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Cogitations et actions
Chronique 128
18-11-2021

 

Créativité, vous avez dit créativité ?

Focus sur les Plans Alimentaires Territoriaux,

ou comment la pensée complexe s'ancre localement


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Dans la chronique précédente, je me suis intéressée au cuir végan comme illustration du défi que constitue aujourd'hui la nécessaire pratique d'une pensée complexe pour mener à bien la Transition. Je poursuis cette réflexion en revenant aux moutons préférés de LocoBio, à savoir l'alimentation et le territoire, le lien entre les deux, certainement distendu et non moins certainement en voie de rapprochement face aux limites de la mondialisation/délocalisation/dépendance des dernières décennies. Pour cela, un focus sur les Plans Alimentaires Territoriaux (PAT) est intéressant parce que l'on peut certes les voir comme un pan de la politique alimentaire de l'Etat français, de son évolution, une étape après d'autres étapes, bref son histoire. Sauf que les attendus, les enjeux et les effets de ces dispositifs inédits ne se limitent en rien à la vision classique qui focalise justement trop sur l'échelon national. On dit souvent qu'il y a trop de verticalité dans notre pays et que la Transition à la fois requiert et permet de faire exploser ce cadre. Comme tout jugement hâtif et partisan, cette vision est fausse et injuste comme en témoignent d'ailleurs les PAT qui ont été mis en place par l'Etat. Toutefois, force est de constater qu'un bouillonnement particulier se manifeste dès lors que l'on veut bien libérer des énergies autrement bridées, à commencer par l'échelon local et la société civile. Tel est le fil rouge de mon propos et voici au fond une belle histoire à raconter, ce qui ne gâche rien en ces temps de morosité justifiée et de déclinisme aussi exacerbé qu'intéressé.».

Tout d'abord, en quoi consistent les PAT? Pour comprendre, il convient de les remettre dans un contexte plus large. En France, pour la période 2019-2023, la politique de l'alimentation et de la nutrition repose sur deux piliers principaux pilotés par deux entités différentes. Il y a d'une part le PNA (Plan National pour l'Alimentation), mené par le Ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation, et d'autre part le PNNS (Plan National Nutrition Santé), mené quant à lui par le Ministère des Solidarités et de la Santé. S'ils sont complémentaires, leurs objectifs sont toutefois différents. Ainsi, d'après la documentation officielle, le PNA « vise à promouvoir une alimentation de qualité, ancrée dans les territoires et en lien avec une agriculture résiliente tournée vers la transition agro-écologique. Les circuits courts et / ou de proximité, les produits de saison ainsi que les produits labellisés, notamment ceux issus de l’agriculture biologique, seront favorisés ». L'idée est donc à la fois de mieux valoriser les produits d'un territoire, ce qui peut permettre de mieux rémunérer les producteurs, de dynamiser une économie suivant une optique assez classique. Mais la Transition apparaît aussi, et cela est nouveau et cela peut entraîner davantage de tiraillements car le fait de devoir changer de pratiques n'est pas autant partagé par tous les acteurs que celui de valoriser pour dégager de la valeur-ajoutée. Par ailleurs, le PNNS est quant à lui logiquement plus orienté vers la santé publique de manière explicite. Ainsi, il « a pour finalité d’améliorer l’état de santé de l’ensemble de la population, en agissant sur l’un de ses déterminants majeurs, la nutrition, c’est-à-dire à la fois l’alimentation et l’activité physique. Il vise ainsi à promouvoir du côté de l’offre et de la demande une alimentation favorable à la santé, prenant en compte les dimensions culturelles et environnementales, la pratique au quotidien de l’activité physique tout en limitant les comportements sédentaires avec un objectif de réduction des inégalités sociales de santé ».  Pour atteindre ces objectifs ambitieux mais répondant à de réels besoins, pour ne pas dire à des retards coupables dans un pays qui, encore une fois, se dit « développé », le gouvernement a défini 6 axes d'action. S'ils concernent tous les PAT, il est certain que le dernier les concerne davantage. Les voici : une alimentation favorable à la santé pour tous, une alimentation plus durable et solidaire, une plus grande confiance dans notre alimentation, une pratique au quotidien de l'activité physique tout en limitant les comportements sédentaires, de meilleurs dépistages et prises en charge des pathologies liées à la nutrition, et enfin des territoires en action. Au chapitre « Une alimentation plus durable et solidaire », figure ainsi l'enjeu assez redoutable d'allier agriculture, agroalimentaire et environnement que l'on sait un peu fâchés par la logique productiviste et consumériste. La relocalisation est évoquée à travers la volonté de développer un volet dédié à l'alimentation humaine dans le cadre de la nouvelle stratégie favorable aux protéines végétales. Outre l'autonomie protéinique d'origine diversifiée -qui implique d'ailleurs aussi au passage de la relocalisation industrielle et de services, donc l'économie en général-, l'échelle locale est particulièrement sollicitée par la mobilisation d'une grande variété d'acteurs afin de réaliser une non moins grande quantité d'actions. Les PAT ne sont bien entendu par les seuls et on peut ainsi mentionner par exemple les Agences Régionales de Santé qui, dans le cadre des Plans Régionaux dédiés, doivent développer des actions adaptées au contexte local en matière de nutrition. Pour ce qui concerne les PAT, si ces dispositifs ne sont pas nouveaux car datant de 2014, il s'agit de les renforcer en les promouvant de manière ferme. Il est intéressant de constater l'optique suivant laquelle ces PAT sont encouragés : d'un côté on entend ainsi mieux ancrer la politique alimentaire gouvernementale et de l'autre on vise à renforcer l'identité des territoires par la mobilisation des acteurs locaux. En d'autres termes, le territoire pourrait sembler se réduire, comme cela est souvent le cas, à un simple support d'une politique publique et, dans ce cas, on chercherait fondamentalement la créativité et l'innovation au service d'une vraie dynamisation locale. Or, et nous le verrons à la suite, cela n'est pas le cas et là réside aussi, pour ne pas dire surtout, la bonne nouvelle. Mais afin de conclure sur cette présentation des PAT, il convient de préciser que tout s'est beaucoup structuré au fil des années comme en témoigne la procédure d'élaboration de ces plans pour aboutir à leur reconnaissance assortie de soutiens financiers au niveau gouvernemental. En effet, il faut savoir qu'une vraie marque existe depuis 2017 et c'est le Ministère de l'Agriculture qui l'attribue. Pour de plus amples informations sur ces dispositifs en général, j'invite à consulter les sites des ministères cités et celui du réseau des PAT puisqu'il en existe désormais un : https://rnpat.fr. Une carte permet de prendre la mesure du succès de ce dispositif puisque le territoire, du moins métropolitain, en est couvert. On en compte ainsi actuellement près de 300 (voir : https://agriculture.gouv.fr/faire-reconnaitre-un-projet-alimentaire-territorial).



Vous le constatez, le sujet est aussi vaste que vivant et exige de régulières actualisations tant le mouvement se déploie vite et tous azimuts. Ce qui m'intéresse dans une optique LocoBio, c'est-à-dire de relocalisation et, à la faveur de cette relocalisation économique, sociétale, de développement de pratiques meilleures pour la santé humaine, la justice sociale et plus généralement les écosystèmes, c'est ce qui passe en réalité sur le terrain. Car décider d'en haut -certes sous l'impulsion d'en bas, à commencer par les consomm'acteurs de plus en plus organisés et dans l'attente d'actions concrètes- des politiques, c'est une réalité. Mais cela ne demeure qu'une partie de la réalité et on constate un phénomène d'appropriation de ces politiques qui est fécond sans doute au regard des objectifs gouvernementaux mais aussi de la vie proprement locale. J'en veux pour exemple 3 exemples.

Le premier est sur le « territoire de LocoBio » puisqu'il s'agit de la Région Rhône-Alpes-Auvergne. Une équipe de l'INRAE (Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement), comme cela a d'ailleurs été préconisé dans le dispositif PAT général, s'est mobilisée à la fois pour observer et accompagner leur mise en place concrète. Leur constat est encourageant puisqu'il apparaît non plus un désintérêt, voire du dédain et de l'évitement, de la part de la grande distribution mais un investissement -certes intéressé- dans le développement territorial. On ne peut exclure l'hypothèse que celle-ci sente le vent rapidement tourner et, par souci de récupération d'une thématique à la mode assez populaire et de sécurisation de ses approvisionnements, s'investisse plus. Ils relèvent ainsi le cas de la Filière Engagement Qualité Carrefour mais soulignent aussi le dynamisme de collectifs de citoyens qui, par le soutien à la création de monnaies locales, entendent soutenir les circuits-courts. Globalement et bien loin de la vision d'une France allant mal, d'une société civile trop immature pour qu'on lui fasse une quelconque confiance, il apparaît bien l'inverse. A savoir, et selon des conclusions disponibles sur le site de l'INRAE : « adéquation du projet avec les enjeux du territoire (culturels, paysagers, de production...), capacité des acteurs partie-prenante à allier les ressources du territoire avec les outils réglementaires et financiers ainsi que les réseaux disponibles à l'échelle nationale et européenne, ou encore mise en place d'outils (d'animation, par ex.) ou de modalités de coordination (articulant contrats formels et relations de confiance, par ex.) favorables à l'engagement d'acteurs dans la durée ». Or si on veut une vraie Transition, donc du développement durable, cet élément est essentiel. Tout comme l'est l'ancrage démocratique de toutes ces expériences et cela nous transporte cette fois-ci en Bretagne qui entend bien s'ériger en leader du bien-manger. Certes cela fait un peu marketing territorial mais en même temps si c'est générateur d'une émulation réelle, alors elle mérite d'être prise en considération. Et en la matière le PAT du Finistère est assez exemplaire puisqu'il a cherché à associer au maximum les citoyens soit directement via une vaste enquête sur leurs pratiques alimentaires et leurs attentes dans ce domaine, soit sous la forme d'un groupe de travail laissant une place à des associations assez expertes comme Slow Food. Cela a permis la mise en place d'une véritable dynamique qui s'est traduite par des évènements comme les Assises départementales de l'alimentation mais surtout par de nombreuses réalisations suivant les 5 axes estimés prioritaires à l'issue d'un état des lieux et visualisables ici : https://finistere.maps.arcgis.com/apps/MapSeries/index.html?appid=50fe2fdde92140d4985000a0559ead12. Enfin, et il vient juste d'en être question, l'immense mérite de ces PAT est de contraindre à ce qui est un peu le « calcul qui fâche », si longtemps esquivé, à savoir le degré d'autonomie d'un système alimentaire local. Là encore, ce qui est intéressant dans la démarche est sa volonté d'ouverture aux citoyens plus ou moins organisés et plus ou moins experts de ces questions, parmi lesquels on retrouve des citoyens souvent plutôt engagés et experts comme avec Terre de liens. Pour qui voudrait approfondir le sujet, voici le lien https://www.parcduluberon.fr/un-quotidien-a-preserver/developpement-economique/agriculture/projet-alimentaire-territorial. Pour ma part, je retiens cette démocratisation des outils de calcul, processus questionné en son temps et avec beaucoup moins de réponses enthousiasmantes par Pierres Lascoumes et Patrick Le Galès dans Gouverner par les instruments (2005). Cela a permis de mettre à plat ce qui concernait la production agricole, la consommation alimentaire, le potentiel nourricier, les acteurs et le potentiel agro-industriels, les flux de denrées alimentaires, les enjeux et les scénarios. L'importance de cette mise à plat initiale, la plus transparente possible, à la fois globale et détaillée, est cardinale car elle est l'occasion de fédérer les acteurs qui seront par la suite impliqués ensemble dans la dynamique locale. Il ne s'agit donc pas seulement d'un outil de guidance, ce qui n'est déjà pas rien vu d'où l'on vient. C'est essentiel pour répondre à des enjeux aussi importants qu'une économie dynamique, du lien social et bien sûr la capacité de subvenir aux besoins alimentaires d'une population donnée.



En définitive, et on pourrait continuer à parcourir ainsi tout le pays, si tout ne va pas pour le mieux merci Madame la Marquise, il est certain qu'un profond mouvement est actuellement à l'œuvre en France. Une fois n'est pas coutume, la part de l'Etat avec ses lourdeurs bureaucratiques et sa volonté perpétuelle de s'afficher comme un deus ex machina, demeure importante mais un juste milieu semble être trouvé. On peut donc parler d'une véritable territorialisation alimentaire comme vecteur de la Transition et il est à souhaiter que tous les efforts de prospective réalisés un peu partout conduisent à des changements de trajectoire salutaires. Affaire à suivre.

 

©Yolaine de LocoBio,

Novembre 2021


 
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