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Chronique 121
09-11-2021

 

La (fausse) pause Kaizen

 

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Hello les amis, je ne sais pas vous mais moi je ralentirais bien un peu, d'abord parce que la saison nous y incite mais aussi parce que les derniers mois n'ont quand même pas été super cool. Un peu en mode « pour la détente, tu repasseras ». Pour cela, rien de tel que se poser dans son canapé et, infusion détente à la lavande et à la fleur d'oranger tout contre la joue, ouvrir un bon douillet magazine. Perso, il y en a un que j'aime beaucoup, il s'appelle Kaizen (ou l'art de s'améliorer petit à petit, en japonais) et cela fait longtemps que je voulais lui consacrer un petit billet doux. Alors voilà, nous y sommes parce que le numéro de fin d'année est justement consacré à un dossier sur le « slow » (n°59, nov-déc 2021). Ce mouvement n'est certes pas nouveau puisqu'il suffit de penser à Slow food dans le domaine de l'alimentation, créé en Italie dans les années 80. Toutefois, ce dossier est intéressant car il traite autant de ce que l'on peut faire à sa propre échelle pour prendre le temps qu'à l'échelle collective et en particulier dans le domaine économique, domaine qui fâche souvent car ralentir et croissance, il n'y a pas mieux comme choc de paradigme, du moins jusqu'à nouvel ordre. De nouvel ordre, on espère plus humain et connecté avec le vivant, il est précisément question dans une interview de Vincent Liegey qui a sorti un livre sur le sujet aux éditions Tana. Etais-je trop dans les vapes de lavande et de fleur d'oranger, n'a-t-il pas donné le meilleur de lui-même dans cette interview ou le projet est-il en lui-même encore trop immature pour convaincre, toujours est-il que je vais être honnête et avouer ne pas avoir franchement capoté sur ses propos. Car au-delà de la critique désormais classique du système économique actuel et de ses indicateurs limités comme le PIB, on ne voit pas très bien comment concrètement passer d'un modèle de société à un autre. La décroissance n'est pas vraiment définie et un éventail de solutions sont avancées mais on ne voit pas leur articulation, un dessein et un design globaux. C'est là que je me dis que si moi je ne vois pas, avec quand même un certain bagage et une bienveillance certaine, alors comment faire pour que la masse de nos concitoyens voient et que cela aboutisse à un changement ?

Sur ce, je l'avoue encore, j'ai pris un peu de chocolat (bio et équitable, en bonne élève que je m'efforce d'être) car rien de tel pour poursuivre ma lecture de bonne humeur. Et cela valait vraiment la peine car j'ai appris pas mal de choses sur un marché qui m'est assez étranger car j'ai plutôt tendance à me soucier hyper peu des fringues, non que je n'aime pas être bien habillée mais plutôt parce que je n'en finis pas d'épuiser mon propre vestiaire. Donc la double-page « décryptage » sur ce sujet, agrémentée d'illustrations significatives m'a bien plu, d'autant plus qu'elle rejoint le long article consacré à l'entreprise de textile Loom qui incarne justement une forme de décroissance possible. J'ai bien apprécié aussi la séquence « ragondin », en apparence mais qu'est-ce que je fous là, c'est Sciences et vie junior ou quoi ? Et pas du tout parce que d'abord ces deux pages rendant hommage à cet animal surprennent, sortent de la routine habituelle d'un journal « pour adultes » mais sensibilisent plus généralement aux autres êtres avec lesquels nous cohabitons si mal. Cela m'a fait penser à un Mooc assez génial sur les « mauvaises herbes » (https://www.my-mooc.com/fr/mooc/herbes-folles). Ah la place, trouver la sienne, en laisser à l'autre, jeter les bases d'un nouveau contrat ou d'une nouvelle alliance, créer cet horizon dans nos têtes et le rendre tangible dans l'espace dévolu à chacun, à des moments tous ensemble... long is the road et heureusement j'ai cru distinguer comme une lueur d'espoir dans l'œil du ragondin dessiné.

 

Bon, qu'est-ce que j'ai aimé d'autre ? Plein de choses, des conseils de films, livres, festivals, en passant par l'article sur un sujet chaud chaud, la contraception masculine. A ce propos, je suis un peu surprise que la vasectomie qui est quand même une atteinte majeure au corps plutôt définitive soit à ce point en voie de banalisation en France. J'avais déjà été choquée par cela lors de séjours au Québec et j'ai l'expérience d'un ami proche qui l'a en fait mal vécue. Il l'avait faite pour faire plaisir à sa compagne, après avoir eu avec elle plusieurs enfants, et se trouvait justement dans un contexte assez virulent de revendication d'égalité auquel il n'a pas résisté et auquel les médecins ne l'ont d'ailleurs pas aidé à résister. Personnellement, cela me surprend toujours un peu que la question de l'égalité se pose en ces termes, l'idée étant qu'il faille refiler la patate chaude, ici celle de la contraception qui est un vrai sujet. En tant qu'être humain, cela me semble étrange de demander à un autre être humain de se stériliser, comme si moi j'étais éternelle, que rien ne pouvait m'arriver, que cette personne ne veuille pas ensuite avoir d'autres enfants. Et quid en cas de séparation (ce qui a d'ailleurs été le cas pour mon malheureux copain) ? Est-ce vraiment un progrès une nana qui du haut de ses 35 ans enquille encore des gosses avec un autre mec et nargue un peu son ex pratiquement et symboliquement castré ? Franchement, et tant qu'un tel état d'esprit règnera, je ne vois pas, c'est-à-dire que je ne vois pas sur ce sujet en particulier et sur la question de l'égalité en général. Bien sûr qu'il faut des luttes et qu'il faut s'en donner les moyens, mais opprimer de peur de l'être soi, non franchement je ne vois pas.


Du coup, j'ai repris une petite tasse de lavande et de fleur d'oranger parce que quoi, c'est vrai, les hommes on va pas non plus trop les plaindre et z'allaient pas me polluer le délice de ma lecture et de mon temps tranquille sur le canapé sans personne pour me faire ch... C'est là que j'ai découvert avec respect le reportage sur une association que je ne connaissais pas et qui fait visiblement bien, du bien : Yoga and sport, pour les migrants, sur l'île de Lesbos. Et celui sur le Tambour, premier lieu d'accueil non-mixte pour les femmes en situation de précarité ouvert à Lyon. C'est là que je me suis dit que c'est quand même dommage d'avoir à protéger ainsi les femmes, évidemment de la précarité car ce sont elles qui prennent le plus cher, mais aussi des hommes, de se dire qu'il n'y a qu'entre femmes qu'un certain nombre de choses peuvent se dire. En soi, ce n'est pas un problème car chacun a bien le droit d'avoir son jardin secret et les femmes peuvent avoir des choses qui, admettons, leur sont en propre et donc sororité, sororité. Non ce qui est dommage c'est que certaines paroles ne puissent être prononcées que dans ces enceintes, preuve qu'il y a vraiment un problème avec les hommes, à cause des hommes. J'ai moi-même expérimenté ce type d'espace « réservé », il suffit de voir de quoi on parle spontanément entre copines : difficile de faire abstraction de ce qui est quand même souvent une entrave, plus ou moins un boulet, sans parler des proportions hors-norme, mortelles, que cela peut prendre. Et en même temps, je ne me fais pas trop à cette réalité car je suis mixte dans ma tête et je persiste donc à penser qu'avec l'homme, c'est comme avec le ragondin : on devrait pouvoir y arriver;):).



Bref, comme je n'avais plus de tisane, j'en ai refait et j'ai bien fait parce que je pensais finir peinarde ma lecture sur un peu d'aubépine bonne pour le cœur et la séquence DIY ou comment transformer les collants que je ne mets plus (pas folle la guêpe, ça me coupe la circulation, circulation circulation, est-ce que j'ai une gueule à me laisser couper la circulation?) en suspension pour plante verte en macramé... et patatrac... ma théière déjà passablement fraca s'est renversée sur la canapé. C'était sa manière à elle de dire que comme l'homme et le ragondin elle avait des besoins primaires à satisfaire, autant dire ras-le-couvercle des tisanes, elle voulait bon sang du thé ! Or moi pas possible, plus l'heure, j'allais plus dormir si je l'écoutais. Nous avons trouvé un compromis et je l'ai lavée puis égouttée, arguant qu'elle était surmenée, l'ignorait sans doute et c'est toujours comme ça au début d'un burn out, que je savais mieux qu'elle, oui oui oui, elle aussi devait ralentir. Ensuite, je me suis demandé si la lavande et la fleur d'oranger, c'était bon ou quoi pour mon canapé, si je devais le laver. En postulante décroissante, je me suis dit que ce n'était quasi que de l'eau et que donc les principes actifs des calmants naturels allaient non seulement nettoyer un peu le dit canapé mais en plus l'aider à lui aussi ralentir. Et ralentir, pour un canapé, je ne sais pas si vous voyez ce que ça signifie. Enfin, moi je me suis assise à mon bureau car l'heure était en fait grave : j'étais tombée au détour d'une page sur un article consacré à mon cœur de dada : la transition alimentaire. Zut alors ! Je pensais être cool et même Kaizen s'y mettait pour que je reste sur les rails.


Alors qu'est-ce que j'ai fait ? J'ai lu et, encore une fois, c'était super intéressant. Pas très calmant mais intéressant et... l'occasion de retrouver une vieille connaissance puisque l'article est émaillé de citations de mon oncle, diffuseur des Amap en France, Daniel Vuillon. Je ne l'ai pas du tout fait exprès mais c'est ainsi et si l'article est intéressant, c'est avant tout parce qu'il porte sur un sujet vraiment d'actualité, est très bien documenté et rend bien compte de la situation de manière synthétique. La situation, quelle situation ? Il est question du fort essor des circuits-courts comme mode d'approvisionnement ces dernières années. Voilà une source d'espoir face à un système dominé par les grandes et moyennes surfaces. Toutefois, les choses ne sont pas si idylliques d'abord parce qu'il y a circuit-court et circuit-court. Il est justement rappelé que sur les marchés de nombreux « primeurs » pratiquent en effet l'achat-revente et donc le consommateur pourrait ne pas faire la différence avec des producteurs locaux qui vendraient dans le même lieu. Cela me rappelle une nana qui avait essayé de faire pression sur moi lorsque je faisais la liste de qui allait figurer dans le 1er annuaire écocitoyen de Chambéry et sa région. Elle connaissait mon projet et avait senti le vent venir, à savoir qu'en être ou pas pouvait prêter à conséquence sur son chiffre d'affaires. Elle l'avait mauvaise mais je n'ai pas cédé tout simplement parce que ce qu'elle vendait n'avait pas la même valeur que d'autres et je ne voulais pas contribuer à alimenter la confusion. Confusion par ailleurs largement entretenue, et c'est plus grave, par les acteurs-phare du marché, à savoir les grandes enseignes, qui font parfois croire qu'elles vendent beaucoup de produits locaux, voire bio, alors que cela représente en fait une part microscopique de leur catalogue. Ah marketing quand tu nous tiens... tu ne nous lâches pas si facilement et c'est l'ancien marché de niche des circuits-courts qui est désormais menacé par une récupération de leur part, conformément au fonctionnement capitalistique classique et on serait tenté de dire vulgaire, du genre les autres tentent, prennent les risques, et nous les gros, sûr qu'on aurait les moyens de tenter mais on préfère rester sur notre tas d'or, faire pépères nos bénéfices et s'ils se cassent la gueule ben on pourra dire qu'on a été prudents, nous, qu'on savait, et s'ils réussissent, ben alors on revendiquera quand même un peu de paternité et donc de parts de marché. Ah cynisme quand tu nous tiens, putain tu ne nous lâches pas si facilement et heureusement les consommateurs faut plus trop les prendre pour des abrutis, ça, ça s'appelle l'éducation, la sensibilisation, la médiatisation, bref tout ce qui aide à pas prendre des vessies pour des lanternes et à être dans de vraies démarches durables. Pour cela, et pour que des circuits-courts dignes de ce nom se développent et se pérennisent (combien d'Amap apparaissent et disparaissent, prouvant que les alternatives, c'est difficile?), il faut à mon sens qu'un certain nombre de conditions soient réunies. Certaines sont évoquées en creux dans l'article : sans doute que l'offre s'étende, autant dire que les circuits-courts soient de plus en plus en capacité de permettre aux consommateurs de s'approvisionner non pas pour une partie mais pour l'ensemble, en tout cas le maximum, de produits correspondant aux besoins quotidiens. Ensuite, désartificialiser l'économie et leur traduction concrète, à savoir les prix. Les enseignes dominantes affichent en effet des prix le plus bas possible, issue d'une guerre qu'elles se mènent entre elles et dont les producteurs au bas de la pyramide subissent les conséquences de plein fouet. Or tout le monde sait à présent que ces prix sont artificiels dans le sens où ils ne prennent pas en compte, par exemple, le coût écologique (et sur la santé) du transport par camion. Il faudrait donc fixer de justes prix mais surtout des prix justes, c'est-à-dire tout simplement conformes à la réalité. Et éduquer, ne pas cesser de sensibiliser sur cette question. Et arrêter d'étouffer les gens par des besoins artificiels les faisant courir derrière un pouvoir d'achat qu'ils craignent de perdre de même que, de toute façon, ils craignent désormais tout puisque le vrai paradigme dominant est la peur. Il faudrait enfin peut-être se poser la question d'une certification ouverte, donc non marchande et non verticale comme elle prévaut actuellement, des circuits-courts. Pourquoi ? Pour limiter les effets du flou de leur définition par le ministère de l'Agriculture (« mode de commercialisation des produits agricoles qui s'exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte à condition qu'il n'y ait qu'un seul intermédiaire ») et pour qu'ils participent ainsi à un vaste mouvement d'écologisation de l'agriculture. Par là, il faut entendre le développement de circuits-courts qui en soient vraiment mais aussi une relation plus authentique, la refondation d'une économie plus saine, moyen et non plus fin. Autant dire ce que défend LocoBio par son nom même depuis déjà 2007 : local et biologique, mais biologique au sens de « propre », un adjectif qui a pu surprendre certains mais qui veut bien dire cette large mise à plat salutaire qui, au fond, correspond aux piliers social et écologique de ce que l'on appelait avant le développement durable et que l'on nomme maintenant la transition.


Ouf ! Ben pour une fin d'après-midi un peu coolos dans mon canapé, j'en ai eu pour mon grade. Moi qui voulait ralentir, arrêter des cogitations fatigantes, j'en ai eu pour mon pesant d'herbes à l'eau. Du coup, je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose et alors je suis partie mon magazine en main contempler le portfolio de Carole Reboul sur ses ciels de nuit ; et alors j'ai marché, je suis sortie et moi aussi je me suis retrouvée à contempler un bien beau ciel la nuit. Il y avait en haut comme des constellations, pas de Pesquet à l'horizon, et alors j'ai écouté le silence. Et alors seulement j'ai senti que j'avais enfin un peu ralenti.



©Yolaine de LocoBio,

Novembre 2021


 
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