Résilience
alimentaire, mode d'emploi
(Première
partie)
Comme ce sujet me semble
essentiel à la fois pour avancer sur l'alimentation en elle-même
(mieux manger, progresser en faveur de notre santé et de celle « de
la planète ») mais aussi parce que ce sujet est transversal,
inclut différentes échelles territoriales, oblige à reconsidérer
manières de voir et de faire dans l'action publique, j'y reviens
aujourd'hui. J'y ai consacré plus particulièrement deux chroniques
publiées il y a peu qui sont pensées comme complémentaires avec
celle qui s'annonce. En effet, dans la n°112, il était plus
question d'une présentation générale du pourquoi et du comment de
la résilience alimentaire. Dans la n°111, je « descendais »
déjà à l'échelon local, celui des communes au travers d'une
réflexion sur l'action des maires pour préparer un éventuel
effondrement. Et bien sûr la question alimentaire est cardinale
puisqu'il s'agit d'un des besoins élémentaires de chacun et que les
maires seraient en première ligne pour y pourvoir et éviter le
développement de trop grands désordres. Heureusement il semble
qu'un certain nombre de choses ont été comprises sur ce chapitre,
la question alimentaire est désormais comme on dit « à
l'agenda » d'un nombre croissant de collectivités locales et
c'est une bonne chose non seulement pour avancer sur le fond mais
aussi pour dégager cette problématique de celle parfois pesante,
faisant écran, de la perspective d'un effondrement. Cela rejoint la
plus vaste question de la communication autour de l'écologie, de
est-ce que dire les choses comme elles sont (devenues, malgré une
prise de conscience et des alternatives déjà là dans les années
60 !) est anxiogène, de l'impact de ce caractère anxiogène
sur l'acceptabilité sociale. Personnellement, je pense que cet
argument a bon dos et j'aurais tendance à dire que cela ne sert à
rien d'être angoissé et paralysé, surtout quand on pense que cela
fait au fond bien le jeu de ceux qui résistent au changement, nous
ont conduit dans cette impasse et s'en lavent les mains. C'est un peu
comme si en plus du reste, je ne sais pas, au choix, crises
pétrolières, chômage, sida, crises financières, pandémie, il n'y
avait pas la place, jamais la place, comme par hasard jamais la place
pour discuter du sujet important, transpartisan par essence car
en prise directe avec le fondement et la finalité de tout, la vie:
l'écologie. Si on rajoute tout ce qui dans la société contribue à
détourner, coloniser attention et imaginaire, genre conso à gogo,
jeux vidéo idem et réseaux sociaux, on aura je pense un tableau
assez fidèle de ce qui empêche de se centrer sur l'essentiel.
Certes je caricature peut-être un peu et je ne suis sans doute pas
le meilleur exemple de diplomatie mais à vrai dire je ne suis pas
sûre que ce soit le problème. Le problème, le vrai, c'est le
manque de temps pour désormais repartir sur des bases saines, celles
dont nous sommes assurément capables si on apprend par ailleurs à
gérer individuellement la peur. Car certes il y a de quoi avoir
peur, tout le monde connaît les effarants et mauvais indicateurs en
matière d'autonomie alimentaire, mais il n'y a pas à développer
d'angoisse paralysante à ce sujet. Quelque part, il « suffit »
de se mettre en marche... et sans complexe car personne ni aucune
organisation n'a le monopole de cette expression :)
C'est cette option proactive
qu'ont justement prise Félix Lallemand (docteur en écologie et
évolution) et Arthur Grimonpont (ingénieur spécialisé en
aménagement du territoire). Constatant la fragilité du système
alimentaire dominant, c'est-à-dire agro-industriel, ils ont décidé
de créer une association en 2018. Elle s'appelle « Les
greniers d'abondance », est animée dans la région lyonnaise
par une jeune équipe et entend dessiner les voies de la résilience.
Ils les définissent comme « les transformations sociales,
économiques, techniques et politiques nécessaires pour anticiper
les crises et satisfaire les besoins essentiels de la population
lorsque le système alimentaire est soumis à des perturbations :
événement climatique extrême, choc pétrolier, récession
économique… ». Leur action s'articule entre recherche-action
et sensibilisation, la publication de Vers la résilience
alimentaire. Faire face aux menaces globales à l'échelle des
territoires dont il
est ici question restant bien fidèle à ces deux axes. Parmi les
qualités de cet ouvrage dont il est à noter qu'il a reçu le
soutien de l'ADEME, difficilement taxable d'extravagance et de
catastrophisme, il y a sa clarté, l'agrément tiré à le lire tant
il est richement illustré et son prix au final modeste puisque pour
20 euros vous êtes plus qu'éclairé sur le sujet. Pour moi, c'est
LA publication marquante du moment et cet écrit, issu d'un rapport
également soutenu par l'Agence Nationale de la Recherche, fera date
sans nul doute. Tout le mérite est une fois de plus aux éclairées
Editions Yves Michel d'avoir publié en septembre 2020 ce qui est à
la fois un état des lieux détaillé des vulnérabilités de notre
système alimentaire et l'inventaire des outils sur lesquels
s'appuyer pour amorcer une transformation que d'autres ont déjà
amorcée, comme le montrent de nombreux exemples encourageants.
L'introduction, courte et
efficace comme le reste du livre, s'intitule « La fin d'une
époque ». Tout indique en effet qu'un nouveau temps est venu
pour nos sociétés complexes car le système alimentaire industriel
-inclus dans le système économique et faisant l'objet d'un utile
schéma p.8- est confronté à la finitude des ressources. Je
rajouterais que le problème n'est pas seulement là puisque ce
système est lui-même à l'origine de la finitude de certaines
ressources essentielles, l'usage d'intrants chimiques toxiques ayant
ainsi par exemple un impact nocif sur l'eau en général et potable
en particulier. De plus, le même système alimentaire est
responsable de fragilités et de maladies chroniques du type obésité,
problèmes cardio-vasculaires, cancers et il faut avouer que c'est
bien le comble, c'est pour le moins dommage, paradoxal et... coûteux
car toutes ces pathologies liées à un mode de vie, de produire et
de consommer ce qui nous constitue même se traduisent sur le plan
comptable. Je parle de cet aspect car il est important et on nous en
a assez rabattu les oreilles pendant la crise du Covid, comme si
remplir à ce point des salles de réanimation avec des personnes qui
pourraient être en bonne santé si le système alimentaire était
autre était normal. Certainement que non et une réflexion de fond
serait aussi bonne à ce sujet, surtout si on veut éviter de gérer
une éventuelle pandémie comme celle-ci a été gérée,
c'est-à-dire en choisissant d'enfermer toute une population pour en
protéger une petite partie (et en donnant ensuite des leçons de civisme à
ceux qui ont été solidaires). Laquelle population avait besoin de
rester active à tous points de vue et on documente actuellement les
ravages d'une telle stabulation, en particulier sur la santé
psychique individuelle et l'impact en matière de lien social, soit
la vraie santé et le vrai bien-être au sens large, celui que toute
société dite évoluée doit rechercher pour tous.
Cela dit, les auteurs
l'assurent : « Chercher à prédire précisément
l'avenir est illusoire. Néanmoins, prendre en compte certaines
menaces pour anticiper leurs conséquences à l'échelle locale
semble être une démarche raisonnable, lorsque la satisfaction de
nos besoins de base est en jeu. Cela relève même du devoir pour les
élu.e.s responsables de l'ordre public et de la sécurité civile »
(p.9). D'où leur volonté de participer via leur travail à la
« construction de politiques lucides, déterminées
et créatives face aux enjeux contemporains »
(p.9). Lire en creux : en finir avec des politiques bien souvent
illusoires, molles du manche et routinisées, autant dire enfin
valoriser des qualités rares mais nécessaires, à savoir la
conscience et le courage. A ce compte-là, qui va encore vouloir
faire de la politique ? Déjà que beaucoup de maires hésitent à
se représenter tant la charge est de plus en plus lourde, mais alors
si on met la barre aussi haut ! Et si, pourtant il va bien
falloir et sur la base même indiquée par les auteurs, plus vraiment
le choix. L'introduction se termine sur les limites de la
publication, au nombre de trois. Si une focalisation est ici faite
sur l'échelon local, le public-cible étant les collectivités
territoriales et singulièrement les intercommunalités compte-tenu
de leurs compétences particulières pouvant servir de leviers
d'action, il est judicieusement rappelé que ces entités ne sont pas
les seules à avoir un impact sur l'organisation et l'évolution des
systèmes alimentaires. D'autres niveaux, tant national qu'européen,
jouent un rôle important et un livre semble en préparation à ce
sujet par la même équipe. On pourrait rajouter, en France, quand
même aussi le département et la région car ils sont dotés de
compétences pouvant avoir également une influence. Et que dire du
niveau mondial pris entre traités de libre-commerce, accords multi
et bilatéraux, organisations internationales... Le problème est
complexe et, plutôt que de se décourager, autant cibler une échelle
et avancer à la fois en théorisant et en expérimentant. 2ème
limite, et je suis bien placée pour en saisir la portée puisque je
suis politiste de formation et d'action via LocoBio, certains aspects
comme les rapports de pouvoir et les conflits d'intérêt sont peu
développés. Or ils contribuent à dessiner les configurations
d'acteurs qui sont déterminantes pour imposer de nouveaux paradigmes
et donc insuffler le changement. C'est dommage mais c'est en fait
totalement lié à la 3ème limite modestement mentionnée, à savoir
que cet ouvrage ne doit pas être considéré comme un guide « clés
en main ». De fait, chaque territoire a ses spécificités
physiques, économiques, démographiques, etc... et est en
particulier susceptible de mettre en place un mode de gouvernance
plus ou moins ouvert, pertinent au regard de l'enjeu alimentaire. Il
ne peut donc y avoir de résilience dans ce domaine que
territorialisée, c'est-à-dire non seulement adaptée au territoire
mais aussi, voire surtout, pensée, emparée et assimilée par lui.
La lecture se poursuit par une
première partie consacrée au contexte qui explique la nécessité
d'agir vite. 5 menaces globales pèsent en effet sur l'échelle
locale et donc les systèmes alimentaires à cette échelle :
changement climatique, effondrement de la biodiversité sauvage et
cultivée, dégradation et artificialisation des sols, épuisement
des ressources énergétiques et minières, instabilité économique
et politique. Chaque menace fait l'objet d'une analyse avec des
références scientifiques l'accréditant, considère son impact en
matière de dégradations de fond et ce qu'il en sera/it en situation de
crise. Elle est reliée dans un encadré final aux voies de résilience
empruntables pour y remédier, du moins en limiter l'impact et cela
convainc de l'utilité de ces dernières. Je n'insiste pas trop sur
cette partie car elle est constituée de données souvent déjà
connues et ne constitue finalement que le point de départ, certes
nécessaire, d'une démarche plus originale qui se déploie ensuite.
Non sans avoir d'abord consacré un chapitre sur ce qui constitue
l'autre point de départ de cette démarche, à savoir le rôle
privilégié des collectivités territoriales en matière de
résilience alimentaire (je dirais même de résilience tout court,
ce qui me permet d'insister à nouveau sur la santé et sur un mooc
éclairant à ce sujet proposé par le Centre National de la Fonction
Publique Territoriale « Agir localement pour le bien-être et la santé de la population »). La
résilience y est définie et, afin de lever tout malentendu
possible, il est rappelé son lien avec un terme que l'on utilise
moins aujourd'hui mais dont les 3 piliers/impératifs demeurent :
le développement durable, avec ses volets économique, social et
écologique. Ainsi, les auteurs affirment une posture
politique et c'est bien ainsi : « La résilience n'est
pas un critère suffisant pour rendre un système alimentaire
souhaitable. Il est facile d'imaginer des systèmes à la fois très
résilients et socialement défaillants, reposant sur diverses formes
d'inégalités et d'exploitations. La recherche d'une meilleure
résilience ne se substitue pas à l'impératif de « soutenabilité »,
ni à un objectif éthique de justice et d'équité »
(p.43). Comme les régimes politiques et économiques oppressifs sont
moralement condamnables et de toute façon non durables car
pourvoyeurs d'inégalités finalement intenables et génératrices de
violences, alors autant parier sur l'imperfection de nos démocraties
et les améliorer, non ? Quelles que soient les motivations, en
tout cas force est de constater que les collectivités territoriales
affichent en France un certain dynamisme en matière de politique
alimentaire et ce, il faut l'avouer et c'est sans surprise, malgré
la cacophonie potentielle liée à notre chère division/répartition
territoriale du pouvoir. Ce point est d'ailleurs évoqué dans le
dernier chapitre de ce guide-non-guide-tout-en-étant-un-guide
intitulé « Construire et financer un projet de résilience
alimentaire » auquel je le relie car il lui est de fait relié.
Dans ce chapitre qui précède un espace « questions et
objections » tout aussi nécessaire et intéressant que le
glossaire en fin d'ouvrage, on entre dans le vif du sujet avec les
aspects opérationnels. Où il est question de définir un mode de
gouvernance ad hoc, d'appliquer une méthodologie somme toute très
inspirée de l'analyse des politiques publiques (un exemple réussi
de porosité entre monde universitaire et monde tout court, c'est pas
toujours gagné...:)) et de se mettre à la recherche de financements
forcément croisés tant l'oeuvre est d'envergure. Les étapes de la
méthodologie sont logiques (définition du projet et constitution
d'un comité de pilotage, réalisation d'un diagnostic du système
alimentaire territorial via des indicateurs présents dans le livre ;
établissement, mise en œuvre et évaluation du plan d'action). Sans
mettre en branle un tel processus, je dirais que chacun peut déjà
interpeller son propre maire sur l'indice de résilience de la commune
et voir ce qu'il advient ensuite : pas de réponse, réponse
laconique et peu convaincante, intérêt pour le sujet et pourquoi
pas appui sur des citoyens ou pas organisés en association pour déjà
défricher le terrain. Cette dernière démarche n'est à mon sens
pas contradictoire avec celle que promeuvent les auteurs, simplement
elle est plus facile à mettre en œuvre car, il ne faut se le
cacher, aller plus loin et recruter pourquoi pas un des membres de
leur équipe en appui durable implique forcément et légitimement
des coûts d'un autre ordre. Cela permet aussi à mon sens, pour
avoir pratiqué le dialogue (ou son absence!) à l'échelle
communale, de sonder, faire dialoguer, enfin de rester dans quelque
chose d'informel qui peut aboutir à un chiffre déterminant,
déclencheur de tout le reste de la démarche, à savoir l'indice de
résilience alimentaire communal... pour la simple et bonne raison
qu'il est souvent minime donc catastrophique ! Ce peut être
aussi un moyen de déjà travailler au rapprochement de cultures et
d'intérêts potentiellement différents, voire divergents, sur un
sujet mine de rien très politique. En effet, et d'ailleurs il en a
été question dans la chronique 114, le problème souvent constaté
en matière de concertation et donc d'action sur ce sujet, à cette
échelle, est la sur-représentation d'acteurs issus de la société
civile ayant une vision alternative et symétriquement la
sous-représentation d'acteurs dominants dans le secteur comme ceux
de la grande distribution ou de l'agro-industrie. Et encore :
quand les acteurs de la société civile arrivent à se faire
entendre, ce qui implique que dans le cas contraire, il ne reste plus
grand monde autour de la table. Or cela pose un problème pour la
légitimité et l'efficacité de l'action déployée comme le
soulignent d'ailleurs aussi les auteurs qui proposent un panorama
succinct des différentes sources de financement et insistent bien sur
la nécessité de la sensibilisation, d'une implication réellement
collective. Concernant les moyens matériels, ils sont en réalité
plus vastes que ce qu'il y paraît même si le cadre des PAT (Projet
Alimentaire Territorial) est désormais un appui fort donné par le
niveau national, et Dieu sait si un aval, une impulsion voire une
autorisation symbolique demeurent importants dans notre cher pays aux
esprits si peu décentralisés. A noter que les fondations jouent un
rôle et j'avoue y avoir jusqu'à présent peu porté attention,
peut-être parce que contrairement à des pays comme la Suisse, elles font
moins partie du « paysage », du moins sous la forme
parfois trop discrète du mécénat. Une affaire à suivre, donc, on saura
où taper maintenant !
J'en
viens, last but not least, à ce qui est finalement le cœur de cette
proposition d'action, à savoir les 11 voies de résilience
identifiées comme telles et résumées sous forme d'un schéma pages
46 et 47.
Vous
voulez connaître la suite ? Eh bien rdv dans la chronique
suivante ! Qu'est-ce qu'il y a, pas contents ? Et à la
télé, à la radio, sur Youtou-ou-be, vous faites comment, y'a pas
d'espace publicitaire, ça s'arrête jamais ? Si?! Bon alors !
Plus sérieusement, je vous propose une courte pause, comme pour les
romans parus en feuilletons au 19ème siècle, après tout comme les
séries aujourd'hui... mais aussi comme la pause-déjeuner qui
s'impose après avoir tant parlé de bouffe qui menace de
disparaître. Alors bon appétit et prenez des forces pour la suite !
©Yolaine
de LocoBio,
Novembre
2021
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