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Cogitations et actions
Chronique 114
30-10-2021

 

Note de lecture

Ce que dit la recherche sur la reterritorialisation de l'alimentation,

point focal pour LocoBio

 

  

Comme il est bon de prendre une certaine hauteur afin de voir en quoi elle pourrait inspirer l'action locale, j'ai comme à mon habitude regardé du côté de ce que disent non plus les acteurs de ce que l'on appelle désormais « la gouvernance alimentaire territoriale » mais les observateurs. Comme ce mouvement n'en est plus à ses débuts, il suscite en effet des études très intéressantes, parmi lesquelles celles de la géographe Camille Billion qui confronte 3 études de cas (Lyon, Nantes et Figeac en région Occitanie) à un outillage conceptuel que je connais assez bien puisqu'il s'agit de ma « planète d'origine », la science politique et l'un de ses sous-champs disciplinaires : l'analyse des politiques publiques. Bien que remontant à quelques années (2017) et c'est important à noter car les choses bougent assez dans ce paysage, j'ai choisi cet article initialement paru dans la revue Géocarrefour parce qu'il offre selon moi une clef de lecture optimale pour comprendre et accompagner ce qui se passe actuellement dans ce domaine.

Tout d'abord, un point important est de définir la gouvernance (par opposition à la notion classique de gouvernement et d'exercice monolithique, vertical du pouvoir). L'autrice reprend une définition communément admise : c'est un « processus de coordination d’acteurs, de groupes sociaux, d’institutions pour atteindre des buts discutés et définis collectivement ». Quant à la gouvernance territoriale, elle est ainsi entendue : «  processus dynamique de coordination […] entre des acteurs publics et privés aux identités multiples et aux ressources […] asymétriques autour d’enjeux territorialisés. Elle vise la construction collective d’objectifs et d’actions mettant en œuvre des dispositifs multiples […] qui reposent sur des apprentissages collectifs et participent des reconfigurations/innovations institutionnelles et organisationnelles au sein des territoires ». Cela permet à la chercheuse de proposer sa propre définition de la gouvernance alimentaire territoriale : « ensemble des processus de coordination des acteurs autour de l’alimentation à l’échelle territoriale, visant à favoriser leur organisation et limiter l’atomisation des initiatives touchant aux systèmes alimentaires ». Cette définition présente un intérêt car, comme toute définition, elle n'est pas neutre et reflète à la fois le prisme à travers lequel l'étude a été menée et un risque pour toute politique alimentaire locale, à savoir des initiatives qui ont certes lieu mais ne sont pas canalisées vers la réalisation d'un véritable objectif commun.


Ensuite, il est désormais indéniable que la question de la relocalisation de l'alimentation, principalement de la production agricole péri-urbaine, fait partie des agendas politiques à toutes les échelles d'action. Il ne s'agit pas d'un mouvement spécifiquement français mais ce qui est intéressant est justement la singularité de chaque équation en fonction du pays entendu au sens d'Etat ou de pays au sens de bassin de population. Si cette tendance de fond s'est imposée, c'est bien sûr à cause de crises comme celle de 2008 qui ont touché plusieurs pays mais aussi parce que chaque pays est diversement impacté par la poussée de thématiques connexes comme par exemple le lien entre nutrition et santé. En clair, il serait plus juste de parler de diverses formes de territorialisation de l'action publique plutôt que d'un seul mode de réappropriation d'une fonction vitale passée au rang d'impensé aussi proportionnellement que se sont développées les villes. Si cela vous semble paradoxal, je ne peux qu'être d'accord avec vous car il faudra encore que l'on m'explique comment on est passé d'une population majoritairement rurale, donc proche de sources d'alimentation, à une population majoritairement urbaine, donc déconnectée voire dépossédée de cette ressource, la déléguant à des tiers, sans faire preuve d'un minimum de bon sens et de prévoyance. Si on ajoute à cela que cette tendance ne fait qu'augmenter et qu'elle est mondiale, on comprend mieux la relative mobilisation générale actuelle et, enfin, la mise sur agenda qui est une étape à la fois clé et initiale pour espérer le développement de politiques publiques à proprement parler.


On constate donc un progrès significatif de la question alimentaire et cela s'est traduit, certes à des degrés variés, par la mise en place d'actions qui rencontrent un certain nombre d'obstacles. A noter que cela n'est pas surprenant car c'est le propre de tout changement d'être confronté à des résistances plus ou moins nettes, plus ou moins menaçantes pour l'ensemble du processus. Voici les freins que j'ai relevés et qui mériteraient tant réflexion qu'action sur le terrain :

  • Une première difficulté provient sans surprise des moyens, en particulier humains, alloués à ce type de politique. Afin de se lancer, une collectivité peut recruter un intérimaire et ne pas reconduire le poste une fois qu'elle aura estimé sa mission terminée. Cela pose évidemment le problème de la continuité de l'action. Or il est rare qu'un changement aussi qualitatif que quantitatif -et c'est bien le cas pour des systèmes alimentaires devant passer de la dépendance à l'autonomie, le tout sur fond de durabilité- se fasse dans de brefs délais. Bien évidemment, la question de la volonté politique, de la continuité de l'action même en cas d'alternance politique sont ici centrales. Tout ne peut pas reposer sur le passage aux manettes d'une personne convaincue et dynamique et il est important que des cadres assez fixes soient mis en place, pour certains incitatifs comme par exemple le PNA (programme national pour l'alimentation) qui organise des appels à projets et débloque des fonds.
  • Comme le montre un schéma, la question alimentaire est typique de ces nouvelles questions complexes qui imposent de voir et de travailler autrement, de manière intégrée ou systémique et transversale. Ici, on est entre cosmogonie et management, autant dire un vrai changement de paradigme qui impose de penser et pratiquer de manière transversale, multi-acteurs et multiscalaire. Autant dire profondément modifier notre culture en général et nos cultures politique et technocratique en particulier. Concrètement, cela impose à des services différents de travailler autour et pour l'alimentation au sein d'une même collectivité et avec d'autres collectivités plus de proximité ou au contraire plus « haut » comme une région. Sans parler du niveau gouvernemental et des instances européennes qui interviennent pour stimuler ce genre de politique à travers notamment des programmes comme Urbact. L'alimentation se situe de fait entre économie régionale, qualité de vie, emploi, justice sociale, éducation, environnement, santé et transport. Elle bouscule les organigrammes traditionnellement divisés par secteur conformément à la pensée dite « en silos ». A cela on peut rajouter le clivage lui aussi assez classique entre élus et techniciens.

  • Un 3ème aspect touche à la compétence au nom de laquelle, juridiquement, telle ou telle collectivité pourrait intervenir dans le champ alimentaire. Car elle ne fait pas partie de compétences expressément dédiées. Cela n'a pas empêché les collectivités d'intervenir indirectement sur elles et de renforcer cette action via les plans d'urbanisme par exemple. La question demeure de savoir s'il ne serait pas pertinent d'allouer spécifiquement cette compétence à une collectivité afin, quelque part, d'obliger à la prise en compte de cette question sur tout le territoire national. Reste à déterminer quel échelon serait le plus adapté et reste aussi à engager la collectivité en question à sortir du rôle d'animateur de territoire, de mobilisation et de coordination d'acteurs auquel elle a été et s'est souvent cantonnée jusqu'ici. Pour diverses raisons, parmi lesquelles celles évoquées dans les deux points précédents.

  • Schématiquement, la question de l'alimentation se situe entre gouvernement, société civile et marché. À l'échelle locale, cela signifie que pour la faire avancer, il est souhaitable que des acteurs provenant de ces trois horizons participent à l'élaboration et à la mise en œuvre des politiques. Or il a été constaté une sous-représentation des acteurs privés de la transformation et de la distribution et, dans une moindre mesure, de la société civile. Cela est dommage car prive certainement d'angles d'attaque potentiellement générateurs d'innovation et on en a besoin dans de tels domaines. Cela joue aussi sur la légitimité des politiques car selon qui y a participé, elles seront plus ou moins bien acceptées et finalement métabolisées. Lié à cet obstacle, il y a celui du choc des cultures autour de l'alimentation car il est certain que les acteurs privés sont en général réticents face aux alternatives alimentaires (plus de local et de bio, voire des régimes moins carnés) portées par la société civile. Donc mettre tout le monde autour d'une table pour penser un commun comme l'alimentation, il est certain qu'il reste un peu de chemin. Sans compter des collectivités qui peuvent se retrouver ensemble à définir un plan d'action avec des objectifs différents, voire parfois divergents : qui pousse le bio et qui pousse le local... parfois en arguant qu'on peut bien se passer du bio parce que le local l'est (enfin le serait) « naturellement ». Je n'exagère pas. C'est un discours récurrent, spécialement en région montagnarde, spécialement là où du fromage est produit.


En définitive, les tensions et les défis sont nombreux. Cela est normal car nous étions déjà en pleine effervescence et la pandémie n'a fait qu'accélérer la prise de conscience de notre vulnérabilité de même que la consommation de produits locaux. A quelque chose malheur est paraît-il bon alors espérons que cela va consolider le processus de réappropriation de la fonction vitale qu'est l'alimentation. Au-delà d'un enjeu de sécurité proprement dite, il y a celui de la santé et du mieux-vivre car manger plus local (et biologique) signifie manger plus frais, moins polluant et moins pollué tout en revivifiant tout un tissu local littéralement anémié par la croissance folle de villes difformes. Il n'est d'ailleurs pas anodin que les villages et petites villes soient les plus dynamiques en matière de politique alimentaire et fassent figure de laboratoires, voire d'exemples dont s'inspirer. Où il s'agit d'emplois, de paysages aussi, bref de toute une vie qu'on avait laissée déserter au nom d'un progrès dont on perçoit aujourd'hui les limites. Où il s'agit de lien, tout simplement, entre des êtres vivants et un territoire, autant dire s'habiter et habiter. Beau programme, non?


©Yolaine de LocoBio,

Octobre 2021

 
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