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Chronique 98
14-03-2019

Blabla politique et silence éthique

 

  

Le grand débat national touche à sa fin. Désormais, tout l’enjeu est de savoir à quoi aura au juste servi une telle débauche de moyens financiers et techniques. Il est bien clair que le gouvernement, de même que tout gouvernement démocratique, ne peut se payer longtemps le luxe de dépenser autant, de compter sur l’engagement sincère et bénévole de nombre de nos concitoyens dans ce genre de consultation, bref de susciter de l’espoir sans répondre en étant à la hauteur. Nous verrons donc. Mais en attendant, poursuivons notre réflexion sur le socle du monde à venir, c’est-à-dire sur ce qui doit d’urgence être refondé. Pour cela, recherchons le compagnonnage stimulant de personnes inspirantes. Parmi celles-ci, le philosophe Emmanuel Lévinas qui fait actuellement l’objet d’un hors-série de Philosophie magazine.

Les fidèles lecteurs des présentes chroniques savent mon scepticisme teinté d’ironie et de colère à l’encontre de cette auguste discipline ; justement parce qu’elle se prend souvent pour ce qu’elle n’est pas avec beaucoup d’affirmations non fondées et néanmoins pompeuses. Le plus grave, c’est quand le pompeux sert d’argument d’autorité et quand beaucoup d’erreurs inadmissibles en viennent à façonner la société. Ainsi, je ne reviendrai pas sur le pur attentat contre nous-mêmes et notre « environnement » perpétré depuis des siècles au nom de la prétendue suprématie de l’Homme, au hasard de sexe masculin, blanc et, tant qu’à faire, philosophe. Que de déconnexion et, parlons clair, que de déconnade. Heureusement, des sortes d’outsiders pointent de temps en temps le bout de leur museau et contribuent à redresser le tir. Ainsi, heureusement nous avons eu Lévinas, philosophe du siècle passé des plus actuels.

 

Pourquoi ? Parce que Lévinas n’a pas hésité à bousculer et même renverser notre tradition philosophique. En guise de connaissance et de métaphysique, le tout centré sur l’ego, il a donné la primauté à l’éthique. Non pas la morale, car il a sagement pris acte que celle-ci n’était massivement pas respectée. Donc l’éthique. L’avantage, c’est que cela fait moins gros mot que la morale, cela fait moins réac, plus libéral et plus « cool ». Autant dire que c’est pas mal dans un discours écolo souvent accusé, précisément, d’être moralisateur, réactionnaire et donc « pas cool ». On disqualifie ses adversaires comme on peut, que voulez-vous, quand on n’a que ça à faire de chercher à disqualifier l’Autre alors que torchon et planète brûlent.

 

L’Autre, tiens, justement. Il est au cœur de la pensée de Lévinas à tel point que cet auteur est souvent qualifié de « penseur de l’Autre ». Pour lui, l’éthique surgit au moment du face-à-face avec l’Autre et plus particulièrement avec son visage. Non pas le visage tel qu’habituellement défini, par des caractéristiques seulement physiques. Non, le visage en tant que mise à nu, expression de la vulnérabilité d’autrui, vulnérabilité comme source d’identification et fondement d’un sentiment de responsabilité infinie vis-à-vis d’elle/lui. Sans cette expérience du face-à-face lui très physique, concret, rien n’est possible. On est par ailleurs très frappé par l’exigence que suppose notre propre regard sur autrui. Lévinas ne cesse en effet de marteler « je ne peux, je ne peux » pour souligner l’impossibilité de rester sans rien faire après cette vision/confrontation.

 

Ouf ! Les Bisounours commencent sérieusement à nous les casser. C’est pas moi qui le dit (ce serait surprenant ;)) mais c’est ce qu’on entend assez souvent face à des idées, des paroles un peu positives… et forcément exigeantes. Car la pensée, et encore plus son application, oui la pensée de Lévinas est exigeante car cette fois-ci, ça ne rigole plus : et si grâce à cette folle exigence, nous étions enfin obligés d’être nous-mêmes (ah, le « propre de l’Homme, décidément mon dada ;;)) ? Et si en essayant un peu, tiens tiens, d’être à la hauteur, on se sentait mieux et on détruisait moins ce qui nous entoure et, au passage, nous nourrit, nous est juste vital ?

 

Lévinas, moi je dis, c’est une opportunité historique à ne pas rater. C’est remettre les choses à plat et dans l’ordre. Cela suppose bien évidemment d’accepter de vivre encore cette expérience fondatrice de la rencontre avec le visage d’autrui. C’est donc ne pas avoir peur, ne pas s’enfermer dans tous les ghettos en self-service dont notre époque nous abreuve. C’est refuser ce qui, dorénavant, nous rendrait coupés et insensibles car aucun salut ne viendra du hors-sol encore moins digital pour notre espèce-tout-le-contraire. C’est regarder l’Autre, mais le regarder vraiment et s’en sentir responsable comme elle/lui –moi je rajoute ça, excusez- doit se sentir responsable de moi. C’est ne pas voir que de la vulnérabilité dans ce visage, mais voir aussi cette vulnérabilité. C’est enfin ouvrir les abattoirs. C’est élargir le spectre de ce qu’est un visage. C’est se sentir engagé au sens large, celui d’Autrui sous toutes ces formes différentes que je ne connais pas encore. C’est avoir cette modestie que la science bien plus arrogante que la philosophie n’a pas. C’est rester à sa place et l’occuper enfin pleinement dans un ordre des choses qui nous dépasse. C’est être sage au sens vrai de Lévinas.

 

Et comme la philosophie a toujours fait bon ménage avec les libations, reprenons, oui reprenons cette tradition qui, elle, a du bon ! Ainsi, les livres ne sont pas les seuls à être inspirants (et les conférences disponibles sur ce cher Net, dans le cas de Lévinas). Figurez-vous qu’il y a aussi… le vin. Ainsi, une fois n’est pas coutume, autant finir en beauté le présent billet en vous recommandant Nature de vin à Aix-les-bains. Entre boutique, ateliers de dégustation de vins bio (dynamiques ou pas) et tourisme œnologique dans notre belle région, vous ne serez certainement pas déçus. La modération est ici, contrairement avec Lévinas, de bon aloi. Mais vous aurez ainsi la satisfaction d’être un acteur écolo sans peut-être le vouloir, à votre corps défendant et souriant au visage d’autrui, pris dans l’économie circulaire du Grand Tout. Qui sait, oui, qui sait ?

 

©Yolaine de LocoBio

Mars 2019

 

 

 

 

 
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