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Chronique 115
31-10-2021

 

Ethique et carnivorisme, là est la question

 

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Au cas où vous ne feriez pas partie de mon fan club, tout d'abord bienvenue, ensuite vous avez tort, enfin bienvenue dans un monde de chroniques souvent consacrées à la question de l'alimentation, de notre régime alimentaire et donc à celle de la consommation d'animaux. Il s'agit certes d'un intérêt personnel -et après tout j'ai le droit- mais aussi d'une question de société tant il est clair que ces questions posent problème et vont devoir trouver de substantielles solutions pour avancer sur le chemin de la Transition.

Dans ce contexte, je voudrais saluer et souhaiter bonne chance à une nouvelle revue publiée en partenariat par les Editions de l'Echiquier et l'Obs. Elle s'appelle « En mutation. Débattre des métamorphoses écologiques et sociales » et vous pouvez dès à présent vous procurer son n°1 consacré à une question plus que pertinente sur le fond et plus que d'actualité tout court : Peut-on être un carnivore éthique ? Très belle, notamment grâce à ses nombreuses illustrations et à une véritable identité graphique d'ores et déjà affirmée, elle est aussi agréable à manier et coûte finalement le prix d'un livre tout simplement parce que son contenu, sur 160 pages, s'apparente de par son effort informatif à un véritable ouvrage. J'en profite pour vous signaler et vous encourager dès à présent à commander le n°2 au prix de 15 euros ; il est prévu pour le printemps prochain.

Dans l'immédiat, ce numéro se compose principalement de deux grandes parties enrichies d'un espace pour aller plus loin sur la question grâce à des livres, des bd, des films et des sites. Connaissant ma sensibilité littéraire (et pas que, puisque c'est l'un de mes métiers!), vous ne serez pas surpris que j'y relève Le mépris des bêtes. Un lexique de la ségrégation animale où, chez Flammarion et pour à peine plus de 7 euros, une chercheuse recense les (trop) nombreuses expressions rabaissant les « animaux ». Je mets des guillemets car les premiers devant être appelés ainsi, c'est nous, gag ! C'est pas moi qui le dit, c'est la biologie ! Le plus grave, mine de rien, quand on dit un truc en apparence banal « tu es bête ! » (sans parler de « con »...), c'est que cela révèle non seulement une vision rabaissante des autres animaux mais en fait toute une vision du monde contestable non seulement sur le plan éthique qui devrait nous distinguer mais en plus sur le plan scientifique car mettre ainsi des séparations et de la supériorité relève bien peu d'une pensée écosystémique, même écologique. Il serait donc temps que nos représentations et nos productions culturelles, également censées refléter notre supériorité et notre identité d'humains, s'alignent avec la réalité du monde. Et surtout qu'on arrête aussi de dire que la réalité est relative, que c'est pas bien de dire qu'elle est noire ou blanche et qu'il y a des nuances. C'est faux et tout le monde commence à s'apercevoir de ce léger problème lié au fait d'être et de produire du désaxé (à prendre même dans le sens psychiatrique vu le point où on en est). Côté BD, Les cerveaux de la ferme. Au cœur des émotions et des perceptions animales (éditions de La Plage) permet d'aborder scientifiquement et avec quand même une certaine légèreté la question de l'intelligence animale, si émotionnelle et si méconnue alors même que beaucoup d'humains ne sont pas « câblés » si différemment et peuvent en souffrir en particulier car domine une seule forme d'intelligence, la dite « rationnelle ». Et, encore une fois, on voit où elle nous a menés donc en s'intéressant en apparence aux autres animaux, c'est en fait encore et toujours de nous qu'il s'agit, de grandir et se grandir enfin un peu (pas s'augmenter, ça c'est un autre sujet). Concernant les films, Saigneurs (sans mauvais jeu de mots avec une quelconque divinité, bien que les religions aient sans doute à voir de longue date avec le thème), documente l'enfer des abattoirs dont je ne cesse avec d'autres de réclamer la transparence au sens matériel du terme. Assez de se cacher derrière la propriété privée et regardons donc tous en face ce qui NOUS concerne en tant que collectivité ! Aussi, ne pas démoniser les gens qui travaillent dans ces lieux semble important pour retrouver justement un peu d'humanité et essayer d'aborder de manière moins passionnée un débat forcément passionnel puisqu'il a trait à la vie et à la mort. Enfin, le site des Rencontre de l'alimentation durable, événement qui se tient régulièrement et a eu lieu cette année en ligne pour les raisons que l'on sait, met judicieusement ces questions en perspective en posant la question des systèmes alimentaires à construire avec une certaine urgence maintenant. Où on retrouve de « vieux dadas » (dadaïstes?;)) de LocoBio tels que la reterritorialisation, c'est-à-dire redonner au local sa part dans un développement cette fois-ci harmonieux, entre justice sociale et santé.


Pour revenir aux deux parties principales de la revue, il s'agit d'abord dans un premier temps d'observer les faits et de réfléchir à partir d'une multitude de données sur une multitude d'aspects. Ensuite, place à un éclairage plus personnalisé sur la base de 9 reportages tous aussi passionnants les uns que les autres. Mais avant, je voudrais dire combien je suis d'accord avec le prologue écrit par la directrice de collection, Emmanuelle Vibert. Elle souligne l'aspect individuel et collectif de la question, insistant sur notre propre pouvoir mais aussi sur la nécessité de « réfléchir aux règles communes susceptibles d'influencer le cours de la mutation ». Cela va de la généralisation des menus végétariens à l'interdiction de l'élevage industriel en passant par la taxation de la viande. Sujets polémiques s'il en est. Elle termine surtout sur les conditions d'un bon débat, sans s'étriper (et pour cause), qualifiant à juste titre de « fondamentale » notre capacité à débattre malgré nos désaccords. Vu la situation actuelle très clivée et volontairement clivante (rien de tel que le clivage pour assurer la promotion sociale des analphabètes et des arrivistes, surtout sur de bonnes vieilles questions aussi vulgaires que périmées), il est utile de poser en premier lieu ce principe, de formuler ce souhait et de publier cette revue pour faire sa part citoyenne.


Je dois vous dire que la première partie donne un peu -positivement- le tournis car elle est très très fournie mais surtout parce que ce sont les données en elles-mêmes qui donnent le tournis. J'en donnerai quelques unes pour fixer un cadre général à la réflexion :

  • Selon la FAO (c'est-à-dire une source fiable -pas des gens louches comme L214 ou Greenpeace;)-, une institution respectable car rattachée à l'ONU pour s'occuper de tout ce qui a trait à la nourriture), l'élevage est responsable de 14,5% des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. Cela peut sembler peu au regard des 32% de l'industrie, des 18,5% du bâti, et des 14,5% des transports mais non, ce n'est pas une raison d'abord parce que l'agriculture dans son ensemble et la gestion forestière assument le quart de cette toxicité et ensuite parce que tous les secteurs doivent se retrousser les manches pour activer un changement.

  • 70 à 80% des terres agricoles servent à l'alimentation du bétail et aux pâturages, donc clairement cette proportion pourrait être réduite pour nourrir directement les hommes s'il s'agissait de céréales, de fruits et de légumes.

  • La Fao, toujours elle, constate au passage les ravages sur la biodiversité et sur la forte consommation en eau... ce qui interroge dans un contexte où le changement climatique occasionne déjà des sécheresses et pas que loin, en Afrique, au Sahara ou ailleurs. Demandez aux Siciliens et plus généralement aux Italiens en-dessous de Rome : ils peuvent déjà vous parler de ces changements (en mal et non ponctuels). Que dire de toute l'Andalousie qui risque de devoir arrêter la culture de la vigne alors qu'elle est plus qu'ancestrale et pourvoyeuse d'énormes revenus en Espagne ?

  • On estime à environ 1/5è la baisse potentielle des émissions de gaz à effet de serre si les élèves choisissaient le menu végétarien en France. Personnellement, au point où on en est des restrictions imposées dans le cadre de ladite « gestion de la crise sanitaire », j'en viens à me poser des questions sur cette notion de choix. Plus sérieusement, à partir du moment où des libertés sont bafouées de manière discutable et d'ailleurs discutée ne serait-ce que régulièrement par la Défenseure des droits, que les gens sont visiblement acquis à la cause de la docilité « volontaire », alors pourquoi encore laisser le choix quand il s'agit du climat ? Excusez si cette période a redonné des ailes à un côté un brin autoritaire mais c'est vrai quoi, à quand une bonne dictature verte... pour la bonne cause ? A partir du moment où les menus sont équilibrés et des professionnels sont payés sur les deniers publics pour y veiller ; et à partir du moment où on n'abandonne pas les éleveurs en leur disant ben merci mais maintenant on va faire du végé, on va appeler «viande » ce qui en est bizarrement -après tout comme déjà le fromage (syndrôme Vache qui rit) et le jambon (reconstitution pornographique de miettes de poulets se demandant ce qu'ils ont bien pu faire au Bon Dieu pour se retrouver là ensemble en pareille circonstance)- et vous vous débrouillez pour gérer votre transition qui est en fait la nôtre à nous tous, sincèrement je ne vois pas où est le problème. En même temps, dans un pays comme la France, manger tout végé ça ne risque pas d'arriver tout de suite, et d'ailleurs ce n'est peut-être pas le sujet, donc il y a le temps de s'organiser et que les pouvoirs publics soutiennent équitablement les filières innovantes en matière de végétarisme (je parle des vrais agriculteurs, pas des bio-tech en embuscade pour nous faire avaler des compléments alimentaires à la place de vrais bons repas goûteux et conviviaux).

  • 20 à 30% des vaches laitières souffrent, c'est vraiment dommage pour elles car c'est leur cœur de « métier », d'inflammations aux mamelles. Vous me direz que tout le monde s'en fout un peu d'abord parce qu'on ne le sait pas et ensuite parce que ce sont des femelles donc enfanter dans la douleur pour elles c'est normal et si ça dure et si ça se répète tant pis, et même que de toute façon elles vont finir à la casserole et pas au Club Med pour la retraite.

  • Sur la dimension du sujet : l'écrasante majorité des animaux ne voient jamais le jour de toute leur p... de vie, à part les petits veinard.e.s (relatif) que sont les bovins et les poules pondeuses. Sauf erreur de ma part, j'ai compté quasi 1 milliard d'animaux au total, en France, par an. Sachant que nous sommes environ 67 millions d'habitants, cela fait environ 15 animaux exploités par habitant, donc un peu plus d'1 par mois (toutes tailles confondues, du lapin à la vache). Cela va de pair avec un autre chiffre, à savoir que nous comptons, malgré une baisse notable et à saluer comme telle, parmi les plus gros consommateurs de viande au monde : 79 kg par personne et par an.

  • En matière de consommation mondiale de viande, la tendance est plus que préoccupante car l'essor du système capitaliste avec ses représentations et ses pratiques se traduit par des explosions comme au Vietnam (+335,85%) et montre bien qu'une transition alimentaire sans viande s'esquisse à peine, relève limite d'une utopie non réalisable. Or toute la question est : rien que du point de vue des enjeux climatiques et sans même parler d'éthique, a-t-on encore le temps et peut-on encore se payer le luxe de diffuser partout le modèle du burger-roi ?

  • Les chiffres du gaspillage ne donnent pas plus le moral, donc incitent à un regain d'action : en France, 13% des produits animaux sont perdus ou gaspillés chaque année. On estime la valeur commerciale de cette perte à environ 10 milliards.


Ouf !

Et non, pas ouf ! Car cette partie n'est pas finie. Son mérite n'est pas d'aligner les chiffres pour les chiffres mais au contraire de rendre enfin visible ce qui est comme par hasard invisibilisé. A savoir :

  • la présence de la chair animale là où on ne s'y attendrait pas, et pourtant. Les exemples du porc dans les bonbons ou de la cochenille dans les glaces sont désormais sortis de la confidentialité. Encore faut-il qu'ils apparaissent clairement sur les étiquettes (ah le marketing, ah la législation...) et c'est bien le problème dans le vin qui peut recourir à toutes sortes de produits animaux comme des os de bovins, des arêtes de poisson ou des œufs.

  • C'est bien dommage pour continuer à les exploiter impunément, mais la réalité scientifique prouve de plus en plus que les animaux non seulement souffrent mais ont une conscience. Ne parlons même pas des recherches sur le règne végétal qui débutent en définitive à peine, tendent à aller dans le même sens et devraient sérieusement nous faire réfléchir sur le monopole que nous nous sommes octroyé en la matière. Évolution, vous avez dit évolution ?

  • Un des combles de l'invisibilité, même si là encore il y a du progrès : le fait que, bien sûr, il faut tuer pour produire des produits laitiers. Ne pas savoir cela, ne plus y penser, voilà bien une preuve de plus de notre déconnection et de notre inculture scientifique de base. Cela me fait penser à une copine rencontrée chez un agriculteur à qui elle était venue donner un coup de main alors qu'elle traversait une crise existentielle (typique des à bouts de souffles urbains;)). Au bout de quelques mois, estimant qu'elle avait fait le tour du sujet des végétaux, elle a voulu aller tâter du fromage, se rapprocher des bêtes et voir comment on fabrique le fromage. Moi, je n'ai rien dit, je savais, je savais aussi pourquoi par poltronnerie jamais je ne m'embarquerais dans pareille aventure... et je l'ai vue revenir au bout de quelques temps légèrement moins la fleur au fusil. C'est qu'elle avait vu la naissance si touchante des chevreaux, laquelle déclenche la production de lait et permet la fabrication de fromage. Le seul souci, c'est qu'elle avait aussi vu la moitié des chevreaux en question embarqués pour l'abattoir car une fois qu'ils ont « servi » à déclencher la production d'un liquide qui leur est en principe destiné mais qui est détourné de sa fonction première au profit des humains, eh bien c'est dommage mais on les dégage. C'est raide mais c'est comme ça, telle est la crue vérité. Inutile de dire que j'ai souri en coin, en vraie poltronne que je suis et je lui ai tendu à mâcher un peu de roquette pour se ressaisir les papilles puis par voie de conséquence le cerveau. Eh oui, dur dur la découverte de la « Nature », pas de tout repos de passer de l'autre côté du décor, petite Alice des champs au fond si touchante.

  • Pour rendre visible, il y a la méthode L214 assez directe et qui dérange forcément, surtout qui n'est pas en règle avec la législation animale déjà assez minimaliste, mais dont les progrès font l'objet d'un focus p.35. Il y a aussi la démarche originale et sans doute tout aussi nécessaire de la plasticienne et chercheuse en sciences de l'art Elsa Maury qui, avec le documentaire « Nous la mangerons, c'est la moindre des choses », a souhaité raconter la mort des animaux que nous consommons. Il est certain que nos sociétés ont un problème avec la mort, on peut quand même le comprendre car ce n'est pas la perspective la plus dingue de l'existence, mais quand même... l'évacuer à ce point là du paysage, croire que dissimuler, écarter géographiquement aussi bien les cimetières que les abattoirs, si cela ne révèle pas une bonne solide névrose. Tu parles d'une déconnection d'avec le vivant, en voilà encore un des symptômes car la mort est naturelle. En revanche, notre déni est bien culturel. Cela est une source d'espoir puisque, comme pour toute construction sociale, nous pouvons reprendre la main afin de modifier positivement les choses et cesser de séparer le vivant de la mort de même que nous séparons tous en règnes, en genres, en partie haute et basse de tous les corps, etc etc... Ah cette chère pensée occidentale duale qui nous a allégrement plantés et dont il faut vite, définitivement se sortir.

  • Enfin en matière d'invisibilité, la production de poisson d'élevage se pose là aussi. On peut y voir une solution pour éviter la surpêche dans les mers et océans ; certes, mais à certaines conditions car l'Afrique fait une fois de plus les frais de la concurrence autour de cette ressource nécessaire... dans un cas pour les populations locales, comme source d'alimentation, et dans un autre comme source d'alimentation mais pour les poissons d'élevage de pays comme le nôtre. Pas cool, hein ? Ethique, ça ?


Après ce tournis d'informations aussi intéressantes les unes que les autre en première partie -et encore, je passe sur un point afin de s'y retrouver dans la jungle des labels ou encore un article très intéressant sur l'importance de maintenir probablement (…) des animaux d'élevage dans le cadre d'une agriculture redevenue moins intensive, à vous de jouer et lire-, la revue nous gratifie de splendides reportages sur des chefs, des bouchers, des éleveurs, des industriels, des pêcheurs, des permaculteurs marins (si si, ça existe) et autres plongeurs-cueilleurs. Tous sont à la recherche de solutions parce qu'ils sont conscients que le système alimentaire actuel n'est pas durable en soi, je veux dire au regard de données on dira «objectives» comme le changement climatique. Mais qu'il ne l'est pas non plus pour des raisons on dira plus «subjectives » comme l'absence totale d'humanité face à ce(ux) que l'on mange. Bien sûr, il ne faut pas être naïf et certains peuvent aussi vouloir développer une activité pour des motifs relevant de l'économie classique et c'est l'Histoire qui dira, sur le long terme, ce qui anime réellement chacun, qui aura raison ou pas au regard des grandes évolutions souhaitables et réalisables. Innovation, start-up, recherche de valeur-ajoutée via l'argument d'animaux mieux élevés voire mieux tués... tout ce petit monde cohabite gentiment et c'est bien le mérite des promoteurs de cette revue de ne pas juger et de faire finalement bien leur travail de journalistes en montrant ce qui est. Je dois dire que ce n'est pas mon cas car ma posture est différente et, si je cherche bien à informer, j'ai un avis sur la question; c'est précisément ce qui m'a amenée à m'intéresser à ce numéro. Et je dois dire que mon avis sort renforcé (comme toute personne de mauvaise foi?;)) après la lecture de ce véritable opus car, décidément, il existe une ligne de partage de fait marquée et non pas clivée sur le sujet. En effet, la question posée en couverture « Peut-on être un carnivore éthique ? » appelle selon moi une réponse négative. Certes, on peut se dire que, justement, mieux élever (plus de plein air, par exemple) et mieux tuer (revenir à des abattoirs de proximité pour éviter des conditions de transport génératrices de souffrance, autre exemple), cela relève d'une démarche éthique. Et donc concilier les deux est possible. Autrement dit, l'éthique (entendue comme l'ensemble des valeurs et règles de conduite tant individuelles que collectives) serait soluble dans un certain pragmatisme, voire la poursuite d'un certain cynisme. Car comme le rappelle la passionnante interview d'Emilie Dardenne, chercheuse et enseignante, « Il n'y a pas de viande heureuse » et donc à partir du moment où se nourrir de chair animale n'est pas nécessaire à notre survie, on peut se demander à quel titre et pour quelle raison, profondément, on poursuit sciemment une telle boucherie. A ce sujet, je suis surprise et quand même assez choquée de la prise de position du philosophe italien qui avance un peu vite des idées comme : « Refuser de tuer les animaux pour les manger relève d'une éthique somme toute très religieuse. Ceux qui refusent la chair animale ne s'intéressent pas à la réalité, ils veulent juste soulager leur conscience afin de se soustraire à la culpabilité et cherchent une forme de pureté de l'âme humaine. Or la pureté n'existe pas » (p.23). Sans vouloir offenser mes propres amis italiens, je trouve que cette réflexion est justement très italienne, elle-même emprunte de toute la religiosité dont la culture italienne est encore emprunte; et on ne peut pas dire que cela contribue comme nulle part d'ailleurs à élever le niveau des consciences et des pratiques respectueuses du vivant, QUEL QUE SOIT LE VIVANT. Et après on dira que le sectarisme ne se trouve que d'un côté alors que tout l'enjeu est sans doute d'élargir enfin le champ de notre conscience, qu'elle parvienne enfin à embrasser la réalité, toute la réalité, c'est à se demander qui est le plus de mauvaise foi. Personnellement, si je comprends que se pose la question de poursuivre notre consommation actuelle, de pourquoi pas manger les espèces invasives pour faire d'une pierre deux coups le règlement de ce problème en fait lié à notre impact sur la Terre, de manger et faire manger aux autres animaux des insectes, je préfère PARCE QU'ELLE ME SEMBLE LA MIEUX POUR NOTRE HUMANITÉ et bien évidemment pour tout ce qui l' "entoure " adopter la vision plus sage et équilibrée de peuples comme les autochtones du Québec. Il n'est désormais plus un scoop pour personne que la vision occidentale qui s'est imposée à coups de violence physique et d'acculturation n'a rien à voir avec leur vision plus respectueuse et équilibrée. Les travaux de l'anthropologue Philippe Descola l'ont assez montré et c'est une bonne chose que l'interview de Melissa Mollen Dupuis, elle-même issue de l'un de ces peuples, le rappelle. Et là encore, contrairement à ce qui est souvent dit, il n'y a pas de jugement et encore moins d'absence de consommation de chair animale. Il s'agit simplement mais fermement, on dira « radicalement », d'une conception beaucoup plus soucieuse de plus d'attention, de moins de gaspillage... et surtout de plus de lien avec une spiritualité encore vivante. Il reste évidemment la question du droit, enfin de l'éthique bizarre en vertu de laquelle on s'arroge la possibilité d'exploiter d'autres espèces, et donc de les tuer pour les manger. Il s'agit là d'une réelle ligne de partage qui appelle sans doute encore beaucoup, beaucoup d'évolutions. Mais disons que penser à nouveau comme les peuples premiers nous permettrait sans doute de nous relier à une part déniée de nous-mêmes qui nous fait précisément défaut au moment de faire le grand saut vers l'étape d'après.


En définitive, bravo et merci à cette revue qui relève avec brio son triple défi : explorer les métamorphoses de notre quotidien, mettre à mal les idées reçues et ouvrir le champ des possibles.

A mon avis, l'éthique demeure un sacré champ des possibles et on n'en a pas fini sur le sujet.



©Yolaine de LocoBio,

Octobre 2021

 
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