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Chronique 122
11-11-2021

 

Pourquoi il est suicidaire d'accepter la moindre adaptation

Réflexions sur le Progrès et la croissance

à propos de Phoenix et au-delà

 

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En bonne intello un peu gaucho-écolo sur les bords que je suis fière d'être, j'ai scrupuleusement lu mon Télérama qui consacre cette semaine un dossier sur l'adaptation. Cela en marge de la COP 26 qui n'est pas (on aimerait, tant qu'à faire) le prénom d'un gentil robot échappé de Star Wars mais désigne bien la énième conférence consacrée au niveau mondial aux mesures à prendre contre le changement climatique. « Contre », c'est là que le bas blesse d'entrée de jeu. Car autant il y a quelques années encore on parlait d'y remédier, autant maintenant, à force de ne rien faire de substantiel, la stratégie -car l'Homme, en particulier l'homme, est fin stratège- est de le limiter. D'où la petite musique de l'adaptation qui, un peu comme la notion de développement durable, s'est imposée peu à peu. Sous couvert de "pragmatisme". C'est sûr : personne parmi les décideurs vraiment décideurs n'a le courage de voir la réalité en face et de caler, d'adapter justement son action, sur ce cadre de référence, donc on réduit le cadre, on dit que la réalité c'est ça, on semble pragmatique, on disqualifie au passage les critiques pour leur coupable idéalisme et... au final on laisse filer.

 

Sauf que ça ne va pas se passer comme ça et on n'imagine pas combien on va le payer. L'article consacré à la 5ème ville américaine des Etats-Unis et capitale de l'Arizona, la si joliment nommée Phoenix, est à ce titre éloquent car il résume à mes yeux parfaitement les ambiguïtés elles vraiment coupables d'une adaptation un peu merdeuse présentée comme miraculeuse. Tout d'abord, on peut se demander déjà à la base pourquoi aller foutre, parce qu'il n'y a pas d'autres mots, une ville en plein désert. Fallait quand même déjà pas tourner trop rond dans sa tête mais c'est sûr la conquête de territoires, toujours conquête, toujours territoires, donne des ailes. Ensuite et sans surprise, la ville en question s'est développée et s'est étalée. Deuxième absurdité car au lieu de régler les problèmes eh bien on les fuit en les externalisant car l'étalement est une forme très concrète, matérielle, géographique, d'un mode de fonctionnement prédateur qui internalise les bénéfices et externalise les contraintes pouvant justement entraver la course aux dits bénéfices. Troisième absurdité, non propre à la pauvre Phoenix mais emblématique de tout un fonctionnement que l'on retrouve partout ailleurs dans le monde à la faveur de son occidentalisation : l'impact du mode de vie. En effet, en plus d'être une ville immense, elle n'est pas précisément habitée par des décroissants (sans que je défende sans réserve cette option car je peine toujours à percevoir un modèle de société alternatif net et cohérent). Qui n'a pas en tête ces images de quartiers pavillonnaires à perte de vue, asphaltés aussi à perte de vue, bien verts car là on n'hésite pas à arroser son gazon et d'ailleurs aussi son goudron-propriété-privée-donc-pas-touche-pas-critiquer (éprouvé par moi-même au Québec, à mon grand effarement), ses grosses bagnoles en double par foyer et ses rues bien éclairées à longueur de nuits ? Inutile de dire, on m'accuserait mais cette fois-ci à tort d'extrapoler, que dedans les chaumières, ça bouffe plutôt beaucoup et pas que de la viande en poudre sublimée. Bref, bilan carbone catastrophique. Et dire que longtemps ce fut un, LE modèle de société présenté comme l'idéal du Progrès, merci la croissance, l'idéal du bonheur bon un peu terrestre et matériel mais bon quand même du bonheur parce qu'on va pas non plus chipoter. Dire que ce modèle s'est diffusé dans tous les imaginaires via publicités et séries, dire que derrière ce soft-power il n'y avait en fait que du bullshit qui, pire, fait encore rêver. Je dis cela sans rien avoir contre les Américains en particulier. Ils se trouvent seulement que c'est tombé sur eux, c'est eux qui ont choisi d'incarner au mieux un modèle absurde qui se croit à succès, s'acharne pour passer comme tel, alors évidemment la critique s'adresse à eux, à ce qu'ils représentent de morbide et de nuisible pour tous.

 


En parlant d'absurdité, immanquablement la ville de Phoenix comme bien -pour ne pas dire toutes- les villes a ses pauvres. Au hasard, puisque nous sommes justement aux States, il s'agit des Noirs et des Latinos, ce serait dommage de changer une équipe qui gagne. Sauf que des blancs appartenant en principe à une forme d'ethnie dominante sont aussi et de plus en plus touchés par les effets de tant d'absurdité. Pourquoi ? Tout simplement, et c'est peut-être ce qui va faire bouger les choses, parce que la chaleur impacte tout le monde. Personne ne peut y échapper et cela a des conséquences désastreuses notamment sur la santé publique. Génial, enfin façon de parler, pour un pays symbole de la Modernité : « Avec le Covid et la fermeture des lieux accueillant les sans-abri, cinq cent vingt personnes sont mortes à cause de la chaleur dans l'Arizona en 2020. Deux ans plus tôt, une retraitée précaire de 72 ans était morte de chaud après que son fournisseur d'électricité lui eut coupé le courant, donc la climatisation, alors qu'il faisait 42 degrés dehors » (p.25). Je passe sur la climatisation qui est clairement une solution désastreuse sur le plan écologique mais si on reste sur cette pauvre dame et les 520 autres, on se dit qu'il y a vraiment un problème de justice sociale en plus du reste. Car à travers cet exemple, on peut se poser la question de ce qu'est l'égalité, si c'est un but sociétal intéressant à atteindre et pour l'équilibre de qui, de quoi en définitive : des climatiseurs pour tous ou tout revoir à la base et... et... et quoi ? Abandonner Phoenix, la laisser tomber comme une vieille chaussette fantôme ? Figurez-vous que ce n'est pas une fiction de plus sortie de ma tête à l'imagination certes un brin surchauffée, non, c'est bien le risque contre lequel beaucoup d'intelligences sont mobilisées. Et c'est cela qui m'inquiète. Et c'est contre cela que je suis. Je vous dis tout de suite pourquoi : parce que si on continue à envisager le problème ainsi, dans un cadre inapproprié, bien sûr qu'on peut trouver des solutions. Mais quand, lesquelles exactement et avec quel nouveau coût écologique, et surtout pour l'ensemble ou juste une partie de la population ? Ainsi, « la question n'est pas de savoir si nos villes peuvent être durables, puisque les moyens et les avancées scientifiques existent, mais durables pour qui ? L'ombre, à Phoenix, est devenu un marqueur social. Un indicateur de niveau de vie et un enjeu de santé publique"   (ibid.). Alors déjà on ne se sort pas du Covid à cause d'une mauvaise gestion pendant et surtout avant, que dire, qu'espérer de cette chaleur qui gagne aussi des pays comme le nôtre ? Peut-on s'attendre à un sursaut d'intelligence sur ce que c'est que la santé d'une population et à un sursaut salutaire c'est-à-dire non, ne comptant pas encore et toujours sur la technologie pour régler le problème, toujours mal posé le problème, ça c'est vraiment un problème?


Car ça, pas de problème, vous trouverez toujours des scientifiques entre convaincus et arrivistes, qui vont vous trouver des solutions pour tout. On va bien dans l'espace pour mieux, paraît-il, comprendre la Terre ! Pascal, je sais pas où il est, en poussière d'étoiles posé sur quelque astre, mais en matière de fuite et de divertissement, il doit bien rigoler. Moi pas, et même pas du tout parce que j'aime ma planète et il m'est aussi insupportable qu'à certain.e.s plus jeunes autres de voir comment elle et nous sommes mal traités. Aussi, pas de problème, vous trouverez toujours un politique (ou une, en l'occurrence c'est un) qui se mettra dans une course absurde et voudra briller. Ainsi, le projet pour Phoenix est dans faire « la première ville durable dans le désert », et après ça ce démocrate diplômé d'études climatiques pourra faire son satisfecit et pourquoi pas parader dans des colloques internationaux où seront échangés comme de coutume les « bonnes pratiques », et pourquoi pas donner un petit coup de pouce aux chercheurs et entreprises du coin pour monnayer leur expertise dans d'autres parties du monde en voie de désertification. Sans oublier de compenser, cela va de soi, son voyage en avion par des dons ou, mieux encore, planter des arbres. Là encore il ne s'agit pas de basse et dingue fiction. Si je décris ce mécanisme, c'est parce qu'on le connaît par cœur et on voit où il nous a mené : à un monde qui étouffe dans tous les sens du terme, de chaleur et d'absurdité.


Donc quoi faire ? Avant le Covid, on balançait aux gentils contestataires de mon espèce et aux autres bien plus virulents et souvent à juste raison : c'est bien joli, mais à part critiquer, qu'est-ce que vous proposez ? Ça dépend. Je veux dire ça dépend à quand on remonte parce que si « avant » c'est dans les années 60, on connaissait déjà des alternatives, la nécessité de les mettre en œuvre, et tout à été fait pour empêcher ce mouvement. Si « avant » c'est juste avant le Covid, ben là disons qu'il était déjà un peu tard pour se réveiller. La différence maintenant, c'est qu'on est après (enfin plutôt encore pendant) le Covid et qu'on ne peut plus nous balancer des mais vous êtes fous, mais c'est impossible. Car on a bien vu que quand il fallait arrêter, du moins ralentir le fonctionnement de ce système fou, en roue libre et nous dans le décor on ne sait pas où, eh bien là ça a marché. Et ça a eu un impact sur les émissions de gaz à effet de serre. Les gens ont-ils été plus malheureux ? Oui, certainement, d'abord parce qu'il y a eu les morts, les malades et tous les enfermés qui n'ont rien compris à ce qui se passait et dont certains demeurent d'ailleurs encore limités dans leurs mouvements à cause de l'option liberticide prise pour gérer la crise. Actuellement, on fait comme si tout repartait, l'économie et une certaine joie de vivre liée aux sorties, à tout ce qui nous a tant manqué. Ok, mais en fait c'est encore artificiel et tout va en fait repartir comme avant, la course à l'adaptation, les bons élèves de l'adaptation, les messieurs je lave plus blanc que blanc de l'adaptation. La vérité c'est qu'on est en train de rater le coche en se laissant enfumer (sans mauvais jeu de mots) une fois de plus alors qu'on a eu la preuve récente qu'autre chose était possible. On ne dirait pas mais cela constitue une rupture, la première grande rupture à la fois matérielle et symbolique dans l'ordre capitaliste poussé à son paroxysme avec la mondialisation et la financiarisation. On tente de noyer le poisson, de créer de la continuité alors qu'une brèche a eu lieu et elle est historique. Et comme toute brèche dans l'Histoire, en fait il n'y a plus qu'à. Qu'à à nouveau tout ralentir, voire tout arrêter. Folie ? L'Histoire nous enseigne aussi qu'à force de réprimer un mouvement, ici sans doute peut-on parler d'énergie, la brêche risque de s'élargir, s'élargir, s'élargir... et tout devient alors hors de contrôle sans que les problèmes initiaux soient forcément, du moins immédiatement, résolus. Regardez la Révolution Française : il y a eu des débordements radicaux pendant et après. On aurait certainement pu éviter de couper autant de têtes et d'enchaîner ensuite avec un empire dont tous nos voisins se souviennent avec un bonheur très relatif, mais au départ il a bien fallu une brèche, du courage, et l'un dans l'autre, grâce aussi à l'essor des partis de prolétaires au 19ème siècle, il y a eu de vrais progrès dans la société. Là, la question c'est qu'est-ce qu'on fait de cette brèche du Covid qui ne dit pas son nom et est-ce qu'on attend que ça pète, que ça parte de quelque part mais dans le sens opposé à un vrai progrès ? Car à défaut de morale qui imposerait de poser les questions dans de justes termes, il faut bien voir les choses en face et se dire que rien que sur le plan de l'ordre public, continuer sur la pente de l'adaptation n'empêchera rien des grandes mutations qui sont à l'œuvre dans le monde. Climat, réfugiés, réfugiés climatiques, pauvreté, injustices et instabilité... ma foi on peut se dire qu'on trouvera toujours des solutions et ce n'est pas faux puisque l'industrie de la surveillance prospère déjà notoirement sur les boulevards de nos démocraties désertées par les politiques. C'est ça, on trouvera toujours des solutions. Et Pascal rira bien le dernier en se disant que vraiment on était trop cons.


En attendant, moi je me dis que si un 1er Minsitre so british et so hirsute en tous sens comme Boris Johnson a dit qu'en quelques jours à peine le problème du changement climatique pouvait être réglé, qu'il fallait que tout le monde se mette vraiment autour de la table et qu'on arrête tout une bonne fois pour toutes, alors moi aussi je peux le dire. De toute façon, la vraie question c'est: quand vous faites un avc ou une péritonite, est-ce que vous engueulez le brancardier en lui disant que vous voulez rentrer chez vous pour regarder pépère la télé dans votre canapé, que sinon vous allez rater votre émission préférée? Le gars, il vous regarde, il vous prend pour ce que vous êtes, un vrai dingue, dangereux pour lui-même et c'est déjà grave, et puis on vous shoote, on vous demande pas votre avis, on vous opère et on vous sauve la vie. C'est agréable et c'est souhaitable de tels procédés? Certes non, qui peut qualifier ainsi le manu militari? Mais d'un autre côté, croire qu'on a le choix quand on ne l'a pas, est-ce vraiment mieux? Assurément non.


©Yolaine de LocoBio,

Novembre 2021

 
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