Créativité,
vous avez dit créativité ?
Focus
sur les Plans Alimentaires Territoriaux,
ou comment la pensée
complexe s'ancre localement
Dans
la chronique précédente, je me suis intéressée au cuir végan
comme illustration du défi que constitue aujourd'hui la nécessaire
pratique d'une pensée complexe pour mener à bien la Transition. Je
poursuis cette réflexion en revenant aux moutons préférés de
LocoBio, à savoir l'alimentation et le territoire, le lien entre les
deux, certainement distendu et non moins certainement en voie de
rapprochement face aux limites de la mondialisation/délocalisation/dépendance des dernières décennies.
Pour cela, un focus sur les Plans Alimentaires Territoriaux (PAT) est
intéressant parce que l'on peut certes les voir comme un pan de la
politique alimentaire de l'Etat français, de son évolution, une
étape après d'autres étapes, bref son histoire. Sauf que les
attendus, les enjeux et les effets de ces dispositifs inédits ne se
limitent en rien à la vision classique qui focalise justement trop
sur l'échelon national. On dit souvent qu'il y a trop de verticalité
dans notre pays et que la Transition à la fois requiert et permet de
faire exploser ce cadre. Comme tout jugement hâtif et partisan,
cette vision est fausse et injuste comme en témoignent d'ailleurs
les PAT qui ont été mis en place par l'Etat. Toutefois, force est
de constater qu'un bouillonnement particulier se manifeste dès lors
que l'on veut bien libérer des énergies autrement bridées, à
commencer par l'échelon local et la société civile. Tel est le fil
rouge de mon propos et voici au fond une belle histoire à raconter,
ce qui ne gâche rien en ces temps de morosité justifiée et de
déclinisme aussi exacerbé qu'intéressé.».
Tout
d'abord, en quoi consistent les PAT? Pour comprendre, il
convient de les remettre dans un contexte plus large. En France, pour
la période 2019-2023, la politique de l'alimentation et de la
nutrition repose sur deux piliers principaux pilotés par deux
entités différentes. Il y a d'une part le PNA (Plan National pour
l'Alimentation), mené par le Ministère de l'Agriculture et de
l'Alimentation, et d'autre part le PNNS (Plan National Nutrition
Santé), mené quant à lui par le Ministère des Solidarités et de
la Santé. S'ils sont complémentaires, leurs objectifs sont
toutefois différents. Ainsi, d'après la documentation officielle,
le PNA « vise
à promouvoir une alimentation de qualité, ancrée dans les
territoires et en lien avec une agriculture résiliente tournée vers
la transition agro-écologique. Les circuits courts et / ou de
proximité, les produits de saison ainsi que les produits labellisés,
notamment ceux issus de l’agriculture biologique, seront
favorisés ».
L'idée
est donc à la fois de mieux valoriser les produits d'un territoire,
ce qui peut permettre de mieux rémunérer les producteurs, de
dynamiser une économie suivant une optique assez classique. Mais la
Transition apparaît aussi, et cela est nouveau et cela peut entraîner
davantage de tiraillements car le fait de devoir changer de pratiques
n'est pas autant partagé par tous les acteurs que celui de valoriser
pour dégager de la valeur-ajoutée. Par ailleurs, le PNNS est quant
à lui logiquement plus orienté vers la santé publique de manière
explicite. Ainsi, il « a
pour finalité d’améliorer l’état de santé de l’ensemble de
la population, en agissant sur l’un de ses déterminants majeurs,
la nutrition, c’est-à-dire à la fois l’alimentation et
l’activité physique. Il vise ainsi à promouvoir du côté de
l’offre et de la demande une alimentation favorable à la santé,
prenant en compte les dimensions culturelles et environnementales, la
pratique au quotidien de l’activité physique tout en limitant les
comportements sédentaires avec un objectif de réduction des
inégalités sociales de santé ».
Pour atteindre ces objectifs ambitieux mais répondant à de réels
besoins, pour ne pas dire à des retards coupables dans un pays qui,
encore une fois, se dit « développé », le gouvernement
a défini 6 axes d'action. S'ils concernent tous les PAT, il est
certain que le dernier les concerne davantage. Les voici : une
alimentation favorable à la santé pour tous, une alimentation plus
durable et solidaire, une plus grande confiance dans notre
alimentation, une pratique au quotidien de l'activité physique tout
en limitant les comportements sédentaires, de meilleurs dépistages
et prises en charge des pathologies liées à la nutrition, et enfin
des territoires en action. Au chapitre « Une alimentation plus
durable et solidaire », figure ainsi l'enjeu assez redoutable
d'allier agriculture, agroalimentaire et environnement que l'on sait
un peu fâchés par la logique productiviste et consumériste. La
relocalisation est évoquée à travers la volonté de développer
un volet dédié à l'alimentation humaine dans le cadre de la
nouvelle stratégie favorable aux protéines végétales. Outre
l'autonomie protéinique d'origine diversifiée -qui implique
d'ailleurs aussi au passage de la relocalisation industrielle et de
services, donc l'économie en général-, l'échelle locale est
particulièrement sollicitée par la mobilisation d'une grande
variété d'acteurs afin de réaliser une non moins grande quantité
d'actions. Les PAT ne sont bien entendu par les seuls et on peut
ainsi mentionner par exemple les Agences Régionales de Santé qui,
dans le cadre des Plans Régionaux dédiés, doivent développer des
actions adaptées au contexte local en matière de nutrition. Pour ce
qui concerne les PAT, si ces dispositifs ne sont pas nouveaux car
datant de 2014, il s'agit de les renforcer en les promouvant de
manière ferme. Il est intéressant de constater l'optique suivant
laquelle ces PAT sont encouragés : d'un côté on entend ainsi
mieux ancrer la politique alimentaire gouvernementale et de l'autre
on vise à renforcer l'identité des territoires par la mobilisation
des acteurs locaux. En d'autres termes, le territoire pourrait
sembler se réduire, comme cela est souvent le cas, à un simple
support d'une politique publique et, dans ce cas, on chercherait
fondamentalement la créativité et l'innovation au service d'une
vraie dynamisation locale. Or, et nous le verrons à la suite, cela
n'est pas le cas et là réside aussi, pour ne pas dire surtout, la
bonne nouvelle. Mais afin de conclure sur cette présentation des
PAT, il convient de préciser que tout s'est beaucoup structuré au
fil des années comme en témoigne la procédure d'élaboration de
ces plans pour aboutir à leur reconnaissance assortie de soutiens
financiers au niveau gouvernemental. En effet, il faut savoir qu'une
vraie marque existe depuis 2017 et c'est le Ministère de
l'Agriculture qui l'attribue. Pour de plus amples informations sur
ces dispositifs en général, j'invite à consulter les sites des
ministères cités et celui du réseau des PAT puisqu'il en existe
désormais un : https://rnpat.fr.
Une carte permet de prendre la mesure du succès de ce dispositif
puisque le territoire, du moins métropolitain, en est couvert. On en
compte ainsi actuellement près de 300 (voir :
https://agriculture.gouv.fr/faire-reconnaitre-un-projet-alimentaire-territorial).
Vous
le constatez, le sujet est aussi vaste que vivant et exige de
régulières actualisations tant le mouvement se déploie vite et
tous azimuts. Ce qui m'intéresse dans une optique LocoBio,
c'est-à-dire de relocalisation et, à la faveur de cette
relocalisation économique, sociétale, de développement de
pratiques meilleures pour la santé humaine, la justice sociale et
plus généralement les écosystèmes, c'est ce qui passe en réalité
sur le terrain. Car décider d'en haut -certes sous l'impulsion d'en
bas, à commencer par les consomm'acteurs de plus en plus organisés
et dans l'attente d'actions concrètes- des politiques, c'est une
réalité. Mais cela ne demeure qu'une partie de la réalité et on
constate un phénomène d'appropriation de ces politiques qui est
fécond sans doute au regard des objectifs gouvernementaux mais aussi
de la vie proprement locale. J'en veux pour exemple 3 exemples.
Le
premier est sur le « territoire de LocoBio » puisqu'il
s'agit de la Région Rhône-Alpes-Auvergne. Une équipe de l'INRAE
(Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et
l'Environnement), comme cela a d'ailleurs été préconisé dans le
dispositif PAT général, s'est mobilisée à la fois pour observer
et accompagner leur mise en place concrète. Leur constat est
encourageant puisqu'il apparaît non plus un désintérêt, voire du
dédain et de l'évitement, de la part de la grande distribution mais
un investissement -certes intéressé- dans le développement
territorial. On ne peut exclure l'hypothèse que celle-ci sente le
vent rapidement tourner et, par souci de récupération d'une
thématique à la mode assez populaire et de sécurisation de ses
approvisionnements, s'investisse plus. Ils relèvent ainsi le cas de la
Filière Engagement Qualité Carrefour mais soulignent aussi le
dynamisme de collectifs de citoyens qui, par le soutien à la
création de monnaies locales, entendent soutenir les
circuits-courts. Globalement et bien loin de la vision d'une France
allant mal, d'une société civile trop immature pour qu'on lui fasse
une quelconque confiance, il apparaît bien l'inverse. A savoir, et
selon des conclusions disponibles sur le site de l'INRAE :
« adéquation
du projet avec les enjeux du territoire (culturels, paysagers, de
production...), capacité des acteurs partie-prenante à allier les
ressources du territoire avec les outils réglementaires et
financiers ainsi que les réseaux disponibles à l'échelle
nationale et européenne, ou encore mise en place d'outils
(d'animation, par ex.) ou de modalités de coordination (articulant
contrats formels et relations de confiance, par ex.) favorables à
l'engagement d'acteurs dans la durée ».
Or si on veut une vraie Transition, donc du développement durable,
cet élément est essentiel. Tout comme l'est l'ancrage démocratique
de toutes ces expériences et cela nous transporte cette fois-ci en
Bretagne qui entend bien s'ériger en leader du bien-manger. Certes
cela fait un peu marketing territorial mais en même temps si c'est
générateur d'une émulation réelle, alors elle mérite d'être
prise en considération. Et en la matière le PAT du Finistère est
assez exemplaire puisqu'il a cherché à associer au maximum les
citoyens soit directement via une vaste enquête sur leurs pratiques
alimentaires et leurs attentes dans ce domaine, soit sous la forme
d'un groupe de travail laissant une place à des associations assez
expertes comme Slow Food. Cela a permis la mise en place d'une
véritable dynamique qui s'est traduite par des évènements comme
les Assises départementales de l'alimentation mais surtout par de
nombreuses réalisations suivant les 5 axes estimés prioritaires à
l'issue d'un état des lieux et visualisables ici :
https://finistere.maps.arcgis.com/apps/MapSeries/index.html?appid=50fe2fdde92140d4985000a0559ead12.
Enfin, et il vient juste d'en être question, l'immense mérite de
ces PAT est de contraindre à ce qui est un peu le « calcul qui
fâche », si longtemps esquivé, à savoir le degré
d'autonomie d'un système alimentaire local. Là encore, ce qui est
intéressant dans la démarche est sa volonté d'ouverture aux
citoyens plus ou moins organisés et plus ou moins experts de ces
questions, parmi lesquels on retrouve des citoyens souvent plutôt
engagés et experts comme avec Terre de liens. Pour qui voudrait
approfondir le sujet, voici le lien
https://www.parcduluberon.fr/un-quotidien-a-preserver/developpement-economique/agriculture/projet-alimentaire-territorial.
Pour ma part, je retiens cette démocratisation des outils de calcul,
processus questionné en son temps et avec beaucoup moins de réponses
enthousiasmantes par Pierres Lascoumes et Patrick Le Galès dans
Gouverner
par les instruments
(2005). Cela a permis de mettre à plat ce qui concernait la
production agricole, la consommation alimentaire, le potentiel
nourricier, les acteurs et le potentiel agro-industriels, les flux de
denrées alimentaires, les enjeux et les scénarios. L'importance de
cette mise à plat initiale, la plus transparente possible, à la fois globale
et détaillée, est cardinale car elle est l'occasion de fédérer
les acteurs qui seront par la suite impliqués ensemble dans la
dynamique locale. Il ne s'agit donc pas seulement d'un outil de
guidance, ce qui n'est déjà pas rien vu d'où l'on vient. C'est
essentiel pour répondre à des enjeux aussi importants qu'une
économie dynamique, du lien social et bien sûr la capacité de
subvenir aux besoins alimentaires d'une population donnée.
En
définitive, et on pourrait continuer à parcourir ainsi tout le
pays, si tout ne va pas pour le mieux merci Madame la Marquise, il
est certain qu'un profond mouvement est actuellement à l'œuvre en
France. Une fois n'est pas coutume, la part de l'Etat avec ses
lourdeurs bureaucratiques et sa volonté perpétuelle de s'afficher
comme un deus ex machina, demeure importante mais un juste milieu
semble être trouvé. On peut donc parler d'une véritable
territorialisation alimentaire comme vecteur de la Transition et il
est à souhaiter que tous les efforts de prospective réalisés un
peu partout conduisent à des changements de trajectoire salutaires.
Affaire à suivre.
©Yolaine de LocoBio,
Novembre 2021
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