose de se
nourrir quand même (et heureusement!) de produits d'origine végétale. A
l'heure de les consommer, un peu de gratitude ne serait pas de trop, c'est vrai quoi une petite pensée, pour ces êtres aussi qui ont donné leur vie pour que nous, nous poursuivions au mieux la nôtre.
Allez,
sur ce, je m'en vais préparer un bon rougail « saucisses »
à base de tofu fumé. Sincèrement, ça vaut la peine d'essayer et
que l'âme des truies aille en paix.
©Yolaine de LocoBio,
Novembre 2021
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