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Chronique 118
04-11-2021

 

Résilience alimentaire, mode d'emploi (2ème partie)

 

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Après la pause champignon (voir chronique précédente), replongeons-nous donc dans le guide-non-guide-tout-en-étant-guide proposé par Les greniers d'Abondance pour travailler à l'évolution du système alimentaire par la structuration de systèmes alimentaires locaux. 11 voies sont ainsi explorées et il est fort à parier que le succès de telle ou telle entreprise à tel ou tel endroit doit reposer non pas sur l'objectif de couvrir tous ces items en même temps mais de définir des priorités, une architecture globale, une planification adaptées à chaque problématique territoriale. Car en l'état, tel qu'on peut le voir sur un schéma de synthèse en double page 46-47, le travail à réaliser est assez immense, sans doute parce que l'on sait agir en sous-main des dynamiques liées aux représentations culturelles et aux rapports de force politiques, autant dire des forces dont le changement est sans doute le plus difficile à opérationnaliser. On peut aussi voir les choses autrement et se dire -c'est en tout cas mon cas- qu'au point où nous en sommes de la faillite des idéologies et des grands discours, d'autres bien inspirées diraient des « bla bla bla », alors autant expérimenter, doter les récits de demain des exemples d'aujourd'hui.

N'étant un secret pour personne puisque le livre est volontairement téléchargeable sous une forme abrégée sur le site de ses promoteurs, je cite les 11 axes de travail avant de les passer en revue un à un : augmentation de la population agricole, préservation des terres agricoles, développement de l'autonomie technique et énergétique des fermes, diversification des variétés cultivées et quête assurée de l'autonomie en matière de semences, adoption d'une gestion intégrée de la ressource en eau, évolution vers une agriculture nourricière, généralisation de l'agroécologie, développement des outils locaux de stockage et de transformation, simplification et raccourcissement de la logistique et de l'achat alimentaire, promotion d'une alimentation plus végétale, enfin recyclage massif des nutriments. De manière toujours très méthodique, chaque levier fait ensuite l'objet d'un chapitre à part entière qui se compose invariablement d'un état des lieux, de l'explicitation des liens entre ce constat de départ et la résilience via les menaces associées si rien n'est fait, des objectifs, des moyens, des bénéfices associés, des obstacles et des indicateurs de mesure à la fois au début et à l'arrivée (sans doute temporaire, vu l'ampleur de la tâche) du processus. Un espace renvoyant à des références pour aller plus loin clôt le tout et ce n'est pas du luxe car on peut imaginer la perplexité de tel ou tel acteur de la société civile, le citoyen lambda, ou de tel ou tel fonctionnaire territorial face à pareille entreprise à la fois massive et révolutionnaire de part la prise en compte nécessaire de tant d'interactions intersectorielles et multiscalaire.



Partant du principe que la Nature a peut-être horreur du vide mais que nous, en tout cas, on ne peut certainement pas rester paralysés par le vertige, commençons dès lors par explorer la piste des femmes et des hommes qui doivent absolument rester et même rentrer dans une pratique agricole. Les chiffres sont effarants, décidément on marche complètement sur la tête et c'est vraiment dommage pour le pays des Lumières et un pays qui se targue d'être développé en prenant des airs très sérieux dans des arènes non moins sérieuses comme le G5 : nous, puisqu'il s'agit bien de nous, nous avons donc perdu depuis 30 ans, soit en à peine une génération, la moitié de notre population agricole. Comment se fait-il, comment continuer durablement et toujours très sérieusement, imperturbables dans notre dinguerie, avec seulement 3% des actifs dédiés à cette activité-clef pour se nourrir ? Résoudre ce problème de main d'oeuvre implique de changer l'image dégradée de la profession, même si les choses semblent évoluer doucement dans ce domaine car le bio, à l'origine de pas mal d'installations, génère potentiellement un bonne valeur-ajoutée et si des crises sanitaires comme celles que nous traversons amènent à changer de regard sur la nourriture, ceux en charge de nous nourrir. Cela passe aussi par un engagement fort des collectivités pour protéger du foncier à vocation agricole via des outils déjà existants dont il « suffit » de s'emparer et encourager les installations au moyen d'un BRE (Bail Rural Environnemental). La mise à disposition du foncier disponible est mentionnée et doit se baser sur un inventaire détaillé des parcelles pour identifier les terrains communaux propices à une activité professionnelle ou non professionnelle telle que les jardins partagés ou familiaux. Mine de rien, ce genre d'inventaire est/serait aussi révolutionnaire que nécessaire car qui, actuellement, a une vision globale des terres cultivables et surtout qui veut avoir cette vision ? En effet, elle pourrait à nouveau donner un certain vertige. Si je prends par exemple des petites villes comme Evian ou Neuvecelle sa voisine, en Haute-Savoie, on peut être effarés par le nombre de résidences secondaires très souvent fermées et dotées d'invraisemblables pelouses soigneusement entretenues. Elles voisinent souvent avec les spacieux jardins et demeures des travailleurs frontaliers qui, gagnant leur vie en Suisse ou étant eux-mêmes suisses, occupent on dira « bourgeoisement » un espace qui pourrait être autrement plus vivrier et vivant. On peut rajouter dans ce paysage surprenant les boomers qui, originaires du pays ou venus en cours de vie, ont pu s'acheter des maisons entourées de larges terrains. Circonstance pour eux atténuante, ils cultivent souvent un potager donc c'est déjà ça car cela signifie et de la production domestique, au moins une partie, et de se tenir en forme grâce à l'activité salvatrice qu'est le jardinage. Mais bon, il faut voir les choses en face : ce ne sont pas des personnes vieillissantes qui vont produire des masses et ce ne sont pas non plus les sites de mise à disposition d'un bout de terrain en l'échange d'une partie de la récolte qui vont régler le problème. Cela signifie concrètement que le reste de la population s'entasse sur au final peu de superficie et que les nouvelles constructions, à des prix de plus en plus déments, sont certes plus dans l'optique de la miraculeuse « densification » mais que des terres, toujours et encore des terres, sont littéralement bouffées crues par un habitat où le nourricier demeure un impensé. Ainsi, suivant une optique autoritaire que j'assume et revendique même vu la gravité de la situation sur le plan de la dépendance alimentaire et les injustices sociales que l'on peut ici et là constater, je serais pour ma part pour l'obligation de rendre de tels diagnostics du foncier disponible obligatoires, avec obligation aussi de les rendre publics et de discuter de leur signification, des perspectives (ou non) liées. Je serais aussi pour une réflexion de fond et pourquoi pas certaines obligations aussi pour que les propriétaires privés doivent produire ou laisser produire de l'alimentation. Dans les villes mentionnées, et je les mentionne sciemment, nous sommes dans des formes de cas limites tant sur le plan nourricier que sur celui de la justice et de la décence morale puisque des riches -il faut bien parler ainsi- monopolisent au nom de leurs moyens et de la propriété privée des terres qu'ils sont incapables, voire dédaigneux, de cultiver eux-mêmes. Et ce sont les premiers à aller prendre une de leurs (au minimum) deux grosses bagnoles pour faire le plein de la bagnole en question et du caddie pour bouffer. J'emploie volontairement des termes un peu vulgaires car cette réalité-là l'est beaucoup, vulgaire. Je ne dis pas qu'il faille revenir au collectivisme, j'en vois déjà certains qui après avoir regardé LocoBio sous l'œil potentiellement droite-extrémiste et localiste de LocoBio se posent la question d'un virement au rouge cramoisi. Là n'est pas la question et d'ailleurs ce que pense LocoBio, ce que promeut LocoBio, là n'est pas la question. La question est : cette situation est-elle normale, est-elle bénéfique, juste et durable ? La réponse est non. Donc acte.



Poursuivons avec un autre sujet qui fâche et cela pourrait assez facilement s'arrêter si, encore une fois, les nombreux outils juridiques déjà existants étaient mobilisés : la préservation des terres agricoles et l'objectif « zéro artificialisation nette ». Car c'est bien la transformation d'espaces naturels ou agricoles en constructions humaines de tous types qui est principalement à l'origine de l'atteinte à un bien commun, donc à une relocalisation de la production et de la consommation alimentaires. Bien sûr, les enjeux ne se situent pas qu'au niveau alimentaire puisque sont aussi en jeu la biodiversité, la pollution, les risques d'inondations accrus du fait de l'imperméabilité des sols, etc... Pour rallier cet objectif, il convient de s'appuyer sur le triptyque « éviter » (l'urbanisation, notamment l'étalement pavillonnaire), « réduire » (soit concentrer l'aménagement dans les espaces déjà artificialisés, en particulier les jardins de particuliers évoqués précédemment) et « compenser ». Ce dernier pilier n'en est en fait pas vraiment un car déconstruire, dépolluer, construire les fameux « technosols » s'avère aussi complexe que cher. De toute façon, la compensation n'est à mes yeux qu'une hypocrisie et une fuite en avant qui devrait tout simplement être interdite car cela permettrait d'arrêter de créer des dommages pour ensuite parler, elle a une belle jambe et nous avec, de « résilience ». Car cette notion renvoie au fait de surmonter de manière créative un choc et, comme on dit communément de « s'en sortir », de trouver un nouvel équilibre. Ne vaudrait-il pas mieux, comme au hasard dans le transport aérien, en finir avec cette fiction malhonnête de compensation ? Enfin, sur le chapitre de l'artificialisation, j'invite toute personne de passage accompagnée ou non d'un martien de service à venir voir ce que cela signifie l'artificialisation des terres et la véritable dégueulasserie d'un beau paysage massacré dans une si belle région, le Chablais. Venez, venez voir autour de Thonon, en allant vers Genève aussi, aux alentours d'Annemasse, vous verrez qu'on est bien loin des contrées pittoresques à la Rousseau, du temps du thermalisme flamboyant et des sites commerciaux vantant un territoire unique entre montagnes et lac. Bon, il faut dire que le quasi continuum entre zones commerciales s'explique ici aussi par ce qui est pudiquement appelé le « tourisme de courses », alias les amis suisses qui traversent au minimum chaque semaine la frontière pour faire un petit plein de denrées alimentaires dans la limite des articles autorisés par la douane et, éventuellement, en se faisant discrets par rapport à elle si un peu trop de viande et de produits laitiers remplissent le coffre. Mais ceci est, on dira, une autre affaire, d'autant plus que la Suisse est en Europe tout en n'y étant pas, donc il y a comme un petit décalage entre le territoire vécu et le territoire institutionnel. Alors si on rajoute le territoire idéal, plus autonome sur le plan alimentaire...



Mieux vaut ne pas s'affoler et se concentrer sur un sujet en apparence moins politique et polémique : le fait de favoriser en 3ème instance l'autonomie technique et énergétique des fermes (actuelles et forcément à venir). Cela signifie réduire le degré de complexité qui caractérise la production agricole actuelle mais aussi sa forte dépendance à la ressource pétrolière. Comment ? En faisant dans ce domaine ce qu'il faut faire après tout dans tous les domaines, y compris domestique : développer des réseau de fabrication et de réparation d'outils, d'équipements low tech tout en stimulant la production d'énergie locale (si possible pas grâce aux petits mignons réacteurs nucléaires de rien du tout vantés dernièrement par les hautes instances dans une étrange vision de la France à l'horizon 2030). Cela suppose, il faut le dire clairement et y remédier aussi fermement que définitivement, revenir sur la vision du Progrès. En effet, celui-ci est trop souvent associé à ce que j'appelle l'artillerie lourde, c'est-à-dire tout ce qui est high tech et start up. Or celles-ci n'ont absolument pas le monopole de l'innovation. Croire cela et laisser, faire croire cela, c'est no way, pour de bon no future, c'est malhonnête, faux et contre-productif. Car la réalité est que ces dispositifs de coopératives autour de l'outillage paysan existaient avant le basculement dans l'agro-industrie, c'est-à-dire voici en fait seulement quelques décennies. La réalité est que nous avons aussi beaucoup perdu en matière de savoir-faire (c'est vrai aussi dans la pharmacopée, par exemple) et en lien social puisque s'aider pour construire, entretenir et réparer ensemble revêt un enjeu là aussi. Comme les auteurs le mentionnent, et c'est également vrai pour chacun d'entre nous à titre individuel, s'équiper seul dans son coin est souvent source d'endettement. Or quelle source de dépendance est plus forte que celle liée à l'endettement, à la peur aussi de ne pas pouvoir rembourser ? Heureusement, des initiatives comme l'Atelier Paysan, la maison des technologies paysannes ou encore les CUMA (coopératives d'utilisation du matériel agricole) existent. Aux collectivités et à l'Etat, là encore, de soutenir ces dynamiques. Etant à titre personnel un peu obnubilée par la question, si triste et exaspérante dans le fond, de la perte des savoir-faire ancestraux, je ne manque pas de renvoyer au répertoire des mêmes savoirs paysans proposé par l'ADEAR (Association pour le développement de l'emploi agricole et rural). Je finirais sur ce point en évoquant la traction animale car il ne faudrait pas non plus que les autres animaux paient une nouvelle fois le prix des tergiversations humaines. Je pense très clairement que si les humains ont un problème pour se nourrir, eh bien c'est leur problème et qu'ils trouvent des solutions sans emm... les autres espèces qui, elles, n'ont pas de supermarchés pour aller faire leurs courses et même au contraire, voient leur espace vraiment vital réduit à cause d'une surpopulation jamais remise en question. Comme on dit, ailleurs, quand il y a surpopulation, ça se régule tout seul. Alors si les humains veulent continuer à user de leur liberté pour procréer, en garder l'envie aussi et visiblement les jeunes générations ne sont pas chaudes-chaudes, il va bien falloir trouver de quoi équilibrer le tout.



Sur ce, avant de continuer à me faire trop d'"ennemis" et même si cela ne me traumatise pas trop parce qu'au fil des années j'ai pris à relativiser et je sais que les forces du changement l'emporteront « quoi qu'il en coûte »;), je vous laisse. Oh non, pas déjà !, diront certains. Et si. Et pourquoi ? Eh bien parce que je vais de ce pas me faire une bonne omelette aux champi, champignons. A la reviste pour la suite de l'épisode « résilience alimentaire » ! Je ne serai pas longue à revenir mais que voulez-vous, il faut des forces pour aborder pareilles questions.



 

©Yolaine de LocoBio,

Novembre 2021

 
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