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Cogitations et actions
Chronique 116
02-11-2021

 

Résilience alimentaire, mode d'emploi

(Première partie)

 

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Comme ce sujet me semble essentiel à la fois pour avancer sur l'alimentation en elle-même (mieux manger, progresser en faveur de notre santé et de celle « de la planète ») mais aussi parce que ce sujet est transversal, inclut différentes échelles territoriales, oblige à reconsidérer manières de voir et de faire dans l'action publique, j'y reviens aujourd'hui. J'y ai consacré plus particulièrement deux chroniques publiées il y a peu qui sont pensées comme complémentaires avec celle qui s'annonce. En effet, dans la n°112, il était plus question d'une présentation générale du pourquoi et du comment de la résilience alimentaire. Dans la n°111, je « descendais » déjà à l'échelon local, celui des communes au travers d'une réflexion sur l'action des maires pour préparer un éventuel effondrement. Et bien sûr la question alimentaire est cardinale puisqu'il s'agit d'un des besoins élémentaires de chacun et que les maires seraient en première ligne pour y pourvoir et éviter le développement de trop grands désordres. Heureusement il semble qu'un certain nombre de choses ont été comprises sur ce chapitre, la question alimentaire est désormais comme on dit « à l'agenda » d'un nombre croissant de collectivités locales et c'est une bonne chose non seulement pour avancer sur le fond mais aussi pour dégager cette problématique de celle parfois pesante, faisant écran, de la perspective d'un effondrement. Cela rejoint la plus vaste question de la communication autour de l'écologie, de est-ce que dire les choses comme elles sont (devenues, malgré une prise de conscience et des alternatives déjà là dans les années 60 !) est anxiogène, de l'impact de ce caractère anxiogène sur l'acceptabilité sociale. Personnellement, je pense que cet argument a bon dos et j'aurais tendance à dire que cela ne sert à rien d'être angoissé et paralysé, surtout quand on pense que cela fait au fond bien le jeu de ceux qui résistent au changement, nous ont conduit dans cette impasse et s'en lavent les mains. C'est un peu comme si en plus du reste, je ne sais pas, au choix, crises pétrolières, chômage, sida, crises financières, pandémie, il n'y avait pas la place, jamais la place, comme par hasard jamais la place pour discuter du sujet important, transpartisan par essence car en prise directe avec le fondement et la finalité de tout, la vie: l'écologie. Si on rajoute tout ce qui dans la société contribue à détourner, coloniser attention et imaginaire, genre conso à gogo, jeux vidéo idem et réseaux sociaux, on aura je pense un tableau assez fidèle de ce qui empêche de se centrer sur l'essentiel. Certes je caricature peut-être un peu et je ne suis sans doute pas le meilleur exemple de diplomatie mais à vrai dire je ne suis pas sûre que ce soit le problème. Le problème, le vrai, c'est le manque de temps pour désormais repartir sur des bases saines, celles dont nous sommes assurément capables si on apprend par ailleurs à gérer individuellement la peur. Car certes il y a de quoi avoir peur, tout le monde connaît les effarants et mauvais indicateurs en matière d'autonomie alimentaire, mais il n'y a pas à développer d'angoisse paralysante à ce sujet. Quelque part, il « suffit » de se mettre en marche... et sans complexe car personne ni aucune organisation n'a le monopole de cette expression :)

C'est cette option proactive qu'ont justement prise Félix Lallemand (docteur en écologie et évolution) et Arthur Grimonpont (ingénieur spécialisé en aménagement du territoire). Constatant la fragilité du système alimentaire dominant, c'est-à-dire agro-industriel, ils ont décidé de créer une association en 2018. Elle s'appelle « Les greniers d'abondance », est animée dans la région lyonnaise par une jeune équipe et entend dessiner les voies de la résilience. Ils les définissent comme « les transformations sociales, économiques, techniques et politiques nécessaires pour anticiper les crises et satisfaire les besoins essentiels de la population lorsque le système alimentaire est soumis à des perturbations :  événement climatique extrême, choc pétrolier, récession économique… ». Leur action s'articule entre recherche-action et sensibilisation, la publication de Vers la résilience alimentaire. Faire face aux menaces globales à l'échelle des territoires dont il est ici question restant bien fidèle à ces deux axes. Parmi les qualités de cet ouvrage dont il est à noter qu'il a reçu le soutien de l'ADEME, difficilement taxable d'extravagance et de catastrophisme, il y a sa clarté, l'agrément tiré à le lire tant il est richement illustré et son prix au final modeste puisque pour 20 euros vous êtes plus qu'éclairé sur le sujet. Pour moi, c'est LA publication marquante du moment et cet écrit, issu d'un rapport également soutenu par l'Agence Nationale de la Recherche, fera date sans nul doute. Tout le mérite est une fois de plus aux éclairées Editions Yves Michel d'avoir publié en septembre 2020 ce qui est à la fois un état des lieux détaillé des vulnérabilités de notre système alimentaire et l'inventaire des outils sur lesquels s'appuyer pour amorcer une transformation que d'autres ont déjà amorcée, comme le montrent de nombreux exemples encourageants.



L'introduction, courte et efficace comme le reste du livre, s'intitule « La fin d'une époque ». Tout indique en effet qu'un nouveau temps est venu pour nos sociétés complexes car le système alimentaire industriel -inclus dans le système économique et faisant l'objet d'un utile schéma p.8- est confronté à la finitude des ressources. Je rajouterais que le problème n'est pas seulement là puisque ce système est lui-même à l'origine de la finitude de certaines ressources essentielles, l'usage d'intrants chimiques toxiques ayant ainsi par exemple un impact nocif sur l'eau en général et potable en particulier. De plus, le même système alimentaire est responsable de fragilités et de maladies chroniques du type obésité, problèmes cardio-vasculaires, cancers et il faut avouer que c'est bien le comble, c'est pour le moins dommage, paradoxal et... coûteux car toutes ces pathologies liées à un mode de vie, de produire et de consommer ce qui nous constitue même se traduisent sur le plan comptable. Je parle de cet aspect car il est important et on nous en a assez rabattu les oreilles pendant la crise du Covid, comme si remplir à ce point des salles de réanimation avec des personnes qui pourraient être en bonne santé si le système alimentaire était autre était normal. Certainement que non et une réflexion de fond serait aussi bonne à ce sujet, surtout si on veut éviter de gérer une éventuelle pandémie comme celle-ci a été gérée, c'est-à-dire en choisissant d'enfermer toute une population pour en protéger une petite partie (et en donnant ensuite des leçons de civisme à ceux qui ont été solidaires). Laquelle population avait besoin de rester active à tous points de vue et on documente actuellement les ravages d'une telle stabulation, en particulier sur la santé psychique individuelle et l'impact en matière de lien social, soit la vraie santé et le vrai bien-être au sens large, celui que toute société dite évoluée doit rechercher pour tous.



Cela dit, les auteurs l'assurent : « Chercher à prédire précisément l'avenir est illusoire. Néanmoins, prendre en compte certaines menaces pour anticiper leurs conséquences à l'échelle locale semble être une démarche raisonnable, lorsque la satisfaction de nos besoins de base est en jeu. Cela relève même du devoir pour les élu.e.s responsables de l'ordre public et de la sécurité civile » (p.9). D'où leur volonté de participer via leur travail à la « construction de politiques lucides, déterminées et créatives face aux enjeux contemporains » (p.9). Lire en creux : en finir avec des politiques bien souvent illusoires, molles du manche et routinisées, autant dire enfin valoriser des qualités rares mais nécessaires, à savoir la conscience et le courage. A ce compte-là, qui va encore vouloir faire de la politique ? Déjà que beaucoup de maires hésitent à se représenter tant la charge est de plus en plus lourde, mais alors si on met la barre aussi haut ! Et si, pourtant il va bien falloir et sur la base même indiquée par les auteurs, plus vraiment le choix. L'introduction se termine sur les limites de la publication, au nombre de trois. Si une focalisation est ici faite sur l'échelon local, le public-cible étant les collectivités territoriales et singulièrement les intercommunalités compte-tenu de leurs compétences particulières pouvant servir de leviers d'action, il est judicieusement rappelé que ces entités ne sont pas les seules à avoir un impact sur l'organisation et l'évolution des systèmes alimentaires. D'autres niveaux, tant national qu'européen, jouent un rôle important et un livre semble en préparation à ce sujet par la même équipe. On pourrait rajouter, en France, quand même aussi le département et la région car ils sont dotés de compétences pouvant avoir également une influence. Et que dire du niveau mondial pris entre traités de libre-commerce, accords multi et bilatéraux, organisations internationales... Le problème est complexe et, plutôt que de se décourager, autant cibler une échelle et avancer à la fois en théorisant et en expérimentant. 2ème limite, et je suis bien placée pour en saisir la portée puisque je suis politiste de formation et d'action via LocoBio, certains aspects comme les rapports de pouvoir et les conflits d'intérêt sont peu développés. Or ils contribuent à dessiner les configurations d'acteurs qui sont déterminantes pour imposer de nouveaux paradigmes et donc insuffler le changement. C'est dommage mais c'est en fait totalement lié à la 3ème limite modestement mentionnée, à savoir que cet ouvrage ne doit pas être considéré comme un guide « clés en main ». De fait, chaque territoire a ses spécificités physiques, économiques, démographiques, etc... et est en particulier susceptible de mettre en place un mode de gouvernance plus ou moins ouvert, pertinent au regard de l'enjeu alimentaire. Il ne peut donc y avoir de résilience dans ce domaine que territorialisée, c'est-à-dire non seulement adaptée au territoire mais aussi, voire surtout, pensée, emparée et assimilée par lui.



La lecture se poursuit par une première partie consacrée au contexte qui explique la nécessité d'agir vite. 5 menaces globales pèsent en effet sur l'échelle locale et donc les systèmes alimentaires à cette échelle : changement climatique, effondrement de la biodiversité sauvage et cultivée, dégradation et artificialisation des sols, épuisement des ressources énergétiques et minières, instabilité économique et politique. Chaque menace fait l'objet d'une analyse avec des références scientifiques l'accréditant, considère son impact en matière de dégradations de fond et ce qu'il en sera/it en situation de crise. Elle est reliée dans un encadré final aux voies de résilience empruntables pour y remédier, du moins en limiter l'impact et cela convainc de l'utilité de ces dernières. Je n'insiste pas trop sur cette partie car elle est constituée de données souvent déjà connues et ne constitue finalement que le point de départ, certes nécessaire, d'une démarche plus originale qui se déploie ensuite. Non sans avoir d'abord consacré un chapitre sur ce qui constitue l'autre point de départ de cette démarche, à savoir le rôle privilégié des collectivités territoriales en matière de résilience alimentaire (je dirais même de résilience tout court, ce qui me permet d'insister à nouveau sur la santé et sur un mooc éclairant à ce sujet proposé par le Centre National de la Fonction Publique Territoriale « Agir localement pour le bien-être et la santé de la population »). La résilience y est définie et, afin de lever tout malentendu possible, il est rappelé son lien avec un terme que l'on utilise moins aujourd'hui mais dont les 3 piliers/impératifs demeurent : le développement durable, avec ses volets économique, social et écologique. Ainsi, les auteurs affirment une posture politique et c'est bien ainsi : « La résilience n'est pas un critère suffisant pour rendre un système alimentaire souhaitable. Il est facile d'imaginer des systèmes à la fois très résilients et socialement défaillants, reposant sur diverses formes d'inégalités et d'exploitations. La recherche d'une meilleure résilience ne se substitue pas à l'impératif de « soutenabilité », ni à un objectif éthique de justice et d'équité » (p.43). Comme les régimes politiques et économiques oppressifs sont moralement condamnables et de toute façon non durables car pourvoyeurs d'inégalités finalement intenables et génératrices de violences, alors autant parier sur l'imperfection de nos démocraties et les améliorer, non ? Quelles que soient les motivations, en tout cas force est de constater que les collectivités territoriales affichent en France un certain dynamisme en matière de politique alimentaire et ce, il faut l'avouer et c'est sans surprise, malgré la cacophonie potentielle liée à notre chère division/répartition territoriale du pouvoir. Ce point est d'ailleurs évoqué dans le dernier chapitre de ce guide-non-guide-tout-en-étant-un-guide intitulé « Construire et financer un projet de résilience alimentaire » auquel je le relie car il lui est de fait relié. Dans ce chapitre qui précède un espace « questions et objections » tout aussi nécessaire et intéressant que le glossaire en fin d'ouvrage, on entre dans le vif du sujet avec les aspects opérationnels. Où il est question de définir un mode de gouvernance ad hoc, d'appliquer une méthodologie somme toute très inspirée de l'analyse des politiques publiques (un exemple réussi de porosité entre monde universitaire et monde tout court, c'est pas toujours gagné...:)) et de se mettre à la recherche de financements forcément croisés tant l'oeuvre est d'envergure. Les étapes de la méthodologie sont logiques (définition du projet et constitution d'un comité de pilotage, réalisation d'un diagnostic du système alimentaire territorial via des indicateurs présents dans le livre ; établissement, mise en œuvre et évaluation du plan d'action). Sans mettre en branle un tel processus, je dirais que chacun peut déjà interpeller son propre maire sur l'indice de résilience de la commune et voir ce qu'il advient ensuite : pas de réponse, réponse laconique et peu convaincante, intérêt pour le sujet et pourquoi pas appui sur des citoyens ou pas organisés en association pour déjà défricher le terrain. Cette dernière démarche n'est à mon sens pas contradictoire avec celle que promeuvent les auteurs, simplement elle est plus facile à mettre en œuvre car, il ne faut se le cacher, aller plus loin et recruter pourquoi pas un des membres de leur équipe en appui durable implique forcément et légitimement des coûts d'un autre ordre. Cela permet aussi à mon sens, pour avoir pratiqué le dialogue (ou son absence!) à l'échelle communale, de sonder, faire dialoguer, enfin de rester dans quelque chose d'informel qui peut aboutir à un chiffre déterminant, déclencheur de tout le reste de la démarche, à savoir l'indice de résilience alimentaire communal... pour la simple et bonne raison qu'il est souvent minime donc catastrophique ! Ce peut être aussi un moyen de déjà travailler au rapprochement de cultures et d'intérêts potentiellement différents, voire divergents, sur un sujet mine de rien très politique. En effet, et d'ailleurs il en a été question dans la chronique 114, le problème souvent constaté en matière de concertation et donc d'action sur ce sujet, à cette échelle, est la sur-représentation d'acteurs issus de la société civile ayant une vision alternative et symétriquement la sous-représentation d'acteurs dominants dans le secteur comme ceux de la grande distribution ou de l'agro-industrie. Et encore : quand les acteurs de la société civile arrivent à se faire entendre, ce qui implique que dans le cas contraire, il ne reste plus grand monde autour de la table. Or cela pose un problème pour la légitimité et l'efficacité de l'action déployée comme le soulignent d'ailleurs aussi les auteurs qui proposent un panorama succinct des différentes sources de financement et insistent bien sur la nécessité de la sensibilisation, d'une implication réellement collective. Concernant les moyens matériels, ils sont en réalité plus vastes que ce qu'il y paraît même si le cadre des PAT (Projet Alimentaire Territorial) est désormais un appui fort donné par le niveau national, et Dieu sait si un aval, une impulsion voire une autorisation symbolique demeurent importants dans notre cher pays aux esprits si peu décentralisés. A noter que les fondations jouent un rôle et j'avoue y avoir jusqu'à présent peu porté attention, peut-être parce que contrairement à des pays comme la Suisse, elles font moins partie du « paysage », du moins sous la forme parfois trop discrète du mécénat. Une affaire à suivre, donc, on saura où taper maintenant !



J'en viens, last but not least, à ce qui est finalement le cœur de cette proposition d'action, à savoir les 11 voies de résilience identifiées comme telles et résumées sous forme d'un schéma pages 46 et 47.

Vous voulez connaître la suite ? Eh bien rdv dans la chronique suivante ! Qu'est-ce qu'il y a, pas contents ? Et à la télé, à la radio, sur Youtou-ou-be, vous faites comment, y'a pas d'espace publicitaire, ça s'arrête jamais ? Si?! Bon alors ! Plus sérieusement, je vous propose une courte pause, comme pour les romans parus en feuilletons au 19ème siècle, après tout comme les séries aujourd'hui... mais aussi comme la pause-déjeuner qui s'impose après avoir tant parlé de bouffe qui menace de disparaître. Alors bon appétit et prenez des forces pour la suite !

 

 

©Yolaine de LocoBio,

Novembre 2021

 
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