Vers
un monde sobre
(ou comment faire passer la pilule de la décroissance)
En
bonne intello et gaucho-écolo, j'ai poursuivi ma lecture de la
presse en cette quinzaine de COP 26. Bon, il ne faut pas m'en
demander trop et je n'ai perdu ni temps ni argent à lire des media
qui ne prenaient même pas la peine de s'emparer de cette quand même
occasion pour parler de la Transition. Après tout, s'ils ne font pas
d'efforts et restent dans leur zone de confort sécurato-sécuritaire,
et la pré-campagne présidentielle n'arrange rien, je ne vois pas
pourquoi moi je sortirais non plus de ma propre zone de confort d'intello gaucho-écolo.
Ainsi, on est sûrs d'avancer certainement vers une Transition
réussie, enfin non, c'est exactement le contraire qu'il faudrait et
à quoi réfléchit l'essayiste Thierry Pech dans l'article « Du
consensus sur le diagnostic au compromis sur les solutions ».
Sa réflexion figure dans l'hebdomadaire Le Un du 3 novembre qui pose
la question qui tue pour qui se serait endormi dans une grotte depuis
un bail : « Sobriété : faut-il s'y préparer ? ».
Evidemment que oui, sinon quoi ? Bon, comme d'habitude, cette
livraison est un peu fouillis-étourdissante sous prétexte de
convoquer diverses voix plus ou moins autorisées et d'éclairer les
différentes facettes du sujet. Une fois de plus, moi qui suis à
force désespérément à la recherche d'un vrai bon gros projet
alternatif, j'en suis pour l'argent et le temps consacrés à
l'effeuillage de ce joli -ça, on ne peut pas le lui enlever- A4 qui
se déplie quasi à l'infini et, au pire, finira en parasol pour se
faire un peu d'ombre en attendant d'aller peut-être un jour en pédalo à Phoenix (cf chronique 122 ). Je
passe sur 2 articles assez inintéressants, l'un écrit par un
historien des sciences qui prétend que la science est une pauvre
victime collatérale de la poussée écologiste dans les consciences
et s'exclame : «
Quoi
de mieux que l'agriculture intelligente armée de ses drones, de ses
capteurs et de sa blockchain pour produire en quantité suffisante de
quoi nourrir l'Humanité sans nuire à l'environnement ?
»
(p.6). Quant au portrait d'une famille soit disant en « rupture
en tandem » sous prétexte qu'elle s'est mise à consommer bio,
va faire ses courses armée de sachets à vélo, comment dire ?
Quand on sait que le monsieur est anesthésiste et la madame
neurologue, donc représentatif des CSP + ayant le plus de capital
sous toutes ses formes pour prendre conscience de la gravité de la
situation et changer aussi drastiquement qu'illico ses pratiques, on
voit difficilement comment trouver un intérêt à ce reportage sans
véritable enjeu et encore moins matière à la moindre admiration.
Je dirais froidement que c'est bien la moindre des choses, surtout
quand on apprend que malgré leur « transition » vers une
sobriété qualifiée de « certes imparfaite, mais heureuse et
concrète », eh bien leurs ordinateurs et smartphones
continuent toujours à fonctionner à plein. Dans les deux cas, on
aura remarqué l'impensé du numérique tant au niveau du coût de la
recherche, de la production des appareils, de leur consommation, des
transactions invisibles mais bien réelles qu'ils induisent, et de
leur fin de vie. Je passe sur tout cela car on aura compris que cela
m'exaspère tout simplement parce que c'est exaspérant et que le
temps manque pour trouver sérieux une démarche qui se solde ainsi
au bout de 3 ans.
3
ans, on peut en faire des choses en 3 ans! Et en à peu près 60 fois
3 ans, vous imaginez ? Je dis ça, c'est juste pour donner un
ordre d'idée car la traditionnelle illustration qui accompagne le
journal chaque semaine rappelle à juste titre que la pensée
décroissante ne date pas d'hier ; elle remonte tout bonnement à
la 1ère moitié du 19ème siècle avec des Ruskin et des Thoreau,
vous visualisez le truc ? Cela représente environ 6 générations
à ne rien foutre sauf des guerres stupides doublées de génocides
et d'écocides, cool non ? Après ça, démerdez-vous les gars !
Allez, z'avez encore un peu de jus, les bons petits soldats, qui
c'est, c'est vous non ?! Pas vraiment mais il faudra bien si
l'on veut atteindre le monde pas au premier abord idyllique -mais
après tout le sexy ne fait pas partie de leur cahier des charges-
présenté comme un des scenarios pour 2050 par l'association négaWatt
(en pleine page sur la gauche, quand vous aurez ouvert en grand votre
parasol). Honnêtement, s'il ne manquait pas l'emballage cadeau-écolo
d'un petit récit des familles, cette projection est convaincante car
elle balaie tous les aspects de notre vie quotidienne et, surtout,
semble aussi crédible que loisible. Le seul hic, c'est comment faire
le pont, viiiiiiitttttttteeeeee, entre la réalité actuelle et ce
paysage aussi bien sauvé des eaux que des sécheresses. Et là, le
moins que l'on puisse dire c'est que ce n'est toujours pas gagné.
Enquêtes d'opinion répétées à l'appui, le politologue Jérôme
Fourquet partage le constat de Thierry Pech (évoqué précédemment
et sur lequel je vais revenir à la suite pour la partie solutions) :
certes les lignes bougent, comme on dit, mais ni assez vite ni assez
assez pour que l'on soit raisonnablement optimistes. Cette
appréciation, c'est moi qui la rajoute car ils ne veulent pas
forcément s'exprimer dans ces termes pour ne pas tout à fait
plomber l'ambiance mais n'empêche que ce qui est décrit amène à
se poser clairement la question de ce qui va être possible si on
reste dans le cadre de pensée et d'action actuel. En admettant de
faire comme si, c'est-à-dire comme si rien n'allait en fait
bouleverser le programme et que l'on va avoir à peu près
tranquillement le temps de procéder à quelques travaux pour
s'acclimater à l'idée d'un changement nécessaire et à quelques
mises en œuvre, alors... alors... alors le pire est que même ainsi
le chantier apparaît immense. Tant dans les objectifs que dans les
moyens pour y parvenir. Un problème important demeure l'immaturité
(dans le meilleur des cas) de la population, toutes couches sociales
confondues. Car si le regard sur la transition écologique a changé,
lui est en théorie plus favorable, cela a du mal à se concrétiser
par des changements de comportements sans regarder ce que fait
d'abord le voisin, surtout si le voisin est riche, voire responsable
de dommages importants et ne donne pas l'exemple. Il existe une
réelle fracture à ce niveau, une propension à « refiler le
gosse » pour se dédouaner, ne pas modifier quoique ce soit et
aussi récupérer un peu de justice quand on a le sentiment que la
Transition, en plus, risque de se faire à son détriment. C'est
humain. Ce qui l'est peut-être moins car il s'agit d'un construit
totalement culturel -et donc en tant que tel déconstructible, en un
sens ouf!-, c'est l'homogénéité qui règne concernant la
consommation-horizon. Car à ce sujet je partage moins l'optimisme
qui pourrait naître des données fournies par Jérôme Fourquet : je ne
suis pas du tout sûre que les CSP +, dans leur ensemble, puissent
faire figure de locomotive grâce à un sursaut de conscience
écologique lié à du capital culturel et à un moindre besoin de
consommer pour se poser socialement. Je pense au contraire (et j'ai des
cas autour de moi) que les bonnes vieilles
habitudes de prendre l'avion pour aller rendre visite à ses enfants
qui font des études supérieures aux quatre coins du monde, partir
aussi évidemment en vacances et sans oublier les petits week-ends
sympatoches, eh bien ces habitudes-là ne vont pas s'arrêter de si tôt et
encore moins spontanément. Je ne parle même pas du SUV de Papa, de la
voiture plus
petite mais quand même voiture de Maman, et puis les enfants qui s'y
mettent et qui veulent aussi leur vroum vroum à eux surtout s'ils ne
sont pas dans une ville avec beaucoup de transports en commun que
cela ne les importune pas trop de prendre. Résultat : entre
ceux pour qui consommer c'est s'élever, faire comme les riches, et
les riches qui ne décrochent pas, et la classe moyenne qui se casse
la gueule et qui en gros s'accroche à la conso comme à une planche de
salut, excusez-moi les amis, mais je ne vois pas très bien comment
ça va être possible si on prend de pareilles pincettes.
C'est
dans cet esprit que j'ai abordé, m'essayant à quelques petits
exercices respiratoires de relaxation, l'article de Thierry Pech sur
comment, malgré tant d'obstacles et même si on constate des lueurs
de progrès, oui comment y arriver. Je dirais que dans le genre c'est
le propos qui m'a paru le moins déprimant et le plus réaliste, à
la variable près du timing qui ne cesse de nous être défavorable.
En effet, cet auteur rappelle que la transition écologique est un
effort coûteux, sur le long terme, qui doit s'efforcer d'être
active au sens où elle doit emmener dans un même mouvement toute la
société. Cela tant dans une conviction partagée que dans les
bénéfices tirés des deux options à absolument éviter :
l'inaction ou l'action trop lente d'une part, et une extrême tension
sociale d'autre part. Alors comment ? En réhabilitant le
politique qui est si souvent absent des radars, mais un politique
vraiment politique. C'est-à-dire en élargissant la mécanique à
l'oeuvre lors de la Convention citoyenne à toute la société, en
favorisant la diffusion d'une information de qualité et on ne
craignant pas de « perdre du temps » en palabres qui
seraient au contraire l'occasion de sortir du double écueil actuel :
une culture bien franchouillarde qui adore le clivage-clivé-clivant
à laquelle la culture -enfin si on peut encore appeler cela ainsi
(admettons, sur le plan anthropologique)- du clash permanent
s'ajoute. Je signale à ce propos l'édifiant dossier de Sciences Humaines
n°340 d'octobre dernier sur "Le choc des idées. Peut-on encore
débattre? Car cette arène créée ad hoc, assez unique en son
genre, si elle a accouché en un sens d'une souris tant les
amputations ensuite réalisées par le gouvernement ont été
nombreuses, cette arène a quand même montré que des personnes bien
informées pouvaient changer d'avis et consentir à des changements
pas exaltants au départ. Ainsi, il ne serait sans doute pas faisable
de réaliser une convention à l'échelle nationale mais il le serait en
revanche de demander
dans un premier temps à la population de s'exprimer, de confier
ensuite à un panel représentatif de citoyens le soin de faire des
propositions et ensuite de procéder à un référendum. Il est clair
que cet outil doit être précisé et doit s'accompagner d'autres
adhésions et procédures, les politiques, les entreprises, les
syndicats et les territoires, tous devant participer à une nouvelle
gouvernance écologique. Le mérite de cette approche demeure bien à
mes yeux d'insister sur l'importance du politique si on veut à la
fois rester fidèles à nos principes démocratiques et républicains
mais aussi assurer l'efficacité des dispositions prises grâce à
une large acceptation sociale.
En
d'autres termes, pour parvenir à une sobriété vraiment heureuse,
forme acceptable de la décroissance économique, il faut
d'urgence activer une transition proprement politique. Et cela est
plutôt une bonne nouvelle car le politique, dans tout ce fatras
technicien et politicien, on le cherche parfois.
Yolaine de LocoBio,
Novembre 2021
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