Autonomie alimentaire et
résilience :
un livre qui va tout vous
expliquer !
Pour reprendre un slogan
publicitaire, c'est un petit livre mais il fait le maximum. Pour tous
ceux qui ne comprennent rien à ce sujet et voudraient que cela
cesse. Pour les autres qui jusqu'ici s'en moquaient un peu mais
commencent à se poser des questions enfin sérieuses et qui, comme
les premiers, ne comprennent rien aux grands enjeux liés à cette
question, et donc veulent comme eux que cela cesse. Pour les autres
qui devront bien, bon gré mal gré s'y mettre et retrousser leurs
manches s'ils veulent tout simplement avoir encore quelque chose à
becter, eh bien voici LE livre par lequel il faut commencer. Il
s'agit de Vers l'autonomie alimentaire. Pourquoi, comment et où
cultiver ce que l'on mange ?,
écrit par la journaliste Frédérique Basset, déjà co-autrice d'un
livre sur les jardins partagés et d'un autre sur notre Gilles
Clément national (à quand un prix Nobel de paysagiste-poète?).
Vous l'aurez compris, nous sommes donc d'entrée de jeu dans la
subversion car quelqu'un qui écrit sur pareils sujets, on peut dire
que ça commence mal et qu'il faut se méfier. Surtout quand
l'autrice en question se paie le luxe d'une version actualisée par
des reportages (aussi instructifs qu'agréables à lire) sur des
thèmes aussi suspects que la permaculture ou l'agroforesterie,
c'est-à-dire l'association sur une même parcelle d'arbres et de
cultures vivrières. Je passe mais quand même : que dire d'un
éditeur, en l'occurrence Rue de L'Echiquier, qui en rééditant ce
livre initialement paru en 2012, au prix modique d'un « écopoche »
concourt à une subversion généralisée ? Surtout quand le
même éditeur est connu pour de nombreuses et récurrentes
publications contribuant à un bien sombre mouvement appelé, quoi ?,
« Transition » ? Je vous laisse regarder leur
catalogue et vous abonner à leur newsletter pour vous faire une
idée, voire faire un peu de veille afin d'en référer aux hautes,
très hautes autorités, au cas où une limite rouge serait franchie
et qu'il faille intervenir pour faire cesser tant d'excès sous
prétexte de liberté d'expression et de devoir d'information.
Bon,
trêve de plaisanterie circonstanciée, en quoi ce petit livre est-il
aussi riche que dans votre main léger ? Parce qu'il explique
(et défend) dans une première partie la nécessité de sortir un
besoin vital -s'alimenter physiquement mais aussi psychiquement,
individuellement et collectivement- de la dépendance dans laquelle
le basculement dans un système capitaliste mondialisé de type il
faut bien le dire néo-colonial à constante impérialiste nous a
tous plongés. L'introduction remet toute cette évolution dans le
temps long en rappelant notre passé de chasseurs-cueilleurs puis le
développement de l'agriculture et le coup d'accélérateur autant
que de folie avec la prédominance d'une agriculture intensive
malsaine à trop de points de vue. Le problème, et on rejoint ici la
nature impérialiste de cette évolution, c'est qu'elle n'allait pas
de soi déjà en elle-même (quel débat ? encore les décideurs
économiques qui prennent par surprise et en otage tout le monde?),
mais en plus elle s'est propagée via "l'occidentalisation du monde"
décrite par un de mes maîtres en Science Politique, Bertrand Badie,
en 1992. On se retrouve donc à devoir changer de modèle agricole
pour éviter à l' « environnement » et à
nous-mêmes de crever... de ce qui devrait au contraire nous nourrir.
Après ça, on peut toujours se considérer comme une espèce
supérieurement intelligente et fondée à se comporter en mode
« après nous, le déluge ». Car si déluge il y a, c'est
tout à cause d'une opération du Saint-Esprit mal posée, c'est bien
le résultat de ce que l'autrice passe en revue : consommation
de pétrole à gogo, donc dépendance à gogo et conditions
d'extraction négligées, usage de pesticides, massification et par
là même banalisation des OGM et prédation de terres dans les pays
dits « du sud ». On peut dire que le bilan est, comme le
chantait Stromae, « formidable ». Les chiffres sont
accablants, alors si en plus on parle d'éthique... Allez, j'en cite
quelqu'uns, histoire de vous donner un peu comme à moi le vertige
parce qu'il n'y a pas de raison, on doit tous être solidaires :
multiplication de la consommation du précieux or noir par 9 en 60
ans, sachant qu'on l'utilise pour les véhicules agricoles mais aussi
majoritairement pour les engrais ; la France et sa palme de 1er
pays européen utilisateur de pesticides, et surtout que l'esprit des
Lumières reste avec vous !; vivant breveté par une poignée de
multinationales qui se moquent globalement pas mal des quelques
procès intentés en particulier pour contamination de champs non-OGM
à côté de champs Ogémisés ; enfin, entre 15 à 20 millions
d'hectares qui auraint fait l'objet de transactions purement
financières, au détriment des populations locales, entre 2006 et
2009. Et comme cela est bien noté, la France n'échappe pas non plus
à ce mouvement de colonisation de ses propres terres, ce qui
ressemble à une petite ironie de l'Histoire, on pourrait dire que
c'est bien fait, sauf que non car il s'agit de nous, maintenant et
ici, et qu'il faut se ressaisir.
Alors
comment ? Eh bien cela peut sembler assez facile parce que près
de 70% de nos compatriotes ont un jardin. Je ne sais pas vous mais je
trouve ce chiffre énorme et j'aimerais bien savoir si des données
existent sur l'usage fait de ces terres. On risque de me taxer de
sale intrusive collectiviste mais je m'en moque un peu car d'abord
c'est faux, je ne permets à personne:), mais en plus c'est vrai,
peut-on juste savoir quel usage notamment nourricier est fait de ces
terres à une époque ou on commence à en manquer cruellement ?
Il faudrait peut-être avoir une idée et intégrer cette donnée
dans un vrai plan de bataille car oui, c'est vrai, je suis sceptique
devant un droit de propriété qui gèle des terres ad vitam eternam,
le non-droit de regard de la collectivité sur ce qui est fait de ces
terres et le fait de s'abriter derrière : mais tout le monde
n'a pas forcément envie, vocation, le temps, que sais-je encore,
d'être jardinier. OK, mais alors on fait comment ? On fait
comme si la terre n'était pas une question politique et chacun jouit
paisiblement dans son coin ? Déjà cela me semble contestable
sur le plan de la justice sociale et environnementale, mais en plus
cela me semble totalement hors-sujet par rapport aux grands enjeux
actuels de production de l'alimentation et de juste répartition de
celle-ci ne serait-ce que si on veut maintenir des sociétés à peu
près stables sur le plan de la sécurité ( !!! ceci n'est ni
un gros mot ni un mot spécifiquement de droite, halte à un autre
accaparement, à un autre type de pollution, ceux des ressources
langagières:)). Il apparaît donc que 42% des foyers français
cultivent leur potager, mais cela représente combien par rapport à
la satisfaction de leurs besoins alimentaires de base ?
Certainement peu et on peut gager que réside dans la
potentialisation de cette vraie richesse un vrai levier d'action car,
comme cela est judicieusement rappelé, c'est bon pour l'espèce
humaine et pour la planète, biodiversité et lutte contre le
réchauffement climatique via la diminution des transports de
marchandises en tête. Ah HUMUS, HOMME, HUMILITÉ, combien
faudra-t-il de fois nous le répéter ?...
Vous
allez me dire : sympa, mais moi j'ai pas de jardin. Et je vous
répondrai : dommage, c'est vraiment con pour vous, comme on
fait son lit on se couche et même que comme on fait son jardin on
becte. Dura lex sed lex du marché ou de la faute à pas de chance et
je compatis parce que je suis dans votre cas. Est-ce que ça
m'énerve ? Non. Est-ce que j'ai l'air énervé ? Non,
encore moins. Bon alors, il est où le problème ? Vous me
demanderez : juste, nous, on fait comment ? C'est là
qu'intervient la magicienne Frédérique Basset qui nous sort de
notre désarroi finissant et nous remet dans l'axe de toutes les
solutions qui fourmillent et potentiellement dans votre compost de
balcon et près de chez vous. L'essentiel du livre se déploie donc
comme un véritable guide pour se projeter, savoir à la fois comment
et où cultiver. Vous trouverez ainsi des passages aussi bien sur la
vie du sol que sur le paillage, sans oublier des schémas de
différents types de jardin (en lasagnes ou en carré) ou des mémos
sur le compost, l'eau, les engrais verts, les petites bestioles
amies, les plantes amies entre elles aussi, la rotation des cultures,
la question si politique des semences, ruche or not ruche, biodynamie
ou carrément culture du non-agir à la japonaise. C'est à la fois
éclairant sur le plan strictement technique et conceptuel tant il
est vrai qu'une vraie révolution systémique se joue au fond dans
cet appel à cultiver son jardin. Son jardin mais pas que le sien en
propre, et c'est là que l'on bascule dans l'inspirant passage en
revue des nombreuses solutions qui existent déjà pour agir, à
nouveau retrouver le sens de l'action. Reportages et interviews
viennent ainsi ponctuer, animer et préciser la description des
différents lieux où cultiver, donc ancrer cette action :
balcon, jardins partagés ou familiaux, d'insertion ou pédagogiques,
sans oublier forcément ma préférée vu que je suis vous l'aurez
compris une dangereuse révolutionnaire, la guérilla urbaine et ses
bombes d'argile et de compost remplies de fleurs ou autres
cucurbitacées. On voyage aussi, entre les toits de Montréal
transformés en potagers, et Cuba, la Maison-Blanche, l'Argentine
plongée dans une énième crise, Cuba prise entre le feu de la
disparition de son allié communiste, le blocus américain et la
nécessité de survivre autant sur une île qu'à une dictature. Où
il est même question de Londres et d'un certain Boris Johnson qui,
en son temps, comme maire de la ville, avait encouragé sa
transformation grâce au développement de l'agriculture urbaine. Comme quoi, tout est possible.
Je
terminerai en disant que le texte lui-même assorti de la riche
bibliographie et du carnet pratique vous permettent d'aller plus loin
en toute autonomie, ce qui est après tout conforme avec le propos du
livre. J'émets seulement deux réserves. Je demeure très sceptique
face à la manière de poser le problème de l'autonomie alimentaire
car on raisonne en permanence sur la base d'une hausse comme
inéluctable de la population mondiale et de la population urbaine.
Quand va-t-on briser ce tabou et arrêter de vouloir à tout prix
trouver des solutions dans ce cadre intrinsèquement insoluble ?
Par ailleurs, si je trouve le mouvement des Incroyables comestibles
très intéressant, je sais aussi qu'il est aussi source de
découragement pour les bénévoles car la gratuité n'a pas encore
fait assez de chemin dans notre société pour empêcher que des gens
se servent dans des jardins, bacs, pieds d'immeubles cultivés par
d'autres. Et encore, quand ils se servent pour consommer, pas seulement pour
dégrader. L'éducation et le changement de paradigme plus global
sont plus que jamais nécessaires. Par ailleurs, je suis totalement
hostile à toute forme de verticalisation des cultures car cela
signifie tant symboliquement que pratiquement la rupture du lien avec
le sol, donc le réel. Et là l'éducation et le changement de
paradigme sont plus que jamais nécessaires car les biotech veillent
pour faire croire que nourrir toutes les espèces, animales (dont
nous, bien sûr) et végétales, artificiellement, c'est ça l'avenir
et alors exit le problème des villes obèses. Assez de tours de
passe-passe, place aux temps sérieux et néanmoins joyeux.
©Yolaine de LocoBio,
Octobre 2021
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