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Cogitations et actions
Chronique 112
28-10-2021

 

Autonomie alimentaire et résilience :

un livre qui va tout vous expliquer !

 

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Pour reprendre un slogan publicitaire, c'est un petit livre mais il fait le maximum. Pour tous ceux qui ne comprennent rien à ce sujet et voudraient que cela cesse. Pour les autres qui jusqu'ici s'en moquaient un peu mais commencent à se poser des questions enfin sérieuses et qui, comme les premiers, ne comprennent rien aux grands enjeux liés à cette question, et donc veulent comme eux que cela cesse. Pour les autres qui devront bien, bon gré mal gré s'y mettre et retrousser leurs manches s'ils veulent tout simplement avoir encore quelque chose à becter, eh bien voici LE livre par lequel il faut commencer. Il s'agit de Vers l'autonomie alimentaire. Pourquoi, comment et où cultiver ce que l'on mange ?, écrit par la journaliste Frédérique Basset, déjà co-autrice d'un livre sur les jardins partagés et d'un autre sur notre Gilles Clément national (à quand un prix Nobel de paysagiste-poète?). Vous l'aurez compris, nous sommes donc d'entrée de jeu dans la subversion car quelqu'un qui écrit sur pareils sujets, on peut dire que ça commence mal et qu'il faut se méfier. Surtout quand l'autrice en question se paie le luxe d'une version actualisée par des reportages (aussi instructifs qu'agréables à lire) sur des thèmes aussi suspects que la permaculture ou l'agroforesterie, c'est-à-dire l'association sur une même parcelle d'arbres et de cultures vivrières. Je passe mais quand même : que dire d'un éditeur, en l'occurrence Rue de L'Echiquier, qui en rééditant ce livre initialement paru en 2012, au prix modique d'un « écopoche » concourt à une subversion généralisée ? Surtout quand le même éditeur est connu pour de nombreuses et récurrentes publications contribuant à un bien sombre mouvement appelé, quoi ?, « Transition » ? Je vous laisse regarder leur catalogue et vous abonner à leur newsletter pour vous faire une idée, voire faire un peu de veille afin d'en référer aux hautes, très hautes autorités, au cas où une limite rouge serait franchie et qu'il faille intervenir pour faire cesser tant d'excès sous prétexte de liberté d'expression et de devoir d'information.

Bon, trêve de plaisanterie circonstanciée, en quoi ce petit livre est-il aussi riche que dans votre main léger ? Parce qu'il explique (et défend) dans une première partie la nécessité de sortir un besoin vital -s'alimenter physiquement mais aussi psychiquement, individuellement et collectivement- de la dépendance dans laquelle le basculement dans un système capitaliste mondialisé de type il faut bien le dire néo-colonial à constante impérialiste nous a tous plongés. L'introduction remet toute cette évolution dans le temps long en rappelant notre passé de chasseurs-cueilleurs puis le développement de l'agriculture et le coup d'accélérateur autant que de folie avec la prédominance d'une agriculture intensive malsaine à trop de points de vue. Le problème, et on rejoint ici la nature impérialiste de cette évolution, c'est qu'elle n'allait pas de soi déjà en elle-même (quel débat ? encore les décideurs économiques qui prennent par surprise et en otage tout le monde?), mais en plus elle s'est propagée via "l'occidentalisation du monde" décrite par un de mes maîtres en Science Politique, Bertrand Badie, en 1992. On se retrouve donc à devoir changer de modèle agricole pour éviter à l' « environnement » et à nous-mêmes de crever... de ce qui devrait au contraire nous nourrir. Après ça, on peut toujours se considérer comme une espèce supérieurement intelligente et fondée à se comporter en mode « après nous, le déluge ». Car si déluge il y a, c'est tout à cause d'une opération du Saint-Esprit mal posée, c'est bien le résultat de ce que l'autrice passe en revue : consommation de pétrole à gogo, donc dépendance à gogo et conditions d'extraction négligées, usage de pesticides, massification et par là même banalisation des OGM et prédation de terres dans les pays dits « du sud ». On peut dire que le bilan est, comme le chantait Stromae, « formidable ». Les chiffres sont accablants, alors si en plus on parle d'éthique... Allez, j'en cite quelqu'uns, histoire de vous donner un peu comme à moi le vertige parce qu'il n'y a pas de raison, on doit tous être solidaires : multiplication de la consommation du précieux or noir par 9 en 60 ans, sachant qu'on l'utilise pour les véhicules agricoles mais aussi majoritairement pour les engrais ; la France et sa palme de 1er pays européen utilisateur de pesticides, et surtout que l'esprit des Lumières reste avec vous !; vivant breveté par une poignée de multinationales qui se moquent globalement pas mal des quelques procès intentés en particulier pour contamination de champs non-OGM à côté de champs Ogémisés ; enfin, entre 15 à 20 millions d'hectares qui auraint fait l'objet de transactions purement financières, au détriment des populations locales, entre 2006 et 2009. Et comme cela est bien noté, la France n'échappe pas non plus à ce mouvement de colonisation de ses propres terres, ce qui ressemble à une petite ironie de l'Histoire, on pourrait dire que c'est bien fait, sauf que non car il s'agit de nous, maintenant et ici, et qu'il faut se ressaisir.



Alors comment ? Eh bien cela peut sembler assez facile parce que près de 70% de nos compatriotes ont un jardin. Je ne sais pas vous mais je trouve ce chiffre énorme et j'aimerais bien savoir si des données existent sur l'usage fait de ces terres. On risque de me taxer de sale intrusive collectiviste mais je m'en moque un peu car d'abord c'est faux, je ne permets à personne:), mais en plus c'est vrai, peut-on juste savoir quel usage notamment nourricier est fait de ces terres à une époque ou on commence à en manquer cruellement ? Il faudrait peut-être avoir une idée et intégrer cette donnée dans un vrai plan de bataille car oui, c'est vrai, je suis sceptique devant un droit de propriété qui gèle des terres ad vitam eternam, le non-droit de regard de la collectivité sur ce qui est fait de ces terres et le fait de s'abriter derrière : mais tout le monde n'a pas forcément envie, vocation, le temps, que sais-je encore, d'être jardinier. OK, mais alors on fait comment ? On fait comme si la terre n'était pas une question politique et chacun jouit paisiblement dans son coin ? Déjà cela me semble contestable sur le plan de la justice sociale et environnementale, mais en plus cela me semble totalement hors-sujet par rapport aux grands enjeux actuels de production de l'alimentation et de juste répartition de celle-ci ne serait-ce que si on veut maintenir des sociétés à peu près stables sur le plan de la sécurité ( !!! ceci n'est ni un gros mot ni un mot spécifiquement de droite, halte à un autre accaparement, à un autre type de pollution, ceux des ressources langagières:)). Il apparaît donc que 42% des foyers français cultivent leur potager, mais cela représente combien par rapport à la satisfaction de leurs besoins alimentaires de base ? Certainement peu et on peut gager que réside dans la potentialisation de cette vraie richesse un vrai levier d'action car, comme cela est judicieusement rappelé, c'est bon pour l'espèce humaine et pour la planète, biodiversité et lutte contre le réchauffement climatique via la diminution des transports de marchandises en tête. Ah HUMUS, HOMME, HUMILITÉ, combien faudra-t-il de fois nous le répéter ?...



Vous allez me dire : sympa, mais moi j'ai pas de jardin. Et je vous répondrai : dommage, c'est vraiment con pour vous, comme on fait son lit on se couche et même que comme on fait son jardin on becte. Dura lex sed lex du marché ou de la faute à pas de chance et je compatis parce que je suis dans votre cas. Est-ce que ça m'énerve ? Non. Est-ce que j'ai l'air énervé ? Non, encore moins. Bon alors, il est où le problème ? Vous me demanderez : juste, nous, on fait comment ? C'est là qu'intervient la magicienne Frédérique Basset qui nous sort de notre désarroi finissant et nous remet dans l'axe de toutes les solutions qui fourmillent et potentiellement dans votre compost de balcon et près de chez vous. L'essentiel du livre se déploie donc comme un véritable guide pour se projeter, savoir à la fois comment et où cultiver. Vous trouverez ainsi des passages aussi bien sur la vie du sol que sur le paillage, sans oublier des schémas de différents types de jardin (en lasagnes ou en carré) ou des mémos sur le compost, l'eau, les engrais verts, les petites bestioles amies, les plantes amies entre elles aussi, la rotation des cultures, la question si politique des semences, ruche or not ruche, biodynamie ou carrément culture du non-agir à la japonaise. C'est à la fois éclairant sur le plan strictement technique et conceptuel tant il est vrai qu'une vraie révolution systémique se joue au fond dans cet appel à cultiver son jardin. Son jardin mais pas que le sien en propre, et c'est là que l'on bascule dans l'inspirant passage en revue des nombreuses solutions qui existent déjà pour agir, à nouveau retrouver le sens de l'action. Reportages et interviews viennent ainsi ponctuer, animer et préciser la description des différents lieux où cultiver, donc ancrer cette action : balcon, jardins partagés ou familiaux, d'insertion ou pédagogiques, sans oublier forcément ma préférée vu que je suis vous l'aurez compris une dangereuse révolutionnaire, la guérilla urbaine et ses bombes d'argile et de compost remplies de fleurs ou autres cucurbitacées. On voyage aussi, entre les toits de Montréal transformés en potagers, et Cuba, la Maison-Blanche, l'Argentine plongée dans une énième crise, Cuba prise entre le feu de la disparition de son allié communiste, le blocus américain et la nécessité de survivre autant sur une île qu'à une dictature. Où il est même question de Londres et d'un certain Boris Johnson qui, en son temps, comme maire de la ville, avait encouragé sa transformation grâce au développement de l'agriculture urbaine. Comme quoi, tout est possible.



Je terminerai en disant que le texte lui-même assorti de la riche bibliographie et du carnet pratique vous permettent d'aller plus loin en toute autonomie, ce qui est après tout conforme avec le propos du livre. J'émets seulement deux réserves. Je demeure très sceptique face à la manière de poser le problème de l'autonomie alimentaire car on raisonne en permanence sur la base d'une hausse comme inéluctable de la population mondiale et de la population urbaine. Quand va-t-on briser ce tabou et arrêter de vouloir à tout prix trouver des solutions dans ce cadre intrinsèquement insoluble ? Par ailleurs, si je trouve le mouvement des Incroyables comestibles très intéressant, je sais aussi qu'il est aussi source de découragement pour les bénévoles car la gratuité n'a pas encore fait assez de chemin dans notre société pour empêcher que des gens se servent dans des jardins, bacs, pieds d'immeubles cultivés par d'autres. Et encore, quand ils se servent pour consommer, pas seulement pour dégrader. L'éducation et le changement de paradigme plus global sont plus que jamais nécessaires. Par ailleurs, je suis totalement hostile à toute forme de verticalisation des cultures car cela signifie tant symboliquement que pratiquement la rupture du lien avec le sol, donc le réel. Et là l'éducation et le changement de paradigme sont plus que jamais nécessaires car les biotech veillent pour faire croire que nourrir toutes les espèces, animales (dont nous, bien sûr) et végétales, artificiellement, c'est ça l'avenir et alors exit le problème des villes obèses. Assez de tours de passe-passe, place aux temps sérieux et néanmoins joyeux.


©Yolaine de LocoBio,

Octobre 2021

 
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