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Cogitations et actions
Chronique 123
12-11-2021

 

L'hypothèse de la décroissance

ou comment enfin et vite rendre net, concret

ce qui demeure flou et abstrait

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En bonne intello un peu gaucho-écolo sur les bords que je suis fière d'être, j'ai poursuivi ma lecture scrupuleuse du Télérama consacré cette semaine, COP déjà 26 oblige, à l'adaptation au changement climatique. Un article super intéressant est consacré à la désormais fameuse et si polémique décroissance, la question étant posée quant à la possibilité et aux modalités de vivre mieux avec moins. Vaste sujet que l'on a préféré passer sous le tapis alors que c'est philosophiquement exaltant et plus que jamais nécessaire de déterminer ce que signifie « mieux vivre » et a fortiori avec moins car on touche aux besoins essentiels. Lesquels font d'ailleurs l'objet d'un livre publié par mes économistes forcément préférés, les « atterrés » (De quoi avons-nous vraiment besoin ? aux excellentes éditions Les Liens qui libèrent), dont je vous parlerai peut-être bientôt mais seulement si vous êtes sages et si vous faites votre liste de cadeaux décroissants au Pépère Noël.

Je préfère le dire d'entrée de jeu parce que l'esprit de ces chroniques est certes de parler de ce qui fâche car on en a malheureusement hérité et il va bien falloir que ça cesse le plus en douceur possible, mais dans un esprit positif. Cela signifie qu'on pourrait en douter parfois mais je n'évoque ici que ce qui me parle, me plaît, me semble digne d'intérêt pour construire la suite. Autant dire que le champ ne vise pas à l'exhaustivité et je ne suis moi-même pas spécialiste de tous les domaines que la Transition implique d'intégrer. Je suis une politiste versée dans le développement territorial (et le développement au sens général, même et pourquoi pas personnel car tout est lié), doublée d'une citoyenne engagée notamment via LocoBio depuis 2007. Quand je m'exprime, c'est donc humblement depuis ce poste d'observation et d'action; je pense que cela me dote quand même à la fois de certains outils d'analyse et de recul pour évaluer des propositions dont celle de la décroissance. Ces prémices pour bien comprendre/rappeler d'où je parle et surtout que si je parle d'un sujet, ici la décroissance, c'est que je l'estime crédible malgré ses failles possibles. Mais après tout, nous sommes tous faillibles donc on ne voit pas très bien comment nos constructions intellectuelles ne le seraient pas, surtout quand les défis sont à ce point immenses et que la croissance, elle, a bien des failles et n'en finit pas de la ramener pourtant encore via des acteurs dominants qui fatiguent et nous plantent allègrement.


Je voudrais donc commencer par ce que je trouve négatif dans la décroissance et dont cet article est à mon sens très représentatif, de manière trop récurrente. Certes, ce serait sans doute faire un mauvais procès à un magazine plutôt grand public et dans le format court d'un article que de prétendre faire le tour du sujet. Mais quand même, on pourrait dire: justement. Justement car c'est l'occasion ou pas de convaincre, or convaincre est maintenant une urgence. 2ème petite critique : la décroissance n'est pas définie alors que la définir, même si c'est certes difficile, montrerait l'existence d'un cap enfin net, d'un véritable nouveau projet politique. On est toujours beaucoup contre la croissance et ses indicateurs trop limités comme le PIB. Certes des valeurs louables sont affichées telles qu'une refondation basée sur le bien-être, la prospérité, les justices sociale et climatique, mais au-delà ? Au-delà, il y a des travaux menant à des pistes d'action comme le revenu universel de base, le revenu maximal acceptable, les cartes carbone c'est-à-dire une limitation pour chacun d'émettre du CO2 ou encore la question plus qu'actuelle du financement d'un système de santé dans une société sans croissance, mais on ne voit pas encore bien une architecture globale. Chacun y va un peu de sa réflexion, et encore une fois c'est normal, cela correspond à une phase de maturation, mais le problème demeure bien le temps, le temps qu'il nous reste pour traduire tout cela en proposition politique capable, entre autres, d'être portée politiquement avec succès. Cela bien sûr dans le cadre démocratique qui est le nôtre actuellement et dans la perspective de son maintien, c'est-à-dire sans chaos profond et assez durable justement lié à l'impensé de l' après croissance.


Cela dit, les raisons d'espérer sont légion et c'est ce que je retiens principalement de cet article. Lesquelles ? D'abord la rage, oui il faut le dire car c'est une énergie en l'espèce porteuse, la véritable rage de dire les choses comme elles sont et cela ne peut que me plaire car sans cette rage, pas de vie; or à quoi sert la vie si on ne la défend pas ? Le jeune économiste Timothée Parrique n'hésite ainsi pas à qualifier les actuelles mesures de restriction autoritaires en Chine (privation de chauffage, d'ascenseurs, d'éclairage public, rien que ça!) d' « économie de la panique » (p.28), dans la continuité de ce que le philosophe Pierre Charbonnier appelle l'« économie de l'illimitation", c'est-à-dire le mode de développement depuis la révolution industrielle en Occident. Un certain nombre de vérités sont aussi dites et cela ne fait pas de mal, sur des thèmes très très actuels. Ainsi, sur le chapitre des modes de transport, pas de miracle puisque : « Aujourd'hui, la croissance verte promet un « découplage » entre la croissance et la consommation de ressources mais cela reste trop théorique. Les voitures électriques, par exemple, demandent plus de minéraux (eux aussi limités), et des énergies fossiles, pour les extraire et les transporter, sans parler de l'électricité pour les alimenter » (p.30). On pourrait d'ailleurs dire la même chose des panneaux solaires et d'autres produits présentés comme alternatifs alors qu'ils ne le sont pas de la manière radicale dont nous avons besoin. Autre thème sensible où le franc parler l'emporte : « (…) pendant la pandémie, nous n'avons jamais cherché à découpler les interactions physiques du risque de contagion, nous avons simplement choisi de confiner, autrement dit de réduire ces interactions au maximum. Bref, nous avons besoin d'un « confinement climatique", c'est-à-dire de réduire les activités émettrices de CO2 » (ibid.). Eh oui, tant qu'à avoir été confinés et à être encore limités dans nos mouvements à cause de la gestion de la crise pandémique -arbre qui cache la forêt d'une crise plus globale-, autant en tirer des leçons cette fois-ci pleinement profitables pour tous et durables. Je passe sur le dézingage mérité de l'illusoire théorie du ruissellement qui s'inscrit dans toutes ces fausses stratégies « gagnant-gagnant » qu'on nous vend à coup de mauvais slogans électoralistes. Eh oui, la rage ne se tarira pas tant que la malhonnêteté et le profit indu ne cesseront pas et cela se pourrait bien grâce à toutes les initiatives mises en lumière par l'article. Voilà au moins une autre de ses qualités. Et ces initiatives, quelles sont-elles ? D'abord le fait d'établir une continuité et de donner du crédit à ce qui pourrait sembler désormais lointain et sans lien. En effet, il n'est pas inutile de rappeler que la décroissance est une des formes qu'a prise la critique du développement économique dominant et ce dès le 19ème siècle. Ensuite, cette critique n'est pas propre à des fêtards éthérés, rêveurs à leurs heures. En effet, comment oublier le rapport Meadows qui, dès le début des années 70 -merde, ça fait quand même un demi-siècle, cette affaire, quasi deux générations!-, de manière très sérieuse, officielle et au niveau international, alertait sur les limites de l'option prise en matière de croissance ? Comment expliquer une telle perte de temps et, du coup, une telle aggravation de la situation ? Et comment éviter la panique maintenant, assurer une transition douce et juste ? En voilà de bonnes questions que toute une jeune génération de chercheurs (et bien souvent d'activistes, ceci étant logique et assez sain puisque c'est assumé dans leur cas) peut contribuer à résoudre. Et cela grâce à des formations car si si, la décroissance a même ses masters et ses diplômes hautement reconnus comme ceux dispensés à Barcelone en écologie politique. Les livres ne manquent pas non plus, tout comme le journal du même nom http://www.ladecroissance.net qui devraient à vous comme à moi fournir des éléments utiles à la réflexion.


En définitive, je reste plus que jamais convaincue de la nécessité de rematérialiser l'économie. Ce chantier de reconnection à la fois symbolique et très matérielle est évoqué dans l'article sous l'expression "découplage entre croissance et consommation de ressources". Il faut plus que jamais rétablir et rendre visibles les liens, à commencer par quelles causes entraînent quelles conséquences car nous vivons dans la plus imparfaite illusion. Cette perspective signifie l'édification d'une économie de la limitation sans restriction et donne un relief de même qu'une saveur contemporaine au combat de LocoBio pour la relocalisation de l'économie. Plutôt qu'encore aller au plus court dans un cadre de pensée étroit et développer des unités de production d'origine nucléaire pour répondre à des besoins majoritairement superflus, n'est-il pas tant de se poser et de poser les jalons d'une économie reterritorialisée à des fins bénéfiques?


©Yolaine de LocoBio,

Novembre 2021


 
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