Ethique
et carnivorisme, là est la question
Au cas où vous ne
feriez pas partie de mon fan club, tout d'abord bienvenue, ensuite
vous avez tort, enfin bienvenue dans un monde de chroniques souvent
consacrées à la question de l'alimentation, de notre régime
alimentaire et donc à celle de la consommation d'animaux. Il s'agit
certes d'un intérêt personnel -et après tout j'ai le droit- mais
aussi d'une question de société tant il est clair que ces questions
posent problème et vont devoir trouver de substantielles solutions
pour avancer sur le chemin de la Transition.
Dans ce contexte, je
voudrais saluer et souhaiter bonne chance à une nouvelle revue
publiée en partenariat par les Editions de l'Echiquier et l'Obs.
Elle s'appelle « En mutation. Débattre des métamorphoses
écologiques et sociales » et vous pouvez dès à présent vous
procurer son n°1 consacré à une question plus que pertinente sur
le fond et plus que d'actualité tout court : Peut-on être un
carnivore éthique ? Très belle, notamment grâce à ses
nombreuses illustrations et à une véritable identité graphique
d'ores et déjà affirmée, elle est aussi agréable à manier et
coûte finalement le prix d'un livre tout simplement parce que son
contenu, sur 160 pages, s'apparente de par son effort informatif à
un véritable ouvrage. J'en profite pour vous signaler et vous
encourager dès à présent à commander le n°2 au prix de 15
euros ; il est prévu pour le printemps prochain.
Dans
l'immédiat, ce numéro se compose principalement de deux grandes
parties enrichies d'un espace pour aller plus loin sur la question
grâce à des livres, des bd, des films et des sites. Connaissant ma
sensibilité littéraire (et pas que, puisque c'est l'un de mes
métiers!), vous ne serez pas surpris que j'y relève Le mépris
des bêtes. Un lexique de la ségrégation animale
où, chez Flammarion et pour à peine plus de 7 euros, une chercheuse
recense les (trop) nombreuses expressions rabaissant les « animaux ».
Je mets des guillemets car les premiers devant être appelés ainsi,
c'est nous, gag ! C'est pas moi qui le dit, c'est la biologie !
Le plus grave, mine de rien, quand on dit un truc en apparence banal
« tu es bête ! » (sans parler de « con »...),
c'est que cela révèle non seulement une vision rabaissante des
autres animaux mais en fait toute une vision du monde contestable non
seulement sur le plan éthique qui devrait nous distinguer mais en
plus sur le plan scientifique car mettre ainsi des séparations et de
la supériorité relève bien peu d'une pensée écosystémique, même
écologique. Il serait donc temps que nos représentations et nos
productions culturelles, également censées refléter notre
supériorité et notre identité d'humains, s'alignent avec la
réalité du monde. Et surtout qu'on arrête aussi de dire que la
réalité est relative, que c'est pas bien de dire qu'elle est noire
ou blanche et qu'il y a des nuances. C'est faux et tout le monde
commence à s'apercevoir de ce léger problème lié au fait d'être
et de produire du désaxé (à prendre même dans le sens
psychiatrique vu le point où on en est). Côté BD, Les
cerveaux de la ferme. Au cœur des émotions et des perceptions
animales (éditions de La
Plage) permet d'aborder scientifiquement et avec quand même une
certaine légèreté la question de l'intelligence animale, si
émotionnelle et si méconnue alors même que beaucoup d'humains ne
sont pas « câblés » si différemment et peuvent en
souffrir en particulier car domine une seule forme d'intelligence, la
dite « rationnelle ». Et, encore une fois, on voit où
elle nous a menés donc en s'intéressant en apparence aux autres
animaux, c'est en fait encore et toujours de nous qu'il s'agit, de
grandir et se grandir enfin un peu (pas s'augmenter, ça c'est un
autre sujet). Concernant les films, Saigneurs
(sans mauvais jeu de mots avec une quelconque divinité, bien que les
religions aient sans doute à voir de longue date avec le thème),
documente l'enfer des abattoirs dont je ne cesse avec d'autres de réclamer la
transparence au sens matériel du terme. Assez de se cacher derrière
la propriété privée et regardons donc tous en face ce qui NOUS
concerne en tant que collectivité ! Aussi, ne pas démoniser
les gens qui travaillent dans ces lieux semble important pour
retrouver justement un peu d'humanité et essayer d'aborder de
manière moins passionnée un débat forcément passionnel puisqu'il
a trait à la vie et à la mort. Enfin, le site des Rencontre de
l'alimentation durable, événement qui se tient régulièrement et a
eu lieu cette année en ligne pour les raisons que l'on sait, met
judicieusement ces questions en perspective en posant la question des
systèmes alimentaires à construire avec une certaine urgence
maintenant. Où on retrouve de « vieux dadas »
(dadaïstes?;)) de LocoBio tels que la reterritorialisation,
c'est-à-dire redonner au local sa part dans un développement cette
fois-ci harmonieux, entre justice sociale et santé.
Pour revenir aux deux parties principales de la revue, il s'agit
d'abord dans un premier temps d'observer les faits et de réfléchir
à partir d'une multitude de données sur une multitude d'aspects.
Ensuite, place à un éclairage plus personnalisé sur la base de 9
reportages tous aussi passionnants les uns que les autres. Mais
avant, je voudrais dire combien je suis d'accord avec le prologue
écrit par la directrice de collection, Emmanuelle Vibert. Elle
souligne l'aspect individuel et collectif de la question, insistant
sur notre propre pouvoir mais aussi sur la nécessité de « réfléchir
aux règles communes susceptibles d'influencer le cours de la
mutation ». Cela va de la généralisation des menus
végétariens à l'interdiction de l'élevage industriel en passant
par la taxation de la viande. Sujets polémiques s'il en est. Elle
termine surtout sur les conditions d'un bon débat, sans s'étriper
(et pour cause), qualifiant à juste titre de « fondamentale »
notre capacité à débattre malgré nos désaccords. Vu la situation
actuelle très clivée et volontairement clivante (rien de tel que le
clivage pour assurer la promotion sociale des analphabètes et des
arrivistes, surtout sur de bonnes vieilles questions aussi vulgaires
que périmées), il est utile de poser en premier lieu ce principe,
de formuler ce souhait et de publier cette revue pour faire sa part
citoyenne.
Je
dois vous dire que la première partie donne un peu -positivement- le
tournis car elle est très très fournie mais surtout parce que ce
sont les données en elles-mêmes qui donnent le tournis. J'en
donnerai quelques unes pour fixer un cadre général à la
réflexion :
-
Selon la FAO (c'est-à-dire une source fiable -pas des gens louches
comme L214 ou Greenpeace;)-, une institution respectable car
rattachée à l'ONU pour s'occuper de tout ce qui a trait à la
nourriture), l'élevage est responsable de 14,5% des émissions de
gaz à effet de serre au niveau mondial. Cela peut sembler peu au
regard des 32% de l'industrie, des 18,5% du bâti, et des 14,5% des
transports mais non, ce n'est pas une raison d'abord parce que
l'agriculture dans son ensemble et la gestion forestière assument
le quart de cette toxicité et ensuite parce que tous les secteurs
doivent se retrousser les manches pour activer un changement.
-
70 à 80% des terres agricoles servent à l'alimentation du bétail
et aux pâturages, donc clairement cette proportion pourrait être
réduite pour nourrir directement les hommes s'il s'agissait de
céréales, de fruits et de légumes.
-
La Fao, toujours elle, constate au passage les ravages sur la
biodiversité et sur la forte consommation en eau... ce qui
interroge dans un contexte où le changement climatique occasionne
déjà des sécheresses et pas que loin, en Afrique, au Sahara ou ailleurs.
Demandez aux Siciliens et plus généralement aux Italiens
en-dessous de Rome : ils peuvent déjà vous parler de ces
changements (en mal et non ponctuels). Que dire de toute
l'Andalousie qui risque de devoir arrêter la culture de la vigne
alors qu'elle est plus qu'ancestrale et pourvoyeuse d'énormes
revenus en Espagne ?
-
On estime à environ 1/5è la baisse potentielle des émissions de
gaz à effet de serre si les élèves choisissaient le menu
végétarien en France. Personnellement, au point où on en est des
restrictions imposées dans le cadre de ladite « gestion de
la crise sanitaire », j'en viens à me poser des questions sur
cette notion de choix. Plus sérieusement, à partir du moment où
des libertés sont bafouées de manière discutable et d'ailleurs
discutée ne serait-ce que régulièrement par la Défenseure des
droits, que les gens sont visiblement acquis à la cause de la
docilité « volontaire », alors pourquoi encore laisser
le choix quand il s'agit du climat ? Excusez si cette période
a redonné des ailes à un côté un brin autoritaire mais c'est
vrai quoi, à quand une bonne dictature verte... pour la bonne
cause ? A partir du moment où les menus sont équilibrés et
des professionnels sont payés sur les deniers publics pour y
veiller ; et à partir du moment où on n'abandonne pas les
éleveurs en leur disant ben merci mais maintenant on va faire du
végé, on va appeler «viande » ce qui en est bizarrement
-après tout comme déjà le fromage (syndrôme Vache qui rit) et le
jambon (reconstitution pornographique de miettes de poulets se
demandant ce qu'ils ont bien pu faire au Bon Dieu pour se retrouver
là ensemble en pareille circonstance)- et vous vous débrouillez
pour gérer votre transition qui est en fait la nôtre à nous tous,
sincèrement je ne vois pas où est le problème. En même temps,
dans un pays comme la France, manger tout végé ça ne risque pas
d'arriver tout de suite, et d'ailleurs ce n'est peut-être pas le
sujet, donc il y a le temps de s'organiser et que les pouvoirs
publics soutiennent équitablement les filières innovantes en
matière de végétarisme (je parle des vrais agriculteurs, pas des
bio-tech en embuscade pour nous faire avaler des compléments
alimentaires à la place de vrais bons repas goûteux et
conviviaux).
-
20
à 30% des vaches laitières souffrent, c'est vraiment dommage pour
elles car c'est leur cœur de « métier »,
d'inflammations aux mamelles. Vous me direz que tout le monde s'en
fout un peu d'abord parce qu'on ne le sait pas et ensuite parce que
ce sont des femelles donc enfanter dans la douleur pour elles c'est
normal et si ça dure et si ça se répète tant pis, et même que
de toute façon elles vont finir à la casserole et pas au Club Med
pour la retraite.
-
Sur la dimension du sujet : l'écrasante majorité des animaux
ne voient jamais le jour de toute leur p... de vie, à part les
petits veinard.e.s (relatif) que sont les bovins et les poules
pondeuses. Sauf erreur de ma part, j'ai compté quasi 1 milliard
d'animaux au total, en France, par an. Sachant que nous sommes
environ 67 millions d'habitants, cela fait environ 15 animaux
exploités par habitant, donc un peu plus d'1 par mois (toutes
tailles confondues, du lapin à la vache). Cela va de pair avec un
autre chiffre, à savoir que nous comptons, malgré une baisse
notable et à saluer comme telle, parmi les plus gros consommateurs
de viande au monde : 79 kg par personne et par an.
-
En matière de consommation mondiale de viande, la tendance est plus
que préoccupante car l'essor du système capitaliste avec ses
représentations et ses pratiques se traduit par des explosions
comme au Vietnam (+335,85%) et montre bien qu'une transition
alimentaire sans viande s'esquisse à peine, relève limite d'une
utopie non réalisable. Or toute la question est : rien que du
point de vue des enjeux climatiques et sans même parler d'éthique,
a-t-on encore le temps et peut-on encore se payer le luxe de
diffuser partout le modèle du burger-roi ?
-
Les chiffres du gaspillage ne donnent pas plus le moral, donc
incitent à un regain d'action : en France, 13% des produits
animaux sont perdus ou gaspillés chaque année. On estime la valeur
commerciale de cette perte à environ 10 milliards.
Ouf !
Et non, pas ouf ! Car cette partie n'est pas finie. Son mérite
n'est pas d'aligner les chiffres pour les chiffres mais au contraire
de rendre enfin visible ce qui est comme par hasard invisibilisé. A
savoir :
-
la présence de la chair animale là où on ne s'y attendrait pas,
et pourtant. Les exemples du porc dans les bonbons ou de la
cochenille dans les glaces sont désormais sortis de la
confidentialité. Encore faut-il qu'ils apparaissent clairement sur
les étiquettes (ah le marketing, ah la législation...) et c'est
bien le problème dans le vin qui peut recourir à toutes sortes de
produits animaux comme des os de bovins, des arêtes de poisson ou
des œufs.
-
C'est bien dommage pour continuer à les exploiter impunément, mais
la réalité scientifique prouve de plus en plus que les animaux non
seulement souffrent mais ont une conscience. Ne parlons même pas
des recherches sur le règne végétal qui débutent en définitive
à peine, tendent à aller dans le même sens et devraient
sérieusement nous faire réfléchir sur le monopole que nous nous
sommes octroyé en la matière. Évolution, vous avez dit
évolution ?
-
Un des combles de l'invisibilité, même si là encore il y a du
progrès : le fait que, bien sûr, il faut tuer pour produire des
produits laitiers. Ne pas savoir cela, ne plus y penser, voilà bien
une preuve de plus de notre déconnection et de notre inculture
scientifique de base. Cela me fait penser à une copine rencontrée
chez un agriculteur à qui elle était venue donner un coup de main
alors qu'elle traversait une crise existentielle (typique des à bouts de souffles urbains;)). Au
bout de quelques mois, estimant qu'elle avait fait le tour du sujet
des végétaux, elle a voulu aller tâter du fromage, se rapprocher
des bêtes et voir comment on fabrique le fromage. Moi, je n'ai rien
dit, je savais, je savais aussi pourquoi par poltronnerie jamais je
ne m'embarquerais dans pareille aventure... et je l'ai vue revenir
au bout de quelques temps légèrement moins la fleur au fusil.
C'est qu'elle avait vu la naissance si touchante des chevreaux,
laquelle déclenche la production de lait et permet la fabrication
de fromage. Le seul souci, c'est qu'elle avait aussi vu la moitié
des chevreaux en question embarqués pour l'abattoir car une fois
qu'ils ont « servi » à déclencher la production d'un
liquide qui leur est en principe destiné mais qui est détourné
de sa fonction première au profit des humains, eh bien c'est
dommage mais on les dégage. C'est raide mais c'est comme ça, telle
est la crue vérité. Inutile de dire que j'ai souri en coin, en vraie poltronne que je suis et je lui ai tendu à mâcher un peu
de roquette pour se ressaisir les papilles puis par voie de
conséquence le cerveau. Eh oui, dur dur la découverte de la
« Nature », pas de tout repos de passer de l'autre côté
du décor, petite Alice des champs au fond si touchante.
-
Pour rendre visible, il y a la méthode L214 assez directe et qui
dérange forcément, surtout qui n'est pas en règle avec la
législation animale déjà assez minimaliste, mais dont les progrès
font l'objet d'un focus p.35. Il y a aussi la démarche originale et
sans doute tout aussi nécessaire de la plasticienne et chercheuse
en sciences de l'art Elsa Maury qui, avec le documentaire « Nous
la mangerons, c'est la moindre des choses », a souhaité
raconter la mort des animaux que nous consommons. Il est certain que
nos sociétés ont un problème avec la mort, on peut quand même le
comprendre car ce n'est pas la perspective la plus dingue de
l'existence, mais quand même... l'évacuer à ce point là du
paysage, croire que dissimuler, écarter géographiquement aussi
bien les cimetières que les abattoirs, si cela ne révèle pas une
bonne solide névrose. Tu parles d'une déconnection d'avec le
vivant, en voilà encore un des symptômes car la mort est
naturelle. En revanche, notre déni est bien culturel. Cela est une
source d'espoir puisque, comme pour toute construction sociale, nous
pouvons reprendre la main afin de modifier positivement les choses
et cesser de séparer le vivant de la mort de même que nous
séparons tous en règnes, en genres, en partie haute et basse de
tous les corps, etc etc... Ah cette chère pensée occidentale duale
qui nous a allégrement plantés et dont il faut vite,
définitivement se sortir.
-
Enfin en matière d'invisibilité, la production de poisson
d'élevage se pose là aussi. On peut y voir une solution pour
éviter la surpêche dans les mers et océans ; certes, mais à
certaines conditions car l'Afrique fait une fois de plus les frais
de la concurrence autour de cette ressource nécessaire... dans un
cas pour les populations locales, comme source d'alimentation, et
dans un autre comme source d'alimentation mais pour les poissons
d'élevage de pays comme le nôtre. Pas cool, hein ? Ethique,
ça ?
Après ce tournis d'informations aussi intéressantes les unes que
les autre en première partie -et encore, je passe sur un point afin
de s'y retrouver dans la jungle des labels ou encore un article très
intéressant sur l'importance de maintenir probablement (…) des
animaux d'élevage dans le cadre d'une agriculture redevenue moins
intensive, à vous de jouer et lire-, la revue nous gratifie de
splendides reportages sur des chefs, des bouchers, des éleveurs, des
industriels, des pêcheurs, des permaculteurs marins (si si, ça
existe) et autres plongeurs-cueilleurs. Tous sont à la recherche de
solutions parce qu'ils sont conscients que le système alimentaire
actuel n'est pas durable en soi, je veux dire au regard de données
on dira «objectives» comme le changement climatique. Mais qu'il ne
l'est pas non plus pour des raisons on dira plus «subjectives »
comme l'absence totale d'humanité face à ce(ux) que l'on mange.
Bien sûr, il ne faut pas être naïf et certains peuvent aussi
vouloir développer une activité pour des motifs relevant de
l'économie classique et c'est l'Histoire qui dira, sur le long
terme, ce qui anime réellement chacun, qui aura raison ou pas au
regard des grandes évolutions souhaitables et réalisables.
Innovation, start-up, recherche de valeur-ajoutée via l'argument
d'animaux mieux élevés voire mieux tués... tout ce petit monde
cohabite gentiment et c'est bien le mérite des promoteurs de cette
revue de ne pas juger et de faire finalement bien leur travail de
journalistes en montrant ce qui est. Je dois dire que ce n'est pas
mon cas car ma posture est différente et, si je cherche bien à
informer, j'ai un avis sur la question; c'est précisément ce qui
m'a amenée à m'intéresser à ce numéro. Et je dois dire que mon
avis sort renforcé (comme toute personne de mauvaise foi?;)) après
la lecture de ce véritable opus car, décidément, il existe une
ligne de partage de fait marquée et non pas clivée sur le sujet. En
effet, la question posée en couverture « Peut-on être un
carnivore éthique ? » appelle selon moi une réponse
négative. Certes, on peut se dire que, justement, mieux élever
(plus de plein air, par exemple) et mieux tuer (revenir à des
abattoirs de proximité pour éviter des conditions de transport
génératrices de souffrance, autre exemple), cela relève d'une
démarche éthique. Et donc concilier les deux est possible.
Autrement dit, l'éthique (entendue comme l'ensemble des valeurs et
règles de conduite tant individuelles que collectives) serait
soluble dans un certain pragmatisme, voire la poursuite d'un certain
cynisme. Car comme le rappelle la passionnante interview d'Emilie
Dardenne, chercheuse et enseignante, « Il n'y a pas de viande
heureuse » et donc à partir du moment où se nourrir de chair
animale n'est pas nécessaire à notre survie, on peut se demander à
quel titre et pour quelle raison, profondément, on poursuit
sciemment une telle boucherie. A ce sujet, je suis surprise et quand
même assez choquée de la prise de position du philosophe italien
qui avance un peu vite des idées comme : « Refuser de
tuer les animaux pour les manger relève d'une éthique somme toute
très religieuse. Ceux qui refusent la chair animale ne s'intéressent
pas à la réalité, ils veulent juste soulager leur conscience afin
de se soustraire à la culpabilité et cherchent une forme de pureté
de l'âme humaine. Or la pureté n'existe pas » (p.23). Sans
vouloir offenser mes propres amis italiens, je trouve que cette
réflexion est justement très italienne, elle-même emprunte de toute la
religiosité dont la culture italienne est encore emprunte; et on ne
peut pas dire que cela contribue comme nulle part d'ailleurs à élever
le niveau des consciences et des pratiques respectueuses du vivant,
QUEL QUE SOIT LE VIVANT. Et après on dira que le sectarisme ne se
trouve que d'un côté alors que tout l'enjeu est sans doute
d'élargir enfin le champ de notre conscience, qu'elle parvienne
enfin à embrasser la réalité, toute la réalité, c'est à se
demander qui est le plus de mauvaise foi. Personnellement, si je
comprends que se pose la question de poursuivre notre consommation
actuelle, de pourquoi pas manger les espèces invasives pour faire
d'une pierre deux coups le règlement de ce problème en fait lié à
notre impact sur la Terre, de manger et faire manger aux autres
animaux des insectes, je préfère PARCE QU'ELLE ME SEMBLE LA MIEUX
POUR NOTRE HUMANITÉ et bien évidemment pour tout ce qui
l' "entoure " adopter la vision plus sage et
équilibrée de peuples comme les autochtones du Québec. Il n'est
désormais plus un scoop pour personne que la vision occidentale qui
s'est imposée à coups de violence physique et d'acculturation n'a rien à
voir avec leur vision plus respectueuse et équilibrée. Les
travaux de l'anthropologue Philippe Descola l'ont assez montré et
c'est une bonne chose que l'interview de Melissa Mollen Dupuis,
elle-même issue de l'un de ces peuples, le rappelle. Et là encore,
contrairement à ce qui est souvent dit, il n'y a pas de jugement et
encore moins d'absence de consommation de chair animale. Il s'agit
simplement mais fermement, on dira « radicalement »,
d'une conception beaucoup plus soucieuse de plus d'attention, de
moins de gaspillage... et surtout de plus de lien avec une
spiritualité encore vivante. Il reste évidemment la question du
droit, enfin de l'éthique bizarre en vertu de laquelle on s'arroge
la possibilité d'exploiter d'autres espèces, et donc de les tuer
pour les manger. Il s'agit là d'une réelle ligne de partage qui
appelle sans doute encore beaucoup, beaucoup d'évolutions. Mais disons
que
penser à nouveau comme les peuples premiers nous permettrait sans
doute de nous relier à une part déniée de nous-mêmes qui nous
fait précisément défaut au moment de faire le grand saut vers
l'étape d'après.
En définitive,
bravo et merci à cette revue qui relève avec brio son triple
défi : explorer les métamorphoses de notre quotidien, mettre à
mal les idées reçues et ouvrir le champ des possibles.
A mon avis,
l'éthique demeure un sacré champ des possibles et on n'en a pas
fini sur le sujet.
©Yolaine
de LocoBio,
Octobre
2021
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