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Chronique 119
05-11-2021

 

Résilience alimentaire, mode d'emploi

(3ème partie)

 

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Nouvel épisode dans la véritable saga de la transition alimentaire qui s'ouvre à nous et dont le livre proposé par Les greniers d'abondance a déjà fait ici l'objet de deux éclairages (voir chroniques 116 et 118). Poursuivons donc avec une saga dans la saga, à savoir une réappropriation hautement symbolique et véritable nerf de la guerre : l'autonomie en matière de semences. Le sujet est désormais assez connu puisque de grands groupes privés semenciers, qui monopolisent depuis la révolution verte et la mise en place de l'agriculture dite « conventionnelle » une activité traditionnellement réalisée par les paysans eux-mêmes, ont été mis en cause. Parallèlement, il y a eu un processus de redécouverte et la volonté de préserver les variétés anciennes pour différents motifs allant du goût meilleur à la désolation face au paysage esthétiquement de plus en plus pauvre des produits proposés (pensez aux tomates), en passant bien sûr par une prise de conscience face à ce qui était en train de se jouer en matière de perte de biodiversité cultivée et d'indépendance concernant le processus même de développement de toute plante. On peut donc dire que les choses ont bougé mais pas suffisamment au regard des enjeux qui se profilent à l'horizon, pour ne pas dire qui le façonnent déjà.

  L'argument majeur réside dans le fait que les variétés homogènes produites par une filière toujours très concentrée contribuent donc à la perte de biodiversité (en général, si on prend aussi en compte l'usage de beaucoup d'intrants chimiques et le faible engagement dans la recherche à des fins de culture biologique), à la non-valorisation d'un patrimoine naturel local source de diversification alimentaire pour une population en bonne santé et à un manque d'adaptation rapide aux effets déjà avérés du changement climatique. Or ces effets diffèrent d'un territoire à l'autre et donc développer des filières locales de sélection, multiplication et distribution serait un moyen tout d'abord pour faire cesser un monopole un peu douteux quant à ses appuis dans le monde politique et à ses finalités somme toute bien commerciales. Comment se fait-il en effet qu'un sujet aussi sensible, le bien commun pour le bien commun par excellence, c'est-à-dire les semences pour le besoin alimentaire, soit à ce point monopolisé par le secteur privé et fasse en plus l'objet d'une gestion verticale tout comme celle du pouvoir en général dans notre cher pays ? Là encore, ne marche-t-on pas sur la tête et ne serait-il pas grand temps de s'inscrire dans une plus saine perspective ? Et là encore, bonne nouvelle, les collectivités locales ont un rôle déterminant à jouer pour stimuler l'apparition de nouveaux outils et pour soutenir le développement de ceux déjà existants. Cela peut passer par l'installation de semanciers professionnels comme Union Bio Semences en Ile-de-France dont la création prouve bien qu'un partenariat avec les services de l'Etat (ici l'agence de l'eau), dans une optique plurisectorielle aboutit à des résultats. Cela peut aussi passer par le soutien aux maisons des semences paysannes comme il en existe notamment à Rouen. Il s'agit ensuite de stimuler la recherche participative, incluse vis-à-vis des agriculteurs qui sont les premiers concernés et souvent les meilleurs connaisseurs des variétés employées, de ce que pourrait apporter l'innovation pour répondre mieux à leurs besoins. Autant dire que, là encore, il s'agit d'une véritable révolution culturelle car la recherche ne se fait classiquement pas de la sorte, surtout dans un pays qui n'a eu de cesse de cloisonner les secteurs d'activités et de sous-valoriser dans ses représentations « modernes » le savoir paysan. Le gâchis est immense, comment ne pas penser aux témoignages rendus de manière romanesque par les Giono et les Pagnol pour ne citer qu'eux ? Et il est donc temps d'y remédier en faisant un mouvement vers les paysans eux-mêmes en les sensibilisant et en les formant à tout l'intérêt de la diversité variétale et des semences paysannes, vrai défi comparable à une sorte de cure de désintoxication physique et à une entreprise de décolonisation des esprits dans lesquelles les instituts de formation ont d'ailleurs leur part à jouer, on espère en toute indépendance face aux acteurs de l'agro-industrie dominante auxquels on associe le(s) syndicat(s) agricole(s) dominant(s). Là où les collectivités locales peuvent enfin agir vigoureusement, ce sont les appels d'offres dans le domaine de la restauration collective pour assurer des débouchés aux variétés du cru. Or ce domaine est stratégique non seulement pour le nombre de repas servis, et pas que dans les écoles, mais aussi comme vecteur pédagogique, donc culturel. Même si cette question des semences est assez technique, il faut veiller selon moi à ce que les citoyens aient conscience de ces enjeux afin d'user de leur pouvoir à la fois comme consommateurs en privilégiant l'achat de produits locaux, labellisés ou non (sachant qu'une confiance bien entendue, pas usurpée, rend non-nécessaire l'étape et le poste de dépenses parfois trop lourd de la certification) ; comme citoyens ensuite en contribuant à la mise sur agenda local de cette question puis en choisissant qui porte politiquement cette option, si possible accompagnée d'une préférence donnée aux semences biologiques car tant qu'à faire, autant mener une double bascule que les acteurs actuels freinent après tout comme tout acteur dominant résistant face à un changement de paradigme, de système. Que chacun joue donc sa partition et de nouveaux emplois comme artisan semencier, artisan transformateur, animateur de réseaux semenciers, etc... apparaîtront, ce qui permettra au passage de réduire l'angoisse angoissée angoissante et il faut le dire assez stérile autour de la croissance verte, de savoir si c'est possible, si c'est compatible, et si et si et si...



Autre sujet technique et non moins politique appelant une action locale : l'eau. Là encore, on en sait finalement peu sur qui fait quoi exactement, les acteurs privés ayant visiblement une conscience plus avancée des enjeux autour d'une raréfaction de la ressource que ceux qui pourraient en animer une gestion commune. Et là encore, la région d'Evian avec les célèbres eaux du même nom n'est pas en reste de même qu'elle ne l'est pas pour ce qui a trait à ce que rejettent exactement les stations d'épuration dans le lac Léman, lesquelles stations pourraient plutôt -comme c'est déjà le cas sur l'île de Noirmoutier- contribuer largement à l'irrigation de terres nourricières à proximité. Après tout, penser les choses un peu comme si nous étions dans une configuration insulaire, cela n'est pas si idiot pour se sortir des sentiers de l'ultra-dépendance à des flux mondialisés, à l'extraversion de manière générale, pour ne pas dire à une forme d'aliénation. Il s'agit d'ailleurs précisément d'en venir à une gestion intégrée d'une ressource très particulière car précieuse et en voie de diminution comme c'est déjà de plus en plus le cas sans qu'aucun déni ne soit opposable. Précieuse, l'eau l'est en effet car on en a besoin à la fois directement, pour boire et pourvoir à d'autres besoins domestiques, mais aussi indirectement, et l'agriculture est une grande consommatrice pour produire du comestible direct et du comestible dérivé via la nourriture pour les animaux ensuite consommés. Dans ce contexte, il convient d'en passer comme pour d'autres ressources par un état des lieux initial qui aura pour but de réduire la dépendance locale à l'irrigation, d'aider ensuite les exploitants à se convertir à des cultures également moins dépendantes que la maïs dominant et à une gestion plus économe en révisant les modes de culture. Il est fait référence ici à l'agroécologie qui semble avoir heureusement le vent en poupe car il s'agit précisément d'un mode intégré d'agriculture s'inscrivant lui aussi dans une révolution des mentalités.



On pourrait dire la même chose pour ce qui touche à l'évolution nécessaire vers une agriculture directement nourricière pour la population vivant sur place. Il ne s'agit pas de renier ce qui nous a sans doute permis de sortir la tête hors de l'eau après la 2de Guerre Mondiale et, d'une pierre trois coups, veiller à la souveraineté alimentaire au niveau national tout en faisant de la France une puissance agricole dotée de secteurs de prestige très rémunérateurs, contribuant à une forme de soft power, comme le vin. Il s'agit juste de considérer que les réalités d'hier n'ont plus rien à voir avec celles d'aujourd'hui et que nous voyons très certainement les limites d'un déssaisissement massif dans ce domaine vital. Si les transports et le libre-échange ont en effet littéralement dessiné le visage d'un pays aux régions ultra-spécialisées avec quelques bénéfices, on peut aussi jauger la situation à l'aune de plus de lucidité sur ce paradigme et à celui des risques actuels. Il est évident en effet que le coût réel des transports, rien que sur le plan économique et sans compter les coûts induits sur la santé à cause de la pollution, ce coût-là n'a jamais été internalisé. Cela est peu surprenant dans le cadre plus général d'une économie artificielle, de plus en plus déconnectée de la réalité matérielle. L'ultralibéralisme a aussi fait beaucoup de casse, mettant en concurrence des hommes et des territoires à une certaine échelle qui n'avait plus rien à voir avec les besoins à celle d'un bassin de vie. D'où des disparitions d'activités et même d'hommes (voir, vraiment voir en face, les suicides quotidiens d'agriculteurs) et des spécialisations à coup d'intensification des cultures de l'autre. Le résultat n'est au final pas brillant et il l'est encore moins si on considère les risques liés à une telle organisation. Se pose déjà le problème du coût et de la durabilité des transports sur la base d'une énergie pétrolière chère et éloignée, basée dans des pays avec lesquels il convient de garder une entente on dira cordiale. Est-ce bien raisonnable de continuer à jouer ainsi à la roulette russe ? Certainement pas et certaines manifestations de souveraineté aux frontières, lors d'incidents liés aux migrants en provenance d'Italie par exemple, de manque potentiel de fluidité comme on a pu le constater et on le constate toujours avec la crise sanitaire (pénurie de papier) et certains signaux de crispations identitaires en Europe même devraient conduire désormais à réviser le schéma existant. Pour cela, il faut se confronter au problème, véritable problème puisqu'à l'heure où il faudrait beaucoup diminuer notre consommation de produits d'origine animale, c'est là que nous nous apercevons avoir perdu la quasi-totalité de notre autonomie en matière de protéines végétales. Comment s'y confronter ? En commençant par ce qui fâche toujours parce que ça appuie décidément où ça fait très mal, à savoir un bon diagnostic des familles pour évaluer la capacité nourricière des territoires. Cela me fait toujours rire (jaune) alors que je sais que ça ne devrait pas. Mais je sais le sujet tellement énorme et esquivé que son côté grotesque déclenche comme un mécanisme de défense bien humain et alors je ris. Je ris à l'idée d'un mouvement massif de citoyens qui, tous et ensemble dans chaque commune, irait réclamer un tel diagnostic et ensuite un débat (un vrai, pas un présenté comme « grand » et dont tout le monde se moque à l'arrivée, augmentant dangereusement la méfiance légitime de la population vis-à-vis d'élites aussi coupables que fondamentalement irréfléchies). Un outil existe déjà pour aider à définir le champ d'action ; il s'agit de PARCEL, Pour une alimentation résiliente, citoyenne et locale, et il permet d'évaluer les surfaces correspondant aux besoins alimentaires d'une population donnée. Il convient ensuite de sortir de cette spécialisation en revenant à des cultures locales diversifiées, utiliser comme il en a déjà été question la commande publique en restauration collective pour convaincre les agriculteurs de la présence de débouchés, encourager chacun à produire sa propre alimentation dans la mesure de son possible et, bien sûr, cela ne vous étonnera pas car j'en parle souvent : développer l'agriculture urbaine et périurbaine. Et cela pour au moins deux raisons. Il existe une problématique spécifique de l'autonomie alimentaire des villes puisque le tissu urbain ne cesse globalement d'augmenter, habité par définition par des êtres vivants qui se nourrissent de produits agricoles, du moins jusqu'à nouvel ordre et à moins que les high-bio-tech ne s'en mêlent trop. Or ces mêmes êtres sont affairés à tout sauf à produire leur propre carburant, avouez que c'est quand même mal fichu. Les villes sont aussi souvent synonymes de clivages économiques forts, d'injustices sociales et de délitement du lien social. Cela peut se traduire par des tensions, voire des destructions matérielles suite à des incidents, une santé qui décline à force de pollution, de malbouffe, etc... Allouer des terres, de véritables terres et pas que des bacs à sable à des gentils encore trop souvent présentés comme illuminés, pour installer des producteurs professionnels (en bio, svp) et permettre au maximum de gens de mettre la main à la patte serait d'un bénéfice indubitable. Une puissante dynamique est à l'œuvre qui va dans ce sens et il faut s'en réjouir tout en étant conscient qu'il est à la portée de tout le monde de créer un jardin partagé. Comment? En se renseignant par exemple auprès du réseau http://jardins-partages.org. Se former pour se faire un avis et mieux connaître les enjeux et les acteurs impliqués est certainement un plus. Pour cela, je ne peux que vous recommander un excellent Mooc (https://www.fun-mooc.fr/fr/cours/agricultures-urbaines) proposé par AgroCampus Ouest, l'Inrae et l'association Les cols verts. Chiche, vous essayez?



©Yolaine de LocoBio,

Novembre 2021

 
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