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Chronique 101
14-07-2019

L’été et ses bienfaits

 

  

Le luxe majeur de l’été, c’est d’avoir un peu plus de temps. Mais à quoi le consacrer ? Certains peuvent être pris d’un certain vertige car l’envie de décrocher se mêle à la peur, précisément, de décrocher. Autant dire que cela est un précieux signe : qu’il faut absolument et vite décrocher. Bref, pour ceux qui m’ont suivie jusqu’à la fin de cette vertigineuse introduction, je propose de : lire, aller en ville, bricoler et pédaler. Banal ? Oui, un peu banal, d’un banal même revendiqué car rien de tel que l’été pour revenir aux fondamentaux. Or le banal est fondamental. Si on ne l’avait pas oublié, on n’en serait certainement pas à des ivresses coupables du genre continuer à financer les voyages spatiaux alors que nos propres affaires sont loin d’être réglées. Ah le banal… tuant, ou la source de tout ? A-t-on encore vraiment le choix de la réponse à cette question… banale ?

Donc lire. Soit, mais quoi ? Pour prendre déjà un peu de recul, La civilisation du poisson rouge de Bruno Patino me semble bien. Certes, on en a entendu beaucoup parler, plan de comm’ bien huilé oblige. Pas facile pour un auteur qui nous met en garde contre la capture permanente de notre attention d’à son tour la capturer quelques minutes pour assurer sa propre promotion. C’est de bonne guerre et, malgré tout, pour la bonne cause. Le directeur éditorial d’Arte France est un bon connaisseur du numérique d’information et nous alerte sur ce qui est devenu le « marché de l’attention », c’est-à-dire comment notre temps nous est volé par le canal de l’émotion et de vagues récompenses essentiellement narcissiques sur les réseaux sociaux. Le souci, c’est qu’après les promesses de progrès liés à Internet, de puissantes entreprises utilisent neurosciences et analyse des données pour nous décentrer de nos propres existences et, bien entendu, nous faire consommer. Pas jojo cette analyse, mais quoi ? Préférer continuer à tourner dans nos bocaux respectifs ou prendre conscience de ce qui se joue en nous ? L’avantage de la crise écologique (et existentielle) actuelle, c’est que nous allons avoir de moins en moins le temps, donc le luxe, de nous poser ce genre de question. La réalité tranchera et elle le fera contre l’illusion, par définition. 

Pour continuer à se mettre dans le (bon) bain, Psychologie positive et écologie, Enquête sur notre relation émotionnelle à la nature me semble opportun. Curieuse et louable démarche que celle engagée par Lisa Garnier et qui consiste à rapprocher deux sciences évoluant jusqu’ici séparément : d’une part la psychologie positive qui traite de l’émergence d’émotions bénéfiques, et d’autre part l’écologie qui a pour objet la bonne conservation de la nature. Au premier abord, on pourrait se demander quel est le lien entre les deux. Normal, nous nous sommes tellement coupés du monde extérieur et avons tellement intériorisé cette sotte coupure que parfois l’évidence originelle ne nous parle même plus. Or voici un livre qui nous parle tout simplement de nous et de la source de notre bonheur : rétablir le lien et en tirer toutes les conséquences. Longue sera la route de la réunion, comme longue fut celle de la désunion. Mais là encore, a-t-on le temps, a-t-on le choix ?

 

Pour pousser encore un peu plus loin le bouchon du hors-bocal, je conseillerais enfin l’approche originale de Julien Dossier, professeur à HEC, spécialiste de la transition écologique et de la ville durable (comme quoi, allier les deux est possible !...).  Dans l’essai Renaissance écologique. 24 chantiers pour le monde de demain, il s’appuie sur une célèbre fresque de la Renaissance, Allégorie des effets du bon et du mauvais gouvernement, peinte par Ambrogio Lorenzetti en 1338, pour faire l’inventaire de tous les aspects à aborder et relier (encore et toujours relier) pour enfin entrer en résilience. A le lire, on peut une nouvelle fois éprouver un certain vertige car il met en relation l’esthétique et le politique, si souvent séparés, et fait état d’une véritable révolution à opérer. Ni plus ni moins comme à la Renaissance. Mais après tout, si une pareille révolution, un peu trop hâtivement nommée « humaniste » a eu lieu voici quelques siècles, pourquoi ne serions-nous pas capables d’en opérer une autre, cette fois-ci réellement humaniste au sens où nous respecterions toute forme de vivant ?

 

Tout aussi originale et riche est la démarche de l’artisan-philosophe Arthur Lochmann dans La vie solide. La charpente comme éthique du faire. Ayant délaissé des études sérieuses (…) de droit et de philosophie, cet homme à peine âgé d’une trentaine d’année a préféré devenir charpentier de métier, et il faut le dire par philosophie de vie, c’est-à-dire sans doute la meilleure. Entre construction et structure d’une demeure reliant le ciel à la terre, la charpente est à la fois réalité tangible et symbole fort du renversement de perspective qui, seul, peut encore nous sauver. Car pour construire une telle structure structurante, pour parler comme les sociologues, pas d’autre solution que de se coltiner le réel, donc d’être enfin humble (de « humus », le sol, cqfd) et d’arrêter d’être stupidement orgueilleux. De fait, il faut faire avec le « faire avec », en premier lieu avec des contraintes d’ordre technique comme la vie passée du bois, ses dimensions, sa nature, etc… Eh oui, si on veut tirer parti de la matière, il faut composer avec elle. Par ailleurs, l’intelligence d’ordinaire si cérébrale se déplace au niveau des mains et des bras pour entretenir via les outils un autre rapport entre le corps de l’artisan et cette matière qu’il façonne. Où on retrouve les notions d’attention, de réunion et d’héroïsme discret lié au geste productif qui se pose en salvateur contre-point de tout le vide pouvant entourer les expériences en tous genres que –soi-disant- le consommateur ne cesserait de réclamer. Cette forme de sagesse corporelle impose en définitive un réalignement sur l’essentiel, comme si les bipèdes que nous sommes réatterrissaient enfin après une longue errance qui, il faut le dire, rend une majorité pauvre et malheureuse. 

 

Préférer l’agir à l’identité, voilà qui à l’époque actuelle sonne comme un joli programme, vaste programme. On en revient donc à l’action qui parle pour nous plus qu’au « nous » qui déclenche de plus ou moins sombres actions. Agir, certes, mais quoi faire de beau alors ? Je l’ai dit, aller se balader tout simplement dans notre belle ville de Chambéry et gagner le quartier Curial où  vous attendent deux lieux sympathiques : l’Inukshuk et la boutique de l’Office du Tourisme. Lieu-ressource pour tous les passionnés de vélo et plus généralement d’out door, le premier est un café-snack investi dans la démarche locobio (locale et bio, au cas où certains lecteurs aient des doutes sur l’étymologie exacte de l’appellation de notre site). Il y a bien sûr beaucoup de modèles de vélos en vente, mais il y a surtout un atelier de réparation, sans compter une programmation d’évènements autour du voyage et de l’éco-responsabilité. Juste à côté, vous trouverez en vente des produits locaux (mais pas tous bio, n’empêche qu’en parler peut donner l’idée de se convertir au bio en question), très variés : des vins au safran en passant par les tisanes, les confitures et les sirops.

 

Enfin, qui veut agir commence en général par balayer devant sa porte. Or cette porte peut, à l’arrière, ouvrir sur un jardin, même petit. Et ce petit jardin pourrait bien accueillir, moyennant quelques aménagements qui occuperaient bien votre été… une caravane transformée qui en bureau, qui en chambre d’amis, qui en… lieu à soi comme écrivait Virginia Woolf dans le roman éponyme. Et là, qui vient à point pour vous guider dans cette périlleuse mais si saine transformation ? L’âge de faire, bien sûr, mensuel dont on ne se prive jamais de faire tout à fait gratuitement la pu-bli-ci-té. Dans sa dernière livraison, vous trouverez toutes les infos pour donner une seconde vie à ces équipements souvent délaissés au profit des camping-cars et autres mobil-homes -en français dans le texte :-) - notamment pour l’autonomie en eau et en électricité.

 

Nomades nous étions et nomades nous redeviendrons, tel est semble-t-il notre destin. Sauf qu’entre temps un certain nombre de frontières sont apparues, et dans les têtes et sur le terrain. La route sera encore longue pour faire positivement évoluer les mentalités. Et sur cette route, n’oubliez pas car moi j’allais oublier et cela aurait été dommage, de faire une halte dans une salle de cinéma si possible indépendante pour voir un film éblouissant : Les enfants de la mer, une animation japonaise qui parle d’orgueilleux et de reliance. Tout un programme, vaste programme pour un été.

 

 

©Yolaine de LocoBio

Juillet 2019

 

 

 

 
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