La
(fausse) pause Kaizen
Hello
les amis, je ne sais pas vous mais moi je ralentirais bien un peu,
d'abord parce que la saison nous y incite mais aussi parce que les
derniers mois n'ont quand même pas été super cool. Un peu en mode
« pour la détente, tu repasseras ». Pour cela, rien de
tel que se poser dans son canapé et, infusion détente à la lavande
et à la fleur d'oranger tout contre la joue, ouvrir un bon douillet
magazine. Perso, il y en a un que j'aime beaucoup, il s'appelle Kaizen (ou l'art de s'améliorer petit à petit, en japonais) et cela fait
longtemps que je voulais lui consacrer un petit billet doux. Alors
voilà, nous y sommes parce que le numéro de fin d'année est
justement consacré à un dossier sur le « slow » (n°59,
nov-déc 2021). Ce mouvement n'est certes pas nouveau puisqu'il
suffit de penser à Slow food dans le domaine de l'alimentation,
créé en Italie dans les années 80. Toutefois, ce dossier est intéressant car
il traite autant de ce que l'on peut faire à sa propre échelle pour
prendre le temps qu'à l'échelle collective et en particulier dans
le domaine économique, domaine qui fâche souvent car ralentir et
croissance, il n'y a pas mieux comme choc de paradigme, du moins
jusqu'à nouvel ordre. De nouvel ordre, on espère plus humain et
connecté avec le vivant, il est précisément question dans une
interview de Vincent Liegey qui a sorti un livre sur le sujet aux
éditions Tana. Etais-je trop dans les vapes de lavande et de fleur
d'oranger, n'a-t-il pas donné le meilleur de lui-même dans cette
interview ou le projet est-il en lui-même encore trop immature pour
convaincre, toujours est-il que je vais être honnête et avouer ne
pas avoir franchement capoté sur ses propos. Car au-delà de la
critique désormais classique du système économique actuel et de
ses indicateurs limités comme le PIB, on ne voit pas très bien
comment concrètement passer d'un modèle de société à un autre.
La décroissance n'est pas vraiment définie et un éventail de
solutions sont avancées mais on ne voit pas leur articulation, un
dessein et un design globaux. C'est là que je me dis que si moi je
ne vois pas, avec quand même un certain bagage et une bienveillance
certaine, alors comment faire pour que la masse de nos concitoyens
voient et que cela aboutisse à un changement ?
Sur ce, je
l'avoue encore, j'ai pris un peu de chocolat (bio et équitable, en
bonne élève que je m'efforce d'être) car rien de tel pour
poursuivre ma lecture de bonne humeur. Et cela valait vraiment la
peine car j'ai appris pas mal de choses sur un marché qui m'est
assez étranger car j'ai plutôt tendance à me soucier hyper peu des
fringues, non que je n'aime pas être bien habillée mais plutôt
parce que je n'en finis pas d'épuiser mon propre vestiaire. Donc la
double-page « décryptage » sur ce sujet, agrémentée
d'illustrations significatives m'a bien plu, d'autant plus qu'elle
rejoint le long article consacré à l'entreprise de textile Loom qui
incarne justement une forme de décroissance possible. J'ai
bien apprécié aussi la séquence « ragondin », en
apparence mais qu'est-ce que je fous là, c'est Sciences et vie
junior ou quoi ? Et pas du tout parce que d'abord ces deux pages
rendant hommage à cet animal surprennent, sortent de la routine
habituelle d'un journal « pour adultes » mais sensibilisent
plus généralement aux autres êtres avec lesquels nous cohabitons
si mal. Cela m'a fait penser à un Mooc assez génial sur les
« mauvaises herbes » (https://www.my-mooc.com/fr/mooc/herbes-folles). Ah la place, trouver la
sienne, en laisser à l'autre, jeter les bases d'un nouveau contrat
ou d'une nouvelle alliance, créer cet horizon dans nos têtes et le
rendre tangible dans l'espace dévolu à chacun, à des moments tous
ensemble... long is the road et heureusement j'ai cru distinguer
comme une lueur d'espoir dans l'œil du ragondin dessiné.
Bon,
qu'est-ce que j'ai aimé d'autre ? Plein de choses, des conseils
de films, livres, festivals, en passant par l'article sur un
sujet chaud chaud, la contraception masculine. A ce propos, je
suis un peu
surprise que la vasectomie qui est quand même une atteinte majeure
au corps plutôt définitive soit à ce point en voie de banalisation
en France. J'avais déjà été choquée par cela lors de séjours au
Québec et j'ai l'expérience d'un ami proche qui l'a en fait mal
vécue. Il l'avait faite pour faire plaisir à sa compagne, après
avoir eu avec elle plusieurs enfants, et se trouvait justement dans
un contexte assez virulent de revendication d'égalité auquel il n'a
pas résisté et auquel les médecins ne l'ont d'ailleurs pas aidé à
résister. Personnellement, cela me surprend toujours un peu que la
question de
l'égalité se pose en ces termes, l'idée étant qu'il faille
refiler la patate chaude, ici celle de la contraception qui est un
vrai sujet. En tant qu'être humain, cela me semble étrange de
demander à un autre être humain de se stériliser, comme si moi
j'étais éternelle, que rien ne pouvait m'arriver, que cette
personne ne veuille pas ensuite avoir d'autres enfants. Et quid en
cas de séparation (ce qui a d'ailleurs été le cas pour mon
malheureux copain) ? Est-ce vraiment un progrès une nana qui du
haut de ses 35 ans enquille encore des gosses avec un autre mec et
nargue un peu son ex
pratiquement et symboliquement castré ? Franchement, et tant
qu'un tel état d'esprit règnera, je ne vois pas, c'est-à-dire que
je ne vois pas sur ce sujet en particulier et sur la question de
l'égalité en général. Bien sûr qu'il faut des luttes et qu'il
faut s'en donner les moyens, mais opprimer de peur de l'être soi,
non franchement je ne vois pas.
Du coup, j'ai repris une petite tasse
de lavande et de fleur d'oranger parce que quoi, c'est vrai, les hommes
on va pas non plus trop les plaindre et z'allaient pas me polluer le
délice de ma lecture et de mon temps tranquille sur le canapé sans
personne pour me faire ch... C'est là que j'ai découvert avec
respect le reportage sur une association que je ne connaissais pas et
qui fait visiblement bien, du bien : Yoga and sport, pour les
migrants, sur l'île de Lesbos. Et celui sur le Tambour,
premier lieu d'accueil non-mixte pour les femmes en situation de
précarité ouvert à Lyon. C'est là que je me suis dit que c'est
quand même dommage d'avoir à protéger ainsi les femmes, évidemment
de la précarité car ce sont elles qui prennent le plus cher, mais
aussi des hommes, de se dire qu'il n'y a qu'entre femmes qu'un
certain nombre de choses peuvent se dire. En soi, ce n'est pas un
problème car chacun a bien le droit d'avoir son jardin secret et les
femmes peuvent avoir des choses qui, admettons, leur sont en propre
et donc sororité, sororité. Non ce qui est dommage c'est que
certaines paroles ne puissent être prononcées que dans ces
enceintes, preuve qu'il y a vraiment un problème avec les hommes, à
cause des hommes. J'ai moi-même expérimenté ce type d'espace
« réservé », il suffit de voir de quoi on parle
spontanément entre copines : difficile de faire abstraction de
ce qui est quand même souvent une entrave, plus ou moins un boulet,
sans parler des proportions hors-norme, mortelles, que cela peut
prendre. Et en même temps, je ne me fais pas trop à cette réalité
car je suis mixte dans ma tête et je persiste donc à penser qu'avec
l'homme, c'est comme avec le ragondin : on devrait pouvoir y
arriver;):).
Bref,
comme je n'avais plus de tisane, j'en ai refait et j'ai bien fait
parce que je pensais finir peinarde ma lecture sur un peu d'aubépine
bonne pour le cœur et la séquence DIY ou comment transformer les
collants que je ne mets plus (pas folle la guêpe, ça me coupe la
circulation, circulation circulation, est-ce que j'ai une gueule à
me laisser couper la circulation?) en suspension pour plante verte en
macramé... et patatrac... ma théière déjà passablement fraca
s'est renversée sur la canapé. C'était sa manière à elle de dire
que comme l'homme et le ragondin elle avait des besoins primaires à
satisfaire, autant dire ras-le-couvercle des tisanes, elle voulait
bon sang du thé ! Or moi pas possible, plus l'heure, j'allais
plus dormir si je l'écoutais. Nous avons trouvé un compromis et je
l'ai lavée puis égouttée, arguant qu'elle était surmenée,
l'ignorait sans doute et c'est toujours comme ça au début d'un burn
out, que je savais mieux qu'elle, oui oui oui, elle aussi devait
ralentir. Ensuite, je me suis demandé si la lavande et la fleur
d'oranger, c'était bon ou quoi pour mon canapé, si je devais le
laver. En postulante décroissante, je me suis dit que ce n'était
quasi que de l'eau et que donc les principes actifs des calmants
naturels allaient non seulement nettoyer un peu le dit canapé mais en
plus l'aider à lui aussi ralentir. Et ralentir, pour un canapé, je
ne sais pas si vous voyez ce que ça signifie. Enfin, moi je me suis
assise à mon bureau car l'heure était en fait grave : j'étais
tombée au détour d'une page sur un article consacré à mon cœur
de dada : la transition alimentaire. Zut alors ! Je pensais
être cool et même Kaizen s'y mettait pour que je reste sur les
rails.
Alors qu'est-ce que j'ai fait ? J'ai lu et, encore une
fois, c'était super intéressant. Pas très calmant mais intéressant
et... l'occasion de retrouver une vieille connaissance puisque
l'article est émaillé de citations de mon oncle, diffuseur des Amap
en France, Daniel Vuillon. Je ne l'ai pas du tout fait exprès mais
c'est ainsi et si l'article est intéressant, c'est avant tout parce
qu'il porte sur un sujet vraiment d'actualité, est très bien
documenté et rend bien compte de la situation de manière
synthétique. La situation, quelle situation ? Il est question
du fort essor des circuits-courts comme mode d'approvisionnement ces
dernières années. Voilà une source d'espoir face à un système
dominé par les grandes et moyennes surfaces. Toutefois, les choses
ne sont pas si idylliques d'abord parce qu'il y a circuit-court et
circuit-court. Il est justement rappelé que sur les marchés de
nombreux « primeurs » pratiquent en effet l'achat-revente
et donc le consommateur pourrait ne pas faire la différence avec des
producteurs locaux qui vendraient dans le même lieu. Cela me
rappelle une nana qui avait essayé de faire pression sur moi lorsque
je faisais la liste de qui allait figurer dans le 1er annuaire
écocitoyen de Chambéry et sa région. Elle connaissait mon projet
et avait senti le vent venir, à savoir qu'en être ou pas pouvait
prêter à conséquence sur son chiffre d'affaires. Elle l'avait
mauvaise mais je n'ai pas cédé tout simplement parce que ce qu'elle
vendait n'avait pas la même valeur que d'autres et je ne voulais pas
contribuer à alimenter la confusion. Confusion par ailleurs
largement entretenue, et c'est plus grave, par les acteurs-phare du
marché, à savoir les grandes enseignes, qui font parfois croire
qu'elles vendent beaucoup de produits locaux, voire bio, alors que
cela représente en fait une part microscopique de leur catalogue. Ah
marketing quand tu nous tiens... tu ne nous lâches pas si facilement
et c'est l'ancien marché de niche des circuits-courts qui est
désormais menacé par une récupération de leur part, conformément
au fonctionnement capitalistique classique et on serait tenté de dire
vulgaire, du genre les autres tentent, prennent les risques, et nous
les gros, sûr qu'on aurait les moyens de tenter mais on préfère
rester sur notre tas d'or, faire pépères nos bénéfices et s'ils
se cassent la gueule ben on pourra dire qu'on a été prudents, nous,
qu'on savait, et s'ils réussissent, ben alors on revendiquera quand
même un peu de paternité et donc de parts de marché. Ah cynisme
quand tu nous tiens, putain tu ne nous lâches pas si facilement et
heureusement les consommateurs faut plus trop les prendre pour des
abrutis, ça, ça s'appelle l'éducation, la sensibilisation, la
médiatisation, bref tout ce qui aide à pas prendre des vessies pour
des lanternes et à être dans de vraies démarches durables. Pour
cela, et pour que des circuits-courts dignes de ce nom se développent
et se pérennisent (combien d'Amap apparaissent et disparaissent,
prouvant que les alternatives, c'est difficile?), il faut à mon sens
qu'un certain nombre de conditions soient réunies. Certaines sont
évoquées en creux dans l'article : sans doute que l'offre
s'étende, autant dire que les circuits-courts soient de plus en plus
en capacité de permettre aux consommateurs de s'approvisionner non
pas pour une partie mais pour l'ensemble, en tout cas le maximum, de
produits correspondant aux besoins quotidiens. Ensuite,
désartificialiser l'économie et leur traduction concrète, à
savoir les prix. Les enseignes dominantes affichent en effet des prix
le plus bas possible, issue d'une guerre qu'elles se mènent entre
elles et dont les producteurs au bas de la pyramide subissent les
conséquences de plein fouet. Or tout le monde sait à présent que
ces prix sont artificiels dans le sens où ils ne prennent pas en
compte, par exemple, le coût écologique (et sur la santé) du transport par camion. Il
faudrait donc fixer de justes prix mais surtout des prix justes,
c'est-à-dire tout simplement conformes à la réalité. Et éduquer,
ne pas cesser de sensibiliser sur cette question. Et arrêter
d'étouffer les gens par des besoins artificiels les faisant courir
derrière un pouvoir d'achat qu'ils craignent de perdre de même
que, de toute façon, ils craignent désormais tout
puisque le vrai paradigme dominant est la peur. Il faudrait enfin
peut-être se poser la question d'une certification ouverte, donc non
marchande et non verticale comme elle prévaut actuellement, des
circuits-courts. Pourquoi ? Pour limiter les effets du flou de
leur définition par le ministère de l'Agriculture (« mode de
commercialisation des produits agricoles qui s'exerce soit par la
vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente
indirecte à condition qu'il n'y ait qu'un seul intermédiaire »)
et pour qu'ils participent ainsi à un vaste mouvement
d'écologisation de l'agriculture. Par là, il faut entendre le
développement de circuits-courts qui en soient vraiment mais aussi une
relation plus authentique, la refondation d'une économie plus saine,
moyen et non plus fin. Autant dire ce que défend LocoBio par son nom
même depuis déjà 2007 : local et biologique, mais biologique
au sens de « propre », un adjectif qui a pu surprendre
certains mais qui veut bien dire cette large mise à plat salutaire
qui, au fond, correspond aux piliers social et écologique de ce que
l'on appelait avant le développement durable et que l'on nomme
maintenant la transition.
Ouf !
Ben pour une fin d'après-midi un peu coolos dans mon canapé, j'en
ai eu pour mon grade. Moi qui voulait ralentir, arrêter des
cogitations fatigantes, j'en ai eu pour mon pesant d'herbes à l'eau.
Du coup, je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose et alors je
suis partie mon magazine en main contempler le portfolio de Carole
Reboul sur ses ciels de nuit ; et alors j'ai marché, je suis
sortie et moi aussi je me suis retrouvée à contempler un bien beau
ciel la nuit. Il y avait en haut comme des constellations, pas de
Pesquet à l'horizon, et alors j'ai écouté le silence. Et alors
seulement j'ai senti que j'avais enfin un peu ralenti.
©Yolaine de LocoBio,
Novembre 2021
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